Chapitre 14

Nous attendîmes le bus qui devait arriver dans plus d'une demi heure, je prévins Beth de mon retard (après avoir remarqué ses messages et ses appels en absence, parce que j'avais, de toute évidence, complétement oublié notre sortie), à en juger la réaction de Sydney, elle n'avait visiblement pas l'intention d'attendre aussi longtemps en ma présence.
Lorsqu'elle s'en alla, je fus tentée de la laisser, peu m'importait après tout, elle connaissait le chemin. Mais à bien y réfléchir, ça ne ferait qu'envenimer la situation. Je secouai la tête et pressai le pas pour me mettre à sa hauteur.
La distance à parcourir était plutôt longue. Même si nous savions comment voler une voiture, nous ne l'aurions pas fait. Le stop était trop dangereux, même si j'étais -nous étions- entrainée au combat, je ne pourrais rien faire si un type sortait une arme.
Alors nous n'avions plus que la solution de dernier recourt. Marcher.
Sydney ne m'adressa pas la parole pendant une grande partie du trajet, veillant à maintenir une distance de sécurité entre nous, comme si j'avais un virus qu'elle ne voulait pas attraper. Mâchoires contractées, elle avançait en me fusillant du regard si j'avais le malheur de de la regarder. Elle n'avait certes pas aimé ce que je lui avais dit, mais je ne pensais pas mériter les regards noirs qu'elle me lançait. A retenir : Elle était susceptible.
Elle était de toute évidence douée pour garder de la rancune. Beaucoup de personnes le sont, ce qui est quelque chose que je ne comprends pas. C'est comme lorsque je me dispute Ariadne, je pique ma crise de nerfs à propos de quelque chose, dis des choses que je ne devrais pas dire, mais cela ne veut pas dire que je les pense. Et lorsque je me calme —et je me calme toujours rapidement— je vais lui parler en lui demandant comment s'est passée sa journée ou si elle voulait bien regarder une série avec moi. Elle me dit que je ne peux pas m'emporter face à quelqu'un et espérer que tout redevienne s'arrange en claquant des doigts. Je ne vois pas pourquoi. Ariadne sait qu'il m'arrive d'être lunatique et que mon intention n'est pas de me mettre en colère, alors je m'excuse et discute comme je le fais habituellement. Apparemment personne d'autre ne voyait les choses de cette façon.
— Est-ce que, euh... une sortie de groupe t'intéresserait ?
Elle ne répondit rien.
— C'est un truc sympa avec quelques personnes plutôt cool, alors euhm...
— Arrête, finit-elle par me dire.
— Arrête quoi ? ai-je innocemment demandé.
— D'essayer de briser la glace avec des phrases pré-mâchées.
— Je ne...
— Mais si, c'est ce que tu fais. C'est... (elle chercha ses mots) je ne veux pas de ta pitié.
Je baissai les épaules en frappant dans une pierre.
— Je ne... commençai-je avant de l'entendre soupirer bruyamment.
— Je me fous complètement de ce que les autres peuvent penser de moi, lâcha-t-elle. Je sais bien qu'ils me prennent pour une idiote, le stéréotype même de la blondasse stupide (elle secoua la tête) je suis programmeuse figure-toi. Et je sais qu'aucun de ces abrutis de sang royal, imbus d'eux mêmes, ne connaîtra jamais l'indépendance. Alors oui, je suis déjantée et j'aime m'amuser, mais moi je n'ai pas besoin qu'on me mette une cuillère en platine dans la bouche en me nourrissant de caviar à chaque repas.
Elle marqua une pause, comme si elle en avait trop dit. Je voulais dire quelque chose, avant que l'occasion ne passe, c'était peut-être la seule fois qu'elle s'ouvrait à quelqu'un étrangement, je voulais en savoir plus sur elle. Mais avant que je n'aie eu le temps de dire quoi que ce soit, elle reprit :
— Le jour où... je t'ai proposé de sortir... (elle me jeta un regard furtif et s'arrêta à nouveau)
Je hochai la tête.
— Oui le jour où nous nous sommes rencontrées.
Elle grimaça.
— Oui c'est... ce n'était pas la première fois qu'on se parlait mais (elle balaya cela d'un geste et je grimaçai a mon tour, un peu mal à l'aise de n'avoir pas fait attention à elle plus tôt) peu importe. Je ne m'attendais pas à ce que tu acceptes. Surtout (elle me fit un sourire désolé) toi.
