Chapitre 14

Notes de l’auteur : Notes de l’auteur : Notes de l’auteur : 02/05/2022: J'ai décidé de réécrire certains aspects de l'histoire et de reposter, en raccourcissant les chapitres sur Plume d'Argent pour que ce soit plus facile à lire pour les lecteurs de PA.
Je serai reconnaissante de tout commentaire, tout avis constructif pour améliorer mon récit.

Merci, et bonne lecture!

 

14

 

Le lendemain, on partit avant le lever du soleil, pour éviter que je ne sois repérée et reconnue. Isolde avait tout préparé : la nourriture, de l’eau et des couvertures pour la nuit. Elle m’avait prêtée l’une de ses robes, pour que je n’ai plus l’air d’une servante en fuite.

Isolde retint William aussi longtemps que possible pour lui dire au revoir. Pendant ce temps-là, je me battis pour monter à cheval avec ma jambe blessée. La robe de ma jument était brune, d’où le nom que je lui avais donné : Noisette, et le cheval de William était noir.

Je finis par arriver à me hisser sur la selle. Après avoir lutté pendant un moment avec les rênes de la bête, je lui murmurai quelques mots elfiques. Noisette se calma et décida de suivre le cheval de William. Il m’avait entendue parler dans une autre langue à l’animal et avait remarqué son changement de comportement ; maintenant, le jeune homme ne cessait de me lancer des regards étranges.

Arrivés aux portes de la cité d’Azraald, je fus remuée de voir l’immense muraille et les tours de gardes d’aussi près. On ne s’en rendait pas compte depuis le palais ou l’intérieur de la ville mais c’était un état de siège. On pouvait encore voir les dégâts de l’attaque de la veille. Les feux avaient bruni les murs, des pierres avaient été arrachées, des tas de flèches et des armes brisées étaient empilées…

En approchant les gardes, je tirai ma capuche pour cacher mon visage. William descendit de cheval, leur parla pendant un petit moment puis leur donna quelques pièces qui les convainquirent de nous laisser passer. Après quelques mètres au-delà de l’enceinte, je me retournai curieusement mais les gardes avaient décidé d’ignorer notre existence.

Un système défensif s’étendait autour et au nord de la cité. Dans la direction que l’on suivait se trouvaient des champs qui avaient été en grande partie brûlés.

Je serrai les rênes de Noisette. Voir cette guerre d’aussi près me terrorisait.

— Pourquoi ne voulaient-ils pas nous laisser passer ? demandai-je, même si j’avais une idée de la réponse.

— Les entrées et sorties d’Azraald sont normalement interdites, sauf sur autorisation. Les gardes n’ont pas vu nos visages et j’ai payé suffisamment pour qu’ils nous laissent passer sans autorisation et qu’ils oublient qu’on soit passé.

Je ne répondis rien. Je levai les yeux, vers la forêt qui s’étendait au loin. Je n’étais plus dans le cocon de la cité protégée, j’étais maintenant sur un territoire en guerre. Et comme si cela ne suffisait pas, cet endroit était rempli de créatures toutes aussi dangereuses les unes que les autres. Quoi que, je n’étais sans doute pas plus en sécurité dans Azraald si les Agramiens pouvaient attaquer et passer au-delà de toute cette défense jusqu’à la place principale. Ou que j’étais recherchée par ce Durand, ou quiconque ayant besoin de cinquante pièces d’or.

Une fois dans le bois, je fus surprise par l’atmosphère normale que l’endroit dégageait. Je me serai attendue à une obscurité constante, des bruits étranges, des ombres passant au travers des arbres… mais rien de tout cela. Juste… une infinité de conifères ennuyants et une grande route avec des bornes à distance régulière pour indiquer le chemin parcouru.

— Tu es encore en vie ? intervint William au bout d’un moment.

Je fus surprise d’entendre sa voix, il n’avait pas parlé depuis notre départ. Mais une fois la surprise passée, je réussis à bafouiller une phrase plus ou moins intelligible :

— Heu, je ne suis pas encore tombée pour me briser la nuque.

Je fis accélérer Noisette pour me retrouver à sa hauteur. Au lieu de me répondre, il me toisa de son regard distant. Nerveuse, je détournai le regard mais ne pus m’empêcher de briser le silence angoissant :

— Où avez-vous trouvé ces chevaux ? interrogeai-je.

William hésita, puis il se tourna vers moi en grimaçant.

— Je suis allé les vo… les emprunter au palais.

— Tu les as volés ?! m’écriai-je.

— Non ! Enfin, si… mais non ! Je vais les rendre…

— Je n’arrive pas à y croire, comment as-tu pu voler des chevaux ?

— Louer des chevaux auprès du palefrenier aurait attiré l’attention sur nous. Ne t’en fais pas, je les ai prévenus au palais, je vais les rendre et en plus ils ont largement assez de chevaux comme ça.

— Prévenus ? Qu’est-ce que tu veux dire par « prévenus » ? Tu n’as pas assommé les gardes quand même, ou tu les as tués ?!

— Tu crois franchement qu’ils mettraient des gardes pour quelques chevaux ? J’ai laissé un mot en leur disant que je les leur rendrai dans un mois.

Il me lança un regard blasé. Je le suivis d’un peu plus loin, incrédule et impressionnée par son culot.

— Et puis, je ne suis pas le seul à « emprunter » au palais, ajouta-t-il.

Offensée, je le foudroyai du regard, même s’il avait raison étant donné que j’avais emprunté l’onguent d’Aredd au palais. William afficha un air triomphant après avoir réussi à me faire taire et me provoquer une telle réaction.

Il vérifia qu’il n’y avait personne dans les environs puis il fit passer son cheval entre les arbres. Quitter la route rendait la traversée de Melahel plus inquiétante et même si la forêt restait relativement normale, je ne pouvais m’empêcher de craindre ce qu’il se cachait derrière les buissons. En essayant de me souvenir de la carte, et d’après les sons que j’entendais, je compris que l’on devait être proches du fleuve qui traversait le royaume. Calador avait passé six ans à m’enseigner tout ce qu’il pouvait sur les dangers et les beautés de la forêt, mais on ne s’y était jamais aventuré au-delà d’un demi-kilomètre à cause de la frontière protégée par les elfes. Je savais que j’étais en sécurité avec mon mantë et qu’en courant, je retrouverai rapidement les collines familières. C’était la première fois que je traversai une forêt entière, sans mon mentor, accompagnée d’un presque-inconnu. Calador aurait honte de me voir aussi tremblante et nerveuse.

 

Toute la chevauchée se passa dans un silence presque complet. Je n’avais pas le cœur de trouver le moindre sujet de conversation et William était bien trop taciturne pour que je me permette de briser ce calme froid. Il m’avait à peine lancé un regard, à part les quelques fois où la douleur dans ma jambe m’avait fait réagir trop fort. Cependant, il maintenait une attention gardée à chaque pause, m’observant de loin et comblant la distance entre nous dès que je boitais assez pour manquer de tomber.

Lorsque la forêt se mit à s’assombrir, suffisamment pour que je fasse ralentir Noisette par crainte qu’elle ne trébuche, William annonça enfin qu’il était temps de se reposer pour la nuit. J’en fus terriblement soulagée, tout mon corps était douloureux. Il avait trouvé une petite clairière avec un ruisseau qui brillait de clarté dans les dernières lueurs du jour. Il prépara un feu pendant que je m’éloignai pour m’occuper de mes besoins, et à mon retour, on mangea rapidement une ration de pain, fromage et pomme. Je m’installai pour dormir quand William se leva et s’éloigna discrètement entre les arbres.

Tous mes membres étaient lourds de fatigue, mes yeux brûlaient d’épuisement, mais je fus incapable de m’endormir. À part les chevaux, j’étais complètement seule au milieu de nulle part, dans une forêt inconnue, avec seulement un feu crépitant et les étoiles froides et lointaines au-dessus de moi.

Mon anxiété grandissait de me sentir complètement abandonnée et à la merci des pires cauchemars de la nuit, je décidai de me distraire en observant la voûte étoilée d’Erydd. J’étais fascinée et inconfortable de voir quelque chose qui aurait dû être familier et constant, mais les étoiles et les constellations qui s’étalaient loin, loin, dans le firmament m’étaient inconnues.

C’était la première fois que je réalisais que j’avais réellement quitté Sehaliah. Le ciel que j’avais toujours connu, le monde dans lequel j’avais grandi.

— Que regardes-tu avec tant de fascination ? demanda William en revenant avec plus de bois sec (trouver de quoi allumer un feu avait été une épreuve dans cette forêt chargée d’humidité).

Je me serai attendue à ce qu’il s’assit sur le tronc d’arbre derrière moi car la nuit était encore jeune, mais il devait être plus fatigué que ce que je pensais car il s’étendit de tout son long sur la couverture qui l’attendait. Il tourna son attention vers le ciel, son regard cherchant curieusement ce que j’avais observé si intensément.

J’aurai presque ris de son adorable expression à laquelle je ne m’étais pas attendue.

— Juste les étoiles, répondis-je.

À ma grande surprise, il plongea dans un silence pensif.

— C’est toujours ma partie préférée quand je pars en balade loin d’Azraald, répondit-il enfin.

— Les étoiles ? m’étonnai-je.

— Azraald est une cité trop grande, je ne peux jamais voir les étoiles correctement.

J’acquiesçai. Même si Lamania avait été perdu au milieu de nulle part, son emplacement au croisement de tant de routes signifiait une luminosité constante nécessaire.

— On finit aveuglé par toutes les lumières de la ville, et on se retrouve incapables de voir la moindre étoile, continua-t-il.

— C’est étouffant, n’est-ce pas ? Tant de gens, tout le temps, sans jamais avoir l’impression de pouvoir avoir le moindre répit.

— Tu as grandi dans une auberge, c’est ça ?

— D’aussi loin dont je me souvienne, l’auberge du Roi Doré et le village de Lamania ont été les limites de mon monde.

Un sourire tira légèrement sur le coin de ses lèvres, mais il garda son attention rivé sur la voûte au-dessus de nos têtes.

— Ma mère m’a raconté que les étoiles sont les âmes de nos ancêtres, qui veillent sur nous, murmura-t-il.

— Si tu crois que penser que ma mère est là-haut est le moins du monde réconfortant, tu as tort.

Je regrettai immédiatement mon ton acerbe et ingrat. Il cherchait sûrement à me consoler.

Il gigota, mais il ne sembla pas prendre mal ma réponse. Il ne quitta pas des yeux les étoiles, comme s’il y cherchait quelque chose… ou quelqu’un ?

Il ouvrit enfin la bouche, l’air terriblement sérieux :

— Je n’ai jamais compris cette histoire d’ancêtres, s’ils étaient tous là-haut, le ciel serait constamment d’un blanc aveuglant. Il y aurait bien trop d’étoiles.

Je ne pus m’empêcher de retenir le rire qui m’échappa. William se tourna vers moi, manifestement surpris de mon amusement.

— C’est une réponse si logique ! m’exclamai-je.

— Il n’y a rien de mal à ça, maugréa-t-il.

— Non, mais j’aurais dû y penser il y a longtemps. Calador m’a raconté une fois que les étoiles étaient un cadeau des Enaidi, pour guider les voyageurs et les navigateurs lorsque l’est et l’ouest avaient disparu dans la nuit. Je…

Ma voix se fit plus hésitante. Cela embrasa l’attention de William sur moi.

— Quand tu es revenu à l’instant de ta balade, j’étais en train d’essayer de trouver les constellations que je connais… Mais j’ai perdu l’est, l’ouest, et tous mes repères. Je suis complètement perdue, avouai-je.

William remua d’un air embarrassé. Il finit par passer une main derrière sa nuque, chevilles croisées d’un air presque détendu. Il pointa une série d’étoiles rassemblées ensemble.

— C’est le Chasseur, avec son arc. La pointe de sa flèche pointe toujours vers le nord.

Je suivis du regard ce qu’il m’indiquait et si j’eus du mal à trouver la forme du moindre chasseur, je repérai l’arc et la flèche plus facilement. Pointée vers le nord, où nous nous rendons.

— D’après Maël, le Chasseur pointe vers le nord parce qu’il cherche à défendre sa belle, la Joueuse de Lyre, que l’on peut voir par-là.

Je me demandai un instant qui était ce « Maël » mais je n’osai pas l’interrompre. Il me montra la constellation mais je devais avoir l’air perdu car William insista avec son doigt.

S’impatientent de mon incapacité de trouver cette constellation, il se redressa sur un coude et de sa main libre, il attrapa mon visage. Il se pencha un peu plus pour tracer la forme de la musicienne.

Je retiens mon souffle, réalisant avec un mélange d’horreur et d’émoi notre proximité soudaine. Si cela le dérangea, il n’en montra rien.

J’acquiesçai à ce qu’il expliqua, concernant le Chasseur et la Joueuse de Lyre, sans vraiment enregistrer la moindre information. Il recula, me laissant enfin respirant, et se réinstalla sur sa couverture. Il continua de me montrer quelques constellations, les formes se formèrent au-dessus de ma tête, liées d’étoile en étoile, comme une peinture qui prenait vie. Une vie d’immortel, à tournoyer éternellement dans le firmament du monde d’Erydd, sans jamais pouvoir changer leurs destins.

— Si ce ne sont pas les âmes de nos ancêtres, que penses-tu que les étoiles soient ? m’enquis-je curieusement après un moment de silence.

Il observa la voûte céleste, réfléchissant à sa réponse. Je devinai à son visage qu’il n’avait jamais cherché à former sa propre théorie auparavant, mais qu’à présent il prenait la question sérieusement. Je ne pouvais qu’admirer cette intensité avec laquelle il considérait tout. De tous les voyageurs que j’avais croisé, peu avaient montré autant de sincérité.

— Nos rêves, peut-être, répondit-il à voix basse. Cela expliquerait pourquoi les étoiles restent si distantes et si inaccessibles, mais brillent de mille feux et nous guident chez nous.

J’aurai voulu admirer les étoiles, mais après de telles paroles, c’était William l’astre le plus étincelant.

Il me lança un regard embarrassé, et s’immobilisa. Ses yeux s’agrandirent et avec la lueur des flammes proches, toutes les nuances de brun rougeoyant et or éclatant y dansèrent. Ses joues de colorèrent, mais cela aurait pu être mon imagination.

— Je ne t’avais jamais vue sourire, bafouilla-t-il comme s’il s’agissait d’un miracle inattendu.

Ce sourire dont je n’avais pas réalisé la présence m’échappa. Il glissa de mon visage aussi rapidement qu’un bourgeon de fleur printanier, effrayé par une givre inattendue. Je me détournai, visage tourné vers le ciel, mais les étoiles me semblaient soudain trop lointaines et trop froides.

— Pardon, je… Je ne voulais pas…

Je n’avais plus le moindre courage de parler et, n’obtenant aucune réponse de ma part, William s’écarta de moi.

— On devrait dormir… On a une longue chevauchée demain, dit-il.

Au ton de sa voix, j’aurais pu croire qu’il regrettait son compliment, cette conversation tout entière. Et la culpabilité me sombra dessus. Il fut un temps, il n’y avait pas si longtemps, où j’avais aimé sourire. Je n’avais même pas réalisé jusqu’à cet instant que j’en avais oublié la sensation. Comment pouvais-je me permettre de sourire quand ma mère et Calador étaient morts, qu’ils ne souriraient plus jamais ?

William me tourna le dos. Il cala sa tête entre ses bras et se recouvrit d’une couverture qui n’était pas aussi chaude que ce dont on avait besoin.

— Je m’excuse, je… C’est juste devenu difficile de sourire, je n’avais pas réalisé…

— Je sais ce que c’est, répondit-il après un long moment de pause.

Je remuai les mains, me sentant gauche après cet échange étrange.

— Tu as un beau sourire…

Je virevoltai vers William. Il remua, comme pour forcer le sol de la forêt à devenir plus confortable, ou peut-être qu’il cherchait à s’y enfoncer. Presque timidement, il finit par me lancer un regard par-dessus son épaule, les yeux étincelant. Comme des étoiles.

— Merci, William, répondis-je. Et… J’aime l’idée que les étoiles représentent nos rêves. C’est inspirant.

Je marquai une pause, consciente que mon sourire n’était pas entièrement forcé :

— Tu es moins froid et taciturne que ce que j’avais initialement pensé, William Smith.

Un sourire joueur apparut sur son visage.

— Et tu es plus sauvage et bornée que ce que je pensais, Prudence Bunker.

Après cet échange, aussi étrange et embarrassant qu’il fut, le sommeil me vint avec aise.

Le lendemain matin, William me réveilla à l’aube, l’air aussi fatigué que moi et on rassembla nos affaires avant de monter à cheval. Cette fois-ci, le silence n’avait pas été causé par le moindre mur ou embarra, simplement par respect pour ce court instant de calme dont la forêt profitait, après que les animaux nocturnes aient commencé à sommeiller, et juste avant que les oiseaux du matin ne se réveillent.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez