Patricia était heureuse. Elle vivait dans une belle maison. Elle avait deux parents qui l'aimaient et qui prenaient soin d'elle. Ils savaient lui offrir de belles choses, mais également la punir quand c'était nécessaire. Cela n'arrivait pas souvent car Patricia était une enfant calme et à onze ans, elle n'était pas encore entrée dans l'âge difficile de l'adolescence.
Elle était entrée au collège depuis quelques mois et y avait retrouvé tous ses amis du primaire. Ses résultats scolaires étaient bons, surtout parce que ses parents lui offraient l'aide dont elle avait besoin ainsi que le matériel. Patricia avait une belle chambre, avec un bureau, un lit, des livres, des cahiers, une chaîne pour écouter de la musique.
Richard, son frère, possédait une chambre similaire mais Patricia avait la plus grande. Richard ne s'en était jamais plaint. Le frère et la sœur s'adoraient depuis toujours. Il n'y avait jamais eu de disputes. Ils étaient très complices. Patricia adorait quand Richard lui confiait sa journée. De quatre ans son aîné, il avait une vie beaucoup plus palpitante que la sienne, remplie d'amoureuses et de jeux de grands.
- Ça va être super ! s'exclama Kevin, l'ami de Patricia.
Patricia et lui travaillaient dans la chambre de la jeune fille.
- Ça va faire un documentaire du tonnerre ! insista Kevin. Avec ça, tu ne peux qu'avoir une super note !
- Tu parles ! répliqua Patricia. Vulcain dort les trois quarts de la journée.
Elle regarda son chat, allongé sur le lit, en train de dormir.
- Et que fait-il le quart restant ? interrogea Kevin. C'est ça qui nous intéresse. Allez !
Patricia fit la moue. La curiosité était bien là. Que pouvait donc bien faire son chat ? Où allait-il ? Rencontrait-il des femelles ? D'autres mâles ? Allait-il dans une autre famille quérir de la nourriture supplémentaire ?
- Bon, ok, finit par annoncer Patricia et Kevin sourit pleinement. Mais on fait ça rapidement comme ça si le résultat est pourri, on aura le temps de trouver autre chose.
- Ça me va, dit Kevin en sortant la caméra miniature de sa poche.
- Tu l'as apportée ! s'exclama Patricia, un peu dégoûtée que son ami ait été aussi certain de pouvoir la convaincre.
Kevin se contenta d'un sourire pour toute réponse. Il leur fallut une heure pour recevoir la transmission de la caméra sur l'ordinateur portable de Patricia et une autre pour enregistrer avec une bonne qualité. Une de plus pour obtenir le son.
- Hé ben ! On ne peut pas dire que ça soit facile ! s'exclama Patricia.
- Cette caméra vient juste de sortir et ton ordinateur est une antiquité ! s'exclama Kevin. Je ne comprends pas pourquoi tes parents ne t'en offrent pas un autre. Ce n'est pourtant pas l'argent qui manque.
- Celui-là me suffit pour travailler ! répliqua Patricia.
Kevin grimaça.
- À quelle distance la transmission fonctionne-t-elle ? interrogea Patricia.
- De l'autre bout de la Terre, mais je doute que ton chat aille aussi loin, répondit Kevin.
Patricia lui lança un regard d'incompréhension.
- Je t'ai dit ! C'est le dernier cri ! La caméra transmet par satellite et les images passent par Internet. Vulcain peut aller où il veut.
- Même sous terre ? interrogea Patricia.
- Il y a du Wifi partout de nos jours. La caméra captera bien un réseau non sécurisé. Tous les espaces publics, les rues, et même la plupart des maisons en sont équipés. Ne t'inquiète pas, la transmission sera parfaite.
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Ça oui, la transmission était parfaite. L'image était noire et pour cause, Vulcain dormait et lové comme il l’était, son pelage recouvrait la caméra attachée à son collier. Patricia avança en vitesse rapide mais la journée de son chat ne s'était partagé qu'entre la litière, la cuisine et le lit. Ça n'était pas avec ça qu'elle réaliserait un documentaire qui intéresserait le professeur de biologie. Patricia espéra que la nuit de Vulcain serait plus mouvementée. Après tout, son chat passait ses nuits dehors. Il ne pouvait tout de même pas dormir dehors toute la nuit !