Je lui souris à mon tour, lui signifiant que ce n'était pas grave et elle poursuivit :
— Je ne suis pas... quelqu'un qui arrive facilement à se faire des amis. Avec les filles c'est bien plus compliqué, tu t'en doutes. Mais je ne peux pas leur en vouloir, c'est juste que... j'ai toujours eu ce soucis depuis que je suis toute petite et (elle secoua la tête) Bref, ça m'a vraiment surprise que tu dises oui et j'étais vraiment contente. Et puis, j'appréciais beaucoup nos discussions. Je me rends compte que je ne devrais peut-être pas te dire tout ça, c'est pas...
— Non, dis-je précipitamment. Moi aussi.
J'essayai de trouver autre chose à dire, lui dire que j'étais aussi contente qu'elle même si je ne voulais pas me l'admettre, que je trouvais nos moments passés ensemble sympas. Je voulais vraiment le lui dire mais rien ne voulut sortir, je ne sus pas comment l'exprimer. Elle me regarda et je compris à son regard que je n'avais pas besoin de le dire. Elle essaya de me sourire sans y parvenir très bien et je tentai de lui rendre son sourire, maladroitement.
— Ce que je veux dire c'est que... (elle soupira à nouveau) j'espérai que tu me croirais, toi, tu sais.
Elle fixa un point imaginaire devant elle en disant cela et je me pinçai les lèvres en prenant une grande inspiration.
— Je suis désolée, Sydney, lui dis-je doucement. Je te crois, je t'assure, c'est juste que je ne pensais pas que c'était des vampires mais plutôt des...
Un vrombissement sourd me coupa dans ma révélation avant de voir, sorti de nulle part, un van noir qui se posta à notre hauteur. Quelque chose en moi s'agita et mes poils se hérissèrent.
    La vitre se baissa et un type qui, avec sa queue-de-cheval et ses traits acérés, devait avoir la trentaine, nous interpella.
    — Salut les filles, ça plus d'une heure que vous marchez, vous voulez peut-être qu'on vous dépose quelque part ? Ca sera gratuit, dit-il en tentant un sourire charmeur.
    Ce mec nous suivait-il de loin pendant tout ce temps ? En rencontrant le regard de Sydney je compris que c'était apparemment le cas.
    — C'est gentil, mais je crois que ça ira. Ça nous fait du bien de marcher, lui répondis-je en attrapant Sydney par le bras pour continuer à avancer.
Le van se remit à rouler, le type ne voulant visiblement pas en démordre.
— Allez, soyez pas timides. On vous paiera même un verre, on fera connaissance...
Comment les humains pouvaient-ils boire à dix heures du matin ?
Il avait beau dire on, je ne distinguais personne. Etaient-ils à l'arrière ? Je regardai Sydney qui paraissait tendue, elle n'avait pas besoin de me le dire, mais je savais qu'elle pensait à ce qui lui était arrivé. Elle s'efforçait d'avancer sans tourner la tête en direction du lourdaud et je pressai resserrai ma prise sur son bras.
— Non, sans façons.
Je pris une profonde inspiration en essayant de voir quelque chose qui pourrait nous débarrasser de lui. Ou encore un chemin trop escarpé pour qu'il puisse l'emprunter. Ma
— Ecoutez, lui dis-je d'une voix gutturale que je ne reconnus pas. C'est vraiment, vraiment gentil de vouloir nous aider mais la réponse est non (je posai mes mains sur l'ouverture de la vitre baissée et passai ma tête dans l'habitacle, le type recula et son regard changea du tout au tout lorsque je m'arrêtai à quelques centimètres de son visage luisant de gras. Il déglutit  et je poursuivis :) Alors je vous souhaite bonne route.
Il ne bougea pas, comme tétanisé, et la terreur que je lus dans son regard me fit reculer. Je m'éloignai alors de la portière mais mes doigts restèrent coincés, comme bloqués à l'intérieur de la portière. Je tirai dessus pour les retirer et le type baissa les yeux vers ceux-ci. Je ne sais pas ce qu'il y vit, mais cela le glaça d'effroi et il se ratatina sur la portière côté passager.
— Rachel, me murmura Sydney en posant doucement sa main sur mon épaule. Laisse-le, on y va.
— Oui je...
Je tirai plus fort et, dans un bruit de fracas, basculai en arrière, Sydney me rattrapa en clignant des yeux et le type se jeta sur le volant avant d'appuyer sur le champignon.
