Il fait déjà jour quand Béryl se réveille. Un rayon de soleil passe par une lamelle de volet, continue sur la couette blanche à fleurs bleues et arrive jusque sur sa main. La sensation de la lumière est chaude presque brûlante. Elle regarde sa montre, 11 heures ! Elle a dormi 13 heures. Tantine ne va pas être contente, elle qui se lève à l’aube, elle a déjà dû abattre un travail de Titan.
Béryl s’étire, elle se sent toute engourdie mais reposée. Elle se lève et décide de prendre son temps. Il faut qu’elle profite de la vie, et qu’elle fasse ce qu’elle veut. Elle a l’habitude de s’adapter à la volonté des autres, à veiller à ce que chacun soit bien. Il faut qu’elle s’occupe d’elle. La jeune femme déteste se lever tôt, elle a besoin de beaucoup de sommeil. Florent était lève tôt et couche tard, pendant des années elle a essayé de faire comme lui, mais le résultat c’est qu’elle était tout le temps épuisée. Maintenant les choses vont changer. Le problème c’est Tantine, elle la reçoit chez elle, Béryl ne peut pas passer ses journées au lit.
Elle va prendre une douche, s’habille et descend. La maison est vide, seuls les chiens l’accueillent en lui léchant copieusement les mains et en labourant son jean avec leurs grosses pattes. Elle aurait dû garder son pantalon sale, et ne pas se laver, ici ça ne sert pas à grand ‘chose,
« Restons civilisée quand même ! »
Sur la table Marie-Madeleine a laissé un mot :
Comme tu dormais encore à 9 heures…
« Je savais bien que ça ne lui plairait pas » pense Béryl
…je suis partie faire des courses au supermarché, je reviens vers 14 heures, bises
« Bon, au moins elle ne m’aura pas vue déjeuner à midi ! »
Béryl fait chauffer de l’eau pour sa tisane aux fruits rouges, et met des tartines à griller. Elle se verse un verre d’eau, et prépare ses cachets :
Un sachet pour fluidifier le sang, un cachet contre le cholestérol hypothétique qu’elle pourrait avoir, du zinc contre l’acné qui l’envahit depuis peu, le nouveau cachet contre l’épilepsie. Tout cela représente le kit de survie, mais la jeune femme y ajoute aussi du magnésium contre la spasmophilie, de la vitamine C pour éviter le cancer, et deux gélules de levure de bière pour ne pas perdre ses cheveux.
« Une vraie accro aux pilules… »
Ouessant, la femelle Terre-neuve regarde Béryl d’un air perplexe. Elle semble désapprouver cette façon de se nourrir.
« Je sais ce que tu penses ma grosse mère, mais les humains sont bizarres des fois. De toute façon tu manges bien du poulet rôti toi ! Tu crois que les vrais chiens s’arrêtent pour faire un feu de camp dans la nature et faire griller leur volaille ? »
Ouessant remue la queue, elle est vraiment sympa cette chienne.
« Tu veux aller dans le jardin ? Attends je t’ouvre la porte. »
Dehors l’air est frais, mais il fait très beau. La jeune femme respire l’odeur du jardin.
« Quelle chance on a d’être en vie ! »
Elle décide de s’installer dans le jardin avec l’album de cartes postales.
Ma petite Azie,
Je suis allée au Gaumont Palace, J’ai vu « Fantômas contre Fantômas », il y avait 3500 spectateurs, c’est énorme. Il y a aussi un orchestre de 60 musiciens ! Nous étions dans une loge, c’était magnifique !
Qu’elle soirée !
Je t’embrasse ma douce,
Ta Germaine
Germaine est toujours aussi enthousiaste, elle adore la vie et est curieuse de tout. Azéline admire son amie, à Lannargan elle est entourée de gens qui ont peur de leur ombre, qui ne sont jamais sortis de leur village. Germaine représente une ouverture sur le monde.
Aujourd’hui c’est la veille de Noël, le programme est chargé, il faut préparer le repas de ce soir, et à 21 heures la messe de minuit commence. Dans la cuisine, sa mère s’affaire, elle a l’air contrariée :
« Tu as besoin d’aide Maman ? »
« Evidemment, va chercher de l’eau, avec toute la vaisselle qui nous attend aujourd’hui on n’en aura jamais trop ».
La mère d’Azéline est une femme aigrie, elle semble toujours en train de pester contre quelque chose : il y a trop de monde dans la maison, où elle se sent abandonnée de tous ; elle en a assez de faire à manger pour toute la famille, oùelle se sent inutile… Cette femme n’est jamais contente, jamais heureuse, elle ne sait pas profiter de l’instant présent. Azéline s’exécute et va chercher de l’eau au robinet situé dans le jardin. Il suffirait de pas grand-chose pour que la canalisation continue jusque dans la maison, mais ici les gens sont hostiles au progrès, « on a toujours fait comme ça », « on a nos habitudes », sont des phrases que la jeune femme entend à longueur de journées.
