Chapitre 13 : Sous les étoiles

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

 

Playlist Alex :

Arcade – Duncan Laurence

 

 

***

 

 

Si Bellamy-en-mer était surtout connue pour ses longues plages et son eau turquoise – du moins dans les magazines – peu savaient qu’elle comptait également le musée d’astronomie le plus merveilleux de la région. Du moins, du point de vue de Romy qui était mordue d’astronomie.

C’est donc là-bas que je décidai de l’emmener, histoire de lui changer les idées.

Deux jours s’étaient écoulés depuis notre soirée pyjama et je craignais qu’elle ne s’isole pour de bon. Les jumeaux étant de corvée au Billie’s, j’avais pris l’initiative de venir chercher Romy chez elle. Nick étant presque aussi inquiet que moi pour Romy, il avait gracieusement accepté de me laisser ma journée. Je n’avais pas osé lui expliquer pourquoi mon amie se sentait si mal.

Mais bref, revenons plutôt à ce musée !

S’il n’était pas très connu des touristes, c’était en particulier à cause de son étrange localisation. Le bâtiment se dressait sur la plus haute falaise du front de mer à quelques kilomètres du centre-ville. Pour y accéder, il fallait marcher. Il n’y avait pas de parking et un seul bus desservait l’arrêt au pied de la falaise. Le reste du trajet devait se faire à pied. Et par cette chaleur, autant dire que c’était un véritable calvaire.

Le musée comptait différentes parties dédiées chacune à un thème en particulier. Comme celle sur l’astronomie à travers les âges ou la conquête spatiale. Romy avait passé des heures à nous parler des constellations dans l’aile qui leur était dédié. Aujourd’hui en revanche, nous ne venions pas pour ses nombreuses expositions.

La salle qui m’intéressait tout particulièrement et où j’avais prévu d’emmener Romy était la dernière que les visiteurs découvraient. Il s’agissait d’un planétarium au plafond en forme de dôme où des projections étaient organisées une fois toutes les deux semaines.

Romy aimait particulièrement cette partie de l’exposition et se régalait à venir la voir encore et encore depuis des années. Avec le temps et à force de l’accompagner, j’avais fini par apprendre le nom de chaque constellation, à les reconnaitre dans le ciel même en dehors du musée et à nommer ses étoiles les plus lumineuses – les autres avaient des noms un peu trop tarabiscotés, même pour moi.

Le trajet pour rejoindre le musée me sembla aussi long que l’éternité. Le soleil tapait fort et malgré mon vieux chapeau de paille et l’ombrelle de Romy, nous parvînmes aux portes du bâtiment trempées de sueur.

— Heureusement que je ne me suis pas changé, soufflai-je en essuyant la sueur qui perlait à mon front. Je ne crois pas que mes nouveaux t-shirts auraient pu survivre à pareil épreuve.

Je coulai un regard à ma vieille salopette couverte de taches.

— Pas de doute, fis-je les mains sur les hanches, cette horreur est ma création préférée !

J’entendis Romy rire, un son qui me parut étrangement faible.

— Allez viens, repris-je en lui prenant la main, le vieux Francis nous attend !

Et je l’entraînai à ma suite vers les portes du musée.

— Tiens, tiens, souffla une voix à notre gauche.

En tournant la tête, nous remarquâmes le vieil homme qui relevait douloureusement la tête vers nous.

— Mais qui vois-je ? s’amusa-t-il faiblement.

Son sourire était aussi tremblant que ses mains qui tenaient fermement son balai.

Le vieil homme semblait sans âge, le dos voûté comme prêt à se briser et les genoux si noueux qu’on se demandait comment il faisait encore pour se mouvoir. Quel âge avait-il ? Plus de quatre-vingts ans sans doute. Et toujours pas à la retraite.

— Je partirai le jour de ma mort, nous avait-il confié un jour de ce sourire fatigué mais plein de gaité.

Car Francis éprouvait pour ce musée, un attachement si grand qu’il était bien incapable de le quitter. Il en était le concierge depuis une éternité et arborait toujours un style élégant comme au temps des années 50, toujours très chic malgré son travail d’entretien et la chaleur insoutenable qui s’abattait. Il ne quittait jamais sa vieille casquette qu’il entretenait avec un soin particulier.

