Dans un premier temps, Olivia se montra très emballée par la nouvelle idée de Tilma.
— Il est tant que tu apprennes à manier les armes !
Puis nettement moins.
— Alek t’entrainera.
— Pourquoi lui ? Je préférerais que ce soit toi.
— Tu ne réalises pas ce que tu dis. Il possède un niveau incroyable, c’est un grand honneur qu’il te fait.
— Effectivement, j’ai eu la chance d’apprécier son talent. La fois où il a massacré une dizaine de personnes !
— …pour te sauver la vie, fit remarquer Tilma qui ne semblait pas avoir été marqué le moins du monde par la tuerie.
— Merci de me le rappeler… marmonna Olivia.
— Je ne comprends pas ce que tu as contre lui. Il ne t’a rien fait de mal.
— C’est plutôt moi qui devrais te demander ce que tu as avec lui. Depuis que tu t’entraînes avec, c’est quasiment devenu ton idole !
Tilma se mordit la lèvre, curieusement contrariée.
— Je ne peux pas t’entrainer, dit-elle sèchement. Les Fara ne se transmettent leur savoir qu’entre membres du clan.
Olivia encaissa le coup sans broncher. Ce n’était que la stricte vérité : elle n’appartenait pas au clan Fara. Pourtant, cette réflexion lui fit plus mal qu’elle n’aurait voulu l’admettre.
— Très bien, va pour le Bossu. Je sens que je vais m’amuser comme une folle…
A la boucherie du camp, c’était la frénésie. Les cuisines exigeaient une cadence insensée et Bruno n’avait pas caché son soulagement lors du retour d’Olivia. Les deux bouchers avaient appris à s’apprécier mutuellement : Mahe ne se formalisait pas du caractère bourru du quarantenaire (par certain côté, il lui rappelait son père) et Bruno la respectait pour son savoir-faire. A la pause déjeuner, il lui réservait toujours les meilleurs morceaux de viande à griller. Accaparé par son travail les babillages incessants d’Idylle, Olivia trouva tout de même le moment de ruminer les paroles de Tilma.
Etre Sans-clan était synonyme de paria. Pour un Lufzan, il n’y avait rien de pire : cela renvoyait à l’absence d’identité et à l’impossibilité de trouver sa place au sein d’une société Luftzanne très hiérarchisée. Les Sans-clans étaient l’objet de tous les rejets et de toutes les discriminations, on leur réservait les tâches les plus vils, les emplois les plus difficiles. Sans nom à transmettre, il leur était encore impossible de se marier ; et si par malheur ils engendraient des enfants, ces derniers connaissaient le même sort peu enviable. Le camp de l’Est comptait quelques Sans-clan (dont quelques prostituées), tous traités avec méfiance. Olivia réalisa qu’elle-même ferait toujours partie de cette catégorie, quoi qu’elle puisse prétendre. Elle se sentie plus étrangère que jamais à ce monde.
Dès le lendemain, Olivia et Tilma se rendirent au lieu de rendez-vous choisi pour la leçon d’escrime. Grâce à ses petits revenus, Mahe s’était procuré un ensemble en jersey composé d’un pantalon souple bleu marine et d’un haut noir à manches courtes. A ses pieds, une paire de mocassin en peau de krut remplaçait ses bottines usées.
Alek les attendait, aussi sérieux qu’à son habitude. Il avait débroussaillé une clairière en marge de la zone d’entrainement officielle. Il s’enquit de leur santé avec une affabilité déconcertante. L’explication qu’Olivia et Alek avaient eu à la fin de la mission n’était sans doute pas pour rien dans ce changement. Dès lors, Mahe se détendit quelque peu. Pendant que Tilma exécutait des mouvements avec son sabre, Alek lui expliqua les quatre voies d’escrime :
— On les désigne par ordre croissant de puissance offensive : Mai, Tak, Rone et Sterne. Elles ne nécessitent pas toutes les mêmes aptitudes physiques : les Lufzans ont coutume de dire que chacun peut trouver une voie qui lui correspond. Au fil du temps, les clans en ont modifié certaines caractéristiques, développant ainsi leurs propres styles. C’est le cas de ton amie, qui se bat dans le style Fara, issue de la voie Rone.
