15
Les jours qui suivirent se firent dans une cadence qui força un répit inespéré à mes pensées frénétiques. J’étais trop fatiguée par l’effort constant pour paniquer en permanence, et les conversations avec William, devenues continuelles tout au long de la journée, offraient des moments de soulagement et de joie coupable à chaque fois que les mauvais souvenirs et les cauchemars se faisaient rappeler à ma mémoire. Je commençai à croire que d’une façon ou d’une autre William sentait mes moments de faiblesse et de détresse et intervenait chaque fois que je risquai de sombrer.
Je commençai malgré tout à m’impatienter du paysage répétitif de la forêt. J’avais l’impression que l’on n’avait pas fait le moindre progrès.
Pendant une pause à la fin d’une énième journée, alors qu’on était censé reprendre des forces, William étudia la carte à la place. Je me penchai pour l’observer et il leva un instant les yeux.
— Que veux-tu savoir ? demanda-t-il.
— Tu ne nous as pas perdus, tout de même ? m’enquis-je, taquinant à moitié.
Il roula les yeux. Au lieu de me répondre, il se pencha de nouveau sur le grand bout de papier qui semblait si important à ses yeux… Je continuai :
— Myrddin a parlé « d’amis ». De qui s’agit-il ?
— Morgane et Maël, répondit-il.
Il avait mentionné ce « Maël » auparavant, mais je n’avais jamais osé lui en demander plus.
— Et ils… sont ?
— Les chefs du Clan Shanedor, les vampires.
— Des quoi ? balbutiai-je en clignant des yeux.
— Des vampires. Il n’y en a pas dans ton monde ? s’enquit-t-il curieusement.
— Non ? De quel genre de créature s’agit-il ?
Il me fixa, perdu d’avoir à expliquer quelque chose qui lui semblait évident.
— Il y a des siècles, un portail s’est ouvert, et comme toi, des gens à l’apparence humaine sont arrivés. Ils ont été accueillis et aidés mais ils ne parlaient pas notre langue et… des gens ont commencé à disparaître. Puis des corps furent retrouvés. Leur sang avait été entièrement bu par ces créatures, appelés les vampires.
Mon sang se glaça. Je déglutis, mon cœur palpitant.
— Tu veux dire… ils se nourrissent… de sang humain ? soufflai-je, mes yeux s’agrandirent.
— Oui, ceux qui ne mourraient pas à cause de la morsure, étaient transformés en vampires eux-mêmes.
J’avais envie de vomir. Comment de telles créatures puissent exister et commettre de telles atrocités ?
— Ce sont des monstres ! m’exclamai-je.
Il fronça les sourcils, l’air agacé.
— Ils ne sont plus humains, mais ne les appelle pas des monstres, fit-il d’un air grave. Ceux qui commettent les actes les plus monstrueux sont toujours des hommes qui pensent être des héros.
Il marqua une pause. Je me sentis coupable d’avoir jugé ces créatures sans rien connaître d’eux.
— L’une des vampires de la nouvelle génération, Morgane Shanedor, rassembla les nouveaux vampires et décida de mener une guerre contre les envahisseurs. Aidés par les humains, ils réussirent à détruire les vampires menés par leur cheffe, Carmilla. Une fois la menace écartée, les vampires menés par Morgane se retirèrent dans la forêt et créèrent leur propre territoire. Ils ont appris à contrôler leur soif en buvant du sang animal plutôt qu’humain et ils sont les alliés de Melahel depuis lors.
— M-Morgane Shanedor… comme le nom du clan mais… mais…
Je fis une pause, me souvenant de ses mots un instant plus tôt.
— Tu as dit que tes « amis » étaient…
— Morgane et Maël, ce sont les deux chefs du clan des vampires, oui, répondit-il avec un hochement de tête.
— Q-quand se sont passés de tels évènements ? demandai-je, effrayée par la réponse.
Il plongea son regard dans le mien. Ses yeux étaient rougeoyant à cause du feu.
— Il y a près de deux siècles.