Francis était un vieil homme affable qui avait toujours l’air un peu dans la lune. Son regard était empreint d’autant de tendresse que de tristesse. Chaque fois que je le voyais, je lui trouvais l’air mélancolique, comme s’il était hanté de vieux souvenirs. Il était toujours un peu détaché et je me demandais souvent ce qu’il avait pu vivre pour être si seul.

Romy, qui avait passé beaucoup de temps au musée, avait fini par se lier d’amitié avec lui. Quand je les voyais discuter ensemble, ils me faisaient penser à un grand-père et sa petite-fille, tous deux passionnés par les étoiles.

Romy m’avait raconté qu’il était veuf depuis près de trente ans. Trente longues années à se languir de l’être aimé sans jamais pouvoir refaire sa vie. Trente ans de pure solitude car ils n’avaient jamais eu d’enfant.

Fut un temps où Francis vivait dans une petite maison en ville. Mais, cette dernière étant devenue si froide et silencieuse après la mort de sa femme, il s’était réfugié dans la dépendance qui borde le musée loin de souvenirs devenu trop lourd à porter.

Sa femme aimait beaucoup l’astronomie, m’avait expliqué Romy. C’était pour elle qu’il en était devenu le concierge, pour contribuer à préserver ce qui la passionnait tant. 

J’avais trouvé cet aveu touchant, mais aussi très triste. Je ne m’imaginais pas une vie toute seule. Le silence qui devait sans cesse le poursuivre… cela me brisait le cœur rien que d’y penser.

— Cela faisait longtemps, nous sourit-il alors que nous approchions. Mais dis voir, fit-il en plissant les yeux, qu’est-ce que c’est que cette petite mine ? Que t’arrive-t-il mon p’tit ?

Même avec des yeux presque aveugles, il parvenait toujours à voir ce qui comptait.

Le vieux Francis combla la distance qui nous séparait d’un pas claudiquant et attrapa la main de Romy de sa pogne noueuse. L’arthrose qui raidissait ses doigts la rendait étrangement figée, comme taillée dans le marbre.

— Allons, allons, viens me raconter tes misères, fit-il en entraînant mon amie à l’intérieur du musée. Qu’attends-tu Charlie ? me dit-il en se retournant à l’entrée. Tu ne vas tout de même pas rester plantée là comme un cigare ? Même avec ce chapeau, je peux t’assurer que tu finiras rôti comme un poulet !

— J’arrive, souris-je avec reconnaissance.

Parvenu dans le hall d’entrée, Francis abandonna son balai à côté de la porte et conduisit Romy à un banc où ils prirent place. Il n’avait pas lâché la main de mon amie et la tapotait avec douceur.

— Alors, dit-il dans un souffle, dis-moi, que se passe-t-il ? Ces vilains garnements recommencent à t’embêter ?

Les larmes aux yeux, Romy secoua la tête.

— Ah non ? fit-il pensif. Est-ce à cause d’une de tes lectures ?

Romy secoua la tête de plus belle.

— Non plus ? Bon. Que t’arrive-t-il donc alors ?

Les lèvres de Romy tremblèrent. Sur ses joues, les larmes commencèrent à couler.

— Aaah… je pense que j’ai compris, dit-il avec un sourire empreint de nostalgie. Chagrin d’amour ?

Elle opina.

— Cela me semble bien lointain le temps où j’en ai souffert, fit-il avec mélancolie. Mais je te l’assure ma petite étoile, cela passe. Je suis certain que tu rencontreras bientôt quelqu’un qui verra quel joyau tu es.

J’osai m’approcher d’un pas.

— Pourrait-on avoir une séance ? demandai-je timidement.

L’expression du vieil homme passa de la tendresse à la malice. Il me fit un clin d’œil et se leva douloureusement, ses articulations, si elles ne craquaient pas, grinçant fortement.

— C’est bien parce que c’est vous, sourit-il le regard pétillant. Allez, suivez-moi mesdemoiselles.

Nous traversâmes ainsi les différentes salles d’expositions du musée : celle sur l’astronomie à travers les âges et ses représentations dans l’Égypte antique et chez les mayas, celle sur la conquête spatiale avec ses nombreuses maquettes de fusées, celle sur notre système solaire avec ses cartes et ses représentations suspendues, celle enfin sur les étoiles identifiées, les constellations et les comètes exposées.

