CHAPITRE 14

Le 06 août 1683, sur les chemins du Lauragais

Lancé au galop le courrier manœuvrait son cheval, assis sur une botte de paille avec une malle des plus ordinaires calée dans le dos et ainsi la brouette postale avançait sur les routes cabossées du royaume. Mercure lui ouvrait le chemin sur sa monture, attentif à tous bruits suspects. Dans le lointain, il vit un moulin à pâles tourner en raison que l'autan s'était levé depuis une heure. Derrière lui, le courrier de la poste aux lettres rouméguait(1) parce que le caprice du vent embêtait sa monture qui luttait contre les piques de l'autan.

Depuis une heure, le ciel tournait vilainement dans un barbouillage de couleurs sombres qui soufflaient le mot à Mercure, de ne pas se hasarder à poursuivre la route sans prendre en compte les humeurs de Dame Nature. La diablotine composait par sa fantaisie incompréhensible du mauvais temps dans une saison où l'on attendait que du beau. Le courrier de la poste aux lettres hurla à Mercure que la ville où il ferait le relayage était à une demi-lieue d'ici, de fait, valait-il mieux y courir au plus vite. Mercure était dubitatif face à cette option... il évaluait d'un œil connaisseur les environs vallonnés et il se doutait, en homme qui savait, qu'ils passeraient les portes de Castelnaudary sous un rideau de pluie et de tonnerre. Or, le courrier de la poste aux lettres ne voulut rien entendre des paroles de sagesse et persévérait dans sa lubie de joindre Castelnaudary à tombeau ouvert.

Mercure baissa les armes, il n'était pas de bon aloi de se quereller avec le courrier, homme qui était réputé pour être obtus et mauvais quand on le contrariait trop fermement. Le postillon redoubla de surveillance car il sentait depuis qu'il avait quitté Villenouvelle, une impression de danger lui tenir ses sens en alerte. Les aventures de la poste étaient parfois ponctuées d'attaques et aucun postillon n'était fou de se croire en sécurité sur les chemins mal ou guère empierrés, perdus à travers des forêts immenses et sournoises.

Alors qu'ils prenaient un virage serré, des coups de feu retentirent et Mercure se colla à l'encolure de son cheval par instinct. Un long craquement de bois qui se rompit déchira l'air, suivi de cris et de hennissements de détresse, aussitôt Mercure ralentit sa monture pour voir ce qu'il en était du courrier et le découvrit inconscient, la brouette renversée, son cheval en fâcheuse posture. Mercure sauta à terre et courut vers l'animal qui tentait de se redresser, le libéra et partit vers le courrier, projeté à terre quand la brouette postale avait basculé. Alarmé, il l'appela en le secouant mais le bougre ne bougeait pas, du sang coulait de son front et Mercure prit peur !

Une brindille craqua derrière, d'un geste rapide, il fit volte-face et évita un coup de poing. Il se jeta sur son assaillant et se battit avec virulence pour sauver sa vie. Son agresseur sortit subitement un poignard et Mercure ne donnait pas cher de sa peau, il était désarmé et l'orage venait d'éclater dans le ciel en un éclair tonitruant. Il se défendit avec bravoure, esquivant le poignard qui sifflait souvent à ses oreilles en un chant funeste, mais un coup fourbe le fit tomber au sol, évanoui.

Lorsque le jeune homme reprit connaissance, il avait la tête lourde, tournant à lui en donner la nausée et quand il se redressa sur les coudes, il ne comprit guère pourquoi il bougeait... Le courrier de la poste aux lettres était étendu à côté de lui, encore inconscient.

— Alors ! On faisait la sieste ? fit une voix enrouée.

Mercure distingua le dos d'un homme voûté, la chemise trempée par la pluie qui tombait toujours et enfin un visage ridé quand le conducteur se tourna vers lui.

— Qui êtes-vous ? demanda le postillon en s'asseyant.

— Un roulier. J'vous ai trouvé la face dans la terre... z'êtes d'la poste vous ! Bah mon vieux, quel carnage !

Mercure se souvint qu'il était partit avec la mission d'accompagner le courrier à bon port jusqu'au prochain relais et de veiller sur les dépêches !

— La malle ! Où est-elle ! s'exclama-t-il catastrophé.

—  À ta gauche.

Il l'attrapa et constata que le verrou avait été forcé, et le cœur battant, il ouvrit son couvercle... Les dépêches étaient pour la plupart encore sèches et scellées, certaines en revanche étaient en piteux état, crottées, mouillées et séparées des autres par un tissu... Sans doute, l'œuvre du roulier quand il les avait rassemblées et remises dans la malle. Mercure serra le poing, comment savoir si les aigrefins n'en avaient pas dérobées !

