Chapitre 15

Les mots se bloquèrent dans ma gorge, je n'entendais plus que le grondement de mon souffle court, comme si on venait de me donner un coup dans la poitrine. C'était surréaliste et surtout impossible. Comment aurais-je pu être un loup-garou ? Ma mère était une dhampir et mon père un vampire. Je n'avais jamais été très doué en génétique, ni en biologie ni dans les conneries du même genre. Mais je savais que c'était impossible. Ce qu'ils me disaient était impossible. Je voulais croire que ça ne pouvait pas m'arriver, mais tandis que mon esprit torturé me répétait qu'il s'agissait de balivernes, mon corps, lui, me hurlait le contraire. Ma main tremblotante, mes phalanges et mon poignet endolori me ramenant à la réalité.
Je me transformais en loup-garou...
Arrête, tu sais bien que c'est impossible. Tu es malade, retourne à l'académie, va voir un médecin, et un psychologue.
Comme si un psychologue et une infirmière pourraient m'aider à comprendre ce qui m'arrive.
Tu entends des voix, tu vois des choses bizarres, et tu as une grave fièvre. Qui pourrait t'aider ? Ces inconnus ? Pourquoi est-ce qu'ils feraient ça ?
J-Je ne sais pas...
Exactement, tu ne sais pas. Pas plus qu'ils savent ce qu'ils racontent, ils sont de toute évidence timbrés. Tire-toi de là.

Tandis que je me débattais avec ma propre conscience, je me rendis compte que cela faisait plusieurs minutes que je n'avais pas prononcé un seul mot. Isaac me amorça un mouvement vers moi et je sursautai lorsque je vis sa main passer devant mes yeux.
Tu crois que c'est un loup-garou lui aussi ?
Je le regardai et me demandai depuis combien de temps il savait ce que j'étais, ou... ce qu'ils prétendaient que j'étais. À supposer que ce soit vrai et... possible.
Il me rendit un regard inquiet, et semblait hésiter à parler. Tout comme Ivan et Taya.
Ils attendaient que je prenne la parole. Ils attendaient de voir ma réaction. Cela me fit penser à un proverbe de Duchess Ladycee « On ne peut pas connaître une personne par cœur vu qu'on ne se connaît jamais vraiment soi-même ». Bon, dans le contexte ce qui est important à retenir est uniquement la seconde partie du proverbe, ou de la citation ou de je ne sais comment s'appelle cette chose. Il n'y a pas à dire, je déteste cette langue.
    J'ouvris la bouche et ce qui en sorti me surprit tout autant qu'eux.
    — D'accord.
    Taya lança un regard perplexe à Ivan avant de le reporter sur moi. Elle se rapprocha de moi et se pencha en avant.
    — D'accord ? Rien d'autre ? Tu sais, nous comprenons parfaitement que cela te choque, il faut te laisser du temps pour te faire à cette idée. C'est quelque chose de nouveau et dont l'importance, accordons-nous là dessus, n'est pas moindre. Alors si tu as besoin de...
    — Je vais bien ! dis-je d'une voix suraiguë.
    — Tu en es sûre ? me demanda doucement Isaac.
   Je m'éclaircis la gorge.
    — Oui, enfin, je me sens toujours mal...
    — Oh mince, tiens (il me tendit le verre qu'il avait dans la main) Ça atténuera les... effets.
    — De la transformation.
Il grimaça et jeta un regard de détresse à son père.
— C'est vraiment bon comme remède miracle ce truc, dis-je après y avoir gouté. Qu'est-ce qu'il y'a dedans.
— À mon avis, tu ne veux pas le savoir.
   Ivan s'éclaircit la gorge et posa sa main sur mon genou.
    — Rachel, ma chérie, on comprend que tu aies besoin de temps, et que tu essaies tant bien que mal d'encaisser.
   — Non, non. Je vais très bien (je le regardai dans les yeux en souriant) vraiment. C'est pas si terrible. C'est comme si on m'annonçait que j'étais... (je réfléchis quelque instants) atteinte de drépanocytose.
