Chapitre 13 : Samedi 17 mai : Une journée de merde

Notes de l’auteur : Voici le chapitre le plus long

Samedi 17 mai : Une journée de merde !

 

J’émerge peu à peu. Quelle heure peut-il être ? Je fouille la pièce du regard. Une vieille horloge en cuivre semble afficher 9 heures. Didier est absent. Je jette un œil à mon genou. Il est toujours violet et enflé. Il me faudrait remettre mon attèle. Je ne la vois nulle part, de même que mes échasses. Didier n’aura pas pensé à ce problème. J’espère qu’il ne sera pas long car un besoin urgent se fait pressentir. Deux possibilités s’offrent à moi : crier jusqu’à ce que Didier ou un autre locataire s’enquiert de mon sort ; ou alors je me traîne jusqu’aux toilettes. Mais où sont-elles ? Je parie qu’elles se trouvent dans le couloir. Donc je me mets à hurler le prénom de mon hôte. Rapidement, le voisin du dessus beugle :

« Y’en a qui dorment encore ! ».

Mon cri a pourtant porté ses fruits car j’entends un bruit de clés. C’est enfin Didier qui pointe son nez.

« Alors, tu veux me faire des ennemis parmi mes voisins ?

-          Enfin, te voilà. Faut que j’aille aux toilettes, c’est urgent. Avant, donne-moi un peu d’eau pour prendre mon médoc et aide-moi à m’harnacher à nouveau.

-          J’ai redressé un peu ton attèle. Ton genou va mieux ?

-          Bof. »

J’avale mon dernier cachet. Il me faut encore cinq longues minutes pour atteindre le coin d’aisance situé, comme je l’avais deviné, dans le couloir. Comme je ne parviens pas à fermer la porte, Didier cache l’entrebâillement.

Ensuite, tout en engloutissant des croissants, je demande la permission de passer un coup de fil à Paul, qui répond à la troisième sonnerie.

« Où es-tu ? J’ai téléphoné chez toi, j’ai sonné pendant dix minutes. J’ai failli appeler les pompiers pour qu’ils forcent ta porte.

-          Du calme, je suis chez un ami.

-          Intime ?

-          Non, c’est mon collègue Didier. J’ai eu une soirée difficile hier. Alors, j’ai dormi dans son lit.

-          Ca ne me plaît pas beaucoup. Je viens te chercher C’est où ?

-          Juste à côté du café au numéro 38. Tu sonnes au A.

-          OK. J’arrive. »

En raccrochant, je souris. Didier m’interroge du regard.

« Il est jaloux mon Paul. Il pense qu’il y a quelque chose entre nous.

-          Qu’il se rassure. Tu es bien trop jeune pour moi. Je te considère comme ma fille. Si tu es dans la galère, j’essaierai de t’aider de mon mieux.

-          Merci. Tu es un vrai pote. »

Paul a sûrement dû louer le TGV car deux minutes plus tard, il sonne avec insistance à la porte de Didier. Il entre avec l’air gêné de quelqu’un qui s’immisce dans une intimité. Peut-être est-il impressionné par le gabarit d’armoire à glace de mon collègue qu’il salue rapidement avant de se précipiter à mes côtés.

« Alors, qu’est-ce qui s’est passé hier soir ? Tu aurais dû m’appeler.

-          A plus de minuit ! Ta mère ne t’aurait pas laissé sortir.

-          Arrête avec tes sarcasmes.

-          Je croyais que tu me trouvais marrante. Je ne dois pas faillir à ma réputation.

-          Bref, on y va ? ! (d’un ton plus impératif qu’interrogatif).

-          Tu ne veux pas savoir ce qui s’est passé ?

-          (très sèchement) Tu m’expliqueras plus tard ! »

Monsieur Paul a l’air de mauvais poil aujourd’hui. Est-ce la jalousie ? Je décide de crever tout de suite l’abcès.

« Ecoute. Didier m’a prêté son lit pour la nuit. Et lui, il a dormi sur le canapé. Je ne veux pas que tu t’imagines n’importe quoi. C’est clair ?

-          OK, c’est vrai. Je suis sur des charbons ardents depuis ton coup de fil et je vois qu’il n’y a aucune raison. Excusez-moi Didier et merci de vous être occupé d’elle (en lui serrant chaleureusement la main). Donc, hier …

-          Un client a voulu me peloter et je l’ai giflé

-          Bien fait !