— Eh ben, ça c'était... fit Sydney avec un grand sourire avant d'écarquiller les yeux. Rachel tes doigts !
Je baissai vers ceux-ci, ensanglantés et grimaçai lorsque j'essayai de les bouger. Sydney pris mes mains dans les siennes en m'examinant les phalanges.
— Bon sang ! Tu t'es sacrément coupée, où est-ce que tu as posé tes doigts ? (elle secoua la tête) Il faut désinfecter ça, qui sait ce qu'il y'avait comme crasse dans la voiture de ce gros dégoutant.
Ma vue se brouilla soudainement et j'eus un haut-le-cœur, une sensation désagréable me remontant dans l'estomac, comme si j'allais être malade. Sydney me dévisagea et ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais je la pris de court.
— Je suis juste un peu fiévreuse, je crois que c'est un vilain début de grippe.
Elle fit la moue avant de hocher la tête et sortit une bouteille de parfum de son sac et un mouchoir.
— Ce n'est pas vraiment recommandé, dit-elle en en appliquant sur le mouchoir. Bien sûr, ça sert d'antiseptique et ça désinfecte, mais ça irrite la peau et ça fait super mal. Mais aux grands maux...
Elle nettoya mes phalanges ensanglantées et cela fit effectivement mal. Ce n'était pas la douleur la plus atroce que j'aie eue à supporter mais je dûs me mordre les lèvres pour ne pas couiner comme un chiot.


 

 





Il était presque onze heures lorsque nous franchîmes les portes d'Harrow Mayfair, Beth ne me harcelait mais je lui envoyai tout de même un message dans lequel je demandais l'adresse exacte du lieu vers lequel ils se dirigeaient. Sydney me proposa de m'accompagner à l'infirmerie, mais m'y rendre deux fois dans la même journée après cette soit disant rumeur sur ma grossesse n'était pas une bonne idée. Bien sûr, ce n'était pas pour une idiotie pareille que j'aurais risqué une infection, mais le docteur Cadwallader ne m'avait rien diagnostiqué de méchant, alors après avoir salué Sydney, je rejoignis ma chambre dans laquelle se trouvait déjà Ariadne.
Un sourire éclaira son visage lorsqu'elle vit la porte s'ouvrir mais s'effaça rapidement, son regard assombri par l'inquiétude en rencontrant le mien, fiévreux.
— Petite grippe, lui dis-je en me dirigeant vers l'armoire avant d'en sortir un pyjama au hasard.
Elle ne répondit rien, se contentant de me dévisager avec un expression que je ne réussis pas à déchiffrer.
— Je vais me reposer, repris-je comme elle ne disait rien. Ca ira mieux demain.
Je commençai à me déshabiller lorsqu'elle se redressa sur son lit et prit une étrange voix grave et sérieuse.
— Que t'a dit le médecin tout à l'heure ? À propos de ce qui t'est arrivé ? (elle marqua une pause et reformula) Qu'est-ce qui t'est arrivé ?
Je haussai les épaules en faisant passer ma chemise de nuit au dessus de ma tête.
— J'en sais rien, lui dis-je doucement, me remémorant ce qu'il s'était passé. Ca doit être lié à cette grippe, c'était peut-être un signe avant coureur (je croisai son regard) je sais, c'est bizarre. Ou peut-être que je vais être indisposée, j'en sais rien.
— C'est quand même inquiétant, toi qui ne tombes jamais malade (elle força un sourire) tu devrais prendre un Doliprane.
J'étouffai un rire. Comme si un doliprane allait faire taire une voix qui avait essayé de me tuer.
Je m'assis pour retirer un jean et une idée me traversa soudain l'esprit. J'avais peut-être une solution.
— Rach, mon Dieu ! s'écria-t-elle, me faisant sursauter, avant de sauter du lit et de m'agripper les mains. Qu'est-ce que tu t'es fait ?
Je grimaçai en agitant les jambes afin de retirer mon jean.
—Tu t'es battue ? me gronda-t-elle en levant son un regard rempli de reproches vers moi.
— Non, non ! Je t'assure, me défendis-je. Un type m'a mise en colère, j'ai posé mes mains sur sa portière et puis (j'agitai les doigts) j'ai dû me les coincer, sa carrosserie était sûrement abimée de l'intérieur. Je me suis blessée en les retirant.
Elle me regarda et chercha quelque chose dans mon regard. Elle dût le trouver puisqu'elle hocha la tête.