— Et toi ? demanda Olivia
Alek parut hésiter avant de lui répondre :
— Sterne. La spécificité de cette voie d’escrime est qu’elle exige la maîtrise de toutes les autres. Et pour finir, il y a la qualité des sabres, très importante. Cela peut faire toute la différence.
Joignant le geste à la parole, il lui tendit un long sabre au manche gravé d’oiseaux.
— Il est à toi. Fait attention, il est bien affuté : quand tu le porteras, veille à ce que le côté le plus tranchant soit tourné vers l’extérieur.
— Je ne peux pas accepter.
— C’est de moi, précisa Tilma qui écoutait la conversation.
— Ah… alors d’accord.
Contrairement à ce qu’Olivia avait imaginé, l’entraînement s’avéra étonnamment ludique. Elle se prit rapidement au jeu et ne vit pas le temps passer. Alek resta auprès d’elle durant chaque exercice, sans jamais se montrer pesant et en faisant preuve d’une patience bienveillante. Il pouvait consacrer de longues minutes à lui décomposer un mouvement ou lui expliquer les subtilités d’un placement. Parfois, il priait Tilma de se joindre à eux pour une mise en pratique : Mahe apprit à éviter des attaques simples et à porter de petits coups vicieux. L’expertise d’Alek se ressentait dans son approche de sa discipline ; le père d’Olivia répétait souvent que pour être un très bon boucher, il fallait d’abord savoir exécuter les gestes les plus simples à la perfection. Alek possédait par ailleurs une retenue qui convenait au caractère tout aussi mesuré d’Olivia. Il n’était pas du genre à forcer ses encouragements, mais ses remarques sonnaient d’autant plus valorisantes : « Parfait, tu as bien saisie la posture à adopter». « Je n’aurais pas fait mieux ».
La jeune femme se demanda quel âge Alek pouvait avoir. Le fait que beaucoup de gens fussent bien plus vieux qu’ils n’en paraissaient en réalité restait extrêmement troublant pour elle. Pour les Lufzans bien entendu, rien n’était plus normal et on veillait au respect des aînés. Comme elle avait fini par en prendre l’habitude, Olivia chercha du regard l’édate d’Alek. C’était une petite pierre qu’il portait au poignet, de couleur rouge clair. Il avait donc une vingtaine d’année.
Surprenant. Elle lui en aurait donné le double.
Mahe porta machinalement la main à son nouveau pendentif, une fausse édate que Tilma lui avait donné dès leur retour de mission. Grace à ses sessions consacrées à la culture Lufzanne, Olivia était parvenue à maîtriser l’art subtil des civilités. Les Lufzans se désignaient toujours par leur nom de clan, il falait donc absolument le retenir. Le nom de famille servait à distinguer plusieurs membres d’un même clan. Quant au prénom, il n’était utilisé qu’à partir d’un certain degré d’intimité, ce qu’Olivia n’avait atteint qu’avec très peu de personne : Tilma, Bruno et sa fille Idylle, les frères Tsuro, Alek et…Brenair Balaya du clan Moade.
Benair ne lui avait d’ailleurs laissé aucun répit depuis son retour au Camp de l’Est. Ses aimables tentatives d’approche s’étaient récemment transformées en un véritable harcèlement. Mahe le repérait tous les soirs de loin, avec sa démarche chaloupée et son physique de surfeur Brésilien. Idylle était cependant la seule à l’attendre avec impatience. Olivia tachait de paraitre très occupée pendant que Brenair s’efforçait de mener un semblant de conversation. Généralement, il évoquait les duels qu’il avait remporté ou faisait mine de s’intéresser à l’activité de la boucherie. Puis il lui proposait un rendez-vous, auquel Olivia répondait négativement en invoquant la fatigue ou des projets avec Tilma. Mais depuis quelques jours, Brenair commençait à manifester des signes d’impatience.
— Je ne veux pas me mêler de ce qui me regarde pas, avait grommelé Bruno, mais si vous ne l’appréciez pas, renvoyez le donc, ce grand benêt !
— Papaaa !
Le boucher n’avait pas tort : il fallait mettre fin à cette situation. Olivia avait toutefois du mal à s’y résoudre : c’était la première fois de sa vie qu’un aussi bel homme lui courait après, et cela flattait son ego. Elle éprouvait aussi un plaisir coupable à lui résister… et d’observer Brenair Balaya, piqué au vif, devenir obsédé par elle. Le tombeur avait eu tort de la sous-estimer. Olivia craignait surtout que Tilma finisse par avoir vent de son petit jeu et lui reproche de s’exposer dans tout le Camp. Pire, celle-ci pourrait aussi avoir la mauvaise idée de mettre son grain de sel et que toutes deux finissent avec Brenair et tout son fan-club à dos. Mahe se promit d’avoir prochainement une conversation avec le grand brun.