-          Mais il m’a balancé son poing dans la tronche. Et quand j’étais au tapis, il a continué avec un coup de pied. Heureusement que Didier l’a arrêté sinon …

-          Et personne n’a appelé la police ?

-          Le patron n’appelle la police qu’en cas de meurtre. N’oublie pas que je bosse au noir et un contrôle n’est pas souhaitable dans ces conditions.

-          Quel salaud ! Montre ta joue. Je n’avais rien remarqué parce qu’il fait sombre ici. Et le coup de pied ? Où il a atterri ?

-          Devine.

-          Dans le ventre ?

-          Non, sache qu’il vaut mieux attaquer son adversaire par son point faible. Et où est le mien ?

-          Ta jambe.

-          Bingo. Heureusement, l’attèle a amorti une partie du choc. Regarde, elle est un peu pliée.

-          Bon, on va à la police porter plainte et ensuite te faire passer une radio du genou.

-          Je ne connais rien de ce type.

-          Tu en feras une description. »

Furax, Paul me charge dans sa voiture et on se retrouve cinq minutes plus tard dans la salle d’accueil du bureau de police. Un agent nous amène dans un mini-bureau de trois mètres sur trois. Paul me cède l’unique chaise réservée au plaignant. Pour l’instant, j’ai surtout envie de me plaindre de ma jambe mais je ne peux pas porter plainte contre elle ! Un autre agent entre et s’assied face à nous. Il regarde Paul et lui dit

« Je vous reconnais. Vous êtes celui dont la voiture a été emboutie et qui a renversé un jeune homme il y a deux semaines. C’est moi qui ai fait le rapport. Vous avez pris des nouvelles de ce garçon ? Il avait l’air mal en point.

-          (moi) C’était moi ! »

Le policier reste quelques secondes en me fixant la bouche ouverte.

« Désolé, je ne vous ai vue que de loin. Avec vos cheveux courts et votre survêtement de sport …

-          Le jour de l’accident, mes cheveux me descendaient jusqu’au milieu du dos.

-          Euh … donc pourquoi venez-vous ?

-          Pour porter plainte pour coups et blessures. »

Et je commence à lui raconter tout en détail.

« D’accord. Il me faudra un rapport d’un médecin constatant les traces des coups portés

-          Vous le voyez bien sur mon visage, non ?

-          C’est un médecin qui doit faire la constatation. Connaissez-vous quelqu’un capable d’identifier cet individu ?

-          Non, il était avec un groupe de motards qui viennent parfois au café. Mais on ne demande pas les papiers des clients même s’ils vous ont passé à tabac !

-          Bon, on verra après. Je vais commencer par prendre votre déposition.

-          Ce n’est pas ce qu’on vient de faire ?

-          Je dois tout mettre par écrit maintenant. Donnez-moi votre carte d’identité, s’il vous plaît.

-          Ecoutez, je suis fatiguée. Ma carte est chez moi, je n’ai pas le rapport d’un médecin et je ne connais rien de l’identité de mon agresseur. Je préfère en rester là.

-          (Paul) Attends. Il t’a blessée et resterait impuni ?

-          Ce ne sera que le deuxième en deux semaines. On ne le retrouvera jamais. Aide-moi à me lever.

-          Si vous changez d’avis pour la plainte, voici ma carte. Je suis l’agent Delahaye

-          Un grand merci et désolée pour la perte de temps. »

Je pousse un grand soupir une fois ma jambe bien à plat dans la voiture car je commençais à ne plus savoir comment me mettre sur ma chaise pour calmer les élancements.

« On va chez quel médecin pour le rapport ?

-          Laisse tomber. Ramène-moi à la maison sinon je vais rater l’infirmière.

-          Comme tu voudras, c’est toi la victime.

-          J’aimerais changer de rôle parfois. »

En traversant la place jonchée de terrasses quasi vides, devinez qui j’aperçois sirotant une grande gueuze : mon motard poilu.

« Parque-toi vite !

-          Hein … quoi ?

-          Mets-toi sur le côté, je l’ai vu.

-          Qui ?

-          Mon agresseur. A la terrasse du café La Paix, la deuxième table. »

Barbe rousse m’enverrait-il un message subliminal ? Il veut enterrer la hache de guerre ou il a simplement envie que je la lui fiche … la paix ?

« Celui avec sa barbe et ses tatouages ? Tu en es sûre ? Ils se ressemblent tous.

-          J’en mettrais ma jambe à couper !

-          Non, on dit la main à couper.

-          Mais la mienne est en bon état. Ce n’est pas le cas de ma jambe. Quitte à choisir …

-          J’appelle ton ami le policier.

-          Celui qui confond les filles et les garçons ? Il faudrait lui payer des lunettes sinon il restera puceau. »

En attendant la cavalerie, nous restons en planque. Le fourgon s’arrête au milieu du parking de la place. Paul fait signe au chauffeur. Notre agent Delahaye s’approche de la voiture avec deux collègues. Je lui signifie la position du suspect.

« Venez avec nous pour l’identifier de près.

-          Ecoutez, je ne veux pas prendre de coups supplémentaires et vous aurez remarqué que j’ai quelques difficultés à me déplacer.

-          Je comprends. Les gars, on va aller appréhender le loustic. »

Je les vois se diriger vers la terrasse ; ce qui fait déguerpir Monsieur Muscle. Il tente de faire démarrer sa moto mais sans succès. Delahaye commence à le questionner. Il nie avec véhémence. Il descend de sa moto et se dirige vers nous, encadrés par les trois policiers. La porte à mes pieds s’ouvre et on fait baisser la tête au géant.

« Est-ce que vous reconnaissez votre agresseur ? »

Un petit oui sort péniblement de ma bouche car je suis envahie par la peur et le souvenir de la violence des coups de la veille. Son regard me glace le sang.

« Vous êtes sûre ?

-          Oui.

-          (motard) Espèce de s…. Tu vas le regretter. Viens ici. »

Et il m’attrape par le pied droit pour me tirer hors de la voiture. J’hurle autant de frayeur que de mal. Les policiers tentent de l’arrêter. Je suis déjà sur les pavés de la place quand ils parviennent à maîtriser la bête. Les menottes aux poignets, deux policiers l’embarquent dans la camionnette blanche et bleue. Delahaye reste avec Paul pour s’enquérir de mon état. Je suis en pleurs par terre. Je ne peux empêcher mon corps de trembler de toutes parts. Les yeux fermés, je crie tout en serrant ma fesse droite à deux mains pour tenter d’arrêter la douleur.

« (Delahaye) Elle est sous le choc. Il vaudrait mieux l’amener à l’hôpital. »

Paul prend ma tête dans ses mains.

« Ouvre les yeux. Regarde-moi. C’est fini. Il ne peut plus t’atteindre. Respire profondément. Essaie de te calmer. »

Ses mots m’apaisent. Il me caresse les cheveux et sèche mes yeux rouges. Les tremblements baissent d’intensité. Je gémis toujours de douleur.

« Niveau 5 ?

-          Non … 7.

-          Tu as encore un cachet dans ton sac ?

-          Non. A la maison.

-          On peut te remettre dans la voiture ? »

J’acquiesce. Monsieur Delahaye me soulève sous les bras pendant que Paul maintient ma jambe à l’horizontale. Mon installation terminée, le policier me dit :

« Je viendrai prendre votre déposition à votre domicile. Ce sera plus facile. Donnez-moi votre adresse.

-          12 rue des Lilas.

-          En ce qui concerne le rapport du médecin, il faudrait me le faire parvenir assez rapidement. Reposez-vous bien. A bientôt. »

Paul s’installe au volant :

« Maintenant, je t’emmène faire un petit tour aux urgences.

-          Pas nécessaire … j’ai tout chez moi. Ne me ramène pas en prison.

-          N’exagère pas.

-          C’est mon corps. Je décide. »

Nous n’échangeons plus aucune parole durant le trajet. Parqué devant ma maison, il me demande :

« Comment on procède pour ton extraction ?

-          Prends ma clé. Va me chercher un cachet sur l’armoire. »

Il revient rapidement avec le médicament, un verre d’eau et même un sachet avec des glaçons. Nous patientons une vingtaine de minutes avant que je donne le feu vert à Paul pour mon déplacement. Au passage en position debout, je ne peux refreiner un cri de douleur ; ce qui fait sortir ma voisine de sa tanière.

« Qui est-ce qui vous a mise dans cet état ? Il faut mieux choisir vos relations, ma fille.

-          J’en prends note. »

Je fais une pause, épaule appuyée contre le mur de façade. Paul troque ma béquille droite contre son bras solide pour le passage de la marche du seuil jusqu’au canapé. Le retour à l’horizontale me soulage quelque peu.