— Il faut nettoyer ça, je vais chercher la trousse de soins.
J'allais lui dire que ça allait et que Sydney s'en était occupée mais elle avait déjà disparue dans la salle de bain.
Au même moment mon téléphone vibra dans ma poche. C'était un message d'Isaac et un autre que je n'avais pas lu, de Mason.
Isaac : « Est-ce que tu vas mieux ? Tu avais l'air un peu pâle la dernière fois que je t'ai vue »
Mason : « J'espère que tu te sens mieux, si tu as besoin de quoique ce soit, appelle-moi. »
Je souris en secouant la tête.
— Qui est-ce ? me demanda Ariadne avec un sourire, en revenant rapidement avec le nécessaire de soin.
Je posai le téléphone à côté de moi.
— Deux amis que j'ai rencontré cette année. Ils me demandent comment je vais.
Ses yeux pétillèrent et elle s'installa à côté de moi en imbibant le coton de chlorhexidine.
— C'est vrai ? Ils sont à l'académie ?
J'allais répondre que oui mais je me souviens de Mason et de notre amitié « secrète ».
— Euh, non (comme elle n'avait pas l'air de prendre cela pour une réponse, je poursuivis) Je les ai rencontrés dans un... centre commercial. En sortant avec Sydney.
    — Bien, bien, fit-elle en me prenant les mains et en commençant à les désinfecter. Parle moi d'eux, je n'ai pas été assez présente à cause de (elle secoua la tête), tu sais bien. Mais maintenant je veux tout savoir !
    Je lui souris, et tandis qu'elle torturait mes doigts souffrants je lui racontai tout ce que je jugeai prudent de lui dire à leur propos. J'inventai un nom en parlant de Mason pour qu'elle ne puisse pas faire le lien avec lui, même si je détestais mentir, en particulier à Ariadne. Je lui dis que je l'avais rencontré près du Lac Heritage auquel je me rends —rendais— si souvent. Quant à Isaac, je n'avais aucune raison de raconter des cracs à son sujet, j'évitai juste soigneusement le côté « loup-garou » de la chose. La Voix ne se manifesta pas pendant que je racontais ma rencontre avec lui dans un rêve, alors je supposais que j'avais le droit d'en parler.
Ariadne m'écouta religieusement en buvant chacune de mes paroles. Et mon sourire s'élargissait aux fur et à mesure que je lui parlais. Ces moments avec elle m'avaient manqués. Mais pour une raison que j'ignorais je sentais ce noeud dans l'estomac qui ne cessait de se resserrer.
Je commençai à vraiment fatiguer, je pris le Doliprane que me tendis Ariadne et bus l'infusion « magique » qu'elle m'avait préparée. Je ne sais pas ce qu'il y avait dedans mais mon estomac se souleva plusieurs fois et je fus parcourue d'étranges spasmes. Ma vision devint floue et je crus même voir le muscle de mon bras onduler.
Finalement, je me glissai sous les couvertures malgré les bouffées de chaleur qui m'envahissaient, et à peine avais-je posé ma tête sur l'oreiller, que je sombrai dans un sommeil sans rêve.


 

 





Ma nuit avait été terrible, je n'avais pas cessé de remuer, alternant entre la chaleur de la couette et la fraicheur du parquet, jusqu'à ce que mon estomac me punisse d'avoir effectué le mouvement de trop. J'avais passé prés d'une demie heure à vider le contenu de mon estomac, et lorsqu'il n'y eut plus rien à recracher mon corps se souleva tout de même en d'horribles haut-le-cœur. Ariadne m'avait assistée en me tendant un verre que j'avalai cul sec, vraiment répugnant, comme tous les médicaments. Lorsque je me sentis un peu mieux je retournai me coucher, frissonnante.
— Tu peux te lever ? l'ai-je vaguement entendu me demander une fois l'heure de se réveiller arrivée. Ou tu veux que je t'excuse auprès des professeurs ?
Je formulai une réponse inintelligible de ma langue pâteuse et bouche desséchée, encore complétement groggy avant de me faire à nouveau happer par les ténèbres.