    — Ce n'est pas une maladie, intervint doucement Taya. Tu vas juste...
    — Me transformer en chien, crachai-je.
    Je regrettai aussitôt mes mots. Je n'avais absolument rien contre les loups-garous, bien au contraire. J'avais toujours voulu en rencontrer, et voilà que j'étais en présence de deux d'entre eux. Deux d'entre eux qui se portaient volontaires pour m'aider dans ma transformation. Je frissonnai et passai une main sur mon visage.
    — Je suis désolée. C'est juste que je...
    — Je comprends, me dit-elle avec un sourire. Tu n'as pas à t'excuser, je réagirais de la même façon si on m'annonçais que je me transformais en vampire, même si je n'ai rien contre eux. Je suppose que nous sommes tous inconsciemment attachés à notre nature.
    Je lui fit un sourire reconnaissant.
    — Nous avons beaucoup de choses à te dire, reprit Ivan. Mais peut-être devrais-tu te reposer et... (il fit passer son regard d'Isaac à moi sans que je n'arrive à l'interpréter) rester quelque temps ici.
    Je me mordis la lèvre et tentai de peser le pour et le contre. J'étais un loup-garou en pleine transformation, cible d'autres loups-garous qui logeaient dans l'académie dans laquelle je vivais. Ces dits loups-garous me poursuivaient pour une raison inconn...
    — La lettre ! m'exclamai-je faisant sursauter Isaac et Ivan.
    — Tu l'as mise en lieu sûr ? rebondit tout de suite Taya. Tu l'as lue ?
    Je secouai frénétiquement la tête.
    — Où est-ce que tu l'as mise ? me demanda Isaac.
    — Dans la poche de ma veste.
    Il jura en regardant son père.
    — Je peux essayer de la récupérer en vitesse.
    Il secoua la tête.
    — Y retourner une deuxième fois dans la même journée serait trop risqué.
— Je peux y aller moi-même, je me sens mieux maintenant.
— Non, ce serait trop dangereux.
— Pourquoi ? Je devrais bien y retourner de toute façon. Ce n'est pas comme si j'allais rester ici éternellement.
Au regard qu'il me lança je compris que c'était précisément ce qu'il aurait souhaité.
— Ils sont au courant pour ta transformation. Ils ne rateront pas une seule occasion pour t'avoir.
— Ils ont même déjà essayé, dit Isaac. Heureusement que je suis arrivé.
    — Quoi ? me suis-je exclamé. Quand ça ?
    Il fuit mon regard et se gratta le menton.
    — Ce type tout à l'heure.
    Je voulu dire quelque chose mais les mots ne franchirent pas les lèvres. Jess ? Ce n'était pas possible. C'était même inconcevable pour moi.
    — Ce... tu dois te tromper. C'est lui qui m'a sauvée.
    — Non, dit Ivan avec un faible sourire.
    Je cherchai de l'aide auprès de Taya qui baissa les yeux. Ils étaient tous au courant et ils ne m'avaient rien dit ?
    — Depuis combien de temps est-ce que tu le savais ? demandai-je à Isaac plus durement que je ne l'aurais voulu.
    Il fuit à nouveau mon regard et je me tournai vers Ivan.
    — Il y'a autre chose que je ne sais pas ? Mis à part que le mec avec qui j'ai cours est un loup-garou et qu'il a essayé de me tuer ?
    Ivan soutint mon regard et j'aperçus un mélange de regrets, de tristesse, de tendresse et de colère dans son regard. Il n'essaye pas de les dissiper et me répondit.
    — Son frère.
    À ce moment là, ce fut comme si je recevais un coup de point dans le ventre et ma bile remonta le long de ma gorge pour une raison qui n'étais pas celle de cette stupide transformation. Je mis ma main devant ma bouche et les trois mousquetaires se rapprochèrent de moi.
— Est-ce que ça va ? me demanda Isaac.
— Elle va être malade, intervint Taya.
— Laissons lui un peu d'espace, ajouta Ivan.
— Ça suffit, je vais bien ! dis-je d'une voix gutturale, qui s'en éloignait de plus en plus, les mots se faisant moins distincts. Autre chose ?