En revenant de l'école le lendemain, elle visionna le film de la nuit. Après avoir été mis à la porte par Jacqueline, la maman de Patricia, Vulcain grimpa à l'arbre devant la maison, pour atterrir sur le rebord de la fenêtre de Richard. L'animal miaula et la paroi transparente s'ouvrit. Vulcain s'installa sur le lit de Richard et s'étira. Le garçon caressa l'animal et joua un petit moment avec lui.
Patricia n'en revenait pas. Son frère ne lui avait jamais dit qu'il recueillait leur chat toutes les nuits car visiblement, la chose semblait rodée pour que Vulcain agisse de manière aussi franche. Jacqueline refusait que le chat dorme avec ses enfants, prétextant qu'un animal dans un lit n'était pas une chose saine et que de toute manière, les chats vivant la nuit, cela valait mieux pour Vulcain.
Richard avait trouvé le moyen de s'opposer à sa mère et si Patricia faisait la moue, ça n'était pas tant pour cette raison que parce que son frère ne lui en avait jamais parlé. Elle ne comprenait pas pourquoi son complice de toujours avait gardé cela pour lui. Avait-il eu peur qu'elle caftât ? Là, elle se sentit carrément insultée. Elle se promit de lui en parler dès qu'il rentrerait du lycée.
Le film continuait. Vulcain avait dû se mettre sur le côté car l'image était fixée sur la fenêtre de Richard et ne bougeait plus. Pendant plusieurs minutes, il n'y eut aucun mouvement. Patricia entendait des bruits de vêtements mais cela n'avait rien d'étonnant : son frère devait se mettre en pyjama.
Enfin, un évènement se produisit mais ce ne fut pas celui que Patricia attendait. Elle pensait que Richard se mettrait au lit et pousserait le chat. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant son frère, tout habillé, ouvrir la fenêtre et disparaître dehors. Elle regarda son frère faire le mur et cessa un moment de respirer puis elle rit doucement. Ainsi, son frère se faisait la belle tous les soirs ? Lui, le parfait enfant, le fils chéri dont les parents étaient si fiers ?
Patricia se renfrogna et perdit tout sourire. Elle qui se croyait proche de son frère venait de perdre toute illusion. Elle retourna en arrière pour le revoir s'en aller. Ses vêtements étaient surprenants. D'habitude, il mettait un jean et un tee-shirt avec une paire de basket. Les parents parvenaient à lui faire porter un costume pour les grandes occasions mais Richard indiquait clairement que cela lui déplaisait hautement.
Or, justement, sur l'image, il portait un pantalon de toile, des chaussures de ville en cuir et une chemise rouge repassée. Patricia dut admettre que l'ensemble lui allait à merveille. Son frère avait-il une amoureuse plus âgée que lui ? Est-ce la raison pour laquelle il ne lui avait rien dit ? Sortait-il avec une de ses profs ?
Patricia sentit sa curiosité monter au maximum. Elle avança dans le temps. Le chat changea souvent de position. Parfois, elle ne voyait rien. Parfois, elle avait vue directe sur le plafond. Lorsque la caméra indiqua huit heures moins cinq, Vulcain s'ébroua et se leva, offrant à Patricia la vue sur son frère se changeant pour mettre un jean et quelques minutes plus tard, son réveil sonna.
Patricia vit Richard défaire son lit pour faire croire qu'il y avait dormi. Ainsi, son frère avait passé toute la nuit dehors. Le chat, au contraire, ne sortit que pour aller miauler devant la porte d'entrée et être accueilli par Jacqueline. Non seulement Patricia allait devoir discuter franchement avec son frère, mais en plus, son reportage animalier tombait à l'eau. Kevin et elle allaient devoir trouver une autre idée. Elle appela son ami pour le prévenir. Elle lui expliqua la réalité, sans rien omettre.
- Deux choses. D'abord, ton chat est une grosse feignasse. Ensuite, tu ne dois surtout pas dire à ton frère que tu sais.
- Pourquoi ? interrogea Patricia.
- Parce qu'il va te mentir.
