Un courant électrique parcourut son corps quand il ouvrit la porte de son appartement. Devant lui se tenait l’étrange jeune homme de la veille, la mine impassible et le regard brillant d’un éclat singulier. Alec ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche qu’il le plaquait contre le mur de l’entrée. Son coude appuyait sur le thorax de l’albinos pour l’immobiliser. Les yeux blancs de l’inconnu se plissèrent et son visage blafard affichait la condescendance.
— Toujours dans la demi-mesure à ce que je vois, lui fit-il remarquer d’une voix acerbe.
Alec le tira par le col de sa chemise et raffermit sa prise.
Le sac que portait l’albinos tomba au sol dans un bruit sourd et les mains blanches de celui-ci se refermèrent sur ses avant-bras. La force de sa poigne l’étonna : l’étrange jeune homme était grand et fin, quoique légèrement musclé, pourtant, il exerçait une pression considérable sur les bras d’Alec.
— Tu es qui ? Et comment tu as eu cette adresse ?
La colère et la surprise bouillonnaient en lui avec ardeur, entremêlées de peur. Si cet inconnu les avait retrouvés, n’importe qui le pouvait. Y compris le démon. Une boule brûlante prit place dans son ventre, tordant son estomac d’angoisse.
— Du calme, je ne suis pas là pour me battre, le rassura-t-il, mais ses mains serraient toujours plus fort les avant-bras d’Alec.
Il refusa de céder à la douleur, cependant ses doigts faiblissaient au bout de ses mains. Son sang ne circulait plus dans ses veines et la poigne de l’intrus les comprimait comme un garrot. Lorsqu’il se dégagea de sa prise, il arborait l’ombre d’un sourire satisfait aux coins des lèvres. Alec ne sentait plus le bout de ses doigts et tandis que les yeux trop clairs de l’inconnu se promenaient avec indécence dans son appartement, il remarqua les marques rouges sur sa peau dont la forme évoquait une main. Alec croisa les bras sur son torse pour cacher les stigmates et contenir les tremblements qui agitaient ses doigts.
— Pourquoi tu es ici ?
Alec avait bien compris que l’étranger ne répondrait pas à ses deux premières questions. Tandis que le sang revenait dans ses mains dans un fourmillement désagréable, il observait le moindre de ses faits et gestes.
— Si tu penses que la cacher chez toi est une bonne idée, tu te trompes. Tu ne réussiras pas à la protéger sans mon aide.
La pique atteignit sa cible. Arquant un sourcil, serrant les poings, Alec décroisait lentement les bras. Ses yeux noirs jetaient des éclairs sur l’inconnu, mais ce dernier évitait soigneusement de les recontrer. À vrai dire, il posait son regard blanc sur à peu près tout sauf lui et cela l’exaspérait. Qui diable était entré dans son appartement, passait au peigne fin le décor de sa vie privée et se permettait d’éluder ses questions ?
Son regard trop clair s’illumina soudain et Alec n’eut qu’à le suivre pour en comprendre la raison. Il relâcha instantanément son attention de l’albinos pour offrir son soutien à la jeune femme blessée. Elle tenait à peine debout, la main sur son ventre et l’autre contre le mur. Son cœur se pinça lorsqu’elle leva les yeux vers lui.
— Tu n’aurais pas dû te lever, tu tiens à peine debout, fit-il valoir à mi-voix en la rejoignant.
Elle eut un sourire d’excuse avant de dévisager l’inconnu. Elle prit appui sur son bras et s’avança dans le salon, une main reposant toujours sur son ventre. Il vit passer une grimace de douleur sur son visage diaphane, mais la jeune femme l’effaça rapidement.
— Merci de nous avoir aidés hier.
Profondément irrité par le sourire que l’inconnu adressait à Lucia en guise de réponse, Alec se posta entre eux, se redressant de toute sa hauteur pour dominer verticalement l’albinos. Le sang fourmillait dans ses bras depuis que l’intrus l’avait empoigné et s’il avait compris qu’il ne ferait pas le poids au niveau de la force physique, il était décidé à s’imposer d’une façon ou d’une autre. Après tout, il était chez lui et ce jeune garçon s’était invité tout seul. L’albinos fronça le nez et retroussa ostensiblement sa lèvre supérieure.
— Je vous ai apporté quelque chose.
L’étranger s’adressait à Lucia avec une certaine déférence qui fit monter en lui une forme de répulsion proche du dégoût. Alec baissa les yeux sur le sac de sport noir, au cuir usé et à la lanière fatiguée, tout ce qu’il y avait de plus banal au monde.
— C’est mon sac, réalisa-t-elle soudainement.
Le sang dans son corps ne fit qu’un tour et les poils de ses bras se dressèrent lorsqu’il agrippa le col de l’albinos. S’il avait pu le soulever du sol, il l’aurait fait, mais sa poigne était faible et les fourmillements un supplice.
— Où l’as-tu trouvé ? Réponds !
Les mâchoires et les dents serrées, Alec détacha chaque mot de sa phrase, tant pour se tempérer lui-même que pour intimider son adversaire qui gardait un visage impassible.
— Je l’avais laissé chez moi..., murmura Lucia.
Elle s’agenouilla près de son sac et entreprit de fouiller son contenu. Elle y trouva des pulls, des t-shirts, des pantalons, des chaussettes, des dessous, une paire de baskets ainsi qu’un gros livre, enseveli tout au fond. Elle sortit le tome et caressa machinalement son épaisse couverture en cuir brun dont les lettres gaufrées du titre luisaient d’un éclat doré.
Lorsqu’elle leva les yeux vers l’albinos, le sang avait quitté ses joues, confirmant les craintes d’Alec.
— Tu t’es introduit chez elle ? Quel genre de malade es-tu ? s’insurgea-t-il en soulevant du sol le corps de l’intrus malgré la douleur.
— C’est pas grave, trancha Lucia en se mordant les lèvres. J’en ai besoin de toute façon.
La main fraîche de Lucia se posa sur la peau de son bras avec délicatesse, l’incitant au calme. Avait-elle peur de lui faire mal pour le toucher avec autant de précautions ? Ou bien sa colère la terrorisait-elle autant qu’elle hésitait à s’approcher de lui ?
Alec ravala sa colère : il ne souhaitait en aucun cas que Lucia s’effrayât de lui. C’est donc avec réticence qu’il obtempéra et laissa l’albinos retomber sur ses pieds. Son regard noir surveillait chacun des gestes de l’intrus tandis que celui-ci époussetait ses vêtements, feignant d’être souillé.
— Tu n’allais pas la laisser vêtue comme ça ? fit l’inconnu en pointant du menton l’intéressée.
La question trempée d’acide n’attendait évidemment pas de réponse et Alec serrait les dents, jetant un regard honteux à Lucia. Le t-shirt qu’il lui avait prêté était si ample qu’elle pouvait nager dedans. Les manches lui tombaient jusqu’aux coudes et le bas du vêtement lui arrivait au-dessus des genoux, et, aux gestes qu’elle faisait pour remonter son pantalon, il était évident que celui-ci n’était pas à sa taille non plus.
Un silence pesant s’installa avant d’être brisé par l’albinos.
— C’est après vous qu’il en avait, déclara-t-il en dévisageant Lucia. Vous n’êtes pas en sécurité ici. Ni à Phoenix d’ailleurs. Ils reviendront.
Les jambes de Lucia tremblaient sous elle, mais pas de peur. La douleur sourde dans son ventre l’obligea à prendre place dans le canapé, mais son attention était fixée sur l’inconnu. Il en savait beaucoup sur leur situation et cela intriguait Lucia. Elle avait lu de vieux articles sur ces gens qui croyaient à l’occulte. Ce jeune homme faisait-il partie de ce groupe d’individus ? Un prêtre exorciste ? Il n’en donnait pas l’impression. Sa chemise ouverte par-dessus un t-shirt à moitié rentré dans son pantalon noir renvoyait de lui une apparence négligée. On était loin de la robe traditionnelle noire du prêtre et Lucia cherchait frénétiquement l’ombre d’une croix chrétienne sur lui sans succès. Une chose était certaine cependant, son style vestimentaire n’était pas une de ses priorités, mais Lucia se garda bien de le juger : elle n’avait pas beaucoup de goût non plus en la matière.
— Nié… c’est son nom. Elle s’en est prise à moi en prenant possession de mon amie. Comment va-t-elle ? Que s’est-il passé ?
Sa voix trahissait son anxiété, mais elle n’y pouvait rien. Lucia ne résistait plus à son angoisse et se rongeait les lèvres, mortifiée par l’attente. L’étrange jeune homme ne semblait pas pressé de lui répondre et promenait son regard d’elle à Alec et d’Alec à elle.
— Le démon a quitté son hôte peu après votre fuite. Votre amie va bien, révéla-t-il enfin.
Le poids dans sa poitrine se dissipa, comme si on lui avait retiré une pierre logée entre ses côtes, et Lucia retrouva enfin une respiration régulière. La jeune femme soupira de soulagement et ses mains cessèrent de trembler. Mina allait bien, c’était tout ce qui comptait.
— Et les patients ? Et le personnel médical ? s’enquit Alec sans se départir de sa méfiance. Ils vont bien eux aussi ? Quand j’ai appelé ce matin, personne ne semblait inquiet. La seule chose qui leur semblait étrange c’était mon appel. C’est comme s’ils ne se rappelaient pas ce qu’il s’était passé.
Les bras croisés sur son torse, il toisait l’albinos, les mâchoires serrées.
— Ils vont bien eux aussi, éluda ce dernier. Je répondrai bien à toutes tes questions, mais le temps nous manque. Le démon que vous avez croisé n’est pas le seul danger qui vous guette.
L’angoisse se cristallisa sur le visage de Lucia et Alec se crispa à côté d’elle. Elle refusait de songer à ce qui pouvait exister de pire qu’un démon. La peur viscérale qu’elle avait ressentie lors de leur affrontement se manifestait à la seule mention de son nom, la figeant sur place comme une proie face à son prédateur. Imaginer qu’il existe d’autres créatures plus terribles encore qu’un fantôme ou un démon la terrorisait.