— Ta colloca... commença Isaac avant que je me retourne vivement vers lui. Il déglutit avant de poursuivre. Il n'y a rien qui cloche avec elle, mais... tu devrais la laisser en dehors de tout ça. Pour sa sécurité.
— De même pour Sydney, ajouta Taya qui regarda Isaac d'une étrange façon avant de reprendre. Sauf si tu veux lui en parler. Je pense—je suis sûre qu'elle encaissera le choc et qu'elle pourra t'aider.
Isaac renifla et se mordit la lèvre.
— Ouais, enfin. Tu la surestimes un peu trop.
Mason est un loup-garou.
    Jess est un loup-garou.
    Taya est un loup-garou.
    Isaac est un loup-garou.
    Je suis un loup-garou.
   — Tu l'as su la première fois que tu l'as vu, dis-je doucement. Et tu ne me l'as pas dit.
— Est-ce que tu m'aurais crue ?
Je ne répondis rien.
— Prudence va aller récupérer cette lettre, on te préparera pour le jour J et tu pourras retourner à l'académie et faire comme si de rien n'était si tu le souhaites.
J'émis un rire étranglé et Isaac soupira.
Finalement, Taya me fit monter à l'étage pour me montrer ma « chambre provisoire ». Nous traversâmes un couloir étroit avant de s'arrêter devant une porte.
— Voilà, c'est ici. Ça n'a rien d'extraordinaire mais j'espère que tu t'y sentiras tout de même bien.
En effet, cette chambre disposait du strict nécessaire : un lit, une table de chevet, un bureau et une armoire. Elle n'était bien sûre pas aussi grande que celle que j'avais à l'académie— elle était vraiment très petite, même— mais grâce à l'immense fenêtre qui donnait sur la rue dégagée, j'étais convaincue que le rendu devait être magnifique en journée.
    — Ça ira, lui dis-je. Merci.
    Prudence apparut derrière Taya et celle-ci suivit mon regard puis soupira.
    — Oui Prue ?
    Prudence se balança sur ses pieds d'avant en arrière comme une petite fille hyperactive en gonflant les joues. Elle eut soudainement l'air bien plus jeune qu'elle n'y paraissait.
    — Vous voulez que j'aille à cette académie ?
    — Oui.
    — Pourquoi moi ?
    — Personne d'autre ne peut y aller, tu le sais.
    Elle grommela quelque chose et Taya leva les yeux au ciel avant de se tourner vers moi.
    — Tu trouveras un ordinateur dans le tiroir du bureau, et le code WIFI sur un bout de papier qu'Isaac t'a laissé. Il y'a aussi quelque vêtements dans l'armoire et un pyjama. Je sais que tu ne comptes pas t'éterniser, mais si tu as besoin de récupérer quelque chose (elle désigna Prudence d'un geste) demande-le-lui.
Je hochai la tête.
— Bien, si tu as besoin de quelque chose, je serai en bas.
Elle me sourit, dépassa Prudence et disparut dans le couloir.
Je me retournai alors, me dirigeant vers la fenêtre, espérant que cela fasse fuir l'intrus sur le seuil de la porte. Mais cela eut l'effet inverse : j'entendis Prudence s'avancer vers moi tandis que je tirais les rideaux et faisais mine d'être fascinée par le vendeur ambulant qui emballait ses cartons.
— Ici c'est moi la dominante, compris ? cracha-t-elle. Alors quoi que tu aies dans la tête, tu peux oublier.
Je ne répondis pas et me contentai de hausser les sourcils. Je la sentis s'impatienter derrière moi.
— Tu crois qu'être plus grande sera suffisant pour me battre ? Ou que tes charmes de succube fonctionneront sur moi ?
Mes charmes de succube ? Où est-ce qu'elle avait vu ça ?
Je me tournai vers elle. Je ne m'étais encore jamais tenue debout devant elle, alors je ne l'avais pas remarqué. Mais elle était petite et m'arrivait à peine aux épaules, elle devait faire à peine le mètre cinquante. Je secouai la tête et tentai de garder une voix calme.