En levant les yeux, Mercure aperçut les chevaux qui suivaient au pas la charrette du roulier et le postillon fut soulagé, les chevaux étaient saufs !

— Bouge pas trop mon garçon, ta couenne a été ouverte !

Il se toucha le cou et fronça le nez. S on foulard était poisseux et imbibé de sang à certains endroits et une douleur le faisait souffrir.

— On  a essayé de me trancher la gorge ! plaisanta-t-il.

— Ouais, d'ailleurs j'ai ben cru que t'avais passé l'arme à gauche.

Le reste du voyage se fit dans le silence, au rythme lent des pas des chevaux du roulier, parfois ponctués par les râles du conducteur qui tempêtait contre ses bêtes qui hennissaient et mordaient leur mord d'inquiétude, l'orage battait son plein. Enfin, Castelnaudary, belle, la ceinture dans l'eau de la Garonne, ville notoire de barquetiers, se dessina dans l'horizon et donna du soulagement tant à Mercure qu'au roulier, le courrier de la poste aux lettres, lui était encore inerte.

Passées les portes de la ville, le roulier tira sa charrette jusqu'au relais de poste, située à peine au sortir de Castelnaudary et abandonna là le petit monde. Mercure héla pour qu'on vienne l'aider. Le tonnerre zébra le gris sombre du plafond de Dieu en un éclair si net qu'un garçon d'écurie qui s'avançait vers lui, se signa par peur d'attirer la foudre sur lui.

— Où est la brouette ! demanda le garçon d'écurie.

— On a été attaqué ! Va chercher de l'aide !

Le gamin s'enfuit en courant en appelant du secours pendant que Mercure regardait le temps et l'heure, comprenant qu'il lui était impossible de reprendre la route et qu'il devrait passer la nuit à Castelnaudary. S'apercevant que Mercure ne repartait point haut-le-pied comme de coutume, un postillon de Castelnaudary vint le voir et jeta un regard sur le courrier de la poste aux lettres mis à l'abri sous un platane.

— On vous a attaqué, paraît-il.

— Ouais.

Le postillon de Castelnaudary s'accroupit vers le courrier et soupira.

— Il est crevé, fit-il en avisant Mercure.

— Je m'en doutais... il se réveillait pas...

— Et les dépêches ?

— La malle a été forcée... je pense que des plis ont été dérobés.

Mercure entendit des pas se rapprocher et sous l'auvent de briques rouges du mur d'enceinte du relais, il vit apparaître le petit garçon d'écurie suivi d'un homme guère mieux habillé que lui, arborant un grand air obséquieux. L'ayant croisé deux ou trois fois de loin, le postillon de Villenouvelle savait qu'il était prêt à parler au maître de poste, lequel, plus attentif aux démonstrations de crise de l'orage qu'à lui, lui demanda ce qui était arrivé en chemin. Mercure lui narra le tout par le menu et le maître fut bien embêté.

D'un ton autoritaire, il envoya un homme prévenir le lieutenant principal, l'attaque devait être rapportée et notifiée. Mercure pesta intérieurement, cette procédure allait le retarder d'autant plus... Le postillon de Castelnaudary se tourna vers son patron pour s'enquérir de ses ordres quant au corps du courrier de la poste aux lettres. Agacé, le maître de poste décida de le faire transporter dans un entrepôt vide, quant à la malle, qu'elle soit rentrée à l'abri chez lui.

Tout l'incident fut classé en un tour de main et le maître de poste s'en repartait déjà que Mercure le rappela.

— Avec ce temps, je serai fada de repartir avec les bêtes, je t'en prie, sois bon patron et bon chrétien et permets-moi de rester la nuit dans ton gîte et de pourvoir au soin de mes chevaux. D'autant que le lieutenant viendra sous peu m'ergoter sur l'attaque.

— C'est lui le Mercure qu'on m'a chauffé les oreilles avec ?

— C'est lui-même, repartit son employé.

— Tu as du toupet ! rétorqua le maître de poste à Mercure. Tu as laissé des marques méchantes dans le cœur de ma fille et elle a bien été en peine de t'oublier, volage garçon ! Si tu étais du cru de mon postillonnage, je t'aurais dressé comme les canassons récalcitrants !