Des frissons me parcoururent l'échine et me sortirent de mon sommeil, comme l'horrible sensation de ne pas être seule dans la pièce et d'être observée. Je restai d'abord immobile, le cœur battant, sachant pertinemment que quoi qu'il arrive, je ne pourrais rien faire dans l'état où j'étais. Je me focalisai sur ma respiration, tentant tant bien que mal de la maintenir régulière. Je mobilisai les dernières forces qu'il restait afin de savoir à quelle distance de moi était situé l'intru. Lorsque qu'un souffle me caressa le visage, je bondis de mon lit et maitrisai avec une facilité déconcertante mon assaillant qui laissa échapper un chapelet d'injures. Plaqué contre le mur, je plissai les yeux et réussis à distinguer une silhouette masculine.
— Mason ? marmonnai-je comme si j'avais des billes plein la bouche.
— Non.
Mon cœur s'accéléra de la même étrange et indescriptible façon qu'à chaque fois que je l'entendais.
— C'est Jess.
Je le relâchai et remerciai le ciel d'être dans le noir en me triturant les doigts.
Après quelques secondes, je fus secouée par une violente quinte de toux et ce fut comme si ce voile qui m'avait enveloppée-et qui m'enveloppait à chaque fois qu'il était près de moi-s'était évaporé. Lorsque je me repris, ma voix se fit plus dure que je ne l'aurais voulue.
— Qu'est-ce que tu fais dans ma chambre ?
Il mit plusieurs secondes avant de répondre.
— Mason m'a dit que... tu étais malade. Alors je venais voir comment tu allais.
Sa voix sonnait fausse, non pas que j'avais besoin d'entendre l'intonation de sa voix pour savoir qu'il mentait mais... il aurait tout de même pu faire un effort.
— Tu me prends pour une idiote ? crachai-je en commençant à voir des points blancs danser autour de moi. Je papillonnai des yeux pour les chasser. Tu t'introduis en douce dans ma chambre pour t'assurer que je survis à une innocente grippe mais pas pour savoir si le fait de m'être retrouvée nez à nez avec un loup-garou prêt à me dévorer m'avait traumatisée ?
Je fermai les yeux et me mordit la lèvre. C'était donc ça. Cette étincelle de colère inexpliquée qui flambait au fond de moi.
Je ne le voyais pas bien mais je le sentis se crisper. J'entendais sa respiration qui se faisait de plus en plus lourde, comme s'il se retenait de se mettre en colère.
— Mason est venu s'en assurer, dit-il entre ses dents.
— Oui, lui, pas toi.
Mes jambes commencèrent à trembler et je clignai à nouveau des yeux. Ravalant péniblement ma salive, je me reculai dans l'espoir de m'assoir sur mon lit, mais mon pied se prit dans le câble de la multiprise branchée près de mon lit. Je trébuchai et titubai en essayant de reprendre l'équilibre avant de sentir des bras fermes et chaud me rattraper.
Le souffle de Jess caressa mon visage et mon cœur se remit à tambouriner. Tout comme le jour la soirée, je sentis remuer dans mon ventre et j'eus l'incontrôlable envie de l'embrasser.
Je palpai les muscles de ses bras refermés autour de moi en remontant jusqu'à ses épaules.
Comme un oiseau piégé dans une cage, quelque chose s'agitait frénétiquement au fond de moi, voulant me hurler de m'éloigner sans en être capable. Mais peu m'importait, lorsque je le sentis se pencher vers moi je fermai les yeux, j'étais là où je devais être, j'étais...
— Rachel ! hurla une voix en ouvrant la porte à la volée, m'éblouissant avec la lumière du couloir.
Isaac alluma la lumière et je gémis en mettant mes mains devant mes yeux. Lorsque j'eus ravalé ma salive, je fus prise d'un nouveau haut-le-cœur et courus m'enfermer dans la salle de bain avant de vomir toute ma bile. Je restai penchée au dessus de la cuvette des toilettes plusieurs minutes durant lesquelles je commençais à somnoler avant d'être ramenée à la réalité par des coups à la porte.
— Est-ce que ça va mieux ? s'inquiéta Isaac. Qu'est-ce que je peux te donner pour que tu te sentes mieux ?
— La faucheuse, dis-je d'une voix qui fut renvoyée par l'écho de la pièce.
— Je peux entrer ? demanda-t-il avant que je grommelle une réponse. Il entra et s'agenouilla près de moi en posant sa main sur moi et en me massant le dos. Est-ce que tu as pris quelque chose ? (je hochai la tête) Quoi ? (je haussai les épaules)
Lorsqu'il resta silencieux, au prix d'un grand effort, je développai.
— On m'a filé un médoc.
— Et tu l'as pris ? Sans savoir ce que c'était ?