— Est-ce que tu pourrais me dire ce que j'ai fait qui ait pu te donner cette impression ?
Elle serra la mâchoire et monta sur la pointe des pieds, pointant son long ongle sombre vers moi.
— Est-ce que c'est des griffes ? lui demandai-je en haussant un sourcil, l'empêchant de proférer sa menace.
Elle cligna des yeux, comme si elle changeait mentalement de vitesse.
— Quoi ?
— Ton ongle, là. C'est une griffe ?
Elle plissa les yeux, comme si elle se demandait si je faisais semblant d'être aussi bouchée ou si j'étais vraiment demeurée.
— Je ne vois définitivement pas ce qu'ils peuvent te trouver.
— Mmh.
— Je te récupère cette foutue lettre ensuite tu pourras aller brûler en enfer.
— D'accord.
— Il n'y a absolument rien d'exceptionnel chez toi, alors cesse de prendre la grosse tête parce que tu as les bonnes grâces d'Ivan et d'Isaac.
    — Bien.
    — Et arrête d'être d'accord avec tout ce que je dis !
    — OK !
     Elle émit un cri étranglé avant de tourner les talons et de quitter la pièce en rejetant ses bouclettes en arrière telle une diva.
    Je soupirai et m'affalai sur le lit. Je pris mon portable de prévenir Ariadne des « vacances improvisées » que j'avais prises et tombai sur des messages de Mason. Je me rappelai alors que je n'avais pas répondu à son message la veille.
Mason : « Tu n'es pas en cours, est-ce si grave que ça ? »
Et un autre : « J'ai demandé à ton amie la blonde, je sèche et je viens te voir »
« Où est-ce que t'es passée ? »
« Rachel ???? »
Je serrai la mâchoire mais mon cœur se serra de lui-même. Il avait tenté de me tuer, m'avait menti, il savait très bien ce que j'avais et pourtant jouait la comédie.
Une sueur froide me traversa, et s'il s'en prenait à Ariadne ? Non, il n'oserait jamais, pas dans l'enceinte de l'académie. Mais n'était-ce pas ce qu'ils avaient essayé de faire avec moi ?
Je secouai la tête. Non, c'était moi qu'ils voulaient, et je saurais bientôt pourquoi en lisant cette maudite lettre.
Je sélectionnai le contact « Mason » et balayai l'écran jusqu'à « Supprimer le contact » j'hésitai un instant et appuyai finalement sur « Bloquer le correspondant ». Je soupirai tandis qu'une boule se formait dans ma gorge et décidai que ce n'était pas le moment de se morfondre. J'avais plein de choses à savoir.
En me relevant quelque chose s'accrocha à mes cheveux et je me rendis compte qu'il s'agissait de la chaîne avec l'amulette qu'Isaac m'avait offert. Cela avait-il un rapport avec ce que j'étais ? Je comprenais un peu mieux ses réactions à présent et je comptais bien le questionner directement à propos de cela. Mais pour l'heure, il y'avait d'autres choses que je devais comprendre.
Je me levai alors et sortis de la chambre.


 

Le silence régnait au rez-de-chaussée et je n'entendais plus que le bruit de mes pas sur le parquet. Je m'approchai de la porte d'entrée et me permis de retourner à pancarte « fermé » qu'ils avaient probablement laissée ouverte. Entendons-nous bien : je n'avais jamais eu peur du noir, tout d'abord parce qu'on m'expliqua dès mon plus jeune âge que si je battais le croque mitaine qui vivait sous mon lit je deviendrais une puissante déesse (ce qui était de toute évidence un mensonge). Ensuite, parce que j'y avais été accommodée depuis ma naissance. Mais en regardant à travers la porte vitrée mon ventre se tordit de quelque chose que je n'identifiai que plus tard comme de la peur. Je me détournai et entrepris d'observer les lieux.
Je n'étais jamais venue ici auparavant, mais Natasha m'avait dit qu'il s'agissait d'un café d'artistes. Je n'avais pas compris de quoi il s'agissait mais je comprenais mieux en observant les lieux. Les murs étaient parsemés de peintures originales, grasses ou à l'huile en dessous desquelles étaient encadrées des photos de ce qui devaient être les peintres. En passant devant l'une d'elles qui représentait une femme allongée sur ce qui semblaient être des lianes je remarquai le visage d'Isaac, il paraissait jeune et avait l'air d'avoir treize ou quatorze ans. Au lieu de tables et de chaises, canapés, poufs et bibliothèques étaient joliment disposées partout au centre de la pièce. Je remarquai ensuite des pupitres, guitares, pianos et autres instruments disposés un peu plus loin à côté de ce qui semblait être une table de sculpture. Les murs étaient en brique et plein de poster plutôt... particuliers habillaient ceux-ci. Il y'avait aussi un bar avec plusieurs types de boissons que je ne connaissais pas : Big Bad W., Half But Complete ou encore le Nude Jersey.
    — Je te prépare quelque chose ? me demanda Ivan en surgissant de nulle part.
    — Non, je, Ça ira. Le nom des boissons est... intéressant.
    Il ricana, se glissa derrière le bar et me tourna le dos en préparant une boisson. Je me permis de m'assoir et m'accoudai en posant mon menton sur mes mains.
    — Tu veux parler du sujet qui fâche ? me demanda-t-il.
    Je haussai les épaules.
    — Oui et non.
    Je voulais bien sûr en savoir plus, mais quelque chose me disait que j'avais atteint le seuil maximum d'informations choquantes que je pouvais encaisser aujourd'hui. Mais il y'avait quand même quelque chose que je devais savoir.
    — Ce Beliath, commençai-je. Pourquoi il...
    — Tu représentes une menace pour lui (il se baissa et fouilla dans un tiroir avant d'en sortir une étrange machine) il aimerait bien t'avoir dans ses rangs, mais les chances pour que tu acceptes sont plutôt minces n'est-ce pas ? ajouta-t-il en se retournant, un sourire en coin sur le visage. Je lui rendis son sourire et hochai la tête. Un loup-garou dans les rangs de vampires (il secoua la tête) c'est dangereux pour lui.
    Il se retourna et posa deux verres sur le comptoir. Cela ressemblait à des granités, mais la couleur rouge me fit tiquer en repensant à la dernière fois que j'avais bu.
    — Ce n'est pas alcoolisé, tu peux y aller.
    Je pris le verre et bus une gorgée, le goût était... nouveau. Acide et fruité, sans que je n'arrive à mettre le doigt sur le fruit en question. Il n'avait pas l'air d'y avoir de colorant ou autre chose d'artificiel.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Je te le dirai lorsque tu auras rejoint le café, me taquina-t-il même si je vis dans son regard qu'il était sérieux.
— J'aurais aimé mais ça m'étonnerait que j'aie le temps pour un job (je bu une autre gorgée) et puis Taya me l'a demandé en premier, je dois peser le pour et le contre, ajoutai-je en plaisantant.
    Il marmonna quelque chose et je haussai un sourcil.
     — Taya est douée pour me voler les meilleurs éléments. (il secoua la tête et tira quelque chose de sous le comptoir et le le tendit) C'est la recette. Parce que je sais que tu feras le bon choix.
    Je ricanai et me mis à lire la recette : je ne compris absolument rien. Cela dû se transparaître sur mon visage parce que le sourire d'Ivan s'agrandit au fur et à mesure de ma lecture. Je relevai finalement la tête et lui rendit sa recette.
   — Est-ce que vous avez la version pour les nuls ?
    Il éclata de rire.
    — Si tu viens ici, tu deviendras chef en un rien de temps.
    — Ou j'empoisonnerai tous les clients, le café fera faillite et nous irons en prison.
    — C'est un risque que je suis prêt à prendre. (je souris et baissai les yeux vers ma boisson, puis après quelques instants de silence, il reprit en baissant la voix :) tu les rejoindrais ?
    — Mmh ?
    — Si l'Alpha te le demandait, est-ce que tu rejoindrais sa meute ?