Mercure fut surpris de la tournure de la conversation, mais n'en fut guère étonné, car il avait laissé une certaine impression de rancœur sur une jeune femme... Le postillon de Villenouvelle comprit que le maître de poste voulait d'abord lui chauffer les oreilles avec cette historiette vieille et insignifiante d'amourette, avant de lui donner ou de lui refuser ce qu'il lui avait adressé en requête. Afin de ne pas faire tourner l'humeur de l'homme au vinaigre, il se composa un ton calme et médiateur et se fit fort de défendre sa peau.

— Je ne vais pas t'abuser d'un mensonge et je te dirais simplement que ta fille eut, un jour de grand soleil, fait éclore de petits picotements dans mon cœur qui s'était grisé de ce printemps-là. Mais la bonne mignonne que tu as pour fille, n'en fut que superficiellement aimée. Je veux dire que je ne l'ai pas outragé, au contraire, je l'ai laissé dans la pureté de sa nativité. Je n'ai pour seul tort d'avoir refusé à ta progéniture de l'enserrer dans mes bras d'abord, de poser mes lèvres sur les siennes ensuite, et enfin de lui débiter des sermons d'amour qui nous reste sur l'estomac à nous autres, hommes.

Le maître de poste se mura dans un silence pour soupeser les confessions du séducteur avec celles de sa fille et se fit juge à l'endroit du postillon Mercure, mauvais garçon et plus encore dans la bouche son aînée.

— C'est que tu parles bien et que ça sonne vrai, dit le maître de poste, mais enfin tu parles avec beaucoup d'aisance et ça, c'est avantageux chez un ministre et désastreux dans le postillonnage. Je te sens bon garçon, seulement tu as la mine trop belle et ton phrasé est trop alerte, ton beau sourire cache peut-être un coquin. J'ai promis à ma fille de te rosser quand je te verrai, et en guise de réparation, mon garçon, je te refuse ce que tu m'as demandé. C'est vilain ; or les choses de l'amour font faire de vilaines choses. Toutefois, comme tu ne me l'as pas déniaisé cette petite, je vais te donner ceci.

Le maître de poste partit à son logis, en revint quelques minutes plus tard et tendit au postillon Mercure un billet cacheté.

— C'est un billet qui te fera avoir une bon lit et une bonne place dans les écuries chez le Pierrot de l'auberge des quais. Vas-y de ma part, il est gentil voisin et il te recevra avec politesse. Sur ce, toute l'affaire des sentiments close, au revoir mon garçon. Et puis le lieutenant aura pas à se déplacer de beaucoup pour te trouver !

Le maître de poste mit une main sur sa casquette plate et arrondie et tourna les talons, plantant Mercure avec le postillon de Castelnaudary. L'homme lui proposa de l'accompagner chez le Pierrot et de bavarder chemin faisant. Mercure qui n'avait pas d'objection particulière à l'égard du postillon accepta de bon cœur, subodorant que son compagnon de route avait à causer. Il ne se trompa point sur la chose et dès qu'ils furent dans un sentier menant au centre de Castelnaudary, le postillon, qui se nommait dans le coin : « Patte légère » -parce qu'il lançait sa jambe avec une telle agilité par-dessus sa monture que cela en était impressionnant-, lui parla avec franchise.

— En veux pas au maître, il aime trop sa fille, pis, la jolie demoiselle a fait du tapage aujourd'hui, à toi je peux le dire, tu la connais de bien près par le cœur. Elle va se marier.

— Ah, répondit Mercure qui ne sentait point où il voulait en venir avec ses paroles.

— Oui-da ! Elle va se marier, mais le fiancé l'incommode. Il est pourtant fort honnête homme, il est petit bourgeois bien mis chez nous, tiens, repartit-il alors qu'ils tournaient dans une rue bien famée, là c'est sa pénates au fiancé.

Mercure la mira une minute à la volée et considéra le bien bel fiancé que l'on donnait à une jeune fille.

— Pffff, pénates, pénates, tu cours vite quand tu parles, toi ! Pénates... c'est plutôt un joli hôtel que voici.

— Pour sûr ! acquiesça le postillon en riant un brin embarrassé. La fille du maître n'a pourtant pas de quoi se plaindre, elle sera bien mise tous les jours, il y a de l'argent chez le fiancé et il le laisse bien trop sentir.

Voyant que Patte légère ne pipait plus mot, il l'interrogea directement parce qu'il ne sentait point la finalité de la causerie.

— Bon, quelle qu'elle est l'ombre au tableau ?

— Là, tu me fais peur à soupirer comme une enfant ! Enfin, je vais essayer de deviner ce qui se cache sous tes silences dégoulinants des mots que tu te retiens de dire et qui me bourdonnent à l'oreille. Tu es amoureux d'elle.

