CHAPITRE 15

Le 07 août 1683, Castelnaudary

Mercure s'était réveillé à l'aube et était descendu le pas leste, l'esprit tout occupé à son retour, dans la salle commune de l'auberge. Il prit ripaille légère, repensant à la conversation qu'il avait eu la veille avec le lieutenant principal qui lui avait sous-entendu qu'il n'avait pas eu affaire à des brigands ordinaires, mais que les aigrefins semblaient avoir été payés pour subtiliser quelque chose... Une lettre de toute évidence, cependant laquelle...

Payant rubis sur l'ongle sa nuitée et ses charges alimentaires et équines, il fila dans l'écurie où il eut la bonne surprise de trouver un couple tout transi de sentiments, à causer les yeux dans les yeux, dans une parfaite image d'amour. Patte légère en habit du rang de son état, tout beau dans ses atours de soie, s'approcha du postillon de Villenouvelle et lui tendit la main, bon ami.

— Tiens, je voulais te donner ça, dit-il en tirant de la poche de son justaucorps une jolie montre en argent.

— Fichtre ! s'écria Mercure. Me voilà grand sire ! C'est assez Patte légère, je ne mérite pas cette faveur et en plus, je ne sais pour quelle raison tu me la donnes.

— Que me chantes-tu là Mercure ! Si aujourd'hui, la mignonne qui rougit derrière moi a voulu me faire grand plaisir de m'accepter pour époux, si mon cœur est au repos de ses supplices de mauvais jeux de rôles, c'est parce que toi, toi que je haïssais pour avoir été l'amant de ma mie, tu t'es fait apôtre de mon bonheur ! Le fiancé, bientôt mari, ceint sur son poitrail l'amant qu'il a jalousé, mon Dieu que de liesse, que de pardon et d'amour ! La vérité parfois coûte beaucoup et si peu au regard de la paix ! dit-il en attirant le postillon de Villenouvelle contre lui pour une accolade.

— Si tu m'as pardonné d'avoir eu le cœur un peu faible devant ta belle jadis, alors, je prends ta montre, s'exclama Mercure en riant.

Le postillon de Villenouvelle mit le pied dans l'étrier et se hissa en selle avec une lesteté coutumière à tous hommes de sa profession. Il demanda à Patte légère d'avoir la gentillesse de lui tendre les rênes du cheval qu'il devait ramener au relais et son nouvel ami s'empressa de son devoir envers lui. En haut de sa monture, Mercure jeta un regard sur la fiancée et constata qu'elle était habillée à ravir d'une élégante robe de soie crème, dont le col de sa chemise faisait émerger un rang de dentelles simples et coquettes. La belle marcha vers lui et posa une main sur le poil soyeux de son cheval. Ses petites mains blanches étaient fort bien lavées et ses ongles astiqués montraient le soin et la propreté d'une future bourgeoise de Castelnaudary.

— Je voulais te donner ceci pour ma part, dit-elle en sortant d'une poche intérieure de sa robe neuve un petit paquet.

Lorsque Mercure l'ouvrit, il y trouva plié en quatre, un carré de soie teint avec du pastel, car dans la région, la couleur de la richesse était d'un bleu de cocagne, qui par sa fleur jaune donnait des fortunes depuis le siècle dernier.

— Bien merci ma chère, répondit-il en refermant le petit paquet, mais ce carré-ci me paraît de taille fort féminine. Je n'ai pas un cou si fin et point un poignet si large si d'aventure tu voulais que je le porte à cet endroit.

La fiancée leva la tête vers lui et lui jeta un demi-sourire qui l'intrigua. Mercure vit sous son chapeau de bourgeoise que ses yeux riaient autant que sa bouche empruntait un petit air mutin, qui auparavant, lui aurait valu qu'il lui volât un baiser sur la joue. La gauche, un côté qui n'avait point la réputation de la droiture.

— Que tu es bête mon cher Mercure, que tu es sot parfois ! Ah, mon promis, devrais-je lui exprimer plus clairement à qui se dirige ce présent ?

— Je le crains fort ma mie, notre postillon de Villenouvelle n'a pas l'esprit alerte aujourd'hui, il l'a tout laissé hier à notre conclusion de mœurs ! Ah, nous lui avons tout vidé le cervelet ! Dis-vite ! Le soleil cogne déjà dur pour cette heure matinale et je crains qu'il ne soit en train de faire tourner la tête à notre bon ami !