Elle n’en fit rien les jours suivants. Heureusement, Balaya l’informa opportunément de son départ en mission. Ses visites devaient cesser un long moment.
L’emploi du temps d’Olivia était dorénavant rythmé par le travail à la boucherie et les entrainements avec Alek. Elle s’exerçait en tête à tête avec lui, puis le sabreur enchainait sur sa leçon avec Tilma. Au grand soulagement de tous, aucune évacuation du Camp n’avait été annoncée. La surveillance restait cependant accentuée aux abords de la forêt Halda.
Le soleil déclinait sur le Massif du Far, baignant la montagne de sa lumière orangée. L’après-midi avait été très ensoleillé et la chaleur estivale gagnait peu à peu le Camp de l’Est. Olivia mangeait tranquillement son diner en compagnie de Tilma, du pain à l’ail avec du fromage frais. Les deux amies possédaient leur propre gamelle, qu’elles nettoyèrent dans de grands bacs d’eau prévus à cet effet. La soirée s’annonçait calme, aucune animation n’étant prévue. Des camarades commençaient d’ailleurs à se disperser.
On entendit une détonation retentir au loin, comme un pétard sur du bitume. D’un seul mouvement, toutes les têtes se tournèrent dans la même direction. L’agitation gagna très vite le forum : des dizaines de personne se mirent à converger vers ce point central, la plupart en courant. En quelques minutes, la place fut noire de monde. Tilma entraina Olivia à l’écart pour ne pas être bousculé.
— Que se passe-t-il?!
Olivia dû s’époumoner pour se faire entendre. Le flot de Résistants continuait de grossir.
— Aucune idée. Allons voir !
Il eut tout à coup un nouveau cri. Mahe sentit un long frisson lui parcourir l’échine et se figea. Oclamel la tira par la manche pour l’entrainer avec elle à travers la cohue. L’homme qui venait de hurler à la mort se trouvait au milieu de la foule, encerclé de toute part. Il était dans un état pitoyable, marqué de coups, les vêtements en lambeau. Harangué de tous côtés, les yeux révulsés, il ressemblait à une bête sauvage face à une meute de chiens.
— Sale Traitre !
— Ordure !
Un Avel-lazher surveillait l’homme. Il ne fit pas un geste pour arrêter les Résistants qui le bousculaient ou lui crachaient dessus. Le malheureux fini par trébucher à terre : son corps fut immédiatement roué de coups de pieds.
— Le Commandant Medon du clan Medon ! Faites place !
La fièvre sembla retomber un court instant pendant que le Commandant accourait, entouré de ses plus fidèles combattants. Un chemin s’ouvrit naturellement dans la foule pour lui permettre d’approcher le supplicié. Etendu à terre, celui mobilisa ses dernières forces pour se jeter aux pieds du Chef de la Résistance de l’Est.
— Mon Commandant…pitié…
Clovis Medin fit un pas en arrière. Son visage exprimait un mépris des plus glaçants.
— Aucune grâce ne sera accordée aux traîtres.
Il n’eut pas besoin d’hausser la voix pour se faire entendre. Ses paroles firent office de sentence, et les vociférations reprirent de plus belle. Le Commandant tourna les talons pendant que l’étau de la foule se refermait sur le condamné.
— Lapidons-le !
Olivia ne reconnaissait plus les personnes qu’elle croisait tous les jours : toutes avaient basculé dans une rage meurtrière, leurs visages déformés par la haine. Une première pierre, lancée à pleine vitesse, rebondit violemment sur l’homme en lui éclatant l’arcade sourcilière. Les gens s’écartèrent précipitamment afin de ne pas risquer d’être touché par un nouveau projectile. Une seconde pierre vola : le mis à mort se recroquevilla au sol, se protégeant misérablement la tête avec ses mains.
Mahe n’en supporta pas d’avantage.
— Tilma ! Ils sont fous ! Il faut faire quelque chose !
Oclamel ne masqua pas son irritation.
