Chapitre 14

91.

 

Cela fait trois heures que Grenade attend. Elle a fini par s’assoupir dans son tuyau, la tête entre les bras, la main crispée contre le grand Rebrousseur. Elle n’a pas reçu de nouvel appel du QG et quand elle a essayé de les joindre, il n’y a pas eu de réponse.

Bizarre. Mais elle a d’autres choses à penser.

Elle détaille la grande salle blanche où trônent un bureau de métal impeccablement rangé et une armoire métallique. Grenade a ouvert la grille tout à l’heure, ce qui n’a pas été une partie de plaisir, car celle-ci était vissée de l’extérieur. Mais à l’aide de son petit couteau laser, il a été possible de découper le corps des vis proprement pour pouvoir se glisser en toute impunité dans le bureau. Elle prend un risque en allant dans la pièce, elle en a conscience, mais l’occasion est trop belle alors elle fouille le bureau et ne trouve rien d’intéressant, hormis le trousseau de clefs de l’armoire et l’exemplaire défraîchi d’un roman à l’eau de rose — où un pirate aux muscles surdéveloppés entoure de ses ardeurs une vierge effarouchée aux yeux de biche. Elle fronce le museau et un frisson lui remonte le long de la colonne vertébrale. Jamais elle n’aurait imaginé que le chef du Mur puisse avoir des lectures pareilles. Elle se force à déchiffrer le titre en s’aidant de son doigt : « Les brûlantes caresses du corsaire »

Par tous les pouvoirs de Juniper ! Si elle avait su à l’époque, jamais elle n’aurait flippé devant Chien comme elle l’avait fait. Maintenant qu’elle y réfléchissait, Loup aussi lisait ce genre de livre terrifiant de niaiserie et de phéromones. C’est parce que je n’ai plus tous mes organes en bas... Si j’en avais encore, les phéromones changeraient peut-être tout et je comprendrais. Parfois, elle est bien contente de ne plus avoir ses ovaires, c’est plus simple et ça évite des lectures douteuses.

Grenade poursuit sa recherche. Elle ne trouve pas de plan de contre-attaque à l’encontre de la rébellion dans les dossiers de Chien, juste des notes de recensements, des comptes, des rapports de patrouille.

Il y a un ordinateur. S’il y a un projet secret pour étouffer les manifestations, ce doit être dedans. Grenade se sent déjà épuisée à force d’avoir dû déchiffrer des lettres, mais essaye quand même d’allumer le moniteur. Loup lui a donné un mot de passe, mais celui-ci ne fonctionne pas. Comme Zozo l’a précisé, Chien est plus prudent que Serpent et le code a été changé entre-temps. Grenade se tourne vers l’armoire de fer qui est remplie de dossiers recensant les enfants du Mur et les prisonniers politiques.

Grenade cherche son dossier et ne le trouve pas. Ça commence à faire beaucoup de choses qui manquent ! En revanche, elle identifie le nom d’Honorine, dans la pochette réservée aux gens intouchables par le régime où la punk est la seule à être catégorisée comme telle. C’est comme si Grenade avait rencontré un dieu, mais Honorine a dit que Juniper n’existe pas à ce qu’elle en sait.

Grenade soupire : elle n’a pas le temps pour de telles choses. D’autres qu’elle peuvent infiltrer les rangs, mais elle est la seule à pouvoir porter les masques. Elle range la pièce comme elle l’a trouvée et retourne dans son conduit.

Deux heures passent et Grenade en est toujours au même point. C’est une bonne chose qu’elle ait pu dormir ; ce n’est pas si simple dans ce genre de contexte et les dernières heures l’ont beaucoup éprouvée. Elle ferme ses yeux mollement pour essayer de se reposer encore un peu, quand un bruit métallique la sort brutalement de sa torpeur.

Elle se rapproche de la grille et Chien est là.

Malgré le livre nul, malgré ce moment de moquerie, la peur envahit son ventre et le masque blanc de molosse a l’air très vrai, très effrayant.

Grenade essaie de respirer très lentement pour ne pas faire de bruit tandis que Chien referme doucement la porte derrière lui jusqu’à ce qu’il entende le mécanisme de blocage. Il marche d’un pas hésitant jusqu’à son bureau et se laisse tomber sur la chaise. Ce geste surprend Grenade. Il a l’air trop négligé pour correspondre au personnage, puis elle se souvient de la créature brisée qu’elle a observée le soir précédent.

C’est un humain, c’est tout, juste un humain comme moi... Il faut le craindre pour ce qu’il est... se répète-t-elle dans sa tête.

Chien a l’air voûté sur sa chaise et ne fait rien, il a juste posé son front contre ses mains et pense. Grenade n’a pas envie d’avoir pitié de lui, elle agrippe son masque en silence et le glisse sur son visage.

Et là rien : pas d’image, pas de son, juste la réalité et rien de plus. Grenade attend, mais le rien se poursuit et son cœur se met à battre plus vite. C’est pas vrai !

Le problème est très simple.

Est-elle donc stupide à ce point ? Comme un reflet pathétique, le deuxième masque s’oppose au sien qui ne peut pas lire à travers la porcelaine. Elle a besoin du visage de Chien. Elle serre les dents à en avoir mal aux gencives. Aller si loin pour échouer si stupidement près du but. Elle pose le Rebrousseur juste à côté d’elle.

Enlève ton masque, pense-t-elle très fort. Enlève-le !

Et comme dans un rêve, elle voit les deux mains de l’homme se lever au niveau de la mâchoire pour ouvrir le mécanisme. Par Juniper, il le fait ! L’homme dégage sa tête du masque de porcelaine et le pose sur le bureau. Le cœur de Grenade bat à mille à l’heure tandis qu'elle regarde le visage bien dessiné, les cheveux sombres qui tombent jusqu’aux épaules, le regard bleu épuisé. Il fouille dans ses poches et sort un sachet de poudre blanche ; Grenade ouvre la bouche d’ébahissement. C’est pour ça qu’il a enlevé son masque, pour du Vent. La cruauté de la situation la frappe de plein fouet : dans quel genre de monde les bourreaux se détruisent eux-mêmes pour oublier ?