— Mon promis tu parles bien, je vais donc le soulager, regarde-le qui nous observe le front plissé et l'œil scrutateur ! Il va s'imaginer quelques entourloupes ! Démentons-le sur la seconde ! Mercure ! l'apostropha-t-elle avec du rire dans la voix. Ce carré n'est point pour toi, voyons ! Il est pour celle que tu me préfères !

Mercure calma son cheval qui fit un écart quand il fut effrayé par un chat qui serpenta entre ses longues jambes, traquant une souris. Le postillon tira sur les rênes, laissa aller son bassin sur la selle pour mieux diriger sa monture avec ses cuisses et revint vers la fiancée.

— Tu es gentille, lui répondit-il. Seulement tu te trompes, je n'aime personne.

Lorsqu'il partit au petit trot vers la sortie de Castelnaudary, tirant le cheval derrière lui dans un rythme régulier et calme, les fiancés se regardèrent et se sourirent.

— Ce pauvre fada, dit la promise, il est épris d'une autre qu'il ne le sent même pas !

— Je ne sais pas si tu dis vrai ma mignonne, mais les femmes ont le nez pour ces affaires-ci, aussi, je ris de bon cœur avec toi !

Quelques heures plus tard, quand Mercure abandonnait les portes de la ville de Montgaillard(3), voyant au loin le vieux moulin à pâles qui tournait peu parce que l'autan était calme et le cers absent, il suivit sa route, la tête agitée de mille pensées. Le postillon était en pleine réflexion quant à la charge que lui avait confié Monseigneur, lequel était un homme qu'il n'était pas de bon aloi de faire patienter.

Depuis leur discussion clandestine près du gros rocher, Mercure avait constaté que l'évêque de Castres avait réussi à placer des pions dans Villenouvelle, faisant du boulanger et du fils du tavernier deux mouches comme l'avait dit le Monseigneur. Avaient-ils dénichés des obscurités ? Depuis une semaine qu'il rôdait autour du relais de poste, il n'avait guère trouvé de choses à troubler un esprit suspicieux, hormis le petit secret du foulard aux motifs de marguerites que la Marguerite était allée montrer au chirurgien en fin de journée. Une fois Mimi la mégère revenue au relais, son drôle de foulard avait aussitôt disparu.

Mercure essuyait peu d'avancées du côté de Marguerite, la demoiselle, bien que remarquant qu'il se comportât en homme besogneux, était piquée de curiosité sinon de méfiance à son endroit. Il l'avait senti lorsqu'elle lui jetait de temps à autres des regards soupçonneux et si la belle était fort intriguée par son revirement de comportement, elle le muselait plutôt bien. Les avancées étant par trop stationnaires, Mercure n'était point satisfait de sa méthode et redoutait d'être appelé par l'évêque. En effet, s'il plaisait à Monseigneur de le sommer afin qu'il vînt lui faire un rapport, l'occasion serait trop merveilleuse pour que le prélat ne le tourmentât pas de ses reproches et cela Mercure ne le désirait absolument pas ! Être dans le nez d'un évêque, c'était l'Enfer sur Terre !

Le jeune homme en était là de tout son problème qu'il ne s'aperçut nullement qu'il venait de terminer de traverser le chemin du Bigot et suivait à l'aveuglette la direction du relais, qu'il retrouva après être sorti de la forêt de Saint-Rome. Il y avait forte agitation, une belle chaise de poste était garée devant un mur d'enceinte et Léo s'affairait à faire le relayage de ses petits bras encore frêles. Sylvestre, chaussé de ses énormes bottes de postillon, était près du bricolier et s'apprêtait à le monter une fois sellé.

— Hé ! Bas pla uèi (2) ? lança-t-il à Sylvestre en s'approchant de lui.

— Bas pla et tu ?

Avec harassement, il lui narra sa mésaventure de l'attaque de la brouette postale et Sylvestre le plaignit sincèrement, puis, Mercure, voulant changer de sujet, s'enquit de la destination des voyageurs.

— Revel ce me semble. Tu veux prendre ma place ? ironisa-t-il.

— Ah non ! s'exclama Mercure en s'étirant les jambes.

— AH SI ! tonna une voix derrière lui.