— Ouais.
— C'est... (il enleva sa main et se leva) je vais aller voir.
Il revint quelque instants plus tard et me tendis un verre. Là, je pris la peine de baisser les yeux vers celui-ci, et la couleur kaki du liquide me fit grimacer.
— Je t'ai préparé une infusion, un remède miracle de mon père il parait. La couleur fait un peu flipper mais si tu crois que c'est du poison je peux le boire et tu...(je lui pris le verre des mains et le bus cul sec)... peux aussi me faire aveuglément confiance et le prendre directement (il fronça les sourcils) Et si j'avais pissé dedans ?
— Dans ce cas tu aurais pu en être fier parce que ce n'était pas si mauvais.
Je tirai la chasse et tentai de me redresser. Isaac me soutint.
— Je suis sérieux, tu ne peux pas faire confiance à n'importe qui (je n'eus pas la force de commenter en disant qu'il me l'avait déjà dit) et puis tu devrais aller prendre une douche, tu te sentiras mieux (je lui lançai un regard noir) Quoi ? J'ai dit tu te sentiras mieux, pas tu sentiras mieux.
    Je grognai à nouveau et écartai de mon visage une mèche de cheveux humide de sueur, puis mes souvenirs revinrent.
    — O-Où est Jess ?
    Il me regarda méchamment avant de soupirer.
    — Je l'ai fichu dehors. Il a forcé ta porte, le verrou est cassé.
    — Je... le verrou était déjà cassé, comment tu as pu le jeter dehors ?! me fâchai-je.
    Il secoua la tête, baissa le couvercle de la cuvette et me dit m'assoir dessus.
    — Où sont tes vêtements ? Non, je les trouverai. Va te doucher, on sort.
    — Mais je...
    — Tu veux te sentir mieux ? (Je hochai la tête) Alors dépêche toi (il s'avança vers la sortie de la salle de bain puis s'arrêta au seuil de la porte et se retourna) Mais inutile de te briser le cou.


 

 





    J'eus du mal à me doucher, encore toute courbaturée et nauséeuse, et encore plus de mal à sortir de l'académie. Je n'avais pas demandé à Isaac comment il était parvenu à y pénétrer puisqu'il était évident qu'il avait escaladé les murs qui séparaient l'école de l'extérieure. Il m'avait promis que je me sentirais nettement mieux si je le suivais. Je n'avais pas accepté parce que je croyais naïvement à tout ce qu'il me disait-enfin,si-mais plutôt parce que j'avais une sorte de névralgie cérébrale, ma tête bourdonnait et j'avais l'impression d'entendre les bruits extérieurs en étant sous l'eau. Je ne dirais pas que mon état s'était empiré, mes nausées avaient diminuées et je n'avais plus ces spasmes musculaires qui m'avaient secouées toute la nuit durant. Mais je ne me sentais plus tout à fait maîtresse de moi-même.
    Il me semble avoir somnolé pendant tout le trajet, ou peut-être étais-je éveillée mais inapte à toute action. Pendant un moment mon esprit s'égara et la silhouette d'Isaac se confondit avec celle de quelqu'un d'autre. Je papillonnais des yeux et il se tourna vers moi.

       — Déjà en train de somnoler ?
       J'étouffai un bâillement en regardant par la fenêtre du car.
      — Comment est-ce que je pourrais ne pas bailler ? On doit faire un récolte de champignons, me plaignis-je.
      — Je trouve ça très intéressant, intervint Ariadne. Ça nous change des cours à l'académie. Ça devrait te plaire, on sera en plein air.
      — J'aurais tout aussi bien pu profiter de l'air si on avait démarré deux heures plus tard. Regarde, le soleil est encore haut dans le ciel.
      Il se pencha vers moi.
      — Et tu adores le soleil.
      — Mais j'aime encore plus dormir, répliquai-je.
      — T'aurais pu satisfaire ces deux envies si tu n'avais pas veillé pour... (elle agita la main en direction du dit soleil, d'une telle façon que j'aurais pu croire qu'il lui devait de l'argent) ça.
      — Le soleil de midi est meilleur que celui de dix-sept heures, me défendis-je.
      Ariadne souffla en le suppliant du regard de l'aider à me faire entendre raison.
      Il lui fit un sourire désolé en me jetant un coup d'œil.
      — Elle ne veille pas toujours toute seule...
      L'expression d'Ariadne me fit éclater de rire. Le regard noir qu'elle me lança renforça mon hilarité ce qui le poussa également à s'esclaffer.
      Ariadne soupira en fourrant ses écouteurs dans ses oreilles, marmonnant un « n'importe quoi ».
      — On lui offrira des champignons pour se faire pardonner, proposa-t-il en frottant ses yeux emplis de larmes.
      — Je doute que ça fasse chavirer son cœur, me moquai-je. Des roses rouges seraient plus appropriées. Enfin, c'est ce que je vois à ta tête.
      — Quoi ? fit-il en me regardant sans comprendre.
      Je pouffai face à son expression et lui tapotai le genou.
      — Je plaisante ! Ceci dit, je trouve que vous feriez un magnifique couple.
      Il ne répondit rien et j'en profitai pour poser ma tête sur son épaule. Il se crispa et je  me redressai aussitôt avant de réaliser que ma main était toujours posée sur son genou et que j'avais probablement dû appuyer sur son flan avec mon coude.
      — Je suis désolée, je t'ai fait mal ?
      Il me regarda étrangement avant de cligner des yeux.
      — Quoi ? Non , pourquoi ça m'aurais fait mal ?
      — Je me disais que mon coude t'avait peut-être touché quand je me suis appuyée et...
      — Oh, fit-il. Non, je ne l'avais même pas senti.
      Je lui souris et reposai ma tête sur son épaule avant de fermer les yeux.

Une fois arrivés à destination, Isaac me secoua et je revins difficilement à moi-même. Je papillonnai des yeux et me rendis compte que j'étais assise sur le côté passager de ce qui ressemblait à une voiture de sport. Je me tournai lentement vers Isaac qui posa sa main sur mon front.
    — On a encore le temps, dit-il.
    Je fronçai les sourcils et il sortit de l'habitacle, contourna la voiture, ouvrit ma portière et me prit dans ses bras. Je n'eus pas la force de protester, peut-être parce que ce n'était pas désagréable et que je n'aurais de toute façon pas été capable de marcher.
Il pénétra dans ce qui ressemblait à un café et je crus entre résonner les voix de plusieurs personnes qui semblaient prises dans un débat plutôt houleux.
— Installe-là ici, dit une voix masculine familière.
Isaac se déplaça et me déposa sur quelque chose de moelleux et de confortable que j'associai à un canapé.
— Combien est-ce qu'elle en a prit ?
— J'en sais rien.
— Comment veux-tu qu'on fasse quoique ce soit si tu « n'en sais rien » ? railla une voix féminine.
— J'en sais rien, entendis-je Isaac dire entre ses dents. Je n'installe pas de caméras dans l'appartement des personnes que je connais moi.
La fille couina et je vis le visage d'Isaac apparaître au dessus du mien.
— Comment te sens-tu ?
— Mal, répondis-je d'une voix cassée en essayant de me relever.
— Rallonge-toi, m'ordonna la voix féminine en me poussant contre le canapé.
Isaac se retourna si vite vers elle qu'il aurait pu se faire un torticolis et sa voix se fit plus grave et menaçante.
— Refais un truc pareil et je te jure que je te tue.
Je tournai mon visage et vis qu'il s'agissait d'une fille d'environ treize ou quatorze ans, blonde et toute petite. Son visage rond se tordit en une grimace de dégoût lorsque ses yeux verts eurent croisé les miens.
— Ça va, elle ne va pas en mourir (elle leva les yeux au ciel) ne me regarde pas comme ça, ce n'est pas moi qui l'ai mise dans cet état.
Isaac grogna et se tourna vers moi en prenant ma main dans la sienne. La fille se tendit et me fusilla à nouveau du regard.
Je secouai la tête et me relevai malgré tout, Isaac me soutint et la blonde se rapprocha à nouveau, prête à me rallonger.
— Touche-moi et je m'arrangerai pour que plus jamais tu ne te relèves, m'entendis-je lui dire d'une voix menaçante. Elle tressaillit et Isaac se tendit. D-Désolée, je veux dire, je...
— Elle s'est levée ? demanda une voix masculine en se rapprochant. Très bien, c'est très bien.
Je tournai la tête et vis un visage souriant se rapprocher de moi, je fronçai légèrement les sourcils en me demandant où j'avais bien pu le voir.
— Ravie de vous revoir Rachel. Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi : nous nous sommes rencontrés à Harrow Mayfair, vous m'avez gentiment montré mon chemin.