Adoncques(2), les deux postillons passaient la porte de l'auberge du Pierrot qu'on entendait brailler des invectives à un petit valet désobéissant et polisson de surcroît.

— Le fiancé qu'elle a vu aux tractations de la noces était un prête-visage.

— Que me chantes-tu là !

— Le fiancé était un faux, dit autrement Patte légère.

— M'enfin, tout ceci n'a pas de sens ! repartit Mercure en allant voir l'aubergiste avec le fameux sésame.

Comme le billet était accompagné d'un postillon du relais de Castelnaudary, le patron ne fit pas d'histoire et les envoya s'asseoir dans le fond de la salle, et héla un garçon d'écurie pour s'occuper des bêtes du postillon de Villenouvelle. Mercure fit également chercher un chirurgien pour sa blessure et le lieutenant principal, il ne tenait point à étendre les formalités d'usage avec un homme comme le lieutenant, autant en finir au plus vite.

En s'asseyant à une table, Patte légère revint à la charge avec sa confession qui lui donnait la migraine.

— Le fiancé du bourgeois, c'est moi.

— Toi !

— Oui.

— Je ne comprends plus rien ! Quelle est cette diablerie ! À quoi joues-tu ?

— Je ne joues pas. J'ai toujours été fait pour être un postillon, je me plais trop dans le métier. Quand je chevauche, je me sens léger et libre, seulement... comme j'ai grandi ailleurs que dans le pays pour faire des études de bourgeois, quand je suis rentré à Castelnaudary, j'ai fait une crise à mon père. Je lui ai défendu de me jeter dans le mariage avant trois ans de liberté à faire ce qu'il me plaît, avant de reprendre tous les droits qu'il a sur moi. Imagine comment mon père s'est étranglé en me voyant monter devant lui, un jour qu'il relayait, en grade de vulgaire postillon.

Patte légère se tut, prit une goulée de vin et enchaîna, le cuiller farfouillant dans le potage qu'une servante leur avait amené.

— Le mois dernier, mon père m'imposa le mariage car il est plus un jeunot et que mon cadet est bête comme un pot. Il dilapiderait la fortune de la famille en mauvaise chose et mon père s'étouffe à cette idée. Je lui ai redit que je ne voulais pas me marier, là il m'annonce qu'il avait tout manœuvré en homme d'affaire et avait déjà fait signer le contrat ! J'appris alors que ma promise est la petite du maître de poste... le choix me ravit... l'os n'est pas là... C'est qu'en tant que Patte légère, la fille du maître de poste est mon amie... mais elle m'a avoué qu'elle détestait son fiancé ! Et quand elle a quelqu'un dans le nez, elle ne l'a pas ailleurs ! Surtout que ma belle est connue pour être dure avec les gens qui jouent et font la comédie... J'ai peur de la perdre si jamais je lui révèle le pot-aux-roses.

Mercure qui avait tout écouté et tout entendu, avait plusieurs pensées qui couraient en son esprit et plissa les sourcils par instinct plus que pour indiquer qu'il réfléchissait à cet imbroglio. La chose était digne d'une farce de village ; or la résolution de l'affaire devait tenir dans un même état qu'était le fil de la trame : simple.

— Dis-lui la vérité, les femmes sentent les mensonges et cela les fait devenir mauvaises.

Son compère avait ouï la moitié de son conseil qu'il blanchit comme un pauvre drap au soleil en fixant une silhouette entrer dans l'auberge, suivie d'une grande dame du monde. Comme le gîte était bien propre pour ce qui se trouvait dans les environs, les gens de qualité ponctuaient de leur présence la salle commune, aussi, l'entrée de la belle dame se fit dans l'indifférence totale.

— La voilà ! chuchota Patte légère en s'étranglant.

Il n'eut pas à en dire davantage, la belle mignonne, après s'être bien gentiment occupée de la dame de qualité, vint les trouver, faisant montre du fameux sixième sens que l'on prête aux femmes avec facilité.

— Tu es là ! dit-elle à Patte légère d'un ton remué.

— Oui ! J'ai accompagné [...]

— Je sais, coupa-t-elle en jetant un regard piqué dans son orgueil. Père m'a tout raconté en rentrant.

— Comment vas-tu depuis ce temps ? se hasarda Mercure en sachant qu'il allait se faire fusiller du regard par celle qu'il avait rejeté.