Évidemment, Marguerite était là, les yeux flambants de colère à son endroit et lui jetait des éclairs aussi foudroyants que l'orage de la veille. Sylvestre se tourna vers Léo et laissa le duo à leur tempête. Mercure confia les chevaux à Isidore qui était sorti quand Marguerite avait crié, en les emportant, le palefrenier lui jeta un petit signe d'amitié de la tête en guise de soutien. Mercure lui sourit furtivement et se tourna vers Mimi la mégère qui bouillait de colère. D'un coup de tête, il lui fit signe de se déporter sous le grand marronnier pour aller causer ensemble à l'ombre. Aussitôt qu'ils furent sous les branches feuillus de l'arbre, Mercure attaqua sans préambule pour se défendre.

— Tu es bien méchante de me forcer à repartir ! Je viens à peine de poser pied à terre !

— Peu me chaut, répondit-elle sèchement. Tu devais rentrer hier et tu as découché !

— Ce n'est pas ma faute ! N'as-tu point entendu l'orage qui grondait ?

— Si ! répliqua-t-elle d'un ton rempli de courroux. Si ! Si ! Et si ! Mais Paul le robuste et Sylvestre s'usent en course, et c'était ton tour ! Tu t'es bien amusé là-bas, n'est-ce pas ! Ah ça, tu as dû en profiter...

— Marguerite...

— C'est assez ! Veux-tu tuer notre bon Paul ! Il est robuste mais tout de même ! Et Sylvestre ! Certes, il est le plus expérimenté, mais il est fatigué ces temps-ci et je n'arrive pas à savoir pourquoi. Ces traits sont tirés et si jamais il se trouve que c'est parce qu'il se surmène quand d'autre vétille... Là mon gaillard, tu auras affaire à moi ! Maintenant en selle ! Tu remplaces Sylvestre. Revel est à presque six lieues si tu conduis avec intelligence, tu seras de retour avant la nuit.

Mercure, voyant encore une fois les exigences de son office empiéter sur sa mission d'espionnage, fut contrarié de repartir au pied levé car Marguerite ne souffrait qu'on lui relevât son ordre sous quelques arguments que ce fût. La peste attendit que le postillon s'éloigne en selle, pour rentrer dans la cour d'un pas rapide, avec dans le cœur une colère dont le foyer ardent n'était causé que par une irritation à avoir imaginé Mercure dans les bras d'une femme !

À Revel, Mercure relaya comme convenu et repartit haut-le-pied pour Villenouvelle. Dès que le soleil se coucha dans les draps de l'horizon et que la lune monta, souveraine, dans le ciel, Mercure attrapa la lanterne pendante au quartier de sa selle, l'alluma et la tint. L'obscurité venant angoissait les chevaux et les dernières lieues furent longues et éprouvantes pour ses fesses et ses jambes, les premières au supplice, les secondes engourdies et douloureuses. À l'avenant, les chevaux voulaient se reposer dans leur stalle et plus d'une fois, Mercure fut tenter de prendre le galop mais il craignit trop de perdre le contrôle du second cheval, lequel était trop nerveux. C'était sa première course et le percheron n'était pas à l'aise dans l'enténèbrement de la sylve de Saint-Rome. Il dressait souvent ses oreilles en avant à chaque bruit et rongeait également son mord de nervosité. Le bestiau parlait si bien que Mercure sût quand il plaquait ses oreilles en arrière, qu'il était au bout de ce qu'il pouvait endurer.

— Pichiou, on arrive bientôt, lui dit Mercure pour l'apaiser. La nuit te déplaît, moi aussi, prend exemple et courage sur le bon vieux Prince, il est pas rassuré, mais pas poltron. Il sait qu'on arrive, il le sent.

Il retrouva rapidement le relais de poste et sa lanterne allumée dans une alcôve dans le mur du porche arqué, coutume que devait respecter tous relais de la poste aux chevaux afin de faciliter le relayage de nuit des voyageurs et du courrier de la poste aux lettres.

Avec discrétion Mercure entra dans l'écurie et se déchaussa de ses énormes bottes pensant un âne mort. Il partit en sabot secouer Isidore qui dormait dans une pièce contiguë pour être dispos en tout instant pour s'occuper des bêtes. Quand le palefrenier fut sorti de son sommeil du juste, il maugréa, grogna quelques mots qu'il ne pensait pas vraiment, et chaussa ses sabots, toujours aux pieds de sa couche. D'un pas lourd, il accompagna Mercure qui avait rentré les deux chevaux dans leur stalle, et tous deux entreprirent de soigner les bestiaux et de ranger les selles à leur place.

Quand cela fut fini, Isidore repartit se coucher en traînant la patte dans sa chambrette et Mercure allait gravir la petite échelle qui le conduisait au dortoir, lorsque des voix chuchotées attirèrent son attention. Il passa sa tête discrètement par la porte de l'écurie et vit dans la cour du relais une faible lumière flotter sous le passage voûté qui menait au jardin. D'instinct, le postillon trouva dans cette cachotterie de nuit, un mystère qui serait bon pour son enquête ! Il se hâta de se déchausser de ses sabots qui faisaient trop de bruit, les garda en main, et marcha habillé seulement de ses bas. À travers le chanvre, il sentait la fraîcheur des pavés biscornus de la cour qui avaient refroidis.

Sans bruit, il trottina jusqu'au passage voûté et se mit à genoux pour ouïr la discussion près du puits, caché derrière les feuilles de la glycine rampante qui mangeait l'angle gauche de l'hostellerie.

— Non, non, je ne suis pas d'accord, disait une voix masculine tout bas, c'est un mauvais jour que celui-là, ma fille.

— Alors lequel ? se rebiffa une voix féminine.

—  La veille ! reprit la voix masculine. Tout le monde sera occupé par monts et par vaux et personne ne s'apercevra dans la fièvre des festivités, s'il manque trois personnes. Le faire le jour de l'Assomption, au nez de l'évêque de Castres, je m'y refuse !

— Il n'a peut-être pas tord mère, dit une troisième voix plus jeune, cela serait en effet plus sage.

Mercure frissonna de tout son corps car il reconnut le timbre de Marguerite, et en déduisit qu'il y avait Henriette et par ricochet, le chirurgien... le chirurgien qui n'était autre que le grand-père de Mimi la mégère. Cette curieuse assemblée l'intrigua d'autant plus que c'était là tous les membres du foulard aux marguerites, et tenir un chapitre de nuit, dans un jardin, comme des bandits, c'était se faire coupable sans forcer sur le crime. Mercure frissonna une seconde fois et plaqua sa joue contre une brique du mur et écouta le reste de la causerie secrète.

— Et vous avez pensé à Virginie ! Comment fera-t-elle le jour de la réjouissance ? dit la maîtresse de poste.

— Il est entendu avec la maquerelle que je passe visiter la petite nouvelle, j'en profiterai pour lui donner un calmant à la Virginie, ça la calmera. La Marie-Madeleine ne fera pas d'histoire, son commerce en pâtirait trop.

— Bien, reprit Henriette, si tu fais comme cela, alors la veille de l'Assomption me semble bon.

— Oui, oui, appuya le vieux René, maintenant Marguerite cours où tu sais et ramène-moi ce que je veux. Je t'attendrai derrière le gros chêne du petit enclos.

La mystérieuse assemblée se sépara subitement sans mot dire et Mercure crut qu'il allait être découvert, mais il fut étonné de voir que le chirurgien, la Henriette et la Marguerite partirent tous trois dans des directions opposées. La maîtresse de poste passa par une porte de l'hostellerie, le vieux René s'échappa dans la nature pour retrouver sa monture et la plus étrange des cavalcades, fut celle de la demoiselle Vidal qui détala vers le jardin. 

Quand Mercure s'aperçut que la mère et le grand-père n'étaient plus dans les parages, il se redressa d'un bond, chaussa ses sabots et courut dans l'herbe endormie à la poursuite de Mimi la mégère. Il la suivait grâce à la lune dans le ciel et aux petits bruits qu'elle dispersait dans son élan malgré elle. La jeune femme dévalait le jardin en pente, disparut par une petite porte antique au bois mangé et continua sa course, étonnant davantage Mercure qui savait que le jardin des Vidal s'arrêtait avec la porte.

Tel un petit farfadet ou une fée, Marguerite glissait entre les arbres et les buissons, sur un sentier fait des pieds de l'Homme et courait droit devant elle. Elle tourna à un frêne et s'arrêta, le souffle court, devant un petit fossé bordant un champ caché au sortir de la sylve de Saint-Rome. L'endroit appartenait au Vidal, la demoiselle n'était donc point en infraction, ce qui n'était pas le cas de Mercure qui outrepassait les libertés et les jouissances qu'il avait dans l'enceinte du relais de poste. La demoiselle regarda derrière elle et Mercure en se cachant rapidement, lui trouva un petit air de lièvre à l'affût.

