Playlist Charlie :
In my arms – Kylie Minogue
&
Playlist Alex :
The Last of The Real Ones – Fall Out Boy
***
Il était un peu plus de 18 heures lorsque je raccompagnai Romy jusqu’à sa porte.
— Tu comptes tout de même venir à la fête de l’Adonis ? demandai-je prudemment. Tu étais tellement impatiente de souhaiter un bon anniversaire à Gloriana.
Romy pinça les lèvres et sembla y réfléchir de longues secondes avant de se tourner vers moi, l’air contrit.
— Désolée, dit-elle d’une petite voix. J’aurais bien aimé, mais… je ne veux pas gâcher l’ambiance avec ma mauvaise humeur. Sans compter que je sais que si je suis présente dans cet état, aucun de vous ne profitera de la fête.
— Romy…
— Ne t’en fais pas pour moi, ajouta-t-elle en saisissant la poignée. J’irai féliciter Gloriana une autre fois. Pour le moment je voudrais juste… Je voudrais profiter du calme.
J’affichai un faible sourire.
— D’accord, soupirai-je.
Ce serait mentir que de dire que je n’étais pas déçue. Après tout, j’avais passé des heures à travailler sur la tenue idéale pour chacun d’entre nous mais… Je préférais savoir Romy tranquille chez elle à profiter d’un bon film en sirotant son thé préféré que de la voir ruminer dans son coin toute la soirée.
— Prends soin de toi, exigeai-je en venant l’embrasser. Et n’oublie pas de donner des nouvelles !
— Je le ferai, s’amusa-t-elle mais son sourire n’atteignit pas ses yeux. Amuse-toi bien.
— Promis. Bonne soirée Romy.
— Bonne soirée.
Et elle referma la porte sur elle.
Un peu dépitée, je rentrai chez moi et informai les autres des résultats de notre après-midi au musée. Comme moi les jumeaux furent déçus d’apprendre que Romy ne serait pas des nôtres et commencèrent même à imaginer organiser une fête rien que pour elle pour se rattraper. Max en particulier, commençait à partir dans tous les sens alors que nous partions nous coucher. Et je ne croyais pas avoir les moyens de louer un canon à paillette ou même un cheval qu’on aurait grimé en fidèle destrier de conte de fée. Quand elle proposa une nouvelle idée encore plus saugrenue – à savoir louer une salle des fêtes pour la changer en bibliothèque de la Belle et la Bête – Alex et moi lui avions souhaité une bonne nuit.
Une sourde culpabilité m’assaillit dès que j’éteignis mon téléphone. La soirée était prévue pour le lendemain et, malgré la tristesse que j’éprouvais pour Romy, je devais bien admettre que j’avais hâte d’aller à la fête. En fait, j’étais si impatiente d’y être que je ne pouvais me départir de mon sourire. Un sourire si grand qu’il m’en faisait mal aux joues.
Le plus beau avait sans doute été quand Nick, malgré tout ce qu’il avait pu dire, m’avait finalement donné la permission de rentrer assez tard. Il savait que Gloriana comptait beaucoup pour moi et, puisqu’elle était l’oncle des jumeaux et que je resterais avec eux, il avait fini par se rassurer. Un peu. Mais me fit tout de même promettre de l’appeler au moindre problème et de bien rentrer à l’heure.
Cendrillon n’avait que la permission de minuit, moi j’avais gagné trois heures de plus !
En début d’après-midi le lendemain, je me dépêchai de rassembler mes affaires et dit au revoir à mes frères avant de courir rejoindre les jumeaux chez eux. Leur costume pesait lourd sur mon épaule, mais même cette crampe qui me tiraillait au moment d’arriver à leur porte n’aurait pu m’enlever mon sourire.
Je fus accueillie par Alex, juste avant que Max ne me tombe dessus pour récupérer sa tenue. Je n’eus même pas le temps de saluer leurs parents qui s’affairaient en cuisine qu’elle m’emporta dans sa chambre pour l’aider à se préparer.
Moins d’une petite trentaine de minutes plus tard – oui, parce que ça aurait pu durer bien plus longtemps si je n’avais pas réussi à persuader Max de ne pas toucher à mes yeux pour les maquiller – Max et moi retrouvâmes Alex dans le salon. Leurs parents étaient déjà partis pour le Billie’s pour leur service de nuit.
Un large sourire barra le visage d’Alex en nous voyant arriver.
— Eh bien, vous avez mis le temps, s’amusa-t-il en rajustant les manches bouffantes de sa chemise.
— Tu peux parler, lui rétorqua Max en finissant d’enfiler sa veste en simili cuir cloutée, tu passes plus de temps que moi à te maquiller !
— Et le résultat parait toujours plus pro que toi, se moqua-t-il.
Pour toute réponse, Max lui tira la langue.
— Joli costume, au fait, ajouta Alex en me jetant un coup d’œil. J’aime beaucoup les ailes.
Je fis un tour sur moi-même, très heureuse de pouvoir montrer mon travail.
— N’est-ce pas ? Elles m’ont pris un temps monstre ! Mais le résultat en vaut la peine.
Si Alex avait l’air du parfait dandy vampire avec sa chemise blanche à jabot et Max de la plus Rock’N’Roll des stars avec sa robes à paillette argentée et ses bottines à plateforme, j’avais, pour ma part, opté pour quelque chose de tout à fait unique. Mon crop top émeraude accompagnait à merveille mon pantalon à paillettes argentées – mi bootcup, mi baggy – et mettait à merveille en valeur mon petit veston noir sur lequel j’étais parvenue à accrocher une paire d’ailes miniatures dont les plumes noires lustrées reflétaient parfaitement à lumière.
— J’adore, sourit-il de toute ses dents. On dirait un petit ange échappé du Paradis pour faire la fête.
Bizarrement, son commentaire remua quelque chose d’inattendu dans mon ventre. J’en sentis même mes joues chauffer un peu. Étrange, songeai-je en l’étudiant plus attentivement alors qu’il se tournait déjà vers sa sœur pour continuer de la chambrer, ce n’est pourtant par la première fois qu’il me complimente.
Pourtant, et à bien y regarder, Alex me semblait un peu différent ce soir. Je n’aurais su dire si c’était à cause de ses cheveux rabattu en arrière, des paillettes dorées qui bordaient ses yeux, ou même du fin trait d’eyeliner qui rehaussait merveilleusement le bleu de ses iris, mais il semblait… je ne sais pas. Plus magnétique ? Une pensée sommes toute assez ridicule puisque mon ami était déjà magnétique au naturel. Il suffisait de voir le nombre de midinettes qui avaient commencé à lui faire les yeux doux au lycée.
— Bien, sommes-nous prêts à partir ? demanda-t-il subitement, me sortant de mes pensées.
— À parler comme ça, t’as vraiment l’air de sortir d’un roman fantastique du siècle dernier, le nargua Max, les bras croisés.
— Tu préférerais que je propose à tes petites fesses de passer devant ? reformula-t-il avec un sourire goguenard.
Ç’eut au moins le mérite de la faire rougir.
— Hmpf ! fit-elle pour toute réponse. Très bien, poursuivit-elle en faisant mine de passer à autre chose, dans ce cas j’ouvre la marche !
Et elle disparut dans le vestibule.
— Et elle ose dire que je parle comme un ancêtre, se désola son frère.
Alex allait la suivre quand je l’arrêtai.
— Attends.
Il se retourna, un peu surpris.
Je fis de mon mieux pour ignorer le feu qui me brûlais anormalement les joues alors que je rajustais son jabot.
— Voilà, fis-je en faisant un pas en arrière.
Alex me sourit, un sourire que je connaissais pourtant très bien mais qui, à cet instant, me troubla.
— Merci.
L’instant d’après, et sans que je ne voie le trajet passer, nous nous trouvions à la porte de l’Adonis.
Les rues étaient désertes lorsque nous arrivâmes devant le bâtiment et rien ne semblait indiquer qu’une fête avait lieu derrière ses volets clos. Du moins, jusqu’à ce qu’on ouvre la porte.
Là, ce fut un tout autre monde qui s’offrit à nous, tout de couleurs affriolantes, de cris enjoués et surtout, de paillettes.
La première chose que je remarquai en entrant fut la vieille boule à facette vintage accrochée au plafond. Si d’ordinaire elle brillait assez discrètement, aujourd’hui elle étincelait de mille feux. Ç’en était presque aveuglant.
Les lumières tamisées de la veille avaient laissé place à des néons étourdissants, des guirlandes multicolores décoraient presque chaque centimètre du plafond, le bar s’était vu recouvert d’une généreuse dose de paillettes d’or et d’argent. Même les barmaids et barmans s’étaient vu métamorphosés pour l’occasion, délaissant leur simple tablier pour des costumes chics à nœuds papillons étincelants et vestons bariolés de sequins. Chacun de leurs mouvements renvoyaient avec une puissance quasi divine les lumières mouvantes de la boule à facette. Quant à ma piste de roller, elle avait tout bonnement disparu sous la foule de fêtards aux costumes bigarrés.
La scène du fond accueillait un étonnant cortège, un groupe aux costumes criards que je ne connaissais pas, accompagné d’un DJ – lui aussi parfaitement inconnu – pourvue d’immenses lunettes et habillé comme un néon humain. Ensemble, ils faisaient jaillir des baffles une musique entraînante quoiqu’un poil trop forte vu les vibrations qui faisaient trembler ma cage thoracique.
En sommes, il dégageait de l’Adonis une ambiance de cabaret tout à fait enchanteresse. On se serait cru en plein milieu d’une fête des années 20 avec tous ces boas à plumes chatoyantes et ces chapeaux excentriques. Ou en plein milieu du carnaval de la Nouvelle Orléans avec ces colliers de perles et ces confettis que crachaient par intermittence quelques cannons disséminés un peu partout dans la salle.
— Wouah… soufflai-je, émerveillée, alors qu’Alex m’entraînait plus loin dans la salle.
Max nous abandonna assez rapidement. En fait, elle s’évapora dans la foule dès que nous atteignîmes le bar. Lorsque je lui demandai de ne pas trop s’éloigner – ou du moins essayé car elle était déjà loin à peine les premières syllabes prononcées – Alex sourit.
— Ne t’inquiète pas pour elle, elle ne risque pas de se perdre. Et s’il y a une bagarre, ajouta-t-il après un instant, c’est elle qui l’aura commencé.
— Très rassurant, grommelai-je mais je pouvais difficilement lui donner tort.
Et de toute façon, elle était déjà hors de vue. Je soupirai.
Dans le fond, il était presque mieux que Romy ne nous ait pas accompagné. Il y avait tellement de monde que je ne suis pas sûre qu’elle l’aurait supporté. Moi-même, qui aimais pourtant beaucoup faire la fête, je commençais à sentir ma tête tourner.
Loin de s’en faire pour sa jumelle, Alex se tourna vers le barman qu’il héla à grand cri. Il fallait dire qu’avec autant de bruit, impossible de se faire entendre autrement. Il nous commanda deux cocktails – légers, je tiens à le préciser, et de toute manière, le barman nous connaissait assez bien pour ne pas avoir la main trop lourde. En fait, appeler le Young Party Fruity un cocktail était déjà exagéré en soi. Il s’agissait plus d’un mélange pour adolescent composé d’une lichette d’alcool et de beaucoup – voir quasiment exclusivement – de soda ou de jus de fruit.
Ça ne me dérangeait pas. À vrai dire, je n’ai jamais beaucoup aimé l’alcool, contrairement à Tom. Et mon cocktail spécial adolescent avec son mélange de jus d’orange et d’ananas me convenait très bien. Alex, lui, avait opté pour un mélange un peu plus particulier : cerise et citron vert.
Nous en étions à notre deuxième verre, rigolant des costumes abracadabrant que nous croisions au bar – comme cette femme avec son étonnante couronne de plumes multicolores et de strass – lorsque la scène au fond de la pièce s’illumina. Le groupe et le DJ avaient cédé leur place et le rideau pourpre qui cachait les coulisses se mit à onduler. Un silence assourdissant s’était abattu sur le bar. Plus personne ne bougeait.
— Mesdames et messieurs, lança une voix dans les haut-parleurs, voici venu la reine de la soirée, Gloriana !
Avant même son arrivée, les hurlements déchaînés et les applaudissements éclatèrent dans la salle comme le plus bruyant des feux d’artifices. Gloriana apparut un instant plus tard, traversant un rideau de brume pailleté comme la plus mystique des fées. Elle était magnifique dans son costume de cabaret tout en teinte lavande et or. J’en eus les larmes aux yeux en voyant son auréole de plumes dorées si bien se mouvoir derrière elle. Après des mois de travail, le résultat en valait la peine !
— Joli travail, me souffla Alex à l’oreille et je ne pouvais qu’approuver.
Après avoir longuement salué tout le monde à grand renfort d’immenses sourires et de baisers lancés par poignées, Gloriana prit enfin la parole.
— Je suis très fière d’annoncer que nous fêtons aujourd’hui les dix ans de l’Adonis.
Un tonnerre d’applaudissements retentit, ponctué par tout autant de cris de joie. Gloriana patienta le temps qu’un semblant de calme revienne avant de reprendre la parole.
— Il y a donc tout juste dix ans, j’ai ouvert ce merveilleux endroit. L’idée me trottait déjà dans la tête depuis si longtemps, avoua-t-elle les yeux brillants d’émotion, je ne pensais pas qu’il verrait le jour. Mais, poursuivit-elle avec un sourire rayonnant, avec l’aide de ces perles rares… (elle pointa quelques personnes dans la foule qui se retrouvèrent nimbée d’un halo de lumière) mon rêve est devenu réalité. Je ne vous remercierai jamais assez, fit-elle une main sur le cœur.
Les personnes désignées, dont le barman devant nous et plein d’autres que j’avais appris à connaître au fil du temps, lui rendirent des sourires émus, certain lui lançant même quelques baisers qui la firent rosirent de plaisir.
Gloriana se racla la gorge, le temps de reprendre contenance avant de poursuivre.
— Je tiens également à vous remercier, vous, lança-t-elle en pointant la foule compacte à ses pieds. Chacun d’entre vous. Car si ce rêve est devenu réalité, c’est aussi grâce à vous tous, à votre amour et votre soutien, à votre esprit si libre et bienveillant qui a permis à tant de gens hors des normes de trouver ici un refuge où faire de belles rencontres. À vous tous, je tiens à dire un grand merci !
Les employés de l’Adonis reprirent ce merci à l’unisson, faisant éclater de nouveaux applaudissements.
— Et maintenant que les remerciements sont terminés, il est temps de profiter ! clama Gloriana. Dansez, buvez, riez ! Mais surtout amusez-vous, parce que ce soir, c’est la fête !
Des hourra ! suivirent dans toute la pièce, si assourdissants qu’Alex et moi nous bouchâmes les oreilles, non sans arborer un immense sourire. Puis la musique reprit de plus belle et la fête explosa comme si elle venait tout juste de débuter.
Enflammée par l’ambiance électrique, je traînai Alex sur la piste de danse. D’abord un peu réticent, il finit tout de même par se laisser convaincre, pour mon plus grand plaisir. Je l’emmenai au centre de la piste, juste sous la boule à facette avant de me tourner vers lui. Les lumières mouvantes dessinaient des ombres tout à fait singulières sur son visage, offrant à son regard un éclat qui me fascina un instant. Puis je reconnus les notes de l’un de mes titres préférés et ne pus résister à l’envie de danser.
Alex mit un peu plus de temps à m’imiter. Amusé par mes gesticulations ridicules – imiter Nick aidait toujours à détendre l’atmosphère – il finit par se prêter au jeu et moins d’un instant plus tard, nous dansions comme des fous au milieu de la foule.
Les titres se succédèrent sans jamais que l’énergie ne retombe. J’avais l’impression de rêver, transportée dans une autre réalité. Les mains d’Alex se glissaient régulièrement sur ma taille ou dans mes paumes, m’empêchant de bousculer nos voisins quand je ne faisais pas attention. Je m’amusais comme une folle, et au sourire qui illuminait son visage, j’étais prête à parier que lui aussi.
Puis, tandis que les premières notes de In my arms de Kylie Minogue résonnèrent à mon oreille, quelque chose changea. Tout ralentit autour de moi. Alex venait une nouvelle fois de m’empêcher de tomber en arrière et me retenait d’une main. Et brusquement, je ne vis plus qu’Alex, son sourire si envoûtant, ses yeux si fascinants et cette main avec laquelle il me remettait sur mes pieds. Ma main libre attrapa instinctivement son bras pour me stabiliser mais je n’avais pas quitté ses yeux du regard.
Très honnêtement, j’ignore encore ce qui me poussa à bouger. J’ignore pourquoi. J’ignore comment. Mais, sous le coup d’une impulsion aussi soudaine qu’enivrante, alors que les paroles de la chanson s’insinuaient en moi, je comblai la distance entre nous et écrasai mes lèvres sur celles d’Alex.
La sensation était étrange, merveilleuse et terrifiante. Elle ne dura certainement pas plus de quelques infimes fractions de secondes. Un instant volé.
Lorsque je m’écartai, Alex me considérait avec des yeux ronds, comme deux phares dans la pénombre électrique. Les gens continuaient de bouger tout autour de nous, mais nous restions immobiles, comme paralysés. La surprise se lisait sur ses traits. Reflet sans doute parfait de la mienne.
Mais alors que je sentais le rouge me monter aux joues, alors même que je pensais avoir commis la plus terrible des erreurs, Alex fondit sur moi pour m’embrasser en retour. Un million de choses me passa par la tête, la surprise d’abord, la panique ensuite, puis ce délicieux sentiment de bonheur qui me poussa à enrouler mes bras autour de son cou. Je lui rendis son baiser, fiévreusement, désespérément. Il y répondit avec la même ferveur, si bien que j’eu l’impression de rêver. J’oubliai comment respirer, me demandai même si c’était vraiment important. Ses lèvres avaient un goût de cerise lorsque je passai la langue dessus. Je ne voulais pas les quitter.
Sans même nous en rendre compte, nous finîmes par nous éloigner de la piste, sans doute poussée et encouragée par les autres fêtards qui nous reléguèrent bien loin de l’agitation de la foule dans un coin plus obscur où Alex m’attira plus près de lui. Pressée tout contre lui, j’étais complètement envoutée. Je frissonnai sous ses doigts alors qu’il frôlait si légèrement la peau découverte de mes reins, remontant la ligne de ma colonne jusqu’à mes épaules puis ma nuque. Mes propres mains l’exploraient à tâtons, aussi timides que curieuses. Je bataillai un instant avec les boutons de sa chemise, finis par carrément l’arracher à son pantalon avant d’y glisser mes doigts. Alex grogna contre mes lèvres alors que j’explorais sa peau nue, effleurant son ventre puis sa taille jusqu’à son dos.
Lorsque l’air commença sérieusement à nous manquer, nous nous éloignâmes, plongeant un regard fiévreux dans celui de l’autre. Sa main avait remonté jusqu’à ma joue, y traçant de petits cercles du pouce. Un feu ardant brûlait dans ma poitrine. J’en voulais plus, beaucoup plus. Et, d’après ce que je voyais, lui aussi. Pourtant, et alors même qu’il se penchait pour retrouver mes lèvres, alors même que je brûlais d’envie de combler la distance qui nous séparait, je l’arrêtai. La réalité me rattrapa si vivement que je sentis mon estomac se contracter. La honte, la panique et la culpabilité se succédèrent dans mon esprit. Je m’écartai.
— Attends, fis-je le souffle court, attends…
Alex me regarda, interloqué. Ses yeux débordaient de confusion et d’un désir à peine voilé. Mon Dieu ! Comme j’avais envie de m’y noyer !
À la place, je me mordis nerveusement les lèvres, soudain très anxieuse. Je posai une main sur sa poitrine pour garder une distance respectable, essayant vainement d’ignorer la sensation de son cœur battant à tout rompre sous mes doigts.
— Est-ce que… est-ce que c’est vraiment une bonne idée ? demandai-je enfin.
Alex cilla. Puis, avec une lenteur atroce, parut se décomposer.
— Tu n’en as pas envie ? demanda-t-il si faiblement que mon cœur eut un raté.
— Si ! me récriai-je aussitôt, le faisant sursauter. Si, cruellement. Mais…
Je détournai les yeux.
— Je ne veux pas que ça devienne bizarre entre nous, avouai-je du bout des lèvres.
— Ce serait bizarre si j’étais amoureux de toi ? questionna-t-il et je me raidis.
Je braquai un regard abasourdi sur lui. Il me fallut sans doute une longue, très longue minute avant de parvenir à assimiler ses mots. J’ouvris la bouche une première fois, la refermai. Un vrai poisson hors de l’eau !
— P-Parce que tu… bredouillai-je sans parvenir à terminer ma phrase.
Il me sourit de ce sourire si doux et plein de tendresse, un sourire qui, à cet instant, me faisait complètement fondre.
— Sûrement depuis des années, avoua-t-il distraitement en repoussant une mèche rose derrière mon oreille. Je ne sais plus trop quand je m’en suis rendu compte.
J’en restai sans voix.
— Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? m’exclamai-je au moment où la musique prenait un nouveau virage, quittant la pop pour du rock.
— Pour la même raison qui te fait hésiter maintenant, j’imagine, répondit-il avec un haussement d’épaules résigné.
Mon cœur rata un battement alors que le rouge me dévorait les joues pour de bon. Puis, tout doucement, à mesure que je me faisais à cette douce réalité, à mesure que je prenais conscience d’à quel point j’en avais rêvé, je passais une main sur sa joue, caressai le contour de sa mâchoire. Alex se laissa faire, les yeux fermés, alors que mes doigts se frayaient un chemin jusqu’à ses cheveux. Je les décoiffai sans vergogne, fascinée par la sensation de ses mèches entre mes doigts. Ils étaient tellement plus doux que je ne pensais !
— Et si je te disais, murmurai-je en me rapprochant dangereusement de ses lèvres ce qui le fit rouvrir les yeux, que tes sentiments étaient réciproques ?
Pressée contre lui comme je l’étais, j’eus tout le loisir de le sentir frémir à mes mots. Puis, lentement, un sourire fleurit sur ses lèvres.
— Alors j’aurai encore plus envie de t’embrasser.
Nos regards se croisèrent, remplis de mots que nous n’avions pas même besoin de prononcer. J’aurais voulu dire quelque chose, mais il réduisit la distance qui nous séparait et m’embrassa à pleine bouche.
Je lui rendis son baiser avec un empressement que je ne me connaissais pas et très vite, nos langues ondulèrent. Je me pressai un peu plus contre lui, frissonnai sous ses caresses plus audacieuses, m’embrasait sous ses baisers dont il couvrait mon cou. Ma main retrouva le chemin sous sa chemise, parcourant sa peau avec délectation. Lorsque j’atteignis sa taille, il frissonna et je ne pus m’empêcher de le taquiner un peu, enfonçant mes doigts là où je le savais chatouilleux. Alex gronda contre mes lèvres et vint chercher ma main pour l’entrainer ailleurs sur sa poitrine, là où son cœur battait aussi furieusement que le mien. Et je sus que j’étais perdue. J’en voulais tellement, tellement plus.
Une éternité bien trop courte plus tard, nous nous séparâmes, à bout de souffle. Nous ne ressemblions plus à rien. Alex était tout échevelé, la chemise en désordre. Quant à moi, je ne donnais pas cher de mes ailes dont l’une des manches de mon veston pendait sur mon épaule. J’eus un rire qu’il me rendit avant de poser son front contre le mien. Avec une lenteur affreusement aguicheuse, il remonta la bretelle de mon veston le long de mon épaule. J’en eus des frissons.
Ce qui me termina ? Son regard dans le mien qui me promettait tellement de merveilles que je crus défaillir.
Ce garçon me faisait décidément beaucoup trop d’effet pour mon propre bien.
— Et si on rentrait ? demandai-je dans un souffle.
Son regard pétilla.
— Mes parents ne sont pas là, indiqua-t-il d’une voix rauque tout près de mon oreille.
Et, en balayant la foule des yeux, un sourire de chat étira ses lèvres.
— Et j’ai comme l’impression que Max ne rentrera pas non plus ce soir.
En suivant son regard, je découvris mon amie embrasser à pleine bouche un sublime inconnu à l’autre bout de la salle, près de la scène. En plissant les yeux, il me sembla même reconnaître le garçon de la librairie. Un sourire mutin me vint. Voilà donc pourquoi elle nous avait si vite abandonné ! m’amusai-je. J’avais hâte de la cuisiner à ce propos. Mais avant ça…
Je me tournai vivement vers Alex et, un grand sourire aux lèvres, l’agrippai par le col.
— Alors allons-y !
Je l’embrassai une dernière fois avant de l’entraîner dehors.
Mon empressement le fit rire et alors que nous courions dans les rues de Bellamy, je crus sincèrement à un rêve éveillé.
Puis la réalité, encore plus merveilleuse et terrifiante me rattrapa lorsque nous parvînmes à la porte de leur maison. Alex me prit la main et, comme le plus merveilleux des princes charmants, me conduisit à sa chambre, cette pièce si bien rangée qui embaumait un subtil mélange de papier et de chocolat, une chambre où je n’avais presque jamais mis les pieds.
La suite, je ne vous la raconterai pour rien au monde. Elle n’appartient qu’à moi et à moi seule. Tout ce que je vous dirais, c’est que ce fut un moment encore plus beau que tout ce que j’avais pu imaginer, qu’Alex s’est montré d’une douceur extraordinaire et que pour tout ça, je brûle encore plus pour lui.
Alors oui, je suis parfaitement consciente qu’il est tout à fait cliché de tomber amoureuse de son meilleur ami et je ne m’attendais même pas à ce qu’il me rende mon baiser lors de la fête mais… je ne regrette rien. Car cette histoire est sans doute la plus belle et la plus douce de toute mon existence et que je compte la chérir jusqu’à l’infini et même au-delà.
Comme quoi, l’impulsivité a parfois du bon !