Patricia allait rétorquer que son frère n'oserait jamais, mais elle se retint. Après tout, leur complicité venait d'être totalement remise en cause.
- Tu dois découvrir ce qu'il fait de ses nuits, continua Kevin, mais sans qu'il le sache.
- Tu veux que je l'espionne ? s'exclama Patricia. C'est impossible ! Je ne sais pas faire ça. Je ne peux pas sortir la nuit et le suivre ! Il me repérera.
- T'es bête ! Utilise la caméra. Fixe-la sur ton frère au lieu de Vulcain.
Patricia entendit la porte d'entrée s'ouvrir.
- Il arrive. Je te rappelle plus tard.
Ça l'arrangeait de devoir raccrocher. L'idée d'espionner son frère ne lui plaisait guère. Elle sortit pour aller accueillir Richard. Ils prirent le goûter ensemble et Richard lui raconta sa journée. Il semblait totalement s'ouvrir à elle. Pourtant, à aucun moment il ne fit mention de ses nuits passées dehors.
Le lendemain, Patricia se réveilla terrorisée. Elle avait passé la nuit à tout retourner dans sa tête. Et si son frère cachait quelque chose de plus terrible ? S'il se droguait ? S'il jouait au poker dans une cave sordide et s'endettait auprès d'un gang qui viendrait lui couper des doigts parce qu'il ne remboursait pas assez vite ? Patricia commença à craindre que son frère ne soit en danger et ne lui cache la vérité que pour la protéger. Cela seul pouvait expliquer son silence. Patricia était bien décidée à aider son frère. Elle n'allait pas le laisser détruire sa vie sans rien faire. Son frère était en danger. Il fallait agir.
Dès que Richard fut parti au lycée, elle entra dans sa chambre, fouilla jusqu'à trouver le pantalon que son frère avait mis la veille. Elle cherchait un moyen de placer la caméra mais se dit que Richard risquait de s'habiller autrement ce soir. Elle réfléchit mais ne trouva pas la solution miracle. Elle retourna regarder la vidéo de son frère sortant et la solution s'imposa d'elle-même : sa ceinture. C'était parfait ! Il y avait fort à parier qu'il mettait toujours la même.
Il lui fallut plusieurs minutes pour trouver l'accessoire dans les affaires de son frère. Elle retourna l'objet dans les sens. La ceinture était noire et la caméra aussi mais il fallait tout de même trouver un moyen de la dissimuler. Patricia le trouva. Elle se rendit dans la buanderie, ouvrit la ceinture dans la largeur, ce qui fut extrêmement difficile à réaliser, inséra la petite caméra, repéra l'emplacement de l'objectif, retira la caméra, perça la ceinture sur le point précédemment indiqué, replaça la caméra et, avant de refermer par une couture, vérifia que l'image était bonne. C'était parfait. Il n'y avait plus qu'à attendre.
Le soir même, Patricia fit semblant de se coucher. Comme tous les soirs, elle embrassa sagement ses parents et son frère, avant d'aller dans sa chambre. Elle passa le tee-shirt qui lui servait de chemise de nuit et éteignit la lumière mais dès qu'elle entendit ses parents s'éloigner, elle attrapa son ordinateur portable, mit les écouteurs et brancha la transmission. Hors de question de le regarder le lendemain. Elle voulait vivre ça en direct.
D'abord, ce fut noir puis Richard ouvrit le placard pour s'habiller. Patricia constata avec plaisir que son frère prenait la ceinture contenant la caméra. Il la passa sans se rendre compte de rien. Patricia eut rapidement du mal à regarder l'écran. L'image bougeait sans cesse. On était loin du cinéma. Là, pas de stabilisateur, pas de pieds sur lesquels poser la caméra. Non, elle bougeait en même temps que son porteur et c'était très désagréable.
- Bonne nuit, Vulcain, dit Richard avant de caresser le sommet du crâne du chat et d'ouvrir la fenêtre.
Patricia pensait que son frère utilisait, comme le chat, l'arbre pour descendre mais Richard se contenta de sauter directement en bas depuis la fenêtre du premier étage. Patricia sursauta mais son frère avança tranquillement. Visiblement, le saut ne lui avait rien cassé. Patricia était sûre de se briser une cheville, voire les deux jambes si elle agissait comme lui.