— Bien, répondit-elle très sèchement. Enfin, ça pourrait aller mieux ! Je suis fiancé à un rustre qui n'a daigné porter son grand air de bourgeois qu'une fois devant moi ! Je le déteste ! Je le hais ! Je l'abhorre !

À mesure que la belle égrenait les termes de son dégoût pour son fiancé, le vrai, déguisé en postillon, devenait de plus en plus blanc et ne savait quelle figure emprunter. Mercure, voyant dans la sécheresse de la fiancée courroucée le double de Marguerite dans cette sorte d'humeur méchante et vive dans l'ire, devina un moyen de se faire la main afin d'entreprendre plus tard, Mimi la mégère pour le compte de l'évêque de Castres.

— Gentille petite cerise, parla Mercure à la fiancée, dans le temps tu étais bien plus docile avec moi, je préférais quand tu étais éprise, tes manières étaient plus douces.

Le postillon fut à deux doigts de recevoir le contenant de son pot de vin au visage et sut qu'il devait attaquer la belle autrement que dans les reproches.

— Ce que je veux dire c'est qu'en réalité tu ne devrais pas tempêter sur le cas de ton fiancé, il te plaira ma fille, dit-il d'un ton fraternel.

— Ah ! Mais dis-moi Mercure c'est que tu t'es trompé de vocation ! Postillon c'est trop peu pour un homme de ta trempe ! Après l'amant transi, le volage sans cœur, voici le frère bon chrétien !

— Amant transi ? répéta Patte légère en fusillant Mercure du regard.

— Tu exagères, je n'ai jamais été transi à ton endroit, tout juste brûlé d'une flammèche. Je ne te l'ai jamais caché, mon cœur a fait de petits bonds, mais de petits bonds seulement. D'ailleurs, tu m'avais vertement reproché de ne pas avoir senti le baiser que je t'ai déposé sur la joue gauche. Vrai, terrible fille de poste ?

— Vrai ! concéda la fiancée d'un mauvais ton, redonnant le souffle et la tranquillité à Patte légère, qui comme tous les épris, avait eu la respiration coupée durant la réponse de sa fiancée. Vrai, tu ne m'as jamais bien aimé ! Méchant que tu es ! Postillon de malheur ! Enfin, heureusement que j'ai au moins un ami ici, dit-elle en regardant Patte légère qui blêmit encore, car avec un amant d'avant qui me chauffe les nerfs et un fiancé fantôme qui me courrouce, je suis bien lasse et à pleurer.

— Justement... dit le postillon avec pâleur et tremblotte dans la voix.

— Justement, vilaine fille, coupa Mercure, cet ami-là que tu regardes, il a une histoire qui lui pèse sur les entrailles, il t'aime tellement LUI, qu'il n'ose pas se faire confidence chez toi de peur que tu le boudes comme moi ! Ah ça, méchante fille ! Écoute donc cet ami-là qui est fou de joie à l'idée de t'épouser, fou d'inquiétude d'avoir fait un mystère de son origine bourgeoise et fou tout court pour aimer une enragée pareille...

Les explications durèrent longtemps et bien que la fiancée tempêtât, marmonnât dans son giron, fusillât le pauvre Patte légère qui se tassait à mesure des œillades de reproches sur son siège, elle fut soulagée du démêlé de l'affaire. Mercure fit bel effet par ses arguments et sa franchise sur la belle créature qui ne voyait à présent dans son malheur qu'un bonheur si grand, qu'elle en ronronnait de joie. Elle loua ses épousailles et les jeunes hommes ne furent point trop de deux pour la retenir dans l'idée d'aller secouer monsieur le curé au presbytère pour ne pas les avoir déjà mariés ! L'amour avait des élans de tristesse et de liesse qu'il était difficile de suivre sans s'essouffler quelques fois.

Lorsque la belle dut reprendre son office auprès de la dame de qualité, elle prit congé des deux hommes, seulement, Mercure l'intercepta quand il la vit nouer autour de son cou un foulard aux motifs de marguerites.

— Qu'est-ce que c'est que cette coquetterie ?

— Un cadeau que m'a fait envoyer la mère de mon fiancée, reprit-elle avec fierté, une fierté qu'elle semblait toujours avoir ressentie et qui était pourtant fraîche de l'heure d'avant. Offrir des broderies de marguerites est très éloquent, même si je les aurais offertes pour ma part après le mariage.

— Pourquoi ? demanda Mercure très intéressé par la réponse.

— Les Marguerites, c'est la fleur des nouvelles mères !

GLOSSAIRE : 

(1) Râler en Occitan.

(2) Alors, à ce moment-là.

 

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