Chapitre 15

Quand sa tante rentre en milieu d’après midi, Béryl a l’impression d’avoir fait un grand voyage. C’était Noël, il faisait nuit, elle accompagnait Azéline, Guillemette et le père François. Maintenant il fait jour, et en face d’elle  Tantine a pris son air sévère :

« Tu as vu ta tête ? Tu as l’air complètement ahurie. Arrête avec ces cartes postales. J’ai eu une fière idée quand je t’ai mis cet album dans les mains ! »

La jeune femme se sent un peu hébétée, elle devrait peut-être arrêter là pour aujourd’hui.

«  Je vais t’aider à ranger les courses Tantine ».

« Laisse les courses et va te balader avec les chiens, tu as besoin de prendre l’air ! »

Le ton de Marie-Madeleine est tellement autoritaire, que Béryl obtempère. Elle monte chercher ses chaussures de marche, et en profite pour mettre l’album à l’abri, il ne faudrait pas que sa tante ait l’idée de lui confisquer.

« Je ne prends que Ouessant si ça ne te fais rien, un chien à la fois, c’est suffisant pour moi. »

« Comme tu veux petite nature. J’en aurais bouffé dix comme toi à ton âge », elle lui tend la laisse,

« Laisse la courir, mais il vaut mieux avoir ça si tu rencontres des touristes ».

Béryl s’éloigne avec la chienne, toute contente de pouvoir s’échapper de la maison. Elle a l’impression d’être une petite fille face à sa tante. Ce n’est pas forcément désagréable surtout en ce moment alors qu’elle se sent vulnérable, mais ça peut devenir oppressant, Béryl a l’habitude de tout assumer seule, et elle sent que ses forces reviennent malgré tout. Ouessant saute partout, part et revient en courant. Elle trouve des bâtons qu’elle ramène à Béryl, persuadée qu’elle sera aussi contente qu’elle de jouer avec. Le courant passe vraiment bien avec ce chien, Béryl est un peu étonnée parce qu’elle a plus l’habitude des chats, elle n’a jamais eu de chien à elle.

« Va chercher Ouessant, court ! »

La chienne part à toute allure et disparaît sur le chemin qui tourne vers la droite. Le problème c’est qu’après plusieurs allers et retours elle ne revient pas.

« Ouessant ? Viens mon chien, viens »

Béryl presse le pas, elle espère que le chien n’est pas tombé dans un trou, qu’il ne s’est pas blessé. Tout à coup, la chienne arrive en courant, elle fait la fête et repart en invitant la jeune femme à la suivre.

« J’arrive, ne t’attends pas à ce que je me mette à courir comme toi avec des bâtons dans la bouche ! »

Au détour du chemin, Béryl aperçoit une silhouette. Avec ses yeux de myope elle ne distingue pas qui c’est, mais Ouessant semble la connaître, elle est couchée aux pieds de la personne et attend. La jeune femme se dit que ce doit être un habitant du village, elle ralentit un peu, le manque d’exercice fait qu’elle est un peu essoufflée maintenant, il faudrait qu’elle reprenne le sport. Elle s’arrête deux minutes, reprend son souffle en se tenant à un arbre, quand elle relève la tête, la personne est partie et Ouessant est couchée sur le chemin, elle attend patiemment. Béryl est un peu déçue, elle aurait bien fait la causette, tant pis, ce sera pour une autre fois !

Après une heure de marche, elles rentrent à la maison. La jeune femme a les joues bien rouges, et Ouessant à une belle langue rose qui pend sur le côté. Elles s’affalent toutes les deux dans la cuisine.

« On a rencontré quelqu’un sur le chemin, Ouessant avait l’air de le connaître mais il était trop loin pour que je le vois. Quand je suis arrivée plus près, il avait disparu ».

« Ouessant est très amicale, tu sais », répond Marie-Madeleine.

« Ce qui m’a étonnée, c’est qu’elle s’est couchée aux pieds de cette personne, c’est bizarre comme comportement, tu ne trouves pas ? »

« Oui c’est étrange, en tous cas ça devait être une personne connue, certainement quelqu’un de sympa, les animaux sentent ce genre de choses. »

« Oui », répond Béryl, « Tu as raison, j’ai été surprise. »

« Bon, ce soir, soupe de petits pois ! Ça te dit ? »

Béryl se dit qu’il doit exister des raccourcis dans le temps, cette soupe était au menu du réveillon d’Azéline et sa famille.

« Veux-tu que je t’aide à écosser les petits pois ? »

« Merci, tu es boudette mais c’est fait. Repose toi un peu avant de manger, tout sera prêt dans une demie heure. »

Béryl s’installe sur un bout de canapé, Ouessant s’allonge de tout son long et pose la tête sur ses genoux.

« C’est beau la vie de chien quand même, le canapé a été acheté pour toi on dirait ! »

Elle caresse les grandes oreilles du chien, Ouessant ferme les yeux de contentement. En relevant la tête, elle voit qu’elle n’est pas seule. A l’autre extrémité du canapé, Azéline caresse elle aussi le chien, mais elle, a droit au dos et au flanc de l’animal.

« Bonjour mon amie, tu m’as ignorée sur le chemin. »

« C’était toi ? Je suis tellement contente de te voir, je pensais qu’avec les médicaments je ne pourrais plus être en contact avec toi !»

Aussi soudainement qu’elle est apparue, Azéline disparaît. Béryl se demande si elle n’a pas la berlue, elle a pourtant bien entendu sa voix ! Elle a tellement envie de la revoir qu’elle doit la faire venir grâce à son imagination. De toute façon, elle n’est même pas sûre de l’avoir vue vraiment un jour. Peut-être est-ce l’effet des pilules, elles estompent ses hallucinations.

« A table ! » crie Marie-Madeleine comme si elle devait se faire entendre de toute une colonie de vacances.

La soupe est délicieuse, c’est amusant de manger la même chose qu’Azéline.

« Demain, je ferai un far breton si tu veux. »

« Quelle bonne idée ma chérie, ça me fera plaisir », Tantine n’est plus contrariée, sa mauvaise humeur ne dure jamais bien longtemps, elle est contente que Béryl soit plus en forme et qu’elle s’entende si bien avec ses chiens.

« Soirée télé ! Qu’est-ce que tu veux regarder Bébé? »

Le programme est sur la table du salon.

« Il y a un film avec Sean Penn, j’adore cet acteur ! »

« Eh bien va pour Chaune Machin Chouette ! »

« Par contre je ne sais pas si ça va te plaire, c’est l’histoire d’Harvey Milk, un militant pour les droits des homosexuels, il s’est fait assassiner à la fin des années 70. Sean Penn est excellent paraît-il, il est toujours très bien mais là il a eu l’oscar du meilleur acteur»

(http://www.youtube.com/watch?v=63UGa7NiEjA)

« Et pourquoi est-ce que ça ne me plairait pas ? Tu me prends pour une sainte nitouche ? Quand j’étais jeune, ma meilleure amie était homosexuelle, elle s’appelait Claude, je ne sais pas si c’est son prénom qui a déterminé son penchant pour les filles, mais en tous cas on s’entendait très bien même si j’ai toujours préféré les hommes. »

« Je ne savais pas ça », répond Béryl un peu surprise.

« Qu’est-ce qu’elle est devenue ? »

« Elle est morte dans des circonstances bizarres. A mon avis elle s’est suicidée, la vie n’était pas facile pour elle. Quand ses parents ont appris qu’elle vivait avec une copine, ils lui ont tourné le dos. Le reste de sa famille a fait pareil. Elle s’est retrouvée toute seule. »

« Et toi, tu ne la soutenais pas ? »

Marie-Madeleine lance un regard furieux à sa nièce qui regrette aussitôt sa phrase.

« Bien sûr que si, mais elle habitait au fin fond de l’Auvergne et moi j’étais à Antibes à cette époque là !  On n’avait pas le téléphone mais on s’écrivait. Un jour j’ai appris qu’elle était tombée d’un pont. Je n’avais plus de nouvelles,  depuis quelques temps déjà, elle ne répondait plus à mes lettres. J’ai beaucoup pleuré, c’était une fille formidable, quel gâchis ! J’en veux beaucoup à ses parents, c’était des imbéciles bornés, ils n’étaient jamais sortis de leur trou ! Pour eux elle commettait un pêché mortel, ils n’avaient aucune idée de l’amour qu’elles se portaient. Ils ne pensaient qu’à la relation sexuelle qu’elles avaient toutes les deux. Dans « homosexuel » il y a « sexe», alors les gens font une fixette là-dessus. Mais dans « hétérosexuel » il y a « sexe » aussi, pourtant quand on voit un garçon avec une fille on ne les imagine pas forcément en train de forniquer !»

En disant cela la vieille dame était aussi indignée qu’au premier jour, on sentait que l’émotion était toujours aussi vive.

« Qu’est devenue son amie ? »

« Je ne sais pas, je ne l’ai jamais vue. »

« Quelle drôle d’histoire, c’est triste. »

« Oui très triste, allez on regarde ton film, on va rater le début si ça continue ! »

Marie-Madeleine éteint la lumière mais Béryl voit des larmes couler sur ses joues.

 

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Aliv
Posté le 27/10/2013
Un chapitre intéressant car on en apprend un peu plus sur Marie-madeleine.
Il y a aussi le mystére sur l'apparition d'Azeline. Les médicaments ferait-il effet ?
 
Je suis impatiente de lire la suite. 
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