    — Sûrement pas ! m'écriai-je, scandalisée.
    Ivan sourit et murmura un « Bien, bien ». Il contourna le bar et me fit signe de le suivre, ce que je fis après avoir bu le verre d'une traite, et failli m'étouffer. Il s'arrêta devant une des bibliothèques, et sortit un livre rangé au fond, derrière plusieurs manuscrits. La bordure fragile était abîmée et les pages, jaunies. Il l'épousseta et me le tendit.
— C'est quelque chose qui pourra t'aider. Nous le donnons aux loups-garous nouvellement transformés.
Je le pris délicatement, la couverture anciennement rouge était déteinte mais j'arrivai tout de même à distinguer le mot « Wolf » dans le titre. Je supposai alors que la tache grise représentait autrefois un loup. Mais ce n'était plus le cas.
Je relevai la tête vers Isaac.
— « Nous » ?
— Comment ?
— Vous venez de dire : Nous le donnons aux loups-garous nouvellement transformés. Nous.
Il se frotta la lèvre et je voyais bien qu'il essayait d'esquiver ma question.
— C'est... Disons que j'ai un passif avec les loups-garous. Une longue histoire, avec laquelle je ne veux pas t'embêter.
Il savait bien que ça ne m'embêtait pas, sinon je ne lui aurait pas posé la question. Mais c'était visiblement quelque chose dont il ne voulait pas parler. Je ne lui en voulais pas, nous venions de nous rencontrer et il s'était montré très amical avec moi, il y'avait forcément des zones d'ombres chez lui que je ne devais pas éclairer.
Je hochai la tête et serrai le livre contre moi.
— Merci, ça me sera d'une grande aide.
Ivan pressa mon épaule de sa main.
— Tu peux toujours me demander si tu as besoin que je t'éclaire sur certains détails. Même si à mon vis, tout est très bien détaillé là-dedans.
Je hochai à nouveau la tête et il me sourit à nouveau. Puis, après quelques secondes de silence il tapa dans ses mains et me désigna la pièce par laquelle Isaac et Taya étaient sortis un peu plus tôt.
— Si tu as un petit creux tu peux te servir dans le frigo, ou dans les placards. Ça fait aussi office de salon, alors tu peux grignoter ce que tu veux en regardant la télé. Il y'a aussi un ordinateur—hors de prix que nous avons dû acheter à Prudence—connecté à internet. Sauf si tu veux te servir de celui qu'il y'a dans ta chambre.
Je ne su pas quoi répondre et me contentai de hocher la tête, gênée. Il me sourit une dernière fois et et me confia qu'il avait des choses à régler avant de s'en aller.
J'allai alors m'installer sur le fauteuil, je ne savais pas où tous les membres de ce café étaient passés et je m'en fichais. J'allumai la télé et tombai sur Harry Potter, je souris et augmentai le volume. Au même moment je sentis mon téléphone vibrer et sans regarder le correspondant, je décrochai.
— Rachel ?! s'écria Beth d'une voix enrouée et tremblante comme si elle était en train de pleurer. Dieu merci tu réponds ! C-c-c'est horrible, on était sortis, tu n'es pas venue et là... et là... y'a eu ces bruits de pas, j'ai été séparée des autres et maintenant c'est... c'est...
— Calme toi, Beth, calme toi. Explique moi ce qui se passe ? Où est-ce que tu es ?
— Je sais pas ! Je sais pas ! J'en sais rien ! Je viens de me réveiller et les autres, je... je ne les retrouve plus !
Je me levai et me mis à faire les cent pas en essayant de comprendre ce qu'elle me disait.
— Beth, je ne comprends pas ce que tu me racontes, il faut que tu te calmes et que tu me dises où tu es. Qu'est-ce qu'il y'a autour de toi ? Est-ce que tu peux me décrire ce que tu vois ? Je viens te chercher.
— Non ! hurla-t-elle d'une voix perçante en sanglotant. Ne viens pas ! Préviens Mme Colmane ou un gardien, mais ne viens pas !
