Rien n’avait de sens. Nous allions d’un endroit à un autre mais notre enquête ne progressait pas. Astrid et moi cachions des choses à Ferdinand par manque de confiance en lui, nous étions convaincues qu’il se servait de nous mais nous n’avions pas de preuves. Sans idée précise de notre objectif réel, nous changions d’hypothèse à chaque revirement de situation, comme des girouettes en plein vent. Ferdinand me pressait de trouver ce que j’étais incapable de chercher et à mon tour je faisais semblant. Ces constats stériles me désespéraient, aussi me décidai-je un soir à téléphoner à Vincent sans en informer Ferdinand ou Astrid, pour essayer de démêler tous les fils enchevêtrés qui m’empêchaient d’y voir clair
Je me glissai dans le jardin discrètement par la porte fenêtre, et m’éloignai le long du petit chemin qui passait devant la maison. Il n’y avait pas de barrière, je sortis directement dans les champs. J’entendis un bruit d’ailes à proximité et je vis que Houang Ti m’avait suivie. Pour la première fois, il vint se poser sur mon épaule et glissa son bec dans mon cou. Quelle étrange sensation ! Je caressai son plumage délicat avant d’appeler Vincent, tout en marchant vers un petit bois dans l’ombre duquel je me dissimulai.
-- Hazel ? fit-il en m’entendant.
-- Vincent, je suis toute seule, je voulais te parler alors je suis allée marcher, répondis-je. Houang Ti m’accompagne, il est sur mon épaule !
-- Un problème ? demanda-t-il, ignorant l’information sur l’oiseau.
-- Nous piétinons. Nous n’avons rien de nouveau depuis presque trois semaines, depuis l’agression de Ferdinand. Pendant tout ce temps perdu, PJ a dû avancer de son côté, et nous, nous faisons du sur place.
-- C’est vrai, dit-il, mais je ne crois pas qu’il aille si vite que ça. Il n’a ni plante ni argent, il a beaucoup plus de problèmes à régler que nous, et en plus il n’a plus Ferdinand.
-- Je ne crois pas que PJ et Ferdinand ne s’entendent plus. Pour moi c’est tout le contraire, répondis-je.
-- Qu’est-ce que tu essaies de me dire ? demanda Vincent..
-- Tu ne trouves pas tout ça bizarre ? continuai-je lentement, toutes ces informations contradictoires que Ferdinand ne cesse de nous donner ? Pour moi, ce sont des mensonges. Je crois que PJ et Ferdinand ont simulé l’agression. Ferdinand a été réellement blessé pour que cela fasse vrai. Pourquoi ? la seule explication qui me vienne est qu’ils veulent que nous trouvions la pimpiostrelle pour eux. Ferdinand ne nous lâchera que si nous l’amenons à la plante, il sera là pour la récupérer immédiatement. Alors nous serons en danger, car il n’aura plus besoin de nous.
-- Moi aussi, je me pose aussi des questions, fit Vincent, reste sur tes gardes, Hazel. Qu’en pense Astrid ?
-- Nous n’en avons pas encore parlé, dis-je, je ne veux pas la perturber avec mes interrogations, c’est déjà assez compliqué pour elle. L’ambiance ici est malsaine. Ferdinand me pousse à trouver la localisation de la pimpiostrelle mais quelque chose en moi refuse de lui céder. Je le déteste.
-- Je sais. Mais c’est la seule piste que nous ayons, répondit Vincent. Si tu penses que c’est trop risqué, on abandonne tout et Astrid et toi venez sur l’île.
-- Tu sais bien que je n’abandonnerai pas, je te l’ai promis, mais tu es bien conscient que nous n’avons pas de stratégie, et que nous faisons du bricolage, répliquai-je.
-- Oui, j’avoue. Ferdinand s’est habilement incrusté parmi nous grâce à son accident. Pour l’instant faisons profil bas, suivons sa ligne de conduite et voyons où il nous mène.
-- D’accord, je respecte ta décision, fis-je, je vais chercher la pimpiostrelle avec plus de motivation.
-- Hazel, j’ai quelque chose d’important à te dire, poursuivit Vincent.
-- Dis moi.
-- Alma s’est mise en tête de faire pousser la pimpiostrelle sur l’île. Evidemment je n’ai pas pu lui cacher votre découverte, elle s’ennuie tant qu’elle rôde tout le temps autour de moi.
-- Ce n’est pas grave Vincent, tu lui fais toute confiance, répondis-je car je le sentais tendu.
-- Alors elle a pris quelques minuscules graines de la fleur que tu m’as envoyée, et les plantées au creux d’un rocher. Et tu sais quoi ?
-- La plante a poussé ? m’écriai-je.
-- Oui, et incroyablement vite, en quelques heures il y a eu des fleurs.
-- Qu’en avez-vous fait ? demandai-je, soudain très excitée.
-- Alma en a récupéré quelques unes pour faire une décoction pour sa mère. Et depuis qu’elle boit de la potion de pimpiostrelle, Simonetta va beaucoup mieux, ce n’est plus la même femme, elle est transformée. Elle est active, elle chante, elle fait des courses sur l’île voisine, elle promène le chien, elle cuisine, elle donne des leçons à Alma. Elle n’arrête pas, je suis presque honteux de dire qu’elle nous fatigue !
-- Vincent, c’est merveilleux, cette plante est donc vraiment miraculeuse ! dis-je, éblouie par cette nouvelle.
-- On dirait bien … ajouta-t-il, et ce n’est pas tout ...
-- Oui ?
-- Alma l’essaie sur moi.
-- Que veux-tu dire ? dis-je en me mettant à trembler.
-- Elle me fait aussi boire de la potion. Et elle a fabriqué une espèce d’onguent avec de la pimpiostrelle et des ingrédients qu’elle a trouvé dans la pharmacie de la maison. Elle me fait des massages du dos et des jambes avec ce baume, poursuivit-il. Sa voix semblait se voiler par l’émotion.
-- Et tu vois de l’effet ? demandai-je.
-- Oui, petit à petit, j’arrive à me redresser. Je peux faire quelques pas sans m’appuyer ni risquer de tomber. Pour la première fois de ma vie. C’est inimaginable, non ? murmura-t-il.
-- Oh Vincent, c’est fantastique !
-- Hazel, je n’ose pas me réjouir trop vite, mais il y a un changement, c’est certain. Et ce changement est rapide, tellement rapide, je n’arrive pas à y croire après tant d’années ...
-- Je suis trop heureuse, Alma est géniale.
-- Hazel, n’en parle à personne, c’est notre secret. Je l’ai fait jurer à Alma.
-- Bien sûr. Je rêvais déjà tout le temps à toi, mais avec cette information, je ne sais pas comment je vais faire pour penser à autre chose, répondis-je.
-- Moi aussi je pense à toi. Tu vois les progrès que nous avons déjà faits, on avance malgré tout.même si on n’en a pas l’impression.
-- Tu m’as redonné une énergie et une envie extraordinaires, m’écriai-je en me mettant à danser dans l’herbe tandis que Houang Ti s’envolait en poussant des cris de désapprobation. Je retourne à mes recherches. Mais j’ai tellement envie de te voir !
-- Soyons patients, notre objectif est si important qu’il doit passer avant nos sentiments, dit Vincent. Même s’ils sont tellement forts …
-- Oui, répondis-je simplement car j’avais la gorge nouée. Donne-moi des nouvelles d’Alma, que fait-elle quand elle ne cultive pas son jardin ? Elle va à l’école ?
-- Oui, mais l’école ne l’intéresse pas, c’est trop simple pour elle, elle s’y ennuie. Les enfants de son âge n’ont pas les mêmes centres d’intérêt qu’elle, et elle n’a pas d’amis pour l’instant. Alors elle s’occupe de son chat, Nopal et elle ne se quittent pas … Elle lui confie tous ses secrets. S’il pouvait parler, il lui répondrait, c’est sûr. Elle se pose beaucoup de questions, mais je crois qu’elle est heureuse malgré tout.
-- C’est parce que Simonetta et toi guérissez grâce à elle !
-- Peut-être.
-- Elle est merveilleuse, elle va réussir ! A demain Vincent, je vais trouver où se cache la pimpiostrelle.
-- Je n’en ai jamais douté. A demain Hazel.
J’adorais cette promesse, mon coeur semblait tout léger. Houang Ti vint se poser à nouveau sur mon épaule et je rentrai à la maison avec lui en bondissant comme une enfant. Poursuivre les recherches sur Internet me paraîtrait facile désormais, mes sens étaient en alerte, toutes les idées me viendraient, mon esprit serait ouvert à toutes les intuitions, je trouverais la pimpiostrelle et je vaincrais mon aversion pour Ferdinand.
Mais en arrivant près de la maison, je vis une lueur à la fenêtre derrière laquelle se trouvait l’ordinateur. Une silhouette visible dans le halo lumineux était penchée sur l’écran, je la reconnue aussitôt, c’était Ferdinand. Je stoppai net et reculai dans l’ombre. C’est à ce moment-là que je sus que j’aurai la preuve de sa trahison. Il n’avait pas de chance. Par habitude du secret, je nettoyais toujours mon ordinateur avant de partir, il n’y avait donc aucune trace détectable de mes recherches, même pour un habile informaticien. Tout était enregistré dans ma tête. S’il voulait visualiser mes explorations, il ne trouverait rien. Mais peut-être cherchait-il pour lui même des informations qui ne me regardaient pas ? Comme je le jugeais un piètre informaticien, je regarderais le lendemain matin son historique, je saurais tout ce qu’il avait fait et lui ne saurait pas que je savais. Quelle ironie !
Ferdinand jouait un double jeu depuis le début. Quand l’un des membres d’une équipe s’isole pour agir sans que les autres le sachent, c’est qu’il n’y a pas réellement d’équipe. Et cette certitude me frappa de plein fouet au moment où je revenais toute remplie de la joie de savoir que Vincent guérissait. Houang Ti me donna alors un coup de bec délicat dans le cou, puis il s’envola. Cet animal comprenait tout.
Je fis le tour de la maison et entrai par la porte de devant que je refermai sans bruit, grimpai l’escalier en évitant les marches qui craquaient et pénétrai dans ma chambre. En quelques instants, je me déshabillai et me glissai dans mon lit. Trois ou quatre minutes plus tard, j’entendis le pas pesant de Ferdinand qui montait se coucher. Il passa devant ma porte qu'il entrouvrit pour passer la tête, je perçus sa respiration toute proche et lui perçut la mienne, puis il repoussa le battant doucement et le pêne glissa dans la gâche. Il regarda aussi dans la pièce à côté de la mienne où dormait Astrid et s’éloigna enfin vers sa chambre. Je me levai pour aller pousser le verrou. Soudain cet homme me faisait peur. Je ne savais pas de quoi il était capable mais, sans aucun délire paranoïaque, j’étais désormais sûre d’une chose, je ne me fierais jamais à lui.
Le lendemain matin, nous nous retrouvâmes à la table du petit déjeuner, discutant vivement comme si rien ne s’était passé pendant la nuit, comme si Ferdinand était tout à fait franc avec nous et ne nous espionnait pas. C’était plus facile pour Astrid car elle avait simulé toute sa vie et les attitudes lui venaient naturellement. Quant à moi, je détestais franchement son hypocrisie et j’avais du mal à cacher mon aversion. Aussitôt après avoir bu mon thé, tandis qu’il allait prendre sa douche, j’activai l’ordinateur et parcourus l’historique de sa navigation de la veille. Il avait essayé de pister mes recherches mais n’avait rien trouvé. Il s’était ensuite connecté à un compte de messagerie et avait envoyé un courriel à une adresse mail anonyme, ne donnant pas la preuve que le destinataire était PJ. Je décryptai son mot de passe et lus son message qui se résumait à trois mots : ‘Toujours rien. F.’, c’était explicite, le destinataire était informé que nous ne progressions pas. Même si je n’en avais pas la certitude, j’étais persuadée que c’est avec PJ que Ferdinand communiquait, sinon pour quoi, pour qui ce message ? Ma découverte confirmait que l’agression de Ferdinand avait été une feinte pour nous convaincre de sa sincérité, et qu’il faisait à notre insu un rapport régulier à PJ.
Dans son cerveau malade, PJ avait imaginé ce plan diabolique. Il désirait tout savoir sur nos agissements et nos progrès, c’est pourquoi et il avait envoyé son cheval de Troie qui jouait l’intermédiaire entre lui et nous. Grâce à Ferdinand sa créature, il ne perdait aucun détail de ce que nous faisions. Et même s’il ne savait pas tout, il connaissait l’essentiel et ça lui suffisait. Finalement c’était beaucoup plus malin, il nous laissait prendre tous les risques et attendait dans l’ombre le moment de se manifester.
Écoeurée, je remis tout en ordre et relançai mon exploration en me motivant comme je l’avais promis à Vincent. Je devais faire simple pour trouver cette fleur qui se cachait si bien et revenir aux sources de mes connaissances. Elle poussait au moins dans deux endroits : Vallindras et l'île des Gondebaud. Ce dernier détail pensai-je avec un sourire, Ferdinand ne le connaissait pas. Je dressai un tableau valorisé de toutes les caractéristiques des deux emplacements : latitude, longitude, altitude, climat, pluviométrie, sol, roche, proximité de la mer, vents, tout ce qui me passait par la tête. J’établis ainsi deux profils que je rapprochais, cherchant les points communs et les divergences. J’écartai les informations trop éloignées et ne gardai que ce qui me semblait réellement exploitable.
A ce moment, Ferdinand surgit dans la pièce, Astrid le suivait. Ils partaient faire un tour jusqu’au village, ils avaient besoin de bouger.
-- Rien de neuf ? lança Ferdinand sans amabilité.
-- Non, répondis-je.
Je ne mentais pas encore, mais il avait dû sentir que j’étais sur une piste car il me regarda d’une étrange façon. Je leur souhaitai une bonne promenade, impatiente de poursuivre le fil de mes analyses.
-- On ramènera quelque chose pour le déjeuner, ajouta Astrid.
Ils s’éloignèrent sur le chemin, je les regardai un instant à travers la fenêtre puis retournai à ma liste. Je lançai une recherche sur la base des critères retenus pour voir s’il existait d’autres endroits présentant les mêmes caractéristiques. Je jouai avec les données, croisai, supprimai, rajoutai les informations et finalement réussis à obtenir des résultats. Trois d’entre eux étaient prometteurs. L’une des localisations se trouvait dans une région montagneuse au sud de la ville de Coloratur, dans l’Odysseus. La seconde sur une île tropicale, sur les flancs d’un volcan, et la troisième en très haute altitude, à l’écart de toute zone habitée. Je n’avais trouvé trace de l’île tropicale que sur une vieille carte marine datant de l’époque où les mers étaient parcourues par des hordes de pirates, elle n’était pas indiquée sur les cartes modernes. Néanmoins, je mémorisai les coordonnées des trois lieux, puis effaçai toutes traces de mes recherches.
Je n’avais pas vu le temps passer. En levant la tête, je vis revenir de loin Astrid et Ferdinand qui portaient des sacs de courses et approchaient de la maison. Qu’allions-nous faire maintenant que je savais avec certitude que Ferdinand n’était pas là pour nous aider mais pour s’approprier nos informations ? J’attendrais pour en parler à Astrid, il aurait été capable de l’interroger en aparté pour obtenir les renseignements que je ne voulais pas lui donner. Saurait-elle résister à son emprise ? il l’avait vue naître, il connaissait ses faiblesses et savait sûrement les exploiter. Je pouvais tout dire à Vincent, mais pas à elle, pas tout de suite, pas dans ce contexte.
Pour satisfaire Ferdinand en lui donnant l’illusion que nous progressions, je devais lui dévoiler au moins l’une des localisations que j’avais identifiées, celle qui me paraissait la moins probable. Tandis qu’Astrid et Ferdinand pénétraient dans le jardin, je visualisais à toute vitesse dans ma tête les trois lieux géographiques, les zoomant et les dézoomant tour à tour, pesant le pour et le contre, et pris ma décision à l’instant même où Ferdinand ouvrait la porte d’entrée. Coloratur. L’Odysseus. La position proche d’une grande ville, dans une région peuplée rendait sûrement plus difficile la pousse de plantes aussi sauvages que les pimpiostrelles. Mais Coloratur était entourée de montagnes.
-- Alors, demanda Ferdinand en posant les paniers, du nouveau ?
Il attendait quelque chose, c’était évident. Cela avait trop duré, il fallait que je cède du terrain, sinon il risquait d’être beaucoup moins conciliant et de devenir agressif.
-- Près de Coloratur, dans l’Odysseus, répondis-je.
Astrid me regardait la bouche ouverte, stupéfaite. Depuis des jours je lui avais dit que mes recherches étaient vaines, comment était-il possible que j’aie trouvé si vite ?
-- Je viens de trouver au bout de longues recherches, dis-je en regardant Astrid droit dans les yeux, alors qu’il m’avait fallu à peine deux heures une fois que j’avais décidé d’être motivée.
-- Coloratur, répéta Ferdinand en réfléchissant, oui, maintenant que tu le dis, ça semble une bonne solution. C'est une région montagneuse, qui ressemble peut-être à Vallindras. Et comment as-tu trouvé ? As-tu d’autres pistes ?
Je me gardai bien de répondre à la première question, et je mentis effrontément pour la seconde.
-- Non, je n’ai identifié que cet endroit. Et c’était déjà si long et compliqué que je ne pense pas en trouver d’autre.
-- Eh bien, je propose que nous écourtions nos vacances et que nous partions pour Coloratur sur le champ, enchaîna Ferdinand.
-- Enfin ! s’écria Astrid qui entra aussitôt dans mon jeu, je ne sais pas comment tu t’y es prise, mais bravo, le travail acharné paie ! Je suis d’accord pour faire ma valise tout de suite, nous devons bouger ! Je n’en peux plus de rester ici sans activité.
-- Pouvons-nous prendre l’avion ? demandai-je en espérant que la réponse serait non, car il fallait emmener Houang Ti.
-- Non, répondit Ferdinand à ma grande joie, les aéroports sont trop surveillés, nous prendrons le bateau à Astarax, il doit y avoir des lignes directes de ferries pour Coloratur. Ne vous inquiétez de rien, je vais réserver les billets. Je viens de m’acheter un téléphone portable au village, je vais l’utiliser pour contacter les bonnes personnes.
Il sortit dans le jardin et nous le vîmes s’agiter avec son appareil à l’oreille tandis que nous rangions les courses dans la cuisine.
-- Pourquoi ne m’avais-tu rien dit ? questionna Astrid qui semblait vexée.
-- Je t’assure avoir trouvé cet endroit pendant que vous étiez au marché, fis-je, mes recherches ont enfin porté leurs fruits !
-- Tu l’as dit à Vincent ? poursuivit-elle, presque méfiante.
-- Bien sûr que non ! m’exclamai-je, quand aurais-je eu le temps ?
Elle poussa un grand soupir de soulagement et me sourit enfin.
-- Nous prenons le bateau, ce sera plus facile pour transporter Houang Ti, ajouta-t-elle.
-- J’ai eu exactement la même idée, dis-je.
-- Je l’aime bien maintenant, reprit-elle avec tendresse, je me suis habituée à lui, mais je crois que maintenant il te préfère. Il ne vient plus sur mon épaule.
Nos yeux se tournèrent en même temps vers la fenêtre, mais à cette heure, l’oiseau dormait dans un coin sombre et restait invisible. Et je me décidai brusquement. En quelques mots, j’expliquai à Astrid que j’avais surpris Ferdinand en train de m’espionner et que nous devions définitivement ne pas lui faire confiance, il n’était pas notre ami. Plusieurs de ses attitudes et ses mensonges avaient également alerté Astrid et elle était d’accord avec moi, elle ne discuta même pas. Nous décidâmes d’être prudentes et de lui fausser compagnie quand nous serions arrivées à Coloratur.
Ferdinand entra brusquement dans la pièce par la porte fenêtre.
-- J’ai eu trois places sur le Roi des Mers, annonça-t-il, il quittera le port d’Astarax après demain matin. Nous partirons d’ici en début de matinée et voyagerons jusque là bas, où nous pourrons rendre la voiture de location.
La journée passa comme un éclair, nos valises n’étaient pas longues à faire, quelques affaires rapidement pliées et tassées dans nos sacs à dos. Nous nous retrouvâmes le soir après le dîner dans le jardin, assis autour d’une table ronde, à boire une tisane de thym frais. Ferdinand s’était accordé un plaisir rare, il s’était offert un cigare et le fumait lentement. La nuit était tombée, les ombres s’étiraient autour de nous, la lumière de la salle à manger nous éclairait faiblement.
Astrid et Ferdinand étaient excités par la perspective du voyage, je ne disais rien. Je n’arrivais pas à me réjouir de l’hypocrisie de Ferdinand. Je le voyais rire et plaisanter avec Astrid, c’était un menteur et un tricheur, impossible de lui confier mes pensées, mes souvenirs ou mes opinions. Mais il était déjà tard et Astrid était fatiguée, elle partit se coucher assez vite. Ferdinand terminait son cigare avant de monter à son tour. Soufflant des volutes de fumée qui s’élevaient vers le ciel nocturne, il continuait à me parler de tout et de rien, alors que dans ma tête tournaient et retournaient une foule de questions. Nous étions passés au tutoiement, puisque nous prétendions être une famille, ce qui me gênait car je ne voulais avoir aucun lien de proximité avec cet individu, je le méprisais trop.
-- Je ne m’explique pas, me disais-je sans écouter ses logorrhées, comment il a pu être assez lâche pour accepter d’être brutalisé pour satisfaire l’ambition de PJ.
Et en même temps, mes yeux se levaient vers Ferdinand en face de moi qui aspirait la fumée de son cigare, je voyais son profil se dessiner sur le halo de lumière et je me demandais qui se cachait réellement derrière ce personnage servile.
-- Pourquoi es-tu si proche des enfants de PJ ? demandai-je en coupant brusquement son bavardage dont je me moquais éperdument. PJ t’a traité comme un esclave depuis des décennies. Cependant toi tu protèges ses enfants, et eux te considèrent comme étant de la famille. Comment expliques-tu ça ?
-- Tu ne comprends pas ma relation avec PJ, il a toujours été comme un frère pour moi, j’aurais fait n’importe quoi pour lui et pour sa famille, il me fascinait totalement.
-- Oui, une relation fraternelle … jusqu’à ce qu’il te batte à mort ?
-- Ce n’est pas la seule chose abominable qu’il a faite.
-- Je sais.
Il se mit à raconter des scènes horribles de la vie des Sauveur, mais rien de ce qu’il disait ne m’intéressait. Depuis le début, toutes ses histoires sur la famille de Vincent n’était que des élucubrations. Il avait vécu si longtemps dans l’ombre et le mépris de son idole, qu’il avait trouvé dans ses délires une manière de compenser ses complexes et de justifier son admiration pour le monstre qu’était PJ. C’était comme s’il se libérait de tous ses démons. Tandis qu’il parlait avec de plus en plus d’emphase, il avouait combien il se croyait indispensable, efficace, brillant alors qu’assise en face de lui, je ne pensais qu’à lui fausser compagnie le plus vite possible.
Sa conversation était de plus en plus malsaine. Je n’avais plus qu’une envie, aller me coucher et oublier toutes les frustrations et toute la haine que ce pervers déversait en salissant la famille qu’il faisait semblant d’aimer. Peut-être avait-il trop bu et cela avait délié sa langue et abaissé sa réserve habituelle. Je me levais brusquement en avouant que j’étais épuisée, et aussitôt Ferdinand abandonna son ton confidentiel et retrouva son attitude sèche et distante. Je le saluai froidement et montai me coucher presque en courant, le laissant seul dans le jardin avec son cigare et ses délires. Bientôt nous le fuirions et je n’aurai plus à le supporter.
Depuis la fenêtre de ma chambre, j’aperçus dans l’arbre en face Houang Ti qui dormait, la tête sous son aile et pour la première fois, je ressentis de la tendresse pour cet oiseau venu du fond des âges.
Je passai une nuit agitée, me tournant et me retournant dans mon lit sans trouver le sommeil, imaginant les événements futurs et effaçant de ma mémoire les moments désagréables des derniers jours.
Nous nous levâmes de bonne heure, et après être passés chez le propriétaire pour régler notre séjour en liquide et rendre les clés, quittâmes le village en direction d’Astarax. Ferdinand et moi conduisions tour à tour la voiture de location. La radio était allumée et distillait informations et musique dont le ronronnement indistinct évitait d’avoir à faire la conversation. Houang Ti nous suivait à distance, je le voyais parfois filer comme l’éclair devant nous et revenir tout aussi vite en effectuant de belles arabesques.
Il faisait beau, la route traversait des contrées riantes où se succédaient des prés vallonnés remplis de moutons, des collines boisées parfois couronnées d’un château, des grosses fermes ventrues qui dormaient au soleil. Les routes étaient désertes, nous avions choisi les chemins de traverse et nous roulions à bonne allure. En milieu d’après-midi, le paysage changea, devint plus accidenté, des pins maritimes firent leur apparition, des côtes rocheuses couvertes d’ajoncs au delà desquelles on apercevait la mer remplacèrent les prairies vertes, et nous atteignîmes enfin notre destination.
Le port d’Astarax était très important, il accueillait des lignes régulières avec Odysseus, disposait d’un pôle pour le trafic de marchandises et d’un terminal pour les conteneurs. Nous pûmes rendre la voiture à l’entrée de la zone portuaire et continuâmes à pied. Notre bateau, amarré au quai des compagnies de croisières, s’appelait le Roi des Mers. Il avait accosté pour la nuit et nous montâmes à bord pour poser nos sacs dans les cabines. Nous partîmes ensuite en ville où nous trouvâmes un petit restaurant pour dîner dehors.
Ferdinand ne nous lâchait pas d’une semelle, comme s’il avait compris que nous avions l’intention de lui échapper. Il avait visiblement intensifié son emprise autour de nous depuis que nous étions arrivés à Astarax. Manger avec lui ne fut pas un plaisir. J’avais hâte de me retrouver seule dans la cabine avec Astrid, voir sa face de traître me faisait dresser les cheveux sur la tête. Il faisait semblant d’être sympathique et chaleureux alors qu’il nous planterait volontiers un couteau dans le dos s’il le pouvait. Nous accélérâmes le repas et quittâmes la terrasse le plus rapidement possible. Quand nous fûmes revenues à bord et enfermées dans notre chambre, Astrid et moi ouvrîmes le hublot et nous tortillâmes pour sortir sur le pont. Nous étions enfin libres ! Nous nous éloignâmes et grimpâmes sur le pont supérieur, où nous nous accoudâmes pour regarder le port et la ville.
Partout l’obscurité avait répandu son voile sombre, des milliers de lumières scintillaient tout autour de nous, des bruits nous parvenaient de tous côtés, claquements de portes sur le bateau, chocs métalliques, coques qui se cognaient doucement contre les jetées, vibrations des mâts et des haubans sous la brise nocturne dans le port de plaisance, moteurs qui ronronnaient, grincements, râclages, frottements. Une activité intense régnait encore sur les quais bordés par de nombreux restaurants, situés les uns à côté des autres, éclairés et remplis de monde. Des camions débarquaient ou embarquaient des cageots de marchandises, des monceaux de ballots, toutes sortes d’objets dont nous distinguions à peine les formes et les tailles dans la pénombre. Nous étions bien, appuyées sur le bastingage, respirant la tiédeur de la nuit, prêtes à partir pour l’aventure, silencieuses. Nous n’avions pas envie de parler. Après avoir écouté les bavardages incessants de Ferdinand, nous nous laissions aller à nos rêveries. Houang Ti qui nous suivait de loin depuis que nous étions à bord s’était posé sur le bastingage à faible distance.
-- Salut ! fit soudain une voix inconnue derrière nous. Vous partez pour Coloratur ?
Nous nous retournâmes aussitôt et nous retrouvâmes face à face avec trois jeunes hommes dont les visages étaient francs et rieurs. Ils portaient des vêtements de randonnée, chemises de coton sur un tee shirt, pantalons de toile épaisse couverts de poches, vestes larges avec des renforts aux bras et une capuche, et chaussures montantes à semelle crantée. On eût dit trois clones, même s’ils ne se ressemblaient pas. Leurs cheveux étaient longs et rebelles, leurs barbes naissantes, ils avaient l’allure d’aventuriers sympathiques.
-- Salut, répondit Astrid, oui, nous avons embarqué aujourd’hui.
-- Nous aussi, nous partons faire de la randonnée dans les montagnes au sud de Coloratur, dit encore le jeune homme qui avait entamé la conversation. Là bas la nature est sauvage, la région offre un dépaysement qui fait du bien, quand on a envie de s’éloigner de la ville et de respirer un peu d’air pur.
-- Nous ferons un peu de balades dans la région, ajoutai-je à mon tour, assez évasivement.
-- C’est magnifique là-bas, les paysages sont impressionnants, la montagne est belle, la végétation foisonnante et la faune mérite d’être vue et observée. Je suis Jerem, poursuivit-il, et voici Diego et Brennan. On habite ici à Astarax, et de temps en temps quand on a besoin de détente, on fait la traversée pour aller grimper là-bas. Ce qui nous intéresse surtout, c’est la flore, nous cherchons volontiers les plantes rares.
-- Astrid et Hazel, répondit-je.
-- Ca vous dit d’aller manger une glace ou boire un verre sur le port ? proposa Diego. La soirée est agréable, on part faire un tour avant d’aller se coucher. Vous vous joignez à nous ?
-- Pourquoi pas, fit Astrid en me regardant, nous avons dîné mais sans appétit, et j’avoue qu’une glace me fait envie.
-- Au fait, dit encore Jerem en désignant avec son menton Houang Ti perché sur la rambarde, bel oiseau !
Houang Ti lui jeta un regard oblique impossible à déchiffrer. Il n’avait pas bougé depuis l’arrivée impromptue des garçons qui avaient été assez perpicaces pour le remarquer. Ce constat m’amusa et me troubla à la fois. Ferdinand n’avait jamais fait attention à Houang Ti. Comme Houang Ti le fuyait sans cesse, il était évident qu’il ne voulait pas que Ferdinand le repère. En revanche, l’oiseau fantasque acceptait que les garçons le voient. C”était plutôt un bon signe. Mais pourquoi Jerem avait-il dit qu’il cherchait des plantes rares ?
Nous n’avions ni argent ni papiers, et ne voulions pas retourner à notre cabine pour les chercher. Les trois garçons nous convainquirent vite, ils paieraient et nous les rembourserions plus tard. Nous partîmes en bavardant gaiement avec eux. Nous avions les mêmes âges, les mêmes préoccupations, les mêmes envies, à des années lumière des intrigues de PJ et Ferdinand, nous étions juste un groupe de jeunes gens qui riaient à la moindre blague et parlaient de tout et de rien le coeur léger. Nous franchîmes la passerelle et nous retrouvâmes sur les quais à nouveau, déambulant dans les petites ruelles autour du port, le long des boutiques encore ouvertes la nuit.
Il était plus de minuit lorsque nous regagnâmes le bateau, tous bien décidés à nous revoir le lendemain à bord, après la bonne soirée que nous avions passée ensemble. Nous avions emporté la clé de notre cabine et après avoir longé la coursive jusqu’à notre porte, entrèrent le plus discrètement possible. Le hublot était resté entrouvert, Ferdinand n’avait pas dû s’apercevoir de notre escapade. Rapidement nous nous couchâmes et après quelques phrases à moitié prononcées et rires étouffés sous l’oreiller, nous nous endormîmes.
Quand nous nous réveillâmes, il était tard et il faisait grand jour. Le Roi des Mers avait déjà largué les amarres et quitté le port. Nous prîmes une douche rapide et nous dirigeâmes vers la salle de restaurant pour prendre nos petits déjeuners.
Malgré l’heure tardive, nos nouveaux amis étaient encore là, attablés autour de leurs bols pleins et de leurs assiettes généreusement garnies. Ferdinand était assis à une autre table mais nous l’ignorâmes et prîmes place à côté de Jerem, Diego et Brennan. C’était beaucoup plus amusant de manger avec eux qu’avec notre chaperon au sinistre visage. Lorsqu’il nous vit en bonne compagnie, Ferdinand fit une drôle de tête, je me dis aussitôt que nous avions été imprudentes de lui dévoiler nos nouvelles connaissances si vite. Il se leva et s’approcha, presque menaçant, et un instant je crus qu’il allait s’asseoir avec nous, mais il se contenta de hausser les épaules et s’éloigna vers la sortie. Astrid me regardait avec un sourire de triomphe.
Quand nous nous levâmes de table, elle me murmura à l’oreille :
-- Nous devons rester constamment avec les garçons, il n’osera pas nous ennuyer tant que nous serons ensemble.
-- Il doit être furieux contre nous, répondis-je.
-- Tant pis. J’ai envie de m’amuser un peu, nous avons passé une si bonne soirée, ça change de pouvoir rire et montrer son visage sans être obligé de se cacher, dit-elle.
-- Piscine ? demanda Jerem, interrompant notre dialogue.
-- Piscine ! répliqua Astrid. Accompagnez-nous à la cabine, nous allons chercher les maillots.
Et ainsi toute la journée, nous nous arrangeâmes pour ne jamais être seules. Après le bain nous jouâmes à des jeux de sociétés, déjeunâmes avec Jerem, Diego et Brennan, passâmes l’après-midi à bavarder avec eux autour d’une tasse de thé. De loin, Ferdinand nous observait, assis sur un transat quand nous étions à la piscine, à quelques tables de la nôtre pendant les repas ou les collations. Son regard noir et perçant ne cessait de nous surveiller.
Et alors que je marchais sur le pont en compagnie de Jerem, j’aperçus soudain sur le pont supérieur Iga, à demi masquée derrière un conduit d'évacuation de fumées. Elle portait des lunettes de soleil et avait caché ses cheveux sous un chapeau, mais il n’y avait aucun doute, c’était bien elle. Ils étaient donc tous là, à nous espionner, PJ, Ferdinand qui jouait la comédie et Iga qui n’avait pas tardé à retrouver un job, son job en fait. Vincent avait raison, elle nous avait interprété une scène de théâtre lorsque PJ avait disparu, elle était complice elle aussi.
Quand Jerem et moi rejoignîmes Astrid, Diego et Brennan, je m’approchai discrètement d’Astrid et lui murmurai à l’oreille.
-- Astrid, Iga est sur le bateau. Ferdinand nous épie sans cesse pour le compte de PJ, ton père sait tout ce que nous faisons et où nous allons. A Coloratur, nous devons absolument leur échapper et nous enfuir.
-- Ils veulent la pimpiostrelle ? demanda-t-elle.
-- Oui, répondis-je.
-- D’accord, soyons prêtes à l’arrivée. C’est ce que nous avions décidé de faire quoi qu’il en soit.
La traversée durait trois jours. Le paquebot de ligne n’était pas un bateau rapide, il effectuait des escales dans de petits ports sur le chemin, à Athaba, Der-Shappah, et Tacomir. Nous avions si peu envie de croiser Ferdinand ou Iga que nous fermions nos cabines à double tour, dès que nos trois amis nous avaient raccompagnées le soir. Derrière la porte, Ferdinand essayait de nous convaincre que notre attitude ne nous mènerait nulle part, et qu’il était d’accord pour faire la paix.
Jerem, Diego et Brennan avaient compris que nous fuyions notre soi-disant père. Ils devaient imaginer des histoires de famille dont ils ne voulaient pas se mêler, mais ils aimaient passer du temps avec nous, comme de notre côté nous appréciions leur compagnie. Au fil des conversations, nous vînmes à parler de nos futures randonnées, et nous leur indiquâmes le lieu où nous avions envie d’aller. Ils connaissaient très bien la région qu’ils se mirent à décrire avec emphase. Prises d’une subite inspiration, nous leur proposâmes de nous accompagner et de nous guider s’ils le voulaient bien. Cette zone était magnifique et ils avaient envie d’y retourner, ils acceptèrent aussitôt car ils n’avaient pas de plan défini. Nous leur donnâmes rendez-vous sur le chemin dans un jour ou deux, nous nous croiserions à l’improviste et nous poursuivrions la route ensemble. Ferdinand ne pourrait rien dire, il serait obligé d’accepter leur présence et nous nous sentirions protégées. Et il serait beaucoup plus facile de le perdre en pleine nature qu’en ville à Coloratur.
D’ici là, nous décidâmes d’espacer nos rencontres avec nos amis pour ne pas l’alerter. En attendant il fallait terminer le voyage avec lui. Avec lui et Iga, car nous devions forcément compter avec elle. Soulagées de savoir que nous ne serions pas seules avec Ferdinand pour trouver le site où poussait la pimpiostrelle, Astrid et moi nous résolûmes à renouer contact avec lui. Ainsi le dernier jour du voyage, avant d’arriver à Coloratur, nous cessâmes de voir nos amis et abordâmes Ferdinand qui nous accueillit avec un sourire sardonique.
-- Vous redevenez raisonnables ? dit-il, vous savez que vous aurez besoin de moi pour la suite de l’aventure. Vos amis vous ont abandonnées ?
Nous nous fîmes humbles et il mordit à l’hameçon. Nous ne lui avouâmes évidemment pas que nous rejoindrions nos amis dès que nous aurions quitté Coloratur, et que nous avions l’intention de le semer rapidement. Lorsque le paquebot arriva au port en milieu d’après midi, nous étions réconciliées avec notre chaperon, tous les trois prêts à partir dès le lendemain pour les montagnes d’Odysseus. Cependant les relations restaient tendues, Astrid et moi avions du mal à nous détendre et restions silencieuses la plupart du temps. Ferdinand parlait pour trois et pontifiait autant qu’il était possible, mais nous n’écoutions pas.
Lorsque nous débarquâmes, une nouvelle surprise désagréable nous attendait. Dans la foule qui se pressait de l’autre côté de la passerelle, j’aperçus soudain comme dans un mauvais rêve la tête de Trevor, qui apparut l’espace d’un instant et disparut aussitôt. Il tentait de se dérober à notre vue. Mais trop tard.
-- Reste calme, murmurai-je en me penchant vers Astrid qui marchait devant moi, je viens de voir Trevor sur le quai.
-- Ils sont tous là autour de nous, répondit-elle avec un léger sursaut, PJ, Iga, Ferdinand, Trevor, dis-moi pourquoi je ne suis pas étonnée ? Pour le compte de qui espionne-t-il ce serpent venimeux ?
-- Ce tueur tu veux dire ? il est forcément du côté de ton père, poursuivis-je. Sinon comment saurait-il que nous sommes là ?
Derrière nous, Jerem, Diego et Brennan se bousculaient en riant et leurs voix nous parvenaient comme une promesse. Nous n’étions pas seules. Grâce à eux, nous nous en sortirions, ils sauraient nous protéger et nous saurions trouver le moment opportun pour nous échapper et retrouver notre liberté.