L'image fut soudain brouillée. Patricia ne comprenait rien de ce qu'elle voyait. Elle secoua son ordinateur comme si ce simple geste pouvait permettre à la transmission de s'améliorer. Elle maudit Kevin et sa caméra soi-disant capable de fonctionner même à l'autre bout de la Terre.
Finalement, l'image se stabilisa devant un ancien bâtiment en pierre entouré par une forêt. Patricia était sûre de ne pas connaître cet endroit. De plus, son style ne correspondait pas à celui de la ville. Richard devait être loin mais comme cela était-il possible ?
Non, cette vieille bâtisse en pierre devait se trouver non loin de là mais Patricia ne la connaissait juste pas. Cet endroit un peu reculé devait servir de repère à un groupe mafieux. Patricia n'en douta plus. Son frère s'était mis dans un sale pétrin. Elle ne pourrait l'aider que quand elle en saurait davantage. Elle resta scotchée à son écran, bien décidée à découvrir le secret des nuits de son frère.
L'image peu stable était toujours aussi désagréable mais ce ne fut rapidement plus un souci car dès que Richard entra dans le bâtiment, ce fut le noir total. Il n'y avait aucune source de lumière mais cela ne sembla pas inquiéter le jeune homme. Patricia entendait ses bruits de pas. C'était donc qu'il avançait mais dans le noir le plus complet, la chose était des plus surprenantes.
- Salut Chen, dit quelqu'un alors que l'image envoyée était toujours noire.
Patricia eut un doute. Faisait-il réellement sombre ou bien la caméra avait-elle un problème ?
- Salut, Farth, répondit Richard. Olly n'est pas encore là ?
- Il va arriver, répondit le dénommé Farth.
Pourquoi Farth avait-il appelé Richard « Chen » ? Son frère utilisait-il un pseudonyme ? Patricia approuva. C'était mieux. Ainsi, il serait plus difficile à retrouver.
- On commence à préparer ? proposa Richard.
L'autre dut hocher la tête mais Patricia ne le vit pas, son écran étant toujours noir. Elle se promettait d'engueuler Kevin lorsqu'une tache apparut sur l'écran. Cela semblait être une petite flamme.
Patricia, les yeux fixés sur la tâche jaune, fut attirée par le fond sonore. Elle ne parvenait pas à comprendre ce qu'elle entendait. C'était brouillé. S'agissait-il de grognements ? Y avait-il des animaux dans la pièce ? Richard participait-il à des genres de combats de chiens ?
Cela lui sembla hautement improbable. Richard adorait les bêtes. Elle ne pouvait l'imaginer s'amuser de la souffrance d'animaux. Son attention se reporta sur l'image, qui s'améliorait nettement. Elle comprit enfin pourquoi : Richard et Farth allumaient des bougies. L'endroit ne devait pas avoir l'électricité. Richard se retourna soudain.
- Salut Olly ! s'exclama-t-il joyeusement.
La lumière était suffisante pour que Patricia puisse voir le visage du nouveau venu. C'était un homme d'une cinquantaine d'années. Il était vêtu d'un jean, de basket et d'un tee-shirt Barbie. Il n'était pas coiffé et pas rasé. Le pantalon était déchiré par endroit et les baskets semblaient très vieilles.
- Vous avez commencé sans moi. Parfait, dit-il en souriant. Je déteste allumer toutes ces bougies de toute façon.
- Mais tu adores le résultat alors tu vas nous aider quand même, annonça Richard.
Olly fit la moue mais Patricia ne put le voir que brièvement car Richard s'était de nouveau tourné vers ses bougies. Il les allumait à l'aide d'un briquet au long cou. Le fond sonore devenait plus important au fur et à mesure que la lumière s'intensifiait mais il restait toujours aussi incompréhensible.
- Alors Farth, ta nouvelle vie ? interrogea Olly.
- J'ai deux mois, répondit Farth. Je gueule, je tête, je chie, je dors, je gueule, je tête, je chie, je dors. Le pied total !
L'ironie était évidente. Patricia ne comprit pas l'échange.