Malgré l’hiver, une bouffée de chaleur me donna des vertiges. Malgré le feu réconfortant, je frissonnai. Je serrai ma cape autour de moi, me recroquevillant, encore plus effrayée par les ombres dansantes de la forêt. Je lançai un regard à William. La lumière des flammes virevoltait sur son visage.
— Les elfes, les nains, les dragons… Tous vivent des centaines d’années, mais… ils sont nés de la magie des Enaidi, ajoutai-je.
— Pas les vampires, ils sont juste… créés, sans la moindre magie. Morgane l’a comparé à une infection. Une fois mordue, infectée, un vampire devient immortel. Ils ne vieillissent pas et ils possèdent une force et une rapidité inhumaines, continua-t-il. Mais ne t’en fais pas, ils ne font pas peur et ils sont généreux.
D’un air pensif, il remua les braises avec un bout de bois, comme s’il voulait ajouter quelque chose.
— Ils m’ont sauvé la vie quand j’étais petit et stupide. Depuis, Maël m’a pris sous son aile et m’a appris tout ce que je sais sur la forêt et le maniement des armes. Donc non, je ne suis pas perdu.
Sa voix était plus chaude, adoucie par les souvenirs. Je ne l’avais jamais vu comme ça, même s’il restait tendu et distant.
Un rire nerveux m’échappa, attirant son attention.
— Quand Myrddin a dit que tu avais appris le maniement des armes auprès de l’un des meilleurs épéistes d’Erydd… commençai-je, voix tremblante.
— Plusieurs siècles donnent largement le temps de pratiquer et devenir le meilleur, répondit-il avec un sourire. J’ai eu de la chance que Maël voit une qualité en moi qui le poussa à devenir mon mentor.
Si ce vampire Maël était son mentor depuis des années, leur relation devait être similaire à celle qui me liait à Calador. Mais ils étaient dans le même monde, et tous les deux étaient en vie, le mentor de William était immortel et quasiment indestructible…
Le souvenir de l’épée noire traversant le corps de mon mantë me hanta. Laissant échapper un soupir lourd de chagrin, je laissai tomber ma tête contre mes genoux.
— Tu as de la chance qu’il soit encore là pour toi…
— Tu… tu as eu un mentor également, n’est-ce pas ? Tu l’as mentionné auprès de Myrddin. De qui s’agit-il ?
— Calador, répondis-je dans un souffle avant de me redresser. Mon mantë s’appelait Calador, il était un elfe de Lómáwen.
— Les elfes existent donc… Je pensais qu’ils avaient tous disparu depuis des siècles.
Ses yeux pétillèrent de curiosité. J’hésitai, puis me rapprochai de lui. J’attrapai un bâton et traçai dans la terre tous les détails dont je me souvenais de la géographie de Sehaliah.
— Voici Sehaliah, un immense continent aux peuples variés : des humains et des elfes, mais aussi des nains, des dragons et des centaures. Je n’ai jamais rencontré de centaure et les dragons restent dans les montagnes ou les volcans. Les fées non plus, je ne les avais jamais rencontrées avant mon arrivée ici… expliquai-je. Ici, c’est Lómáwen, le territoire des elfes gardiens du Bilderŵ. Juste à côté c’est le Royaume de Belo et à la frontière… mon village, Lamania.
Je relevai mon visage. Mon cœur rata un battement en réalisant à quel point on s’était rapproché. William me regarda d’un air désolé, comme s’il comprenait la douleur d’avoir perdu l’endroit où on avait grandi.
— Dis m’en plus, s’il te plait.
Mes joues devinrent rouges, mais je ne pus m’empêcher de sourire. Parler de mon enfance, du pays où j’avais grandi, me donnèrent du baume au cœur, malgré le pincement douloureux qui me rappelait que j’avais perdu toutes ces choses.
Je lui parlai de Lamania, des autres peuples qui cohabitaient avec les humains mais j’évitai de mentionner la menace de l’Impératrice de Sombor. J’en aurais des cauchemars.
— Tu penses que les rêves peuvent durer longtemps ? demandai-je soudainement.
Il hésita, et réfléchit un moment avant de répondre :
— Je n’en sais rien… Cela fait tellement longtemps que nous n’avons plus vécu sans peur de mourir ou d’être attaqué par Agram que maintenant, je ne sais plus vraiment ce qu’est un rêve.
