Chapitre 14

Thomassine pris plusieurs jours de repose pour se remettre de ses émotions. Dès qu’elle retrouva un peu de vigueur, Thomas porta une copie de la lettre à la police. La première question des inspecteurs concerna la manière dont il l’avait obtenu.

—Secret des sources messieurs Je vous porte ce document, car beaucoup de lieux parisiens sont en danger. Mais je continuerai à mener mon enquête sans votre aide. Sur ce, je vous souhaite une bonne journée messieurs.

L’un deux le retint par le bras.

-Un homme est mort étranglé puis balancé du haut de la tour Eiffel ! Vous nous apportez cette revendication ? Si ça se trouve vous êtes l’assassin ou même l’un d’entre eux !

Thomas se dégagea et le ton monta rapidement.

-Prenez mes empruntes si vous pensez que j’ai tué ce type ! Allez-y ! Ne rejeter pas votre incompétence sur moi brigadier ! Vous avez ri au nez de Melle Fèvre et m’avez viré du Louvre ! Faites votre boulot et j’envisagerai de vous en dire plus ! Protégez Paris nom de nom !

Thomas quitta le commissariat sans un regard un arrière, très fier de son aplomb. Hors de question que la police le coiffe au poteau après ce qu’il avait vécu. Une boule au ventre l’attaqua quelques mètres après être sortie des locaux de la police. Sa mésaventure à la tour Effel lui avait rappelé que son activité n’est pas sans danger et que les pires craintes de son père s’étaient en partie concrétisées

Après l’événement de la Tour Eiffel, Erik l’avait raccompagné chez elle en toute discrétion. Thomassine, encore sous le choc, fondit en larme auprès de son père.. Elle mentit pour garder l’aide du fantôme secrète. Depuis que ce dernier avait récupéré le mécanisme de la sirène elle n’avait plus aucune nouvelle de lui. S’il ne se manifestait pas dans les prochains jours, elle se rendrait à l’Opéra pour le dénicher.

Cette aventure l’avait aussi décidé de passer à la mode garçonne sous sa vraie identité. Le pantalon allait devenir un allié précieux si elle devait aussi enquêter de façon improvisée sous ses traits féminins. Cette transition dans les jours qui suivirent ne se fit pas sans hurlement de la part de sa mère. Elle trouvait cette mode grotesque. Heureusement, le soutien indéfectible de son père l’avait confortée dans ce choix.

C’est donc vêtu en garçonne qu’elle se rendit à l’Opéra pour discuter avec Érik. Évidemment, il lui était impossible de demander à le voir, mais le Persan lui était facile à rencontrer. L’homme supervisait l’installation d’un mécanisme pour permettre l’amélioration de la scène qui allait être reconstruite.

— J’ai besoin de voir Érik, déclara-t-elle sans préambule en se posant devant lui.

— Bonjour Mademoiselle Fèvre, enchanté de vous revoir aussi, dit-il en levant les yeux de son ouvrage.

Elle se rendit compte de sa rudesse et lui rendit la politesse, puis répéta qu’elle avait besoin de voir le fantôme.

— Je peux vous conduire jusqu’à la barque, mais maintenant qu’il a réinstallé la sirène, c’est très dangereux d’aller plus loin s’il ne désire pas vous recevoir.

— Je prends le risque…

Il la regarda un moment, cette petite femme brune qui n’avait pas froid à ses yeux bleus. Elle était la totale opposition de Christine aussi bien physiquement que dans son comportement. Il hésitait à lui montrer le chemin. Érik était imprévisible.

— C’est pour aujourd’hui ou pour demain, s’impatienta-t-elle alors qu’il l’observait de la tête au pied.

Il se leva et lui fit signe de le suivre. Sur le chemin qui les menait au lac, l’étrange personnage se laissa aller à quelques confidences sur son ami masqué.  

— Vous savez, après les événements avec la Comtesse de Chagny, j’ai bien cru qu’il ne s’approcherait plus d’une femme. Ce fut vraiment des événements terribles. Vous êtes sans doute trop jeune pour vous en souvenir. C’est un génie, mais il n’a aucun problème à s’en servir pour faire le mal. Méfiez-vous de sa gentillesse. Il a été un ange protecteur pour Christine avant de s’avérer être son pire cauchemar. Et surtout, gardez votre main au niveau de vos yeux.

Thomassine écoutait avec attention ce qu’il disait. Le Persan était l’une des personnes qui connaissait le mieux Érik et être assez proches de lui.

-Pourquoi au niveau des yeux ?

-Le lasso…

Il laissa sa phrase en suspens mais Thomassine compris.