Elle n’a sans doute pas beaucoup de temps pour rêver à tout ça. Les problèmes de Chien ne sont pas les siens et elle est venue dans un but. Quel est ton vœu ? Es-tu responsable de l'apoptose qui a reconstruit notre monde ?

À nouveau, elle pose le Rebrousseur sur son visage, l’image se floute et Grenade s’enfonce dans les profondeurs des souvenirs de Chien.

*

Chien est à bout ; la nuit a été dure et peuplée de cauchemars. Il finit de renifler le Vent qu’il a déposé en ligne sur la table, range le sachet dans sa poche, allume son ordinateur et compose rapidement le panaché de chiffres et de lettres qui constitue son mot de passe.

L’écran s’illumine. Tony lance le démarrage du centre de gestion tandis que s’enclenche automatiquement la lecture rapide des caméras de ses quartiers. Il sent que son esprit commence à partir au moment où il se rend compte que quelque chose cloche : la vidéo montre en accéléré une silhouette qui se balade impunément dans son bureau. Il arrête l’enregistrement et le visionne une deuxième fois en vitesse normale. L’image est un peu floue, mais il distingue avec précision la forme d’une jeune fille blonde aux cheveux courts portant l’uniforme du Mur qui a fouillé la pièce avant d'entrer à nouveau dans le conduit du tuyau d’aération dont elle est venue. Il déglutit et desserre sa cravate. Il doit rester calme. La drogue est en train de pénétrer dans ses veines, il n’aura bientôt plus tous ses moyens et il n’est pas armé, contrairement à la fille — il le suppose en tout cas . Elle est peut-être toujours là, à l’observer depuis le tuyau.

Il se lève.

Que doit-il faire ? Appeler à l’aide ? Et si elle tirait sur lui depuis le conduit ? Il se dirige vers l’armoire de fer, l’ouvre, fait semblant de consulter un dossier et jette un coup d'œil furtif à la grille. Elle n’est pas exactement comme d’habitude : il doit pouvoir l’enlever facilement. La tête lui tourne un peu, mais il se lance. En quelques pas, il longe le mur, arrache le métal qui tombe avec fracas.

Il s’attend à tomber nez à nez avec le canon d’une arme, mais c’est un visage vide de couleur onyx, avec des dents apparentes qui le font reculer : un masque terrifiant. La fille qui est en dessous ne bouge pas d’un pouce, comme en transe.

Il l’attrape brutalement par le poignet et la fait jaillir dans la pièce. Elle pousse un cri strident et sa tête vient cogner le carrelage immaculé. Le masque glisse à côté d’elle, il la retourne sur le ventre et lui croise les bras dans le dos.

Il veut l’interroger, mais le choc lui a fait perdre connaissance ; du sang frais tache ses cheveux blonds derrière son oreille. Il lui attache les bras avec la bande collante qu’il récupère dans le tiroir de son bureau.

Tony tremble pendant qu'il la fouille. Le couteau laser, les masques... Il en essaie un, mais rien ne se passe. Qu’est-ce qu’elle fabriquait ? Saisi d’une intuition, il descend un peu le pantalon sur la hanche de la jeune fille et lit son code. Il le savait ! Il doit s’asseoir pour reprendre le fil de ses pensées.

Matricule 466 761 A. Alors qu’il sombre, l’image de la protégée de Griffon s’impose sur sa rétine. Il se met à rire nerveusement et contemple d’un air vaseux le profil qui se découpe sur le carrelage. Il lui glisse une mèche blonde derrière l’oreille :

— Ben alors, comme on se retrouve...

 

92.

 

Loup se force à respirer par le nez, lentement, et avance à petits pas, plié en deux dans l’allée de cages à poules. Maja est quelque part, il ne sait pas où et il espère l’avoir semée ne serait-ce qu’un peu.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les choses ne se sont pas tout à fait passées comme prévu, il va falloir revoir les objectifs à la baisse. Si sa poursuivante est encore là, il faut trouver un moyen de la mettre hors d’état de nuire. Un bon coup de cage à poules sur la tête ? Plus il y pense, plus la probabilité qu’elle ait laissé tomber lui paraît absurde et si elle a fui, elle doit être dans le même dilemme que plus tôt : comme prévenir Berry et Gyfu ?

L’estomac d’Isonima se contracte. Il a réussi à passer discrètement à l’étage supérieur de l’élevage, ce qui lui a permis d’échapper non seulement à madame monosourcil, mais aussi aux travailleurs de l’entrepôt qui n’ont pas trop apprécié qu’il renverse leurs dernières poules en vie.

Qu’importe, à ce niveau, il n’y a plus personne : les milliers de cages sont désertées. Il reste ponctuellement des cadavres d’oiseaux au regard torve, figés pour toujours dans leur misère infinie. L’air empeste la viande morte, la fiente et le sol est si jonché de saletés qu’il est impossible de marcher sur une surface propre. Isonima se sent nauséeux.

Il entend une porte claquer, se ratatine sur le carrelage puis avise le deuxième escalier qui monte à l’étage trois. Il y a quatre cents mètres à parcourir, mais c’est envisageable.

Il trotte le plus légèrement possible dans l’allée pour rejoindre les marches. Son dos lui fait mal à force d’être courbé. Mais pourquoi est-il aussi grand ? Il ne l’a pas demandé ce sang de sylphe !

Quand Isonima arrive en bas de l’escalier, il jette un énième coup d’œil derrière son épaule. Il va sans doute se faire repérer, mais il ne peut pas passer sa vie à se cacher parmi des cadavres de poulets sans ailes. Il vient de comprendre que si Maja n’a pas pu joindre Berry par radio, elle a dû en revanche prévenir d’autres résistants. Pourquoi est-il si stupide qu’il ne pense pas à ce genre de détails ? Il va falloir se débarrasser d’elle très vite.

Il escalade les marches de métal sur la pointe des pieds et une voix féminine hurle derrière lui :

— Arrête-toi !