Avant que je ne puisse continuer, il s’immobilisa. Il redressa la tête et observa tout autour de nous.
— Tu as entendu ? fit-il.
J’allais répondre non lorsque je compris que ce qui l’avait fait réagir si soudainement était le silence. Aucun son d’animal qui courait, aucun cri d’oiseau nocturne, uniquement le bruissement inquiétant des branches d’arbres.
Il se releva d’un coup et jeta de la terre sur le feu, éteignant les flammes et nous plongeant dans la semi-obscurité. Seule la lune nous éclairait. J’attrapai nos affaires lorsque qu’il se déplaça frénétiquement pour partir d’ici. Je ne savais pas ce qu’il se passait mais cela devait être grave pour que William, d’habitude si stoïque, soit paniqué. Je chargeai les chevaux quand, au loin, des grognements rauques et des pas lourds se firent entendre, un cliquetis d’armes y faisant échos. Je me mis à sonder l’obscurité mais je ne vis rien dans les arbres.
Je connaissais ces sons, ces cris. Quelques jours plus tôt, je les avais fuis. Des orcs.
William avait également entendu, je me retournai vers lui en panique. Il détacha rapidement les rênes des chevaux mais avant que je ne puisse monter sur Noisette, il frappa leurs arrière-trains. Les deux animaux hennirent et partirent au galop. William m’attrapa le bras et partit dans la direction opposée.
— Willi–
Il me poussa derrière un grand arbre, un peu à l’écart de la clairière juste au moment où trois figures humanoïdes arrivèrent. William me tira contre son torse. Il nous plaqua tous les deux derrière l’arbre et sa main recouvrit ma bouche.
J’entendis les pas lourds des créatures qui venaient d’arriver.
— Des chevaux sont partis soudainement vers l’ouest et un feu est éteint, il est encore chaud, dit l’un d’entre eux, penché au-dessus des braises.
Je frissonnai en entendant cette voix. Elle n’était pas humaine. Elle était rauque et sombre, comme un animal utilisant les cordes vocales d’un humain. Je ne pouvais m’empêcher malgré tout de m’accrocher à l’espoir que j’avais tort, que ce n’étaient pas des orcs. Juste des créatures étranges d’Erydd, mais pas des orcs.
— Les imbéciles qui sont venus dans la forêt ont dû nous entendre et sont partis soudainement, fit une autre voix, tout aussi effrayante.
Je sentais le cœur de William battre fort dans sa poitrine, pressé contre mon dos. Il se pencha légèrement pour voir ce qu’il se passait et je suivis son mouvement. S’il n’avait pas eu sa main sur ma bouche, j’aurais hurlé. Son cœur se mit à battre frénétiquement. Il s’écarta brusquement.
Des créatures à la peau grisâtre, recouvertes de muscles durs, des cheveux gras plaqués sur leurs crânes. Ils étaient habillés de vêtements sombres, d’armures et même leurs armes semblaient sorties d’un cauchemar. Je n’avais pas pu les détailler davantage, mais je n’en avais aucune intention. Ils étaient suffisamment effrayants de loin et dans l’obscurité.
Je levai mon visage vers celui de William. La terreur sur ses traits me fit craquer. Les larmes ruisselèrent silencieusement le long de mes joues. Je priai pour que les orcs partent au plus vite.
— Dans ce cas, un festin nous attend ! Les chevaux ne sont pas loin, on peut les rattraper ! s’écria le troisième, un rire mauvais échappant ses lèvres.
Il commença à partir, les sons des armures y firent écho. Ils partaient après les chevaux, pensant qu’on était sur eux. Je fermai les yeux, comprenant la stratégie de William de les faire partir dans une autre direction. Une brise souffla légèrement. William soupira de soulagement, si discrètement que je ne sentis que son souffle chaud contre ma peau.
— Qu’y a-t-il ? demanda l’un des monstres.
J’ouvris les yeux. William se tendit. Les orcs cessèrent de poursuivre les chevaux. J’entendis un reniflement, l’une des créatures flaira l’air.