— Parce que tu crois cet enfoiré t’aurait épargné ?! Mais bon sang réveille-toi ma pauvre !
— A mort ! A mort ! scandait la foule.
Dégoutée, Olivia joua des coudes pour s’extirper du magma humain. Elle avait vu trop de sauvagerie depuis son arrivée dans le Luft. Trop de morts. Toutes ces images d’horreur qu’elle essayait d’enfouir au plus profond d’elle-même pour ne plus avoir à y penser. Le Camps de l’Est était un sanctuaire, le seul endroit où elle s’était sentit à l’abri de toute cette barbarie. Mais ça n’avait été qu’une illusion. Prise d’angoisse, elle se mit à courir comme une dératée, droit devant elle. Elle n’était pas une Luftzanne : jamais elle ne pourrait s’habituer à une telle violence.
Elle saturait.
Alors qu’elle atteignait la lisière de la forêt, une voix l’arrêta :
— Olivia !
Elle s’immobilisa aussitôt, surprise. Alek la fixait avec appréhension : il était aussi essoufflé qu’elle.
— Où est ce que tu vas ?
— Je veux juste être seule !
— Tu ne peux pas aller de ce côté, expliqua-t-il doucement. On penserait que tu essais de déserter.
Olivia sentit le feu lui monter aux joues. Alek venait de lui éviter le pire. Quelle imprudence ! Elle s’assit rageusement sur le sol mousseux et enfonça ses doigts dans la terre. Avec un rictus de douleur, Alek s’accroupi à distance respectueuse. Dans cette position, il ressemblait à un scarabée. Sa combinaison noire était taillée de façon ingénieuse : elle formait un dôme sur le haut du dos pour lui permettre une plus grande fluidité de mouvement. Olivia avait déjà remarqué que c’était un homme soigné. Contrairement à Brenair et ses effluves de transpiration, Alek sentait toujours une odeur fraîche et boisée.
Le jeune homme l’observait à la dérobé. Si elle ne l’avait pas connu si peu prompt à l’émotivité, elle aurait juré qu’il était aussi perturbé qu’elle.
— Qu’est-ce que ce type avait fait ?
Mahe supposait à raison que tout le camp était au courant de l’évènement. A son grand étonnement, Alek répondit :
— Rien qui ne lui fasse mériter un tel sort.
— Pourquoi alors ? Le Commandant…il aurait pu empêcher ça !
Alek semblait sincèrement désolé de la voir si bouleversée.
— Ce n’est pas dans son intérêt.
— Je vois.
Les sanglots au bord des lèvres, Olivia fit un effort pour se contenir en présence d’Alek. Pourrait-elle un jour s’acclimater à ce monde ? Pour la première fois, elle se mit à douter.
— Tu vois l’âme qui est en lui, dit brusquement Alek, et c’est pourquoi la mort de ce traître te semble injuste. Mais la guerre… la guerre souille les âmes et rend les hommes impitoyables. Les Rebelles, ton amie Tilma… l’ombre de la mort a plané sur eux et les as changé à jamais. Tu dois le comprendre si tu veux survivre, Mahe. Tu dois t’endurcir, tu n’as pas le choix.
Il avait parlé fermement mais sans agressivité. Olivia sentit qu’il la comprenait et cela lui mit du baume au cœur. Il a raison, se dit-elle en retrouvant un peu de courage, je dois devenir plus forte.
Le lendemain, le calme était revenu dans le camp. Le cadavre avait été évacué et le forum nettoyé de toute trace de sang. Olivia aurait aimé croire que rien des évènements de la veille n’avait eu lieu. Elle revenait de sa baignade dans les sources chaudes, habitude qu’elle avait prise après ses longues journées de travail. Le matin même, l’ordre leur était parvenu de constituer plus de réserves de nourriture. Bruno pensait également que cela augurait un départ prochain. Avec l’aide d’Idylle, Olivia avait donc consacré sa journée à découper de fin morceaux de viande. Les tranches étaient ensuite plongées dans des bains de saumure et fumé par Bruno. Enfin, les bouchers mettaient à sécher la viande en plein soleil, suspendue sur des cordelettes. Le résultat, très salé, était loin d’être gouteux mais Bruno assuraient que les camarades s’en contenteraient bien.