Comme prévu, elle l’a repéré, puis elle sort un pistolet et tire. Il accélère alors que les balles vont se ficher dans le mur derrière lui et ouvre les portes battantes en haut de l'escalier.

Il fait froid dans cette pièce. Loup fait un tour sur lui-même et avise le carrelage blanc, les énormes machines de métal grises avec leurs scies circulaires et les rangées de crochets suspendus en l’air : ça ressemble bien à des abattoirs.

Loup récupère sur un plan de travail un maillet, un grand couteau métallique et un rouleau de ficelle, puis se cache derrière la porte battante. S’il a une chance de s’en sortir, c’est maintenant : il faut qu’il assomme Maja et qu’il la laisse dans un placard le temps de prendre la poudre d’escampette discrètement. Il attend ce qui lui semble beaucoup trop longtemps ; la sueur coule le long de ses tempes et roule dans son cou. La femme ne vient pas, bien qu'il n’ait pourtant pas vu d’autres issues. Il y a quelque chose qui cloche... Elle doit se douter du piège.

C’est au moment où il se fait cette réflexion qu’il sent une silhouette se rapprocher derrière son dos pour essayer de l’assommer avec le canon de son arme. Complètement terrifié, Loup roule contre la porte tandis que la poignée du pistolet brise un éclat de céramique sur le mur. Il attrape le corps de Maja et le projette par terre. Elle pousse un cri, retourne son arme, la braque sur lui, tire à nouveau. Deux balles ricochent sur des machines, Isonima se protège la tête puis donne un coup de pied dans le pistolet. L’arme saute des mains de la femme pour glisser sur le carrelage et Maja replie ses doigts contre elle en poussant un cri de douleur.

Il se jette sur elle, lui cogne le crâne contre le sol. Les yeux de la résistante roulent dans leurs orbites. C’est le moment ! Il accroche les poignets de la femme à la table avec la ficelle puis lui saucissonne les jambes. Loup lève ses mains : elles sont pleines de sang. Une des balles lui a éraflé un bout de mollet en ricochant ; rien de grave, mais ça saigne beaucoup. Il attrape un torchon et se fait un bandage sommaire pendant que la résistante revient à elle et lui lance un regard noir :

— Sale traître ! Je savais que tu étais louche depuis le début.

— Ce n’est pas moi qui ai commencé, il fallait jouer franc-jeu avec moi. Tu demanderas des comptes à Andiberry.

Ce nom dont il a encore le goût sur la langue lui écorche la bouche. Elle ne dit rien. Il se demande pourquoi elle ne l’a pas mis en joue, tout simplement. Peut-être qu’elle avait peur, les armes à feu ne sont pas des choses si anodines. Peut-être qu’elle préférait l’assommer pour plus de sûreté ? Il lui retire l’émetteur qu’elle a dans l’oreille, sans doute trop tard, mais on est jamais trop prudent.

— Comment es-tu arrivée derrière moi ?

— Tu crois vraiment que je vais te le dire ?

Loup hausse les épaules et rajuste son sac à dos sur ses larges épaules :

— Fais comme tu veux, je m’en fous.

Il explore la pièce, son couteau à la main. Celui-ci est plein de sang de poulet séché alors il le pose sur un plan de travail avec le maillet et récupère le pistolet qu’il range dans la poche intérieure de son blouson. Une trappe est ouverte dans le sol dans un coin, un panneau « issue de secours » est vissé sur le mur, juste au-dessus. D’accord, c’était donc ça. Isonima passe par la trappe, descend jusqu’au premier entrepôt en évitant soigneusement les quelques travailleurs et ressort par la porte principale.

Après une hésitation, il choisit de monter dans les étages : si les autres résistants sont sur ses traces, il y a plus de chances qu’ils l’attendent en bas. Loup prend un ascenseur en direction du toit.

L’air frais lui explose au visage, il sent sa sueur se figer sur sa peau et la chair de poule piqueter ses bras, sous le blouson.

D'accord, ça pourrait être pire.

Il allume son émetteur et essaye de joindre Grenade, mais la tonalité sonne dans le vide. Il attend un peu et personne ne répond. Elle doit être occupée à espionner Chien à présent. Il se mordille la lèvre. Ce n’est pas comme s’il avait le temps et le choix maintenant, de toute façon.

Les vaisseaux et les taxis volants parcourent la nuit comme de gros scarabées métalliques. Isonima lève la main, un appareil se pose devant lui et il s’engouffre dans l’habitacle avant qu'on puisse le dévisager. Une quinquagénaire rousse à l’embonpoint avantageux lui jette un regard morne :

— C’est pour où ?

— La Machine.

Les petits yeux bleus s’écarquillent, la femme se retourne pour le dévisager et se retrouve nez à nez avec le museau de porcelaine d’un masque de loup. Le canon d’un pistolet est braqué sur sa nuque.

— À la Machine, répète Loup d’une voix tremblante. Obéissez et aucun mal ne vous sera fait.

La femme déglutit et le taxi s’envole dans la nuit. Loup se laisse retomber sur la banquette, ses doigts peu assurés toujours enroulés autour de la crosse de l’arme. Le vaisseau survole la Rivière Bleue et la Rivière Bleue est floue. Loup voudrait se frotter les paupières, mais le masque le gêne. La femme marmonne des « Oh par Juniper !» à voix basse, mais Loup s’en moque. Il va revoir Chien, c’est la seule chose qui compte. Tout peut disparaître, il va revoir Chien !

Le voyage semble durer à la fois une heure et une minute. Le taxi s’arrête sur la plateforme de la Machine et Loup descend. Il donne quatre pièces à la femme qui évite de le regarder et tremble comme une feuille.

— Merci beaucoup, je suis désolé d’avoir dû vous faire peur. Question de vie ou de mort, vraiment...

Elle ne dit rien et lève les yeux timidement. Loup rajoute :

— Vous devriez filer maintenant.

Le taxi s’envole et Loup se retrouve debout face à l’ascenseur. Il doit avoir l’air bizarre avec sa tenue de travailleur agroalimentaire et son masque lupin. Il inspire, se présente devant le terminal et passe le test de reconnaissance vocale, celui de rétine, enfin le rapport d’intention : la porte s’ouvre.