Il se conduisait comme un ange gardien… Pourvu qu’il ne change pas d’avis maintenant, pensa-t-elle alors qu’ils arrivaient au niveau du bassin.

Le canot était apponté et la longue perche qui servait à voir avancé l’embarcation reposait contre le mur.

— La barque est sur un rail. Il vous suffit de la pousser avec la perche. Après la sirène, si vous la passer, allez à gauche, puis à droite, et là vous le trouverez.

Elle le remercia, saisit la canne et monta dans le petit bateau sans hésiter. Le Persan poussa la chaloupe pour lui donner un premier élan. Il savait que la jeune femme ne devait pas avoir autant de force que lui pour la faire avancer. Après, elle se débrouillera.

Bien que guidée, Thomassine eut plus de mal à parcourir la distance entre la berge et la sirène qu’elle ne l’aurait cru. Quand elle arriva en vue de la créature mythologique, elle ralentit. Elle tenait là pour protéger le sanctuaire du fantôme contre les intrus. Rien ne disait qu’à l’instant présent, elle n’était pas considérée comme un importun. Lorsqu’elle fut à portée, la jeune femme tapota la statue avec le bout de sa perche, au cas où cela déclencherait un quelconque mécanisme. Elle savait ce que le « cœur » était capable de faire sur la poutre de la tour Eiffel, alors sur un corps humain…. Rien ne se produisit. Elle avança jusqu’à sa hauteur. Rien. La dépassa un peu. Rien. Elle continua donc son chemin en toute confiance. Ce n’est que quelques mètres plus loin que la machine se déclencha. Un clic la fit sursauter. Elle sentit quelque chose lui couper la respiration au niveau de la gorge et la tira violemment sous l’eau. « Gardez votre main au niveau de vos yeux » les paroles du Persan résonnèrent dans sa tête. Ce coup brusque et soudain ne lui ne permit pas de prendre une respiration. De surprise, elle cracha tout l’air qu’elle avait dans les poumons. À peine avait-elle la tête sous l’eau que son premier réflexe fut d’inspirer, buvant la tasse. Sa gorge, son nez et ses poumons la brulaient. En une fraction de seconde, elle se noyait. Elle se débattait comme une forcenée pour essayer de se dégager quand quelque chose la tira à la surface. Dès que sa tête fut hors de l’eau, elle recracha celle qu’elle avait ingurgitée. Elle toussa plusieurs fois avant que de l’air emplisse de nouveau sa cage thoracique douloureuse. Elle se frotta les yeux pour se débarrasser de l’eau qui les lui piquait. Elle commença alors à distinguer le masque blanc du fantôme qui la regardait, l’air très énervé.

— Pauvre folle ! La sirène est un piège mortel !

Il la disputa encore un long moment sans qu’elle y prête vraiment attention puisqu’elle essayait de retrouver une respiration normale. Voyant qu’elle n’écoutait rien, il saisit la perche et poussa les deux barques vers l’entrée de la caverne du lac. Il la jeta sans délicatesse sur la berge avant de repartir.

— Érik ! Érik attendez ! S’étrangla-t-elle entre deux quintes de toux.

— J’ai récupéré mon bien, je n’ai plus rien à faire avec toi ! Ne reviens pas ! La prochaine fois, je laisserai la sirène accomplir son œuvre.

 Il disparut dans les ténèbres.

Thomassine resta un moment à genoux à sangloter et taper du poing contre le sol. Quelle cruche ! Le Persan l’avait mise en garde.

Elle entendit des bruits de pas derrière elle. L’étrange homme au turban apparut. Il avait l’air désolé. Il avait prédit ce qui allait se passer. Il tendit une serviette après l’avoir aidé à se relever. Ils se remontèrent vers l’Opéra pour qu’elle puisse se changer dans une loge vide. Il lui donna des vêtements secs et prépara du thé.

— Merci, dit-elle en prenant la tasse qu’il lui tendait.

— De rien, ça va mieux ? S’enquit-il.

— Oui merci. Il faut que je me prépare mieux aux coups durs.

— Qu’allez-vous faire maintenant ? Vous allez continuer à enquêter ?

—Bien sûr. J’ai commencé seule, je finirai seule. Et je sais par où je vais continuer. Merci de votre gentillesse.

Il la raccompagna à la sortie de l’Opéra et elle s’éloigna en traînant des pieds. Elle regagna son petit bureau en passant devant de nombreux bâtiments culturels où la police patrouillait. Thomassine pensa qu’il devait aussi y avoir des agents en civil. Il ne fallait surtout pas créer la panique.

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