Chapitre 14

 «  Alors, Aloysius, comment fut le voyage ? »

Annwn avait peint ses lèvres d'un pourpre qui soulignait la moindre de ses moues. Le jeu des ombres de la bibliothèque lui allait bien.

Aloysius reposa ses lunettes, et se dirigea tranquillement vers ses appartements, qu'il avait fait aménager au sein même de la tour des Écrits. Annwn se moquait éperdument du voyage en soi, tous deux le savaient. Il s'empara d'un étui de cuir cylindrique, revint sur ses pas et emprunta l'escalier en spirale qui menait à sa partie supérieure. Annwn lui emboîta le pas, en soulevant sa robe à deux mains. Elle n'aimait pas la Salle des Écrits, trop chargée de papiers du sol au plafond, de mots qui usaient les yeux et la tête. Les murs intégralement couverts de casiers de fer lui donnaient le vertige. Elle trouvait prétentieuses les couvertures de cuir, les enluminures, et ô combien agaçants les soins dont Aloysius les entourait. Annwn aimait pourtant les belles choses, les robes, les parures, les tables abondantes, avec des coupes en cristal du sud, et le brillant des bijoux qui dansaient sur les corps quand on trinquait. Mais elle n'était pas femme à s'embarrasser de contradictions.

Aloysius sortit un rouleau de l'étui, et le jeta sur une table d'étude, comme un vulgaire chiffon. En faisant glisser l'anneau qui le maintenait, Annwn demanda :

«  Où l'avez-vous trouvé ?

– Cela a-t-il vraiment une quelconque importance ?

– Cela pourrait en avoir » dit-elle, et elle fit glisser ses doigts sur la douceur du vélin, découvrant le contenu du rouleau.

Aloysius haussa les épaules.

« Très au nord, au-delà des Cimes. Un village de montagnards, des mineurs je crois.

– Des mineurs ? Ah. » fit-elle sans lever les yeux du document.

– Oui, spécialisés dans l'extraction d'un métal, je n'ai pas compris lequel, je ne comprenais pas grand chose en fait. C'était de l'ügur des montagnes, je le comprends habituellement, mais leur accent... Comme s'ils mâchaient des pierres. Enfin, je l'ai soutiré à une vieille folle.

– Bien joué Aloysius, très bien joué... »

Elle se redressa vivement : « Je dois étudier ça au plus vite. Vous avez toujours le glossaire ?

– Tout est en haut, comme d'habitude.

– Un jour, il faudra vraiment me donner la clé.

– Et si on vous la vole ? Mm ? »

Il s'empara de la clé qui pendait à son cou, sous sa tunique, et alla ouvrir la petite porte bardée de clous, encastrée dans les étagères. Un nouvel escalier en vis, plus étroit encore que le précédent, les mena à ce qui fut longtemps un poste de sentinelle. Mais les meurtrières avaient été vitrées, et le sommet de la tour accueillait maintenant les Textes confinés, comme Aloysius les nommait pudiquement. Il avait obtenu, quelques années auparavant, le droit de limiter l'accès à une partie de la bibliothèque pour des écrits qui, disait-il au Roi, pourraient être dangereux entre certaines mains. Éploré par la mort de son aimée, le Roi avait acquiescé pour retourner au plus vite à son chagrin.

« Il fait toujours aussi froid ici. Vous devriez faire quelque chose Aloysius.

– Voici le glossaire, rétorqua-t-il sans relever les remarques d'Annwn, ni même la regarder, c'est tout ce dont vous avez besoin. Bonne lecture Ma Dame, je resterai en bas le temps qu'il faudra. »