— Je ne suis pas à l'académie, je ne peux pas les prévenir et je ne peux pas y retourner pour le moment. Écoute, si tu t'es perdue il te suffit de me dire où tu es, je suis sûre que les autres te cherchent à l'académie en ce moment même.
Il y' eut un moment de silence durant le quel j'entendais la ligne grésiller, comme si Beth s'était mise à courir. Je l'appelai plusieurs fois mais le combiné ne devait pas être près de son oreille. Après plusieurs minutes j'entendais sa respiration saccadée et elle me répondit en reniflant, à voix basse.
— D'accord, mais fait vite, s'il te plaît, pleurnicha-t-elle. Il y'a... il y'a... une rivière... Hayes... Hayes Run... C'est écrit Hayes Run. O-oui c'est ça, la rivière Hayes Run.
    — Très bien, j'arrive, tu es dans la forêt Michaud State Je viens te récupérer. Attends-moi là, si tu vois un garde forestier, va le voir, c'est encore mieux qu'un gardien non ? Moins coincé et plus... accessible ?
    J'essayais de détendre l'atmosphère mais Beth continuait à renifler et à sa respiration saccadée j'étais persuadée qu'elle était en train de mourir de froid.
    — Je vais raccrocher mais je—
    — Non ! S-s-s'il te plaît ne pars pas...
    — Je dois prendre une voiture, mais je te rappellerai toutes les dix minutes, c'est promis. Est-ce que ça te va ?
Silence.
— Betsabea, tu m'entends ?
   Je soupirai de frustration et continuai à l'appeler tandis que je montais les marches de l'escalier à la recherche de quelqu'un. Je fouillai les pièces de l'étage en appelant Isaac, Taya et Ivan, mais aucun d'eux ne me répondait. Bon sang ! Quel était l'intérêt d'avoir une ouïe surpuissante s'ils ne s'en servaient pas ?! Je grognai de frustration et redescendit les marches. J'avais besoin que l'un d'eux me conduise à l'endroit où se trouvait Beth, je ne pourrais jamais y arriver à pied.
Une idée me chatouilla l'esprit : Deux adultes devaient forcément avoir une voiture non ? Si Isaac se déplaçait si librement cela voulait dire qu'il devait en avoir une ? Je secouai la tête en pénétrant dans le salon. Non, très mauvaise idée. Je ne pouvais pas prendre leur—
En balayant la pièce du regard j'aperçu quelque chose en train de clignoter, comme si un Dieu avait entendu ma prière intérieure, je vis qu'il s'agissait d'un porte clé Skillet sur lequel était fixé des clefs de voiture. Après quelque secondes d'hésitation et durant lesquelles je m'excusai mentalement, je saisi les clés et sortis du café.
    La nuit me donna la chair de poule, et je commençai a trottiner en appuyant sur le bouton à la recherche de la voiture tout en continuant à interpeler Beth. Je me retournais plusieurs fois, je ne savais pas si je craignais plus de tomber sur des loups-garous ou sur Taya et Ivan. Après avoir tourné trois fois dans des rues tout aussi calmes et lugubres les unes que les autres, une voiture répondit à mon appel par un clignement de phare et je poussai un soupir de soulagement.
Je m'arrêtai quelques instants pour la contempler : il s'agissait d'une Tesla Roadster rouge vive, elle devait coûter pas moins de 200 000 $. C'est qu'ils sont friqués ces citadins, ai-je pensé.
Je pénétrai l'habitacle et l'odeur du cuir envahit les narines. La voiture était flambant neuve, c'était bien ma veine. Je posai mon téléphone sur le siège passager et activait le haut-parleur au cas où Beth me parlerait, lorsque je démarrai, le rugissement du moteur me fit frissonner. Je n'avais jamais été une fanatique de voitures, mais il fallait admettre que celle-ci en mettait plein la vue. Je posai mes mains tremblantes sur le volant en sachant pertinemment que je prendrai un sacré savon par de parfaits inconnus à mon retour. Après un dernier coup d'œil en arrière, je démarrai. Direction la rivière Hayes Run.

 

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