Olivia se changea dans sa yourte puis marcha tranquillement jusqu’au camp d’entrainement. Alek ne s’y trouvait pas, ce qui l’interpella tout de suite : c’était un homme extrêmement ponctuel. Après avoir attendu un long moment, elle hésita entre retourner auprès de Tilma ou partir à la recherche du sabreur. Elle opta pour la seconde option : elle avait le temps.
Olivia se dirigea discrètement vers le nord pour pénétrer dans la zone boisée la moins accessible longeant le camp, celle qui remontait en pente douce jusqu’au sommet de la montagne. La terre était infiltrée par l’eau des ruisseaux, cachant par endroit des flaques de boue et de feuilles mortes. Mahe apprécia ce moment de calme : rare étaient les instants où elle se retrouvait seule. Elle se concentra sur les murmures qu’elle était seule à entendre. Elle avait compris qu’il était inutile d’en parler sous peine d’être prise pour une cinglée. Le phénomène ne l’inquiétait pas : au contraire, elle avait l’impression qu’avant de les entendre pour la première fois, elle avait ressenti leur absence, un vide qu’elle n’avait alors pas su nommer. La plupart du temps, ils étaient à peine plus audibles que le bruissement du vent. Mais lorsqu’Olivia leur prêtait attention ils prenaient corps et devenaient plus clairs, comme un chant. Elle ressentait alors une sensation d’harmonie indescriptible. Son corps faisait écho à la musique.
Elle fit un tour d’horizon pour essayer de prendre ses repères. La végétation n’était pas défrichée à cet endroit. Elle espérait se trouver sur le territoire d’Alek. Idylle lui avait dit que l’Avel-lazher avait déjà attaqué un gosse qui s’était aventuré dans les parages et elle espérait ne pas elle-même à se retrouver face à un Alek hors de contrôle. Réprimant un frisson, Olivia se rassura en se disant qu’il lui avait sauvé la vie.
Olivia avait toujours des sentiments ambivalents le concernant. Non qu’elle se plaignît de la façon dont il se comportait avec elle : c’était même un modèle rare de courtoisie. Son intuition lui disait également qu’elle pouvait avoir confiance en lui. Mais Olivia connaissait la face sombre d’Alek. Pour elle, le monstre trancheur d’oreille et le bossu réservé ne ferait toujours qu’un.
Le bruit d’un ruissellement retint son attention et elle bifurqua sur sa droite. Quelques mètres plus loin, Olivia déboucha sur une magnifique cascade. L’eau s’écoulait sur le calcaire abrupt et formait un bassin d’eau translucide, ceint par une couronne d’arbustes et de gros rochers. Alek était assis sur l’un d’eux, prostré.
Il était en pleine crise. La mâchoire contractée et les yeux plissés de douleur, il essayait de s’appliquer une pommade dans le dos. Il avait découvert ses vêtements jusqu’à la taille et Olivia vit pour la première fois sa bosse dénudée. Le spectacle était répugnant. Une chair rutilante, couverte de pu et de croûtes. De la viande pourrie. Après un premier mouvement de recul, Mahe se força à regarder. Elle ne ferait pas parti de ceux qui le rejetait à cause de sa difformité. Elle valait mieux que ça.
— Alek…
Il ne répondit pas.
Olivia se rapprocha doucement. Il releva brusquement la tête. Ses pupilles venimeuses se posèrent sur elle.
— Vas-t-en… Sa voix n’était qu’un chuchotement.
Olivia fit semblant de ne pas l’avoir entendu.
— Veux-tu que je t’aide pour étaler ta pommade ?
— T’as pas compris Mahe?! Dégage !
Il était à peine reconnaissable, livide, les traits brouillé par la colère – ou la souffrance, c’était impossible à déterminer. Olivia pris peur. Elle aurait décampé sur le champ si elle s’était écoutée, pourtant elle resta, consciente du risque qu’elle prenait mais déterminée à lui venir en aide à son tour.
Olivia croisa les bras pour l’empêcher de voir qu’elle tremblait : elle ne devait pas se laisser intimider.
— Tu ne me fais pas peur.
Il eut un rictus.
— Menteuse…
— Laisse-moi t’aider…
Elle l’aurait supplié s’il l’avait fallu. Alek la fixa d’un air désespéré.
— Olivia, je…
Il baissait la garde. Sans lui laisser le temps de régir, Mahe bondit en avant, lui arracha son bol de mains et se plaça derrière lui. Il avait la respiration saccadé, faisant visiblement des efforts pour se maîtriser devant elle.