Francis nous abandonna devant une grande porte à double battant et s’éclipsa en silence dans le long et sombre couloir. Un instant plus tard, nous entrions main dans la main dans le planétarium avec ses nombreux sièges en cercle et son plafond en forme de dôme où était projetée une carte du ciel. Romy et moi nous installâmes dans les sièges à bascule. Un instant plus tard, la salle fut plongée dans la pénombre et un projecteur s’alluma. Le plafond s’illumina alors d’une floppée d’étoiles scintillantes. Une vraie plongée dans le cosmos.

— Merci, finit par murmurer Romy à mon côté.

— Pourquoi ? demandai-je un peu perdue.

— Pour tout ce que tu fais.

J’eus un faible sourire et repoussai une mèche blonde de son visage.

— Y a pas de quoi Romy, lui répondis-je doucement. Tu es mon amie et je n’aime pas te voir aussi triste.

Les larmes abondèrent à nouveaux à ses yeux. Elle finit par poser sa tête sur mon épaule et je laissai tomber ma joue sur le sommet de son crâne. Nous restâmes ainsi un moment à observer les étoiles avant que je ne reprenne la parole.

— Tu sais, il y a plein d’autres garçons géniaux, je suis sûre que tu trouveras quelqu’un qui t’aimeras en retour.

— Aussi bien que Nicolas ? demanda-t-elle d’une petite voix.

— Encore mieux, affirmai-je en déposant un baiser dans ses cheveux. Tu es extraordinaire Romy, seul un idiot ne saurait pas le voir.

— Alors nous sommes entourés d’idiots, grommela-t-elle.

Je l’imaginais sans mal faire la moue, les joues gonflées comme une enfant. J’étouffai un rire.

— C’est vrai, mais les gens peuvent changer.

— Vraiment ? fit-elle peu convaincue.

— Bien sûr, mais il faut que ça vienne d’eux. On ne peut pas changer quelqu’un rien qu’en le voulant. Si la personne veut vraiment changer elle changera. Autrement, il vaut mieux laisser tomber.

Romy releva la tête vers moi.

— On dirait que tu parles par expérience.

Je gardai le silence un instant. Une bouffée de mélancolie m’envahit.

— C’est un peu le cas, soupirai-je en lui caressant les cheveux. Tu n’as pas idée des efforts que j’ai déployé pour changer Tom. Mais cet idiot n’en a jamais rien eu à faire.

Un ange passa.

— Vous étiez pourtant proche avant. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

— Je l’ignore, soupirai-je tristement. Il a… changé.

— Je me souviens qu’il jouait souvent avec nous, sourit Romy avec nostalgie après un silence. Il était même assez protecteur avec toi. Tu te souviens quand tu es tombée de son vélo ?

— Quand j’ai voulu en faire toute seule ?

— Oui, s’amusa Romy. Tu t’étais tout écorché les mains et les genoux. Tu étais sur le point de fondre en larmes quand il a accouru pour venir prendre soin de toi.

Comment l’oublier ? Tom m’avait soutenu jusqu’à la maison et avait nettoyé mes plaies avec attention. Je me souvenais encore de son teint verdâtre lorsqu’il essuyait le sang qui me coulait des genoux. Tom n’avait jamais supporté la vue du sang, sauf dans ces moments-là.

— Ça me semble si lointain, avouai-je dans un murmure.

Je finis par hausser des épaules, le regard perdu dans la voie lactée.

— C’était il y a longtemps. Trop longtemps sans doute pour qu’on puisse vraiment recoller les morceaux.

— Il n’est jamais trop tard pour arranger les choses Charlie.

— Hé, ce n’est pas moi qui suis censée te réconforter ? relevai-je avec un sourire en coin.

— Si, me répondit-elle avec malice, mais tu peux bien me laisser te rendre la pareille pour une fois.

— Seulement si tu promets de me donner régulièrement des nouvelles. Je refuse de revivre une nouvelle hibernation romienne, une fois m’a suffi ! Je suis quasi certaine d’avoir gagné quelques cheveux blancs à cause de toi.

— Tu n’exagère pas un peu ? pouffa Romy.

— Puisque je te le dis !

— Bon, bon, c’est d’accord. Je promets.

— Bien, je préfère ça.

Nous reportâmes notre attention sur la projection. Les étoiles avaient laissées place à une exploration de notre système solaire.

Le silence plana de longues secondes, seulement troublé par la musique douce qui accompagnait la projection quand je repris la parole.

— Même cet idiot de Tom ?

Romy sourit.

— Oui, même lui.

Nous nous lançâmes un regard avant de pouffer de rire.

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