Isonima entre et s’adosse contre la paroi de métal tandis que la cabine descend dans le corps de la Machine. Il soupire de soulagement, mais dans un léger sursaut, l’ascenseur s’arrête et les lampes se mettent à clignoter un peu. Une voix mécanique s’élève :

— Votre identifiant n’est pas correct, vous n’avez pas l’autorisation d'entrer.

Loup fronce les sourcils et s’approche des boutons. Il appuie de nouveau sur celui qui mène au rez-de-chaussée, mais l’habitacle ne frémit même pas. Loup presse le bouton qui le renvoie vers la sortie et rien ne se passe.

Piégé !

 

93.

 

La première contraction la prend par surprise ; la douleur est si forte qu’elle lui irradie les reins jusqu’au dos et lui coupe le souffle. Bebbe serre les dents et donne un petit coup de poing contre le mur. Ce n’est pas vrai !

Elle ferme les yeux. Lièvre est en retard et cela l’inquiète tellement qu’elle n’arrive plus à réfléchir. Attendre encore un peu. Elle ferme les yeux et essaie de se calmer. Vingt minutes passent avant que la deuxième contraction ne la laisse blanche comme un linge.

Elle ne peut pas rester comme ça. Bebbe jette un regard à la montre que Lièvre lui a donnée : il est quatre heures du matin et ils avaient rendez-vous à deux heures. La colère et l’effroi se mêlent dans son ventre : Lièvre ne viendra pas. Elle le savait, elle le sentait depuis le début. Sa peur, son hésitation... Elle n’aurait pas dû avoir confiance en lui !

Bebbe s’appuie contre le mur, se relève lentement et fouille dans son unique poche pour en sortir la clef qu’elle glisse dans la serrure avec des doigts tremblants. Les pieds nus, elle pénètre dans le couloir blanc plongé dans l’obscurité où elle distingue en plissant les yeux l’ombre de nombreuses portes. Elle marche jusqu’à celle de l’une des geôles et l’ouvre à son tour.

La petite silhouette de Numéro 2 est là, recroquevillée sur le sol et la regarde avec de grands yeux vides. Elle a quand même l’air en meilleure forme qu’au début, que Mock soit remercié.

— C’est l’heure, il faut que tu viennes avec moi.

Bebbe va jusqu’à elle et lui passe un bras sous l’aisselle pour l’aider à avancer malgré sa jambe amputée.

— Tu peux parler ?

— Un peu. Je me suis entraînée...

Le clone reste pâle et maigre et suit difficilement son double jusqu’au couloir. Ce n'est pas grave, on s'imaginera que je suis tombée malade pendant ma convalescence. Elle l’installe contre le mur et s’assied à côté d’elle. La dame de la Machine commence à détacher les sangles qui retiennent sa jambe mécanique avant d’aider Numéro 2 à l’accrocher, puis lui enfile une de ses robes. Son double présente maintenant un ventre énorme comme le sien, mais nul fœtus n’y dort : une simple poche de liquide placé sous la structure de métal de son corset sert de diversion. Bebbe lui donne son trousseau de clefs :

— Tiens, c’est tout à toi à présent. Il ne te reste plus qu’à prendre ma place et après, ce sera ta vie.

L’autre ne bouge pas. Bebbe n’a pas vraiment de temps à lui consacrer. Normalement, elle aurait aussi dû lui donner son passe, mais en l’absence de Lièvre, Bebbe va en avoir besoin. Elle pousse les cartons de couverts et d’assiettes qui sont dans le couloir, dégage sa nouvelle jambe articulée, nettement moins esthétique que la première, natte ses cheveux et accroche la prothèse à sa taille, puis à sa cuisse.

L’autre essaye doucement de se mettre debout et avance de quelques pas, vacille puis avance à nouveau. Bebbe soupire :

— Ça aussi, il faudra t’entraîner si tu veux être convaincante...

Arrivée devant l'entrée de sa prison, Numéro 2 se retourne.

— Bonne chance.

Elles se regardent un instant avant que le clone ne s’enferme dans la cellule numéro 7. Une nouvelle contraction déchire Bebbe qui se relève en serrant les dents et pousse la porte qui mène dans le couloir circulaire qui fait le tour de la Machine. Le corridor nage dans un silence mortel et seules les bandes de lumière verte longeant les murs brisent l’obscurité.

Bebbe marche à petits pas dans cet univers ouaté. Sa nouvelle jambe n’est pas aussi bien adaptée que l’ancienne et les sangles de cuir neuf lui entaillent la cuisse. L’angoisse forme une boule dans sa gorge, mais il y a très peu de risque qu’elle croise quelqu’un à cette heure.

Elle arrive sans encombre jusqu’aux quartiers de Lièvre et se glisse dans la serre aux arbres mécaniques. Aussitôt, le bruit familier des automates fait redescendre l’angoisse.

— Lièvre ?

Pas de réponse.

Elle fait le tour du jardin : il n’y a personne. La boule revient. Mais qu’est-ce qui se passe ? Elle sort, marche jusqu’au laboratoire : la pièce est plongée dans le noir. Qu’est-ce qu’elle croyait ?

La panique commence à monter. Elle allume la lumière, boit un verre d’eau, le pose dans l’évier. Il faut faire quelque chose. Dans son ventre, le bébé donne un coup de pied, alors Bebbe s’assoit et masse sa jambe douloureuse tandis que l’enfant gigote encore. Bebbe fronce les sourcils. Il se passe quelque chose qui la dépasse. Elle parcourt la pièce des yeux : le coffre-fort est là, juste devant elle. Bebbe se grignote la langue puis se lève. Le trousseau de clefs est accroché au-dessus, sur un crochet. Elle le saisit, déverrouille la porte blindée et récupère l’écrin qu'elle ouvre avec des gestes impatients. La perle est là et l’enfant donne de petits coups dans sa chair. Bebbe caresse son ventre d’un air distrait et met la sphère dans sa poche.

— Du calme, Lù. Bientôt...