Le menu sera composé d’une soupe de petits pois, d’une pintade au chou, de fromage et d’un far, le tout arrosé de cidre. Azéline se met à écosser les petits pois, ils seront neuf à table et une montagne de légumes est posée sur la nappe. Les pois sont alignés sagement dans leur cosse, tels des petits soldats. Ils sentent bon, l’intérieur de leur enveloppe est toute douce. Les graines s’empilent dans un saladier, la jeune fille aime mettre la main dans la masse et laisser les petits grains filer entre ses doigts.
« Arrête de jouer avec les petits pois Azéline, tu vas les abîmer ! »
Aucune fantaisie chez sa mère, elle ne rêve jamais et ne comprendrait pas la sensualité qui existe dans la peau d’un petit pois.
La pintade a été plumée hier, il ne reste qu’à l’habiller, c'est-à-dire l’étirer, la flamber, la parer et la vider. Il faudra la brider avant de la faire cuire. Azéline regarde sa mère s’occuper de la volaille, elle a l’air d’accomplir une corvée mais sa fille sait qu’elle adore faire la cuisine. Ce soir elle reçoit, son frère avec sa femme et leurs trois enfants ainsi que la grand-mère, tout doit être parfait, il en va de sa réputation de maîtresse de maison.
Avant de partir à la messe, la soupe sera dans la marmite, la pintade cuite sur un lit de choux et le far breton sera doré dans le four.
La grande table de la salle à manger est recouverte d’une nappe blanche brodée par la mère d’Azéline. Elle fait partie du trousseau qu’elle a constitué avant son mariage et qui est indispensable à toute jeune fille de famille respectable. Des bougeoirs sont disposés entre les assiettes et les verres du service offert pour l’union des parents d’Azéline, il ne sert que pour les grandes occasions. L’argenterie a été briquée et entoure les assiettes. Du houx a été ramené du jardin pour achever la décoration. Au plafond des branches de gui porteront bonheur aux convives.
A 19h30, la famille se dirige à pied vers l’église. En chemin ils rencontrent les voisins qui viennent grossir le cortège des chrétiens prêts à fêter Noël. L’église est bondée, les cloches sonnent joyeusement. Tous les habitants du village et de ses alentours sont réunis pour fêter l’arrivée de l’enfant Jésus. Toutes les tensions et les querelles sont oubliées jusqu’à nouvel ordre. La chorale des enfants est prête, le jeune curé dirige son petit monde avec une autorité bienveillante. Azéline et Guillemette ont placé les enfants et se sont assurées qu’il y avait assez de cierges. Au début de la messe, il est prévu que les petits remontent la nef avec une bougie dans la main en chantant le Gloria de Vivaldi, l’organiste les accompagne.
http://www.youtube.com/watch?v=9tkJCJT4gfg&list=PLPV5-Kl3AcBVCXrpFpGfHpS4g8yXCNKV0
Azéline montre tout son talent de future institutrice, elle dirige les enfants avec douceur et fermeté.
La mise en scène imaginée par le Père François fait grande impression sur ses fidèles. Les enfants sont habillés d’une aube blanche et les cierges qu’ils tiennent à la main sont du plus bel effet. La musique et le chant font monter les larmes aux yeux des fidèles les plus sensibles. La cérémonie s’achève sur « il est né le divin enfant ». Certains petits chanteurs se laisse aller à leur enthousiasme et ils crient plus qu’ils ne chantent, ils ont les joues roses d’excitation.
Après la messe de Noël, le père François remercie chaleureusement ses deux aides :
« Merci beaucoup les filles, vous avez été formidables, je ne sais pas ce que j’aurais fait sans vous ! »
Guillemette est visiblement très troublée par la présence du jeune prêtre.
« Merci mon père, ce fut un plaisir pour nous, n’est-ce pas Azéline ? »
« Oh oui bien sûr ! Les enfants ont été fabuleux, les gens sont très contents, vous avez eu une excellente idée mon père. »
« Nous avons bien fêté la naissance de notre seigneur en tous cas ». Il se tourne vers Guillemette,
« Nous allons dîner ensemble je crois ».
« Oui en effet, nous sommes invités chez mon oncle ».
Guillemette fait un clin d’œil discret à son amie,
« Suivez-moi mon père, je vous emmène ! »
J'aime bien quand on entre dans le passé. On est à une autre époque, un autre monde, que tu décris bien.
Merci
une petite faute :
"ou elle se sent abandonnée de tous ... ou elle se sent inutile" : où ... où