Un long moment de silence résonna. Le vent souffla de nouveau, contre nous, envoyant notre odeur très humaine et très alléchante vers les trois orcs.
— Les chevaux sont partis à l’ouest et pourtant, c’est depuis l’est que vient cette odeur humaine, répondit-il.
J’entendis les grognements affamés. Ils firent un pas vers nous.
William me jeta loin de lui.
— Cours ! hurla-t-il.
Je fis l’erreur de lui lancer un regard lorsqu’il se retourna pour faire face aux trois créatures qui se mirent à courir vers nous avec des hurlements stridents. Les voir de près, prêts à nous déchiqueter les rendaient encore plus hideux.
— Des orcs, cours ! ordonna William.
Au même moment, l’un des orcs fondit sur William qui le contra avec son épée. Le son des armes me ramena sur Terre et je me mis à courir, trébuchant au passage. J’avais à peine fait trois pas que les deux autres orcs me rattrapèrent avec des rires aigus et remplis de malveillance.
— Où crois-tu aller comme ça ? siffla celui qui m’agrippa le bras d’une poigne féroce.
— On n’a même pas commencé de jouer avec toi ! ajouta l’autre en prenant mon visage entre ses doigts couverts d’une substance gluante dont je ne voulais pas connaître l’origine.
J’hurlai, essayant vainement de me dégager mais ils étaient trop forts. Ils se penchèrent vers moi, rigolant de me voir me débattre inutilement. Leur odeur était répugnante.
— Prudence ! hurla William.
Il donna quelques coups d’épées à l’orc qu’il affrontait, réussissant à le prendre de vitesse. Je n’avais jamais vu William se battre et j’avais estimé qu’il se vantait en disant qu’il était l’un des meilleurs épéistes du pays. Mais en le voyant se déplacer comme une panthère dans la nuit, ses capacités ne laissaient plus le moindre doute.
Le hurlement strident de l’orc lorsqu’il reçut l’épée dans son ventre attira l’attention des deux autres qui cessèrent de rire. Ils affrontèrent du regard William un instant avant de siffler d’un air furieux. L’orc qui me tenait passa ses bras autour de moi et me souleva du sol, il me serra si fort que j’hurlai de douleur en sentant la pression. Je crus un instant que ma cage thoracique venait de se briser. L’autre orc se mit à courir vers William en criant. Celui qui essayait de me briser les côtes glapit.
Je tombai brusquement au sol, la douleur dans ma jambe me lança furieusement. L’orc s’effondra, yeux agrandis de surprise, une longue dague plantée dans son corps. Comprenant que William l’avait lancée, je me retournai juste au moment où le troisième et dernier orc tomba sur lui. Parce qu’il m’avait sauvée, il n’était pas prêt et contre la force de l’orc, le plus grand des trois, William tomba par terre. Il leva son épée juste à temps pour éviter de se faire décapiter. Ils luttèrent un instant, et William réussit à se relever.
Je tirai mon arc et une flèche de mon carquois, l’encochant rapidement. Je visai l’orc mais le combat m’empêchait de tirer sans prendre le risque de frapper William à la place. L’orc balança William contre un arbre. Il tomba lourdement et lâcha son épée. Ma flèche vola. Elle frappa l’épaule de l’orc qui s’immobilisa et baissa les yeux vers le trait. Il avait l’air vaguement agacé. William eut l’air tout aussi décontenancé de me voir encore là. L’orc se retourna doucement vers moi et me toisa de toute sa hauteur. Prise de tremblements, je lâchai l’arc. L’orc, trop en colère après moi pour se soucier de William, arriva à ma hauteur sans que je ne puisse lui échapper. Il m’attrapa la gorge et me souleva du sol comme si je ne pesais rien. Sa main serra son emprise sur mon cou. Je haletai pour de l’air. La douleur traversa mon corps, mes mains griffèrent ses bras et mes pieds se balancèrent dans l’air, mais ma lutte n’avait aucun effet sur lui. Il ouvrit sa bouche dégoulinant d’un liquide noir. Du sang ? De la bave ?