— Tu as très mal ?
La question était stupide. Atterrée par ses propres paroles, Olivia préleva une noix du mélange jaunâtre et tendit les doigts vers la plaie purulente. Elle était tellement tendue, anticipant déjà la réaction d’Alek, qu’elle en oublia l’aspect peu ragoutant de sa tâche. Au premier contact, il ferma les yeux. Olivia fut envahie par la même sensation d’apaisement que la nuit où elle lui avait serré la main. C’était incroyable. Elle lui appliqua la pommade sur tout le dos en exerçant la pression la plus légère possible. Alek n’avait pas rouvert les paupières : il était en transe. Les rayons du soleil éclairaient un visage détendu et méconnaissable. Olivia su qu’il ressentait la même chose qu’elle.
— J’ai terminé, annonça-t-elle presque à regret.
Ils étaient tous deux restés silencieux, comme dans une parenthèse spirituelle. Akek se rhabilla lentement, mâchoire crispée. Un sillon barrait de nouveau son front. Malgré une minceur dérangeante, son corps était nerveux et musclé. Olivia remarqua de nombreuses marques violacées sur ses bras et son torse, probablement des cicatrices de combat. Alors qu’elle s’éloignait vers le camp, Alek l’interpella :
— Olivia.
— Oui ?
— Merci. Vraiment.
La jeune femme mesura immédiatement la portée de ces mots.
— C’est quand tu veux, dit-elle négligemment, de manière à lui signifier qu’elle n’y mettait pas plus d’importance qu’elle sentait que ça en avait pour lui.
— Demain ? lâcha-t-il plein d’espoir.
Il s’assombrit aussitôt à l’idée de s’être trop dévoilé.
— Ça marche. Juste avant l’entrainement.
Elle lui sourit puis le laissa seul. Elle ne l’avait jamais vu autant remué : cela avait quelque chose de touchant.
A partir de ce jour-là, une nouvelle routine s’installa.
Merci pour ton commentaire !
Ce chapitre est super touchant !! J'aime beaucoup leur rapprochement, lent, mais très bien décrit. Tu as su décrire le dégoût d'Olivia au premier abord, puis sa détermination à l'aider, et en bref, toutes les émotions. J'aime beaucoup Alek, il est bien plus adorable qu'il ne le paraissait au début ^-^
• "qui ne semblait pas avoir été marqué le moins du monde" → marquée
• "Accaparé par son travail les babillages incessants d’Idylle" → accaparée / je pense qu'il manque un mot "son travail et les babillages", par exemple ^^
• "on leur réservait les tâches les plus vils, les emplois" → viles
• "Elle se sentie plus étrangère que jamais à ce monde" → sentit
• "Il avait donc une vingtaine d’année." → années
• "toujours par leur nom de clan, il falait donc absolument" → fallait
• "Généralement, il évoquait les duels qu’il avait remporté" → remportés
• "Le malheureux fini par trébucher à terre : son corps" → finit
• "Parce que tu crois cet enfoiré t’aurait épargné ?!" → épargnée
• "Le Camps de l’Est était un sanctuaire, le seul endroit où elle s’était sentit" → Camp / sentie
• "On penserait que tu essais de déserter" → essaies
• "Avec un rictus de douleur, Alek s’accroupi à distance" → s’accroupit
• "Le jeune homme l’observait à la dérobé" → dérobée
• "l’ombre de la mort a plané sur eux et les as changé à jamais" → les a changés
• "sa journée à découper de fin morceaux de viande" → fins
• "des bains de saumure et fumé par Bruno" → fumées
• "était loin d’être gouteux mais Bruno assuraient" → goûteux / assurait
• "rare étaient les instants où elle se retrouvait seule" → rares
• "Une chair rutilante, couverte de pu et de croûtes" → pus
• "Elle ne ferait pas parti de ceux qui le rejetait" → partie
• "Vas-t-en… Sa voix n’était qu’un chuchotement" → va-t-en
• "à peine reconnaissable, livide, les traits brouillé" → brouillés
• "Olivia pris peur" → prit
• "lui arracha son bol de mains et se plaça derrière lui" → des mains
• "Il avait la respiration saccadé" → saccadée
• "Olivia su qu’il ressentait la même chose qu’elle." → sut