- Comment je te comprends, continua Olly. Je déteste ça aussi.
- Tu comptes mourir centenaire ? interrogea Richard.
- Mon personnage actuel ne s'y prête pas. Je suis alcoolique. Je vis seul. Je vais régulièrement aux putes et, mais ça n'est pas de mon fait, je viens de me faire virer.
- Tu vas te suicider ?
- Oui, répondit Olly d'une voix neutre.
- Quand ?
- Peut-être ce soir en rentrant, ou demain, ou dans une semaine, ou dans un mois, je ne sais pas encore. Je verrai selon le feeling du moment. Ça m'emmerde. Je ne veux pas être un nourrisson. C'est chiant.
- Ça oui, tu chies, intervint Farth, mais tu têtes, tu dors et tu gueules aussi.
Décidément, la conversation n'avait aucun sens pour Patricia. Ces gens étaient-ils des fanatiques croyant à la réincarnation ? Que faisait Richard avec eux ? Était-il entré dans une secte ? Elle n'avait jusque-là pas imaginé ce cas de figure.
Richard se tourna vers Farth et Patricia put l'admirer à loisir. C'était un homme d'une trentaine d'années à la peau sombre. Il était rasé de près et ses cheveux étaient coupés très courts. Il portait un short et un débardeur fuchsia. Ses pieds étaient nus sur le sol de pierre. Le tout formait un ensemble très surprenant. Patricia fut incapable de décider qui de Farth ou d'Olly avait l'accoutrement le plus bizarre.
- Bon, vous avez fini ? interrogea Richard qui avait cessé de bouger, au plus grand plaisir de Patricia qui avait une image fixe.
Devant Richard se tenait Farth qui terminait d'allumer les bougies. Patricia n'en avait jamais vu de telles. Par un stratagème qu'elle ne put expliquer, la lumière n'allait que vers Farth et n'éclairait pas les ténèbres devant lui.
Ainsi, Patricia put constater qu'un genre d'autel en pierre se trouvait entre Richard et Farth. Cela semblait confirmer la thèse de la secte et Patricia n'apprécia pas du tout. Richard bougea un peu avant de reprendre sa position de départ. Patricia revint en arrière et mit l'image en pause pour constater que des chaînes en fer et des bracelets en cuir apparaissaient au bout de l'autel.
- Vous avez fait votre choix ? demanda Richard et Patricia remit l'image en direct.
Les deux amis de Richard avaient dû répondre par gestes. Richard se dirigea vers les ténèbres et l'écran devint de nouveau noir. Patricia sursauta et dut se retenir de crier tandis que ses tympans criaient leur désapprobation.
- Non ! Je vous en prie, non !
Une voix de femme venait de hurler ces supplications, faisant siffler les oreilles de Patricia qui ne s’y attendait pas. Une autre la rejoignit, puis une troisième. La respiration de Patricia se fit plus rapide et son cœur battit plus fort.
À quelle secte appartenait exactement Richard ? L'image ne fut pas claire sur les évènements suivants car il y avait systématiquement quelque chose devant Richard à la hauteur de sa ceinture. Patricia n'avait droit qu'au son. Les supplications s’accentuèrent. Elles variaient selon le moment : hurlements, implorations, cris ou gémissements. L'image apparut soudain nettement dans son ensemble et Patricia retint son souffle.
Il lui fallut plusieurs secondes pour la comprendre. Il n'y avait pas un autel, mais trois et sur chacun d'eux, une femme était attachée, nue. Leurs habits traînaient à même le sol, déchirés. Richard, Farth et Olly se tenaient près d'elles. Farth violait la sienne tandis qu'Olly la caressait. Richard, de dos, s'approchait, nu, de sa victime. Cela expliquait la netteté de l'image. Richard avait retiré son pantalon, et la ceinture qui allait avec, et l'avait accroché. Par hasard, la caméra s'était retrouvée dans le bon axe.
La scène, éclairée par des bougies, avait un côté rituel satanique hautement prononcé et Patricia fut paralysée dans son lit. Son esprit ne savait pas comment réagir face à ces images. Elle avait déjà regardé des films d'horreur mais là, c'était différent : c'était réel et son propre frère tenait le rôle principal. Patricia regarda son frère violer la femme sans y croire. Elle clignait des yeux, comme pour essayer d'essuyer ce qu'elle voyait mais ça ne s'arrêtait pas.