Au lieu de la menace qui allait échapper ses lèvres, ce fut un glapissement. Plus de sang noir échappa de ses lèvres. Il ouvrit ses doigts et je tombai au sol. Je peinai à respirer, l’air brûlait ma gorge. Je vis la lame de William traverser le ventre de l’orc par derrière. Il retira son épée et l’orc s’effondra.
William prit de grandes bouffées d’air pendant un moment. Il fixa d’un air incrédule le corps sans vie, puis son arme dégoulinant de sang, comme s’il ne pouvait croire qu’il avait abattu trois orcs.
Puis il me regarda :
— Tout va bien ? demanda-t-il.
— Je…
Je remuai la tête, incapable de dire quoi que ce soit au moment où quelque chose vola vers lui. Il l’évita de justesse, le deuxième orc s’était redressé, tenant la blessure dans son épaule. Cela n’avait pas été suffisant pour l’abattre complètement. L’orc se mit à hurler, un son non-humain, qui me fit frissonner. Il courut vers nous, rempli de haine vengeresse pour ses compagnons. William se prépara au combat et leva son épée.
Mon arc, abandonné au sol, attira mon attention. Je l’attrapai et, désespérée, dégainai une flèche. Je visai et laissai le trait voler vers l’orc qui courait vers nous. Il cessa de hurler lorsque la flèche se planta dans sa gorge. Ses pas se firent hésitants. Il leva une main vers la flèche, comme s’il pouvait encore survivre malgré le sang noir qui échappait de la blessure et de sa bouche. William s’élança en avant et trancha la tête de l’orc. Le son manqua de me faire vomir. Le corps décapité tomba au sol.
Le silence revint dans la clairière. De la fumée s’échappait encore des braises de notre feu. William revint vers moi d’un air choqué.
— Tu es la femme la plus stupide que je connaisse ! siffla-t-il en m’aidant à me relever.
Offusquée qu’il m’insulte après ce qu’il venait de se passer, j’étais sur le point de le gifler quand il ajouta :
— Mais aussi la plus intrépide. Et… je te dois la vie… Sais-tu seulement ce que ton prénom signifie ? maugréa-t-il d’un air décontenancé.
Rougissant sans savoir pourquoi, je retins l’envie d’exprimer mon agacement avec l’empreinte de ma main sur sa joue. Je le frappai quand même dans le ventre pour m’avoir insultée, avant de m’avoir complimentée. Il étouffa un cri et me lança un regard offensé, mais son cri se transforma en gémissement. Il porta la main contre son côté gauche. Cela attira mon attention et je réalisai qu’il était blessé. Il s’en rendit aussi compte à ce moment-là.
— Tu es blessé ! Médecine… ! m’écriai-je en me retournant.
Mais nos affaires étaient sur nos chevaux déjà loin. Je me maudis non seulement de les avoir chargés avant qu’ils ne partent sans rien garder avec nous, mais je me maudis également parce que j’avais laissé l’onguent d’Aredd à la mère de William. Il dut comprendre ce que je pensai parce qu’il se redressa et m’attrapa le bras :
— Ce n’est qu’une égratignure, ne t’en fais pas. Ne restons pas dans le coin.
Lorsqu’il se mit à me tirer dans la direction qu’avait prise les chevaux, je me mis à paniquer à nouveau :
— Ils sont… ils sont tous… les orcs, il n’y en a pas d’autres, n’est-ce pas ? Les chevaux, ils sont…
— Les chevaux reviendront vers nous si on les appelle mais mettons autant de distance que possible. Les orcs chassent toujours en meute.
— T-trois c’est une meute, n’est-ce pas ? Ils sont tous… morts, non ? demandai-je, observant l’obscurité d’un air effrayé.
— Ils devaient juste être un petit groupe de reconnaissance. J’ai eu de la chance qu’ils ne s’attendaient pas à ce que je sache me battre, et que tu les distrais, avoua-t-il.
Je levai mon visage vers lui. Il était un incroyable combattant mais il avait eu de la chance ? Était-ce sensé me rassurer ?
— Je ne comprends pas… continua-t-il d’un air effaré. Les orcs ne viennent jamais si loin au sud. Ils restent dans les montagnes, ils ne se déplacent jamais aussi près d’Azraald ou de la moindre grande ville. Qu’est-ce qu’il se passe, bon sang ? Qu’est-ce qui les a attirés ici ?