    Je fronçai les sourcils en tentant de me frayer un chemin parmi tous ces souvenirs brouillés qui se bousculaient dans ma tête. J'avais effectivement déjà entendu sa voix. Puis cela me revint. Je hochai la tête.
    — Oui, je m'en souviens. Vous êtes... le gérant de Waldos & Companies ?
    — Bienvenue, dit-il en écartant les bras, un sourire chaleureux sur le visage avant de me serrer la main. Quel impoli je fais, je ne m'étais pas présenté, je m'appelle Ivan Kouznetsov.
    — Le forgeron ? ai-je traduis sans m'en rendre compte.
    Il me sourit en regardant Isaac qui rit sous cape en me regardant.
    — Oui, dit-il. Nous descendons vraisemblablement d'une famille de forgerons. Même si nos ancêtres maudissent sûrement Isaac à l'heure qu'il est pour sa maladresse.
     — Je ne suis... (il grommela et me regarda en désignant Ivan d'un geste). Alors voilà, tu viens de rencontrer... mon père.
    — Oh.
— Rachel, me dit celui-ci en se rapprochant de moi. Vous...
— ...Pouvez me tutoyer, lui dis-je.
— Ne le coupe pas ! aboya la fillette qui trébucha lorsque j'eus tourné mon regard vers elle.
Ivan soupira.
— Je te prie de bien vouloir excuser Prudence, Rachel. Elle est un peu... hargneuse.
Celle-ci sembla sur le point de protester mais Ivan l'en empêcha d'un geste.
— Alors, euhm, Rachel. Isaac t'a amenée ici parce qu'il a jugé ton état... préoccupant. Tu dois sûrement l'avoir remarqué ?
Je voulais lui répondre qu'il s'agissait d'une simple grippe, mais je n'en étais plus tout à fait sûre. Et à en juger par le regard qu'il me lançait, quelque chose me disait qu'il savait très bien ce qui m'arrivait.
Je hochai la tête.
— Encore heureux, marmonna Prudence, et cette fois, nous l'ignorâmes tous.
— Est-ce que le prénom « Taya » te dit quelque chose ?
Je fronçai les sourcils et il poursuivit.
— Elle t'a dit... des choses, n'est-ce pas ?
— Qu'elle semble avoir écouté, de toute évidence. Même si elle est loin d'être la seule à les lui avoir dit, ironisa la sale gamine.
Je contractai la mâchoire tandis que mon rythme cardiaque accélérait et sentis mes muscles se tendre à nouveau et quelque chose d'humide coller à mes paumes avant de me rende compte que je gardais les poings serrés depuis un moment. Je baissai les yeux vers ceux-ci et remarquai du sang qui provenaient de quatre entailles que j'avais dû me faire avec mes ongles. Isaac suivit mon regard et cria si fort qu'il me dit sursauter.
— Maintenant tu la boucles et tu sors !
Elle ouvrit ses grands yeux clairs.
— Mais je...
— Casse-toi de là !
Elle battit en retraite mais je réussis à apercevoir ses yeux humides et blessés avant qu'elle se mette à dévaler les escaliers et ne disparaisse à l'étage.
Isaac inspira profondément avant de se relever.
— Je vais voir si elle a fini, dit-il à son père. Et chercher quelque pansements (il me regarda et me sourit) je reviens.
Je hochai la tête et le suivis du regard tandis qu'il disparaissait dans la pièce d'à côté.
Ce fut au tour d'Ivan de soupirer.
— Ne lui en veux pas, elle réagit souvent de cette façon quand elle se sent menacée.
Je grimaçai et secouai la tête.
— Vous parliez de Taya, et des choses qu'elle m'avait dites.
Il me sourit et reprit.
— Je comprends que tu n'y aies pas fait attention, c'est normal. J'aurais moi-même réagi de la même façon si une inconnue m'avait raconté de telles choses. Mais à présent, je pense que tu te poses certaines questions, sur ce qui arrive autour de toi et... sur ce qui t'arrives.
    Mon cœur cognait dans ma poitrine.
    — Qu'est-ce qui m'arrive ? lui demandai-je, le cœur au bord des lèvres.
    — Tu es en train de te transformer, me répondit doucement Isaac qui revint, un verre et une trousse de secours à la main.
    — M-Me transformer ? Qu'est-ce que vous voulez dire ?
    — Tu te transformes en loup-garou, dit Taya en entrant dans la pieces. Voilà ce qu'on veut dire.

 

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