L’homme approcha son visage tout près pour mieux voir, et considéra Richy longuement :
— C’est donc toi, le clone. Beau travail, très beau travail.
Il n’avait pas pris de gants pour montrer que l'adolescent constituait pour lui un produit scientifique, certes de haute qualité, mais un produit quand même. Il poursuivit :
— Élisabeth est partie aux États-Unis à la hâte, j’en sais fichtre rien du pourquoi et du comment.
Il retourna dans sa salle d’archives, mais cette fois, il laissa la porte grande ouverte. Il finit de ranger un classeur, dos au jeune homme qui contemplait la pièce d’un air ahuri.
— T’es venu pour lui demander quoi ? Tu penses que c’est ta deuxième maman puisqu’elle sait manier le cathéter qui t’a donné la vie ?
Richy grimaça. L’homme rit à gorge déployée. Son dos voûté rappelait le bossu de Notre Dame. Le jeune homme s’apprêtait à répliquer, mais le vieux, continua :
— Ou bien t’es p’tete venu pour tes frères...
Les yeux de Richy s’ouvrir très grands. Il balbutia :
— Mes… mes frères ?
— C’est bien ce que j’ai dit. En tout cas si t’es venu pour ça, t’es bien tombé, c’est moi qui m’en occupe, de tes frères. Sinon, tu peux t’en aller.
Richy n’en revenait pas.
— Si, si, ça m’intéresse ! Où est-ce qu’ils sont ? Et combien ils sont ?!
Quasimodo le regarda amusé. Il semblait satisfait de son petit effet.
— Je vais te montrer, fit l’homme.
A vrai dire, il était plutôt fier de son boulot et avait peu d’occasions de le montrer à des visiteurs. Encore moins à un clone qui avait vraisemblablement été conçu ici.
Le gardien des archives sortit de sa pièce poussiéreuse qu’il verrouilla à double tours. Il marcha vers les escaliers d’un pas énergique. Richy le lui emboîta. L’archiviste ne se retournait jamais et la montée des deux étages se fit dans un silence pesant. Son trousseau de clefs tintait à chaque marche. Quasimodo s'arrêta devant une pièce située dans le laboratoire du centre. Elle aussi était minutieusement fermée par plusieurs méthodes de verrouillages. L’ambiance qui y régnait était froide et étrange.
— Voilà les p'tites paillettes.
— Les quoi… ?
— C’est comme ça qu’on appelle les tubes qui sont contenus dans ces frigos, tu vois, l’homme caressait un imposant caisson blanc :
— Dans certains de ses tubes, sont contenus des embryons qui pourraient devenir tes frères clones.
De nombreux autres conteneurs réfrigérés étaient alignés par rangée dans la pièce. Des lettres étaient proprement scotchées à l’entrée de chaque rayonnage. En même temps qu’ils parcouraient les allées, Richy se rappelait de cette étrange discussion qu’il avait surpris entre Christophe et sa mère alors qu’il n’était encore que collégien. Il en eut des sueurs froides. Il avait complètement oublié ce détail sordide. Le jeune homme s’engagea dans l’allée du « D ». Parcourant la rangée, il s’arrêta devant une cuve où figurait « Donnelli-Beuron ». Du coin de l’œil, il voyait que le vieux bossu le fixait de l’entrée de l’allée. Ses yeux de fouine brillaient dans la pâleur de la salle éclairée au néon. Richy posa doucement sa main sur le frigo où figurait son nom de famille. Alors, ces frères étaient là depuis tout ce temps… Dire qu’ils auraient son âge...
— Pas touche, lui intima gravement le commis aux archives, tu décongèlerais tous les embryons, ces cuves d’azote liquide descendent à -196°. Tu les tueraient.
Quasimodo s'avança pour éloigner Richy du frigo.
— Alors ils sont là… mes pauvres frères et soeurs...
— Non, ne te trompes pas, ils ne souffrent pas car ils ne sont rien qu’un œuf fécondé, sans vie. Leur développement est arrêté par le froid. Mais ils pourraient être décongelés et portés par une femme n’importe quand.
Richy eut tout-de-même un haut le cœur. Il resta de longues minutes à contempler ces frigos.
— Je voudrais les… détruire… Ils n’ont pas besoin de vivre la même vie de merde que moi...
Tant que ces embryons existaient quelque part, le risque demeurait.
Le gardien des paillettes qui avait dû comprendre ce que tramait Richy le pressa de sortir de la pièce, en le poussant de sa paluche d'ours qui pouvait sans doute briser une noix à elle seule. Il le raccompagnit dehors et lui claqua la porte au nez, visiblement satisfait :
— Bon vent, le clone !
Quel pire journée que celle-ci ? Maussade, Richy rejoignit son hôtel. Il s'abrutit devant des films d'action jusqu'au lendemain matin où il reprit l'avion pour Lille. Il refusa même les multiples appels de Valentina -à qui il avait raconté ses découvertes par SMS-. Il avait besoin d'être seul. En approchant de l'appartement rue de la Halle, il aperçut de la lumière par la fenêtre. Il gravit l'escalier quatre à quatre. Mère ou pas, cette fois, aucune excuse valable.