« Avec Cagibi, Yacine Ben Arfa fait des débuts remarqués sur les planches, ou plutôt sur vos parquets. Nous connaissions déjà Antony Rochelle pour son Idrane dans le Nostrum Herculanum mis en scène par Bernard Wieser. Rochelle et Ben Arfa nous offrent pour leur première collaboration une pièce de théâtre de chambre. Réservez une place, et c’est chez vous qu’ils viendront jouer.
Ce sont dans les synergies du spectacle que Cagibi opère une véritable révolution. Du reste, les comédiens improvisent autour d’un meurtre découvert dans une cage d’escalier. Tous les habitants de l’immeuble sont assignés à résidence jusqu’à ce que l’inspecteur Malavenu les interroge un à un. En ce point, rien de plus classique que ce que nous connaissons