— C’est bien beau d’avoir mis du sel aux portes et aux fenêtres, mais ça n’arrêtera pas un vampire ou un loup-garou, continua l’inconnu.
La pièce commença à tourner dangereusement autour de Lucia. Ou bien était-ce sa tête qui tournait ainsi ? Elle en oublia de respirer et ce ne fut que lorsqu’Alec posa sa main sur son épaule qu’elle aspirait l’air de nouveau. Elle était dans un grand huit et elle détestait les sensations fortes. Elle voulait à tout prix que ça s’arrête. Maintenant. Et plus que tout, elle avait besoin de revenir à sa vie normale, de monter sur les planches de la scène et de danser sous les projecteurs. Mais faire comme si de rien n’était n’allait pas empêcher les démons de s’en prendre à elle. La partie n’allait pas s’interrompre simplement parce que l’un des joueurs refusait de jouer. C’était la victoire ou la mort. Et elle n’avait pas l’intention d’être du mauvais côté du plateau.
Son poing se serra avec détermination. S’il fallait jouer, elle avait besoin de connaître les règles du jeu. Elle en connaissait déjà une grande partie, elle avait juste besoin de connaître son ennemi.
— Pourquoi ils en ont après moi ?
La question fusa avec plus de dureté qu’elle ne l’aurait voulu. Elle avait du mal à maîtriser sa voix tant la peur pulsait dans ses veines, provoquant des spasmes dans ses mains tandis que son ventre se tordait de douleur.
L’albinos planta ses yeux translucides dans les prunelles pourpres de Lucia et s’avança vers elle.
— Ils n’auraient jamais dû s’en prendre à vous, affirma-t-il avec l’aplomb d’un guerrier. Soyez certains qu’ils ne renonceront pas, même après cet échec. Préparez vos affaires et quittez la ville dès ce soir.
Le ton sans appel de l’étranger crispa Lucia. Quitter Phoenix ? En pleine nuit ? Sur les conseils d’un inconnu ?
— Et pour aller où, petit génie ? C’est hors de question. Lucia n’est pas en état de se déplacer.
La silhouette d’Alec, raide comme un piquet, dominait de peu l’albinos et l’air s’électrifia entre les deux hommes. Les cheveux noirs et le teint hâlé de l’un s’opposaient à la blancheur laiteuse de la peau et des cheveux de l’autre.
— Tu l’as bien amenée jusqu’ici hier soir, je ne vois pas en quoi c’est différent maintenant.
— Hier était une situation tout à fait exceptionnelle, répliqua sèchement Alec.
L’étrange garçon aux cheveux blancs soupira d’exaspération face à l’entêtement d’Alec.
— Il y a un lieu où vous serez en sécurité, reprit l’inconnu, une cabane isolée, protégée des démons. Ne perdez pas de temps, c’est une ressource précieuse qu’il ne faut pas gaspiller. Partez dès maintenant. Vous trouverez les coordonnées ici.
Il désigna du regard le sac de sport avant de s’approcher de Lucia. Il prit une mèche de ses cheveux et la fit rouler entre ses doigts blancs. Les yeux d’Alec lançaient des éclairs, le corps prêt à bondir tandis que l’inconnu dévisageait Lucia.
— S’il vous arrivait quoi que ce soit, je ne me le pardonnerais pas, lui confia-t-il tout bas.
Ses yeux avaient l’éclat de la glace, mais pendant un court instant, Lucia entraperçut autre chose que le froid mordant. Lorsqu’il cligna des paupières, la lueur avait disparu et son regard était devenu aussi acéré qu’une lame, semblable à celui d’un chasseur.
— Tu les traques, n’est-ce pas ?
Les mots s’échappèrent de sa bouche avant que Lucia ait eu le temps de mettre en forme ses pensées et les iris trop clairs s’ouvrirent en grand.
— Tu es un chasseur, c’est ça ? Tu traques les démons et tu les…
Elle ne réussit pas à finir sa phrase qui mourrait entre ses lèvres. La bouche de l’inconnu esquissa un sourire avant de se fendre entièrement pour s’adresser à tous les deux :
— Un conseil : couvrez-vous. L’hiver n’est pas si doux là où vous allez.
Juste une petite chose dans la phrase : "Alec se posta entre eux, se redressant de toute sa hauteur pour dominer verticalement l’albinos", le verticalement me semble de trop. Il domine l'autre forcément dans ce sens-là.
en effet, ça fait redite et maladroit, ce sera corrigé!
Sinon, j'aime mieux ce nouveau personnage qu'Alec ou Lucia haha, il a un drôle de caractère et une drôle de dégaine, et ça me convient bien mieux. Du coup, jsuis curieuse de savoir en quoi cette cabane est protégée et quel est le rôle des cookies dans cette histoire. Puis, j'ai hâte qu'il apporte des réponses héhé, et ravie que Mina n'est rien, c'est une bonne nouvelle !