Marguerite bondit avec aisance jusqu'à un amas de plante, se baissa, jeta encore un regard derrière elle, empruntant désormais les traits d'un renard rusé. Elle sortit furtivement de son corsage un couteau. Caché derrière un tronc de chêne, Mercure aperçut le reflet de la lune sur la lame et observa Mimi la mégère couper des plantes qu'il ne discernait pas dans la nuit. Sa besogne faite, Marguerite se hâta de s'aplatir le plus possible quand elle repartit en courant. La demoiselle gagna à toute jambe l'endroit où l'attendait son grand-père, toujours talonnée en secret par Mercure, et celui-ci les vit s'échanger la fameuse cueillette dans une grande clandestinité. Le postillon captura dans son regard que le chirurgien remerciait sa petite-fille et lui demanda autre chose à laquelle elle acquiesça du chef et tous deux se dépêchèrent de se quitter, lui par des sentiers de traverses sans lanterne, elle, la tête basse jusqu'à sa chambre.

Mercure eut à choisir entre suivre le vieux René, l'arrêter et le forcer aux aveux, ce qui était une approche par trop brutale, ou alors de s'en aller inspecter les curieuses plantes qu'avaient cueilli la Marguerite. Il lui parut plus discret de repartir vers le petit carré de plantes secrètes, aussi, il y retourna comme un chevreuil, bondissant, sautant les buissons, écoutant la chouette qui chantait et les renard qui couinaient non loin de lui.

En se courbant au bord du fossé, il retrouva les fameuses plantes qui avaient eu tout l'intérêt de Marguerite et de son grand-père, et se plia en deux pour en tâter une. La mauvaise était toute recroquevillée sur elle, ses pétales fermés et repliés en son centre, et cela donnait maintes difficultés à Mercure pour deviner son nom. Cependant, la tige fut plus loquace. Quand il sentit sous ses doigts une tige toute finette, râpeuse et velue, il remonta jusqu'aux pétales et les sentit avec un examen nouveau. Mercure discernait a bisto de nas(3) qu'il y avait un bon carré de ces fleurs-là et en cueillit une à côté des tiges qu'avait coupées Marguerite. La fleur en main, le cœur battant que la Mimi la mégère s'en revint telle une fée ou une sorcière rôder par-ci sentant dans son esprit de femme, qu'il y avait un étranger dans le carré de son secret, détala jusqu'au dortoir du relais.

En haut, il rendit grâce à la bêtise de Léo qui avait oublié d'éteindre une chandelle et profita du peu du halo qui brillait pour jeter la fleur sous sa lumière, toutefois, il fut obligé de suspendre là son inspection et de s'en retourner dans les ténèbres nocturnes. Paul le robuste commençait à trop s'agiter sur sa couche et Mercure craignait qu'il ne lui posât des questions auxquelles il ne voulait point donner de réponses. Éteignant la chandelle de suif, Mercure toussa en inhalant sa puanteur et s'allongea sur sa paillasse.

Le lendemain, il profita d'être seul dans le dortoir pour sortir la fleur d'une poche de son gilet et bien qu'elle fût fanée et séchée, il la reconnut immédiatement et fronça les sourcils. « Que peut bien faire le chirurgien de coquelicots ? »

Mercure examina la fleur rouge et marcha jusqu'à une chandelle éteinte qu'il alluma pour laisser sa flamme vorace emporter ce vestige de plante. Lorsque la chandelle dévora la fleur dans un petit crépitement, Mercure se conforta dans son idée, si la Marguerite ou la Henriette tombaient sur le coquelicot dans ses effets, cela serait la preuve qu'il avait regardé là où il ne devait pas, et ce n'était pas l'injonction de Monseigneur de fouiner pour lui, là où les choses lui étaient inaccessibles, qui le sauverait de l'ire des dames Vidal...

Dans quel guêpier venait-il de tomber ? Que ce passerait-il donc la veille du quinze août ? Et pourquoi aller cueillir des coquelicots de nuit...

GLOSSAIRE :

(1) Aujourd'hui Montgaillard-Lauragais.

(2) Est-ce que ça va aujourd'hui ? en Occitan.

(3) À vue de nez en Occitan.

 

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