Elle remet la boîte dans le coffre-fort, le referme, puis raccroche les clefs. Où aller maintenant ? Elle sort dans le couloir et marche lentement, c’est alors qu’elle le voit : ce rectangle de lumière verte autour de la porte de Cerf.

Pas ça !

Elle se rapproche, entend des voix et reconnaît celle de Cerf, puis celle de Lièvre à son inflexion hésitante.

— Alors c’est une fille ?

— Oui, père. Nous pratiquerons l’avortement dès que possible.

Bebbe se colle au mur et la colère qui lui vient au ventre lui souffle qu’elle pourrait le tuer. Elle gronde doucement, comme un animal et recule.

« Vous ne partirez pas sans moi, n’est-ce pas ? »

Oh oh.

Elle déglutit et remonte le couloir tandis qu'une nouvelle douleur la transperce. Rien ne se passe comme prévu ! Elle n’a que peu de temps avant son accouchement, une dizaine d’heures peut-être ! Et sans Lièvre, il lui faut un médecin.

Elle se précipite sur l’ascenseur qui mène à la plateforme extérieure. L’écran est rouge, ce qui la déconcerte. Elle appuie sur le bouton d’appel et rien ne se passe. Elle ne peut que fixer avec horreur l’inscription « procédure exceptionnelle — Ascenseur indisponible » qui s’affiche sous ses yeux. Elle appuie sur le bouton encore et encore d’un mouvement paniqué.

Rien, rien, rien !

La peur augmente, terrible et étouffante, et l’air à du mal à passer dans sa gorge. Elle entend des voix dans le couloir, halète puis se colle au mur. Il faut qu’elle trouve un refuge ! Bebbe ouvre une porte et se glisse dans la pièce où des maquettes d’aéroplanes trônent partout, ainsi qu’un gros bâtiment fait de cubes et un puzzle défait : la salle de jeux d’Ocelot.

Tremblante, Bebbe récupère le vieux plaid qui traîne sur le sol, en entoure ses épaules et se roule en boule. Elle est piégée et tout est terminé.

 

94.

 

C’est en entrant dans la petite chambre qu’Andiberry comprend que quelque chose ne va pas : le lit est fait, mais il reste la trace d’un visage dans l’oreiller. Il hausse un sourcil et remonte dans la cuisine où il n’y a personne. Berry jette un coup d’œil vers la salle de bain et aux toilettes, au cas où Loup serait bloqué au grand tour depuis plus de deux heures... ou bien plongé dans un roman à l’eau de rose particulièrement palpitant.

Niet. Pas de trace.

Perplexe, l’ingénieur pousse le vice jusqu’à aller fureter du côté de l’antre d’Olween qui grogne en l’apercevant.

— Qu’est-ce que tu fous, Richter ?

— Tu n’as pas vu Loup ?

— Il n’est pas encore couché ?

— C’est ce que je croyais aussi, mais il n’y est pas.

Berry est franchement inquiet à présent.

— Et comme par hasard, juste après qu’on s'est disputés...

— Tu l’as trouvé bizarre ce matin ?

— En toute franchise, j'ai fait exprès de me lever avant lui.

— Après votre soirée d’hier, ce n’était peut-être pas une idée très fine, tu ne crois pas ?

Berry répond par une grimace et avant d’avoir pu laisser Olween dire quoi que ce soit d’autre, il sort de la chambre et se met à la recherche de Gyfu qu’il trouve langoureusement assoupie, nue sur un sofa. Il répugne un peu à la secouer pour la réveiller alors il se contente de lui crier au visage :

— Debout, c’est grave !

La sylphide papillonne des yeux.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Loup a disparu !

Elle se redresse et semble parfaitement réveillée.

— Tu es sûr ?

— Il n’est pas dans le QG, sauf s’il joue à cache-cache.

— Suis-moi !

Elle l’emmène dans un des couloirs, se fige et murmure d’une voix blanche :

— Le masque a disparu !

En effet, sur le buffet ne reste que la trace de la tête de loup en porcelaine, dessinée dans la poussière.

— Putain de merde ! jure Andiberry. Je vais voir dehors. La sentinelle a dû s’apercevoir de quelque chose !

— Bien ! Je vais demander à Olween de faire un appel radio.

— D’accord.

Berry prend juste le temps d’enfiler son blouson avant de se glisser par la porte secrète du réfrigérateur. Il remarque à peine qu’il n’a pas suivi la procédure de sécurité habituelle qui consiste quand même à faire un peu attention si quelqu’un est en vue ou non. Mais heureusement, Gyfu n’est pas là pour le voir et l'abreuver de reproches. Il zigzague entre les cadavres de vaisseaux et les monceaux d’appareils électroménagers abandonnés jusqu’à apercevoir un petit groupe de personnes qui attendent devant la décharge.

Ça ne présage rien de bon.

Ils sont quatre et Maja a l’air très contrarié. Il reconnaît Martial, mais les deux autres sont des inconnus. Ils se précipitent sur lui en parlant tous en même temps :

— Putain, mais où étiez-vous passés !

— Ton pote a assommé Maja et il l’a laissée attachée dans un abattoir !

— On essaie de vous joindre depuis des heures !

— Vous foutiez quoi ? C’est la panique et on ne pouvait pas communiquer !

— Wow wow ! Du calme, je ne capte rien. Un à la fois ! Quelqu’un est passé par ici, pas vrai ?

Maja a l’air encore plus en colère que d’habitude et ses yeux noirs lancent des éclairs.

— Tu m’écoutes ou pas ? Isonima s’est barré ! Il a dit qu’il avait une mission ou je ne sais pas quoi. Il s’est enfui, je l’ai poursuivi et on a joué à saute-mouton dans les abattoirs avant qu’il me capture comme une bleue pour disparaître dans la nature.

— Il a dit quelque chose ?

— Rien de particulier. Si, il a dit qu’il nous trahissait et que je n’avais qu’à te demander la raison.

— Pourquoi vous ne nous avez pas contactés ?

Martial rajoute une couche :

— Ça ne répondait pas, mec. Ça fait des heures qu’on essaie de vous joindre et que ça sonne dans le vide. Et on a eu droit à une mission sauvetage pour délivrer Madame.

— Des heures... répète Berry d’un ton las. Combien exactement ?

— Je ne sais pas. Isonima est parti... il était plus de vingt-deux heures. Et il est quatre heures du matin.

C’est la catastrophe absolue et Berry ne mesure pas encore tout à fait l’ampleur de tout ce qui est en train de se passer.

— D’accord, d’accord, bon...

Il glisse une main nerveuse dans ses cheveux. Et dire qu’il y a moins d’une journée, il était en train de s’envoyer en l’air avec Loup, comment les choses ont pu déraper à ce point ? Il est sûr que c’est la faute de ce connard d’Olween qui a mis des sujets foireux sur le tapis ce matin. Il se force à se concentrer :

— Que quelqu’un reste ici. Les autres, faites le tour des copains et des alliés. Il faut qu’on fasse un point tous ensemble : rendez-vous dans trois heures au Troll Radieux.

Les yeux inquiets, trois résistants obtempèrent tandis que Maja reste près de Berry.

— C’est grave, hein ?

— Oui, ça pourrait tout faire basculer. Ne bouge pas et fais le guet, je reviens bientôt. Au pire, tu pourras me contacter par émetteur, j’en ai d’autres là-bas, des inactifs.

Andiberry recule et rejoint le QG. Parti depuis six heures... Zozo doit déjà être à la Machine à ce rythme-là. Cette fois, Berry fait attention à ce que personne ne le voie entrer. Il croise Gyfu qui sort.

— Qu’est-ce que vous faites ?

— Je vais planer un peu. Je pourrais avoir des nouvelles d’ici peu, s’il a rejoint la Machine.

— Serpent ?

— Oui.

— D’accord.

Une fois à l’intérieur, Berry voit Olween, assis sur une banquette défoncée qui se plie presque en deux sous son poids. L’ingénieur reste debout.

— Il a pris notre émetteur d’après ce que j’ai compris...

— Ouais...

— Je vais en trouver un autre.

— C’est bon, je l’ai fait. J’ai tenté de joindre Grenade, mais pas de réponse. Il va aussi essayer de lui parler, j’en mettrais ma main à couper, sinon, il n’aurait pas pris la batterie. Il va l’appeler, c’est sûr.

— Ou nous.

— J’ai tenté de le joindre, mais il n’a pas répondu. Non, je crois que c’est elle qu’il veut. Mais pour le moment, c’est le silence des deux côtés : pas de Grenade, pas de Loup.

— Il aurait pu l’avoir déjà contactée...

— C’est possible, mais je ne crois pas que Grenade ait que ça à faire, là tout de suite. Peu importe, s’il nous a entendus, c’est déjà trop tard pour beaucoup de choses.

Andiberry se laisse littéralement tomber sur une chaise de la cuisine alors que son compagnon lui lance un regard assassin.

— J’espère que tu réalises que tout ça est arrivé parce que tu n’as pas su garder ta bite dans ton slip.

Berry lui explose au visage :

— Oui, j’ai merdé ! J’ai tout foutu en l’air ! J’ai fait une grosse connerie parce que je suis amoureux de ce mec, d’accord ?

Olween ouvre la bouche, puis la referme avant de marmonner :

— Désolé...

— Tu peux, du con !

Mais Olween a raison : il a sacrément merdé... Ils ont tous sacrément merdé. Andiberry pose sa tête contre la table fraîche avant de l’enfouir entre ses bras.

 

95.

 

— Et Carpe est abominablement en retard sur tout le travail de gestion. Ce n’est pas étonnant qu’on n’ait plus de viande ici...

Lièvre n’arrête pas de jeter des coups d’œil nerveux à sa montre : il est déjà en retard de deux heures. Il a beau tenter d’être détendu, il ne peut s’empêcher de gigoter. Pour essayer de masquer sa nervosité, il ne cesse de passer des moniteurs aux courbes, puis de ces dernières aux prises de sang de Cerf. Ses yeux parcourent les taux sanguins. Ça n’a jamais été pire : la fin est très proche pour le patriarche.

Plus il y pense, plus cette réunion est étrange. Griffon aussi a l’air étrange, d’ailleurs ; les sourcils froncés et les yeux dans le vague, il paraît ne prêter aucune attention à ce qui se déroule, seul Serpent semble suivre la conversation. Installé sur une chaise, il observe et écoute ce qui se passe avec un intérêt croissant.

— Ce n’est pas ça, Carpe n’est pas responsable. Les oiseaux décèdent par centaines, c’est une épidémie récente. À cause des semences, on ne peut persister à leur dispenser nos immondices ! Des graines sont nécessaires !

Cerf grogne :

— Nous n’avons pas assez de graines pour les humains, on ne va pas en donner aux poulets, ne sois pas stupide, Serpent.

Celui-ci fait un sourire un peu niais et hausse les épaules.

— Pas de semences, pas d’oiseaux ! Pas d’oiseaux, pas de steak !

Lièvre lui lance un coup d’œil agacé.

— On dirait que tout ça te fait plaisir...

— Des oiseaux en prison ? Des poulets sans ailes ? Il était impossible que je cautionne ça.

Griffon a un rire lointain :

— Étrange, il semblerait que les sylphes aient pour les oiseaux un amour qu’ils n’accordent à aucune autre créature vivante.

— C’est exact, dit Serpent.

— Il est tard, souffle Lièvre. J’aimerais me retirer pour pouvoir dormir.

— Déjà ? marmonne Cerf d’une voix geignarde. Tu ne passes plus du tout de temps avec moi et c’est comme ça pour tout le monde ici en ce moment. Vous avez un secret ou quoi ?

Lièvre rougit et remercie le ciel de porter un masque.

— Absolument pas, soupire Serpent. Ça se transforme en fantasme !

Le vieil homme grommelle avant de changer de sujet :

— Et comment va Bebbe ? Ça fait longtemps que je ne la vois plus.

— Plus depuis votre hospitalisation, Père, répond Lièvre. Au moins 8 ans.

— Eh bien, je peux demander de ses nouvelles ?

Lièvre se raidit, mais encore une fois Serpent prend les choses en main.

— Ce soir, elle composait la suite de son discours, il lui reste peu de temps avant son échéance...

— Et les clones ?

Lièvre baisse les yeux :

— Numéro 1 est enceinte... cependant... ça ne semble pas concluant...

— Alors c’est une fille ?

— Oui père. Nous pratiquerons l’avortement dès que possible.

— Qui était le géniteur ?

— Carpe.

Cerf fait un geste désinvolte sur la couverture :

— Bon, bon... Ce n’est pas très grave. Nous n’avons pas besoin que les imbéciles se reproduisent n’est-ce pas ?

Les yeux de Griffon reviennent un instant sur son père ; un voile les trouble. Il n’a pas l’air méprisant, juste un peu triste. La conversation s’éternise et cela rend Lièvre fou. Il imagine Bebbe qui l’attend dans sa cellule et doit se faire un sang d’encre. Les minutes s’écoulent et il est vraiment tard quand Cerf les laisse partir. Qu’est-ce que c’est ? Une mise à l’épreuve ?

Juste avant qu’ils ne referment la porte, Cerf interpelle une dernière fois Griffon :

— Ah, une chose importante. Demain matin, Griffon, tu iras me chercher Rhinocéros, il faut que je lui parle.

— Bien.

Cette réunion n’a aucun autre but que d’essayer de nous piéger. Cerf sent que quelque chose ne se passe pas comme d’habitude. Est-ce que l’un d’entre nous aurait dit quelque chose ? pense Lièvre.

Fourbu et cerné, il attend que les autres aient rejoint leurs quartiers pour pouvoir quitter son jardin mécanique et descendre aux cachots. En ouvrant la porte, il se rend tout de suite compte que la situation a changé. Il observe la fille, ses longs cheveux d’un blond vénitien, ses grands yeux gris, la robe métallique et la jambe de bois. Ce n’est pas Bebbe. Cette fille-là a l’air craintive comme un animal sauvage et son regard est fuyant.

— Numéro 2 ?

Elle tourne la tête vers lui et affiche une expression inquiète :

— Ça ne se passe pas bien ? Il y a un problème ?

— Où est Bebbe ?

— Elle avait des contractions, elle est partie.

— Partie... Où ça ?

— Je n’en sais rien.

— Il y a longtemps ?

La fille ne sait pas non plus. Oui et non. Elle n’a pas de montre depuis tant d’années. Plusieurs heures ? Il la remercie.

Comme un automate, il remonte les marches. Bebbe n’était pas dans son jardin tout à l’heure, mais elle l’attend peut-être dans son laboratoire ?

Il quitte la cellule, referme derrière lui avec des mouvements automatiques avant de retourner jusqu’à son lieu de travail. La salle est éteinte. Pas de Bebbe. L’horloge indique plus de quatre heures du matin. Il se laisse tomber sur un tabouret avant de remarquer un gobelet dans l’évier.

Lièvre se redresse : il n’a pas utilisé ce gobelet ! Il ne quitte jamais son laboratoire sans que tout soit impeccable. Elle est venue ici ! Est-elle est venue pour l’attendre et a-t-il mis trop longtemps ? Il lave le verre, l’essuie et le range. Ses yeux observent le laboratoire : les bocaux sont bien alignés les uns à côté des autres avec leurs organes qui trempent dans du formol. Cet endroit le fascine et lui fait horreur. Il remarque soudain une anomalie, les clefs du coffre ne sont pas sur le bon crochet. D’une main tremblante, il décroche le trousseau et ouvre la porte : l’écrin de la perle est vide.

Très bien. Il comprend mieux... Il remet la boîte à l’intérieur et ferme le coffre, puis replace les clefs sur le bon crochet. D’un coup de chiffon, il nettoie l’évier pour éviter que des traces de calcaire restent sur la céramique, puis il plie le tissu, éteint les néons, quitte le laboratoire et retourne dans son jardin. Comme toujours, la pièce est rythmée par les cliquetis et les changements de luminosité. Lièvre se promène au milieu des fleurs de lumières et des tiges de métal.

Voilà, Lièvre est seul.

Il s’arrête devant la baie vitrée qui montre la ville et glisse les mains dans les poches de sa blouse blanche. Son masque se reflète dans la vitre et Lièvre y voit un animal au museau frémissant, aux oreilles en alerte et au regard inquiet. Il ne veut plus y répondre alors il fixe l’ailleurs.

Le dehors est noir. Les fenêtres des immeubles sont éteintes, les réverbères sont trop loin, trop bas. Les vaisseaux-insectes sont retournés dans leurs nids et les étoiles n’existent plus depuis longtemps.

Il n’y a plus rien sauf Lièvre et le jardin mécanique. Il marche jusqu’au compteur et ouvre la porte. Un par un, il débranche les fils et une par une, les lucioles de lumières s’éteignent, les automates s’arrêtent, les petits bruits se fanent.

Plus rien ne s’oppose à la nuit.