Une des femmes poussa un hurlement déchirant et les autres luttèrent de plus belle contre leurs liens, sans succès. Patricia vit Farth se relever du visage de la femme qui venait d'hurler. Sa bouche était en sang et il mâchait avec application. La moitié de la joue de la victime était manquante. La victime de Richard hurla à son tour et Patricia regarda. Elle aurait préféré ne jamais le faire. Richard commença à manger vivante sa victime.
C'en fut trop pour Patricia qui sentit son estomac se révulser. Elle sortit de la chambre en courant et parvint à ne pas vomir avant d'avoir atteint les toilettes. Elle tremblait de partout. Elle vomit une seconde fois puis une troisième.
On frappa à la porte des toilettes et Patricia hurla de surprise.
- Chérie ? Tu vas bien ?
Ça n'était que Jacqueline, sa maman. Patricia se força à répondre que tout allait bien mais les sons qui sortirent ne furent pas articulés.
- Pardon ? lança Jacqueline.
- Jack ! hurla Thierry, le père de Patricia.
Sa voix était horrifiée. Patricia comprit que son père était entré dans sa chambre. Elle se leva en sursaut, sortit des toilettes pour rejoindre sa chambre dans laquelle ses parents étaient déjà. Thierry tourna l'écran vers Jacqueline. La femme resta paralysée une seconde puis détourna le regard. Elle se reprit immédiatement et d'une voix posée, demanda :
- Que fait-on ?
- On appelle à l'aide ! On ne peut pas gérer ça seuls.
- Notre fils…
- Ce n'est pas notre fils ! C'est un monstre. Accepte-le. Tu sais bien que le plus grave n'est pas que ça soit notre fils mais qu'il en reste encore. La nouvelle va faire l'effet d'une bombe. Il faut agir avant qu'ils n'aient fini. Visiblement, ils prennent leur temps. Tant mieux ! Ça nous laissera le temps de réagir.
Thierry prit son téléphone. Jacqueline sortit et emmena Patricia avec elle. L'adolescente se laissa faire. Jacqueline assit sa fille dans le canapé du salon, lui apporta une couverture qu'elle plaça sur elle et tenta de la consoler :
- Tout va bien se passer, tu verras.
- Qu'est-ce qui se passe ? interrogea Patricia.
- Plus tard les explications, promit Jacqueline.
La femme délaissa sa fille et disparut dans l'escalier menant à l'étage. Elle revint les bras chargés de matériel mais Patricia ne fit guère attention au détail des objets. Elle ne comprenait pas.
On frappa à la porte. Thierry ouvrit. Une vingtaine de personnes entrèrent. Elles étaient vêtues comme des militaires avec des vêtements verts de camouflages. Elles étaient lourdement armées et portaient toutes autour du cou des lunettes offrant une vision nocturne de qualité.
- D'abord, on repère leur emplacement. Voilà l'image, annonça Thierry.
Un homme observa l'écran, réduisit la fenêtre et pianota sur l'ordinateur tandis qu'un autre branchait diverses appareils.
- Par quel moyen cette image ignoble nous parvient-elle ? demanda le premier homme.
- Je ne sais pas, avoua Thierry. C'est l'ordinateur de ma fille.
L'homme regarda Patricia, assise dans le canapé, le regard tourné vers eux mais visiblement dans le vide. Qu'elle fut choquée était évident.
- Ok, je me débrouille sans cette information, comprit l'homme et il ne posa plus aucune question.
Il ne lui fallut pas plus de cinq minutes pour donner un nom, ainsi qu'une adresse. Patricia l'entendit mais ne la retint pas. Ça n'avait aucune importance.
- Nous devons les accompagner, annonça Jacqueline et Patricia ne réagit pas.
Deux minutes plus tard, tout le monde était parti. Patricia se retrouva seule dans la maison. Son esprit n'arrivait pas à comprendre. Il essayait de coller les morceaux entre eux mais ça ne fonctionnait pas.