« Elle est très mêle-tout, ta voisine.

-          Elle sait tout sur tout le monde. Si tu veux faire une économie, donne-lui ta petite annonce au lieu de la publier dans le journal. Grâce à elle, j’ai dégoté un vélo pas cher. Une personne trois rues plus haut cherchait à s’en débarrasser.

-          L’antiquité qui est derrière ?

-          Oui. J’ai juste dû le repeindre. Il était rose bonbon.

-          Sa place est plutôt dans un musée.

-          A côté de ta bagnole ! »  

Paul me remet un bout de papier glissé dans la boîte à lettres : « Je suis passée vers 10 h. Je ne suis plus disponible aujourd’hui. Je viendrai demain à la même heure. Votre infirmière dévouée. »

«  Merde ! C’est pas mon jour. C’est rien. Tu n’as qu’à changer mes pansements, toi. Tu as déjà vu comment il faut faire.

-          Tu sais que je supporte mal la vue du sang. Je ne pourrais pas le faire. Je risque de m’évanouir.

-          Petite nature !

-          Tu dois quand même demander un rapport médical. Profites-en pour lui demander de changer tes bandes. J’appelle qui ?

-          Celui qui est venu dimanche dernier. Je l’aime bien. Tu peux me donner quelques glaçons ? »

Paul revient avec un verre de jus de fruit contenant deux glaçons.

« Euh … j’aurais préféré les glaçons dans un sachet !

- Excuse-moi, je pensais que tu avais soif. »

Un peu avant midi, mon bon vieux docteur débarque.

« Encore vous !

-          Et oui ! Dites … vous savez que ce n’est pas beau de rapporter mes bêtises à Lesage.

-          Il vous a examinée après ?

-          Oui, le mardi. Il m’a réopérée et gardée pendant quatre jours.

-          C’était plus grave que je pensais alors…

-          N’en parlons plus. J’ai deux autres problèmes.

-          Je m’en doute. Lorsque vous n’en aurez plus, vous ne m’appellerez plus.

-          Il me faut un rapport constatant des coups et blessures pour la police.

-          Votre coquart ?

-          Cette fois, il m’a vraiment battue. J’ai fait une blague pourrie et voilà le résultat ! »

Le médecin se retourne vers Paul qui se défend :

« Elle affabule encore !

-          (moi) C’est vrai, ils ont déjà arrêté le responsable. J’ai eu droit à un autre coup, ici au genou. En plus, il faut changer mes compresses car j’ai raté le passage de l’infirmière.

-          Et où avez-vous pris ce mauvais coup ?

-          Au genou !

-          Non, le lieu de votre agression.

-          Au café où je bosse.

-          Je vous croyais à l’hôpital !

-          Pas après 14 heures ! »

Il commence par me retirer l’attèle. Je lui montre où le coup de pied a atterri : il y a un hématome. Il scribouille sur une feuille de papier. Ensuite, il m’examine le visage au niveau de l’œil au beurre noir.

« Vous avez mis quelque chose ?

-          De la glace pour dégonfler. »

Il termine en désinfectant les deux plaies et en les cachant sous des pansements immaculés.

« Je vous enverrai le rapport cette semaine. »

            Paul le reconduit jusqu’à la porte. Il revient, l’air pensif.

« Ecoute. Je dois absolument partir à 14 h pour un reportage important assez loin. Il est trop tard pour trouver un remplaçant, surtout en week-end ! Mais tu ne peux pas rester seule.

- Non, ça va. Je sais me débrouiller.

-          J’aurais dû te casser le poignet droit pour t’éviter de signer cette décharge. Ainsi, tu serais restée à l’hôpital et rien de tout cela ne se serait passé.

-          C’est sympa et non violent comme réflexion.

-          Je vais appeler ta sœur.

-          Ce n’est pas nécessaire. »

Sans s’occuper de mes remarques, il compose le numéro. Evidemment, je n’entends que la moitié de la conversation avec Val. Mais je devine les réponses.

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arielleffe
Posté le 04/08/2013
Elle est vraiment infernale, elle cherche les ennuis !
Tu as vraiment le sens des dialogues, c'est presque une pièce de théâtre.
Paul a une patience d'ange. 
couscous1976
Posté le 04/08/2013
Mais c'est une tête de mule. J'adore écrire les dialogues. Je trouve cela plus vivant que la narration. Paul aurait pu s'appeler Gabriel.
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