Chapitre 14

Par Bow

Le mois de novembre venait de commencer. La vie suivait son cours et ceux-ci s’enchainaient, nous laissant peu de répit. Les semaines me paraissaient longues, les jours me semblaient fades, à l’exception des jeudis pendant lesquels j’avais le privilège de passer deux heures en ta compagnie. Comme je l’avais espéré, ces heures de spé nous avaient beaucoup rapprochés. Nous étions devenus de véritables amis. Néanmoins, comme je l’avais redouté, j’avais fini par me laisser avoir. Ton rire, ta délicatesse, ta sensibilité, ta gentillesse et ton attention avaient eu raison de moi. J’étais définitivement amoureux, définitivement perdu, définitivement condamné à vouloir quelque chose qui n’arriverait jamais. Certains jours, j’en venais à souhaiter ne plus te parler, te savoir aussi proche de moi et à la fois aussi inaccessible m’étant trop douloureux. Mais la volonté d’en avoir toujours plus, ou d’avoir au moins ma dose de toi hebdomadaire prenait toujours le dessus, et j’alimentais avec enthousiasme nos discussions dans la salle de physique. 

C’était un mardi. Nous étions en cours d’anglais. Ta place étant située juste derrière la mienne, ce cours était généralement propice à ce que nous discutions un peu, créant des suppléments au jeudi dans mes semaines. Mais ce jour-là, Hugo était déchainé. Il s’était disputé avec ses parents la veille, et tenait à tout prix à me raconter les moindres détails de leur altercation, me donnant son avis et réclamant le mien. Il avait l’air si désemparé que je restai attentif à ses paroles pendant l’entièreté de la séance, en oubliant quasiment ta présence à seulement quelques centimètres de moi. Pas une seule fois je ne me suis retourné pendant toute l’heure. Juste avant que la sonnerie ne retentisse, nous conclûmes avec Hugo qu’il n’était pas en tort, mais qu’il fallait qu’il rediscute le soir même avec ses parents lorsque la tension serait redescendue. La discussion était close, il n’y avait plus rien à ajouter. Quand la courte mélodie assourdissante espérée par tous se fit entendre, Hugo rangea rapidement ses affaires dans son sac et je me mis à faire de même, jusqu’à entendre une voix venir de derrière.

— Eh, Nicolas ?

Ta présence me revint alors en mémoire, libérant une vague de dopamine dans mon esprit. Je me retournai, pressé de savoir ce que tu avais à me dire.

— Tu comprends quelque chose aux nombres imaginaires toi ?

Je fus surpris par la spontanéité de cette question. Elle était arrivée sans aucun contexte, sur un ton qui ne te ressemblait pas, à un moment inattendu.

— Oui, ça va, bafouillai-je. Pourquoi ?

Je te vis rougir, ce qui me surprit encore davantage.

— Moi je comprends vraiment rien, ça me stresse un peu pour l’évaluation de la semaine prochaine.

Je me sentis peiné par ta détresse. J’aurais aimé te venir en aide, de n’importe quelle manière. Alors je pris la première qui me vint en tête.

— Tu veux que j’essaye de t’expliquer ?

Tu hochas la tête furtivement, sans aucune hésitation.

— Oui ce serait super gentil, sinon je pense que je n’y arriverai jamais.

J’essayai de ne pas rendre perceptible le sentiment de joie qui me traversa. J’étais enthousiaste à l’idée de n’importe quel moment seul à seul avec toi, même si c’était pour un cours de maths.

— A la prochaine heure de perm si tu veux, proposai-je. 

Je m’attendais à te voir approuver, mais aucun signe d’accord ne se manifesta dans ton attitude. Tu haussas les épaules en grimaçant.

— Bof, c’est pas l’idéal.

Mon étonnement m’empêcha de formuler une réponse. Je ne comprenais pas en quoi la salle de permanence, qui disposait de tables et de chaises, soit tout ce qu’il faut pour travailler, et dans laquelle nous pouvions parler autant qu’il nous plaisait, n’était pas idéale pour une séance de travail. En réalité, au-delà de mon incompréhension, j’étais surtout angoissé à l’idée que tu ne te décides finalement à renoncer à ta proposition. Moi qui avais été si heureux de cette perspective que tu venais de me laisser entrevoir, j’avais l’impression qu’elle allait me glisser entre les mains, comme si je n’avais pas été à sa hauteur, comme si je n’avais pas dit les bons mots pour pouvoir la retenir. Était-elle fragile à ce point, ta volonté de recevoir mon aide ? Que devais-je faire de plus pour en être digne ? J’avais envie de recommencer la scène, que tu me demandes à nouveau si je pouvais t’expliquer le cours pour que cette fois je ne réponde pas « à la prochaine heure de perm », qui visiblement était une mauvaise idée. Je voulais une seconde chance, même si la première n’était pas encore officiellement morte. Devant mon air béat, tu me fournis un peu plus d’explications.

— C’est vrai, il y a toujours plein de monde, j’aurai du mal à me concentrer et on sera interrompus tout le temps. 

Ton regard avait l’air de chercher mon approbation. Je ne pus t’apporter qu’une interrogation.

— Comment tu veux faire alors ?

Tu baissas les yeux tout en disant, d’une voix beaucoup moins assurée qu’à l’habitude :

— Je me disais que tu pouvais passer chez moi un soir après les cours, l’année dernière ça m’avait bien aidée quand on était chez toi. 

Je sentis mon cœur s’emballer. Évidemment que j’étais prêt à venir chez toi, n’importe quel soir, ce soir même si c’était possible. J’essayai de limiter l’enthousiasme que je communiquais dans mes paroles.

— Oui, on peut faire comme ça. Pas de problème.

Un sourire se dessina sur ton visage, un sourire auquel j’étais incapable de refuser quoi que ce soit, même si je n’avais de toute façon aucunement envie de refuser.

— Super. Demain soir ça t’irait ?

Demain soir. Si rapidement. Les bonnes nouvelles s’enchaînaient à tel point que j’avais peur de m’en réjouir, comme si ça avait pu les annuler.

— Parfait, je suis disponible, répondis-je sans même m’être demandé si j’étais disponible.

— Super, répondis-tu comme pour clore la discussion. 

Un éclair sembla traverser ton esprit.

— Attends, il faut que je te donne mon adresse.

Et, comme si les téléphones portables n’avaient jamais existé, je te vis arracher un bout de la dernière page de ton cahier. Tu pris rapidement un stylo dans ta trousse et nota quelques mots sur ce papier qui est maintenant revenu dans tes mains. Quand tu me le remis, j’avais l’impression que je venais de gagner au loto. J’avais gagné ton adresse, et ça valait tout l’or du monde. 

Tu rassemblas rapidement le reste de tes affaires et nous sortîmes de la classe. Je m’aperçus qu’Hugo m’attendait dans le couloir. Avant de lui faire part de ce qui venait de se passer, je pris quelques secondes pour le réaliser moi-même. Le lendemain soir, je serais chez toi. Je réalisais alors que le lendemain c’était un mercredi, et que le mercredi soir j’avais tennis. Qu’importe, je n’irais pas à l’entrainement. J’avais quelque chose de bien plus important de prévu. Quelque chose qui allait être déterminant pour le reste de ma vie, je le sentais au fond de moi. 

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