Mon ventre se noua de frayeur. Il porta ses doigts à sa bouche et siffla pour rappeler les chevaux mais on continua de marcher.
— Tu veux dire… tu n’avais jamais vu d’orcs auparavant ? continuai-je d’une petite voix tremblante.
Il garda les lèvres serrées et évita de me regarder lorsqu’il secoua la tête. Je réalisai enfin qu’il était pâle, sans doute autant que moi.
— Pour quelqu’un qui n’avait jamais vu d’orc d’aussi près, tu t’es plutôt bien battu… dis-je, essayant de rester positive.
Il me lança un regard étonné, avant qu’il ne laisse un petit sourire apparaître sur son visage.
— Toi aussi. Surtout pour une étrangère qui n’avait jamais mis les pieds dans la forêt de Brecheliant.
Un bruit me fit sursauter mais ce n’était que nos chevaux qui revenaient vers nous. William m’aida à monter sur Noisette, qui avait l’air aussi paniquée que moi, puis on partit au galop vers la route qu’on avait évitée toute la journée. Lorsqu’on l’atteint, le ciel commençait à s’éclaircir et je ne pus m’empêcher de soupirer de soulagement. Le plus loin j’étais de cette forêt et de ces orcs, le mieux je me porterai. William lança un regard tout autour mais la route, couverte de brume était déserte. Aucun son, personne ne passait par ici.
Son regard s’attarda dans la direction d’Azraald et je repensai à ses mots quelques heures plus tôt. Les orcs ne devraient pas être aussi près de la capitale. Et sa famille y vivait.
Mon village avait été attaqué par des orcs. Il n’en restait que des cendres et je ne savais même pas si qui que ce soit avait survécu…
— William, on devrait retourner à Azraald. Si les orcs n’ont rien à faire dans les parages, il faut prévenir les autorités compétentes.
Il eut l’air pensif un instant, considérant la possibilité. Personnellement, je préférai partir d’ici et rentrer derrière la sécurité de la muraille d’Azraald, même si les autorités compétentes en question étaient sans doute ceux qui avaient mis ma tête à prix.
Une douleur me lança dans le bras. Je gémis et lançai un regard à ma main. Je retirai mon gant pour voir le sortilège s’étendre. J’avais eu si peur à cause des orcs, et ma jambe droite avait été si douloureuse, que j’en avais presque oublié ce sort qui avalait ma vie.
William fixa ma main tremblante, puis mon visage blême, avant de prendre une décision :
— Non. On continue vers le sud. Il faut que tu voies Lelawala, elle seule peut te sauver. Azraald est bien protégée et le mieux à faire est d’aller chez les vampires qui enverront un message à la capitale pour les prévenir des orcs.
Je ne voulais pas descendre vers le sud, j’avais bien trop peur pour continuer. Surtout qu’au sud se trouvaient les montagnes et que, d’après William, c’était où les orcs se terraient habituellement.
— Allons-y, je veux mettre un maximum de distance entre nous et les orcs. Je veux retrouver les vampires avant la tombée de la nuit ! s’écria-t-il, claquant les rênes de son cheval.
Malgré mes peurs, je fis de même. Noisette le suivit.
Repensant à tout ce que William avait fait pour moi, me protéger des Agramiens, m’aider à Azraald, me laisser venir avec lui jusqu’à Lelawala, et me sauver encore une fois la vie des orcs… je réalisai que je ne l’avais pas remercié.
— William ! appelai-je, brisant le silence angoissant.
Il se tourna vers moi et je me mordis la lèvre inférieure.
— Merci… murmurai-je.
Il me fixa, l’air surpris.
— De rien, je ne pouvais pas laisser les orcs te dévorer, répondit-il doucement.
Je souris malgré la terreur. Je ne l’avais pas remercié uniquement pour cette mésaventure.
— Les pauvres auraient mal digéré, ajouta-t-il avec un sourire moqueur.
Je perdis mon sourire, le foudroyant du regard, et regrettant de l’avoir sauvé des orcs.