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Dan Administratrice
Posté le 21/12/2016
Désolée j'ai enchaîné sur le chapitre 13 et puis j'ai plus pu m'arrêter alors j'ai continué sur ma lancée et pour la première fois depuis des siècles je peux dire que JE SUIS A JOUR SA MERE.
Et je sais pas bien par où prendre ce commentaire. J'ai trouvé que les choses s'accéléraient vraiment dans ces deux chapitres ; c'est plein d'actions, de révélations et de rebondissements auxquels je m'attendais pas et j'ai l'impression qu'on se rapproche de la fin de la partie.
Concernant la parenté de Loup, je suis pas trop surprise ; entre le fait que Lou et Radje ait eu une relation et, je crois surtout, le fait d'avoir vu un dessin où Lou et Loup étaient très semblables, je crois que j'y trouve une certaine logique, même si tout concorderait pour dire que c'est impossible (entre le fait que Lou soit un Pilier et celui que Radje soit un sylphe).
JE LE SAVAIS que ça allait mal finir entre Loup et Berry T.T Mais je crois que je comprends pas pourquoi tout le monde (y comprit Berry lui-même) s'obstine à dire que c'est de sa faute ? En quoi coucher avec lui est si dramatique ? "Juste" parce qu'il le détourne de Chien qui est la personne la plus importante pour lui dans cette occurrence ? Loup est assez grand pour faire la part des choses quand même, surtout que Berry lui a jamais dit qu'il allait le kidnapper pour qu'ils filent leur idylle loin de la Machine.
Je comprends que la révélation tourneboule Loup, cela dit. Y'a beaucoup d'autres choses très mystérieuses dans tout cas, genre le patrimoine génétique de Grenade qui disparait. Le seul enfant conçu depuis... ça serait Lou ? Ou ca a un rapport avec le "liant" que Serpent cherchait pour combiner l'ADN de Lou et le sien ? Que de questions !
Oh et pauvre Bebbe... (elle aura attendu deux heures avant de se décider, quand même x'D). C'est très bien fait ce passage où on croit comme elle que Lièvre l'a trahie alors qu'en fait il parlait pas du tout de ça et il était juste pressé de la retrouver T.T POURQUOI TU DETRUIS TOUTES LES RELATIONS UN BRIN POSITIVES, HEIN ?? Ah et le parallèle avec Loup coincé dans l'ascenseur, aussi ! Non vraiment côté alternance chronologique ça marche super bien, ça donne un rythme de ouf !
Du coup j'ai peur pour Loup (qui était trop chou avec son impatience à revoir Chien), et pour Bebbe, et pour Grenade, et pour les résistants... Et pour tout le monde en fait parce que je trouve Mokh vraiment flippant et que j'aime pas bien le chantage pourri qu'il fait à Griffon ><
Je suis sûre que j'ai oublié de dire des tas de trucs mais sache que je suis A DONF et que je trouve ces chapitres vraiment super (je t'envoie le doc avec les corrections du coup !)
Des zibous pédestres ! ♥
GueuleDeLoup
Posté le 21/12/2016
Désolée j'ai enchaîné sur le chapitre 13 et puis j'ai plus pu m'arrêter alors j'ai continué sur ma lancée et pour la première fois depuis des siècles je peux dire que JE SUIS A JOUR SA MERE.
Bravo MAIS CA NE T'AUTORISE PAS A ETRE VULGAIRE!! 
:D
Et je sais pas bien par où prendre ce commentaire. J'ai trouvé que les choses s'accéléraient vraiment dans ces deux chapitres ; c'est plein d'actions, de révélations et de rebondissements auxquels je m'attendais pas et j'ai l'impression qu'on se rapproche de la fin de la partie. C'est parce que c'est vrai.
 
Concernant la parenté de Loup, je suis pas trop surprise ; entre le fait que Lou et Radje ait eu une relation et, je crois surtout, le fait d'avoir vu un dessin où Lou et Loup étaient très semblables, je crois que j'y trouve une certaine logique, même si tout concorderait pour dire que c'est impossible (entre le fait que Lou soit un Pilier et celui que Radje soit un sylphe).
Oui j'avais fait exprès sur ce dessin, ils ont exactement la même couleur de cheveux ^^. 
JE LE SAVAIS que ça allait mal finir entre Loup et Berry T.T Mais je crois que je comprends pas pourquoi tout le monde (y comprit Berry lui-même) s'obstine à dire que c'est de sa faute ? En quoi coucher avec lui est si dramatique ? "Juste" parce qu'il le détourne de Chien qui est la personne la plus importante pour lui dans cette occurrence ? Loup est assez grand pour faire la part des choses quand même, surtout que Berry lui a jamais dit qu'il allait le kidnapper pour qu'ils filent leur idylle loin de la Machine.
Alors tout le monde gueule parce qu'ils savent un truc que tu ne sais pas encore en tant que lecteur et que tu apprendras dans l'interlude num 2. Voilà.
Je comprends que la révélation tourneboule Loup, cela dit. Y'a beaucoup d'autres choses très mystérieuses dans tout cas, genre le patrimoine génétique de Grenade qui disparait. Le seul enfant conçu depuis... ça serait Lou ? Ou ca a un rapport avec le "liant" que Serpent cherchait pour combiner l'ADN de Lou et le sien ? Que de questions !
Haha, ça a perturbé Léthé et Flammy aussi mais enf ait tu as déjà la réponse dans le chapitre 7 je crois. Griffon a demandé à Chien de mettre le patrimoine génétique de GRenade à part ;). Donc tout n'est que plan sur la comète .
Oh et pauvre Bebbe... (elle aura attendu deux heures avant de se décider, quand même x'D). C'est très bien fait ce passage où on croit comme elle que Lièvre l'a trahie alors qu'en fait il parlait pas du tout de ça et il était juste pressé de la retrouver T.T POURQUOI TU DETRUIS TOUTES LES RELATIONS UN BRIN POSITIVES, HEIN ??
C'est pour mieux vous faire pleurer mon enfant. Bon en vrai je ne détruit pas tout. On est au milieu du livre, il faudra être à la fin pour faire un vrai bilan.
Ah et le parallèle avec Loup coincé dans l'ascenseur, aussi ! Non vraiment côté alternance chronologique ça marche super bien, ça donne un rythme de ouf !
Merci, j'en ai gravement chié pour écrire ce chapitre XD. Heureusement, la magie demon plan de psychopathe m'a sauvée.
Du coup j'ai peur pour Loup (qui était trop chou avec son impatience à revoir Chien), et pour Bebbe, et pour Grenade, et pour les résistants... Et pour tout le monde en fait parce que je trouve Mokh vraiment flippant et que j'aime pas bien le chantage pourri qu'il fait à Griffon ><
Il y aura au moins une personne de vivante à la fin,je le jure. Mais ce sera peut-être Mokh ceci-dit :D.
Je suis sûre que j'ai oublié de dire des tas de trucs mais sache que je suis A DONF et que je trouve ces chapitres vraiment super (je t'envoie le doc avec les corrections du coup !)
 
Merci merci merci <3 Tu es une formidable lectrice!
Des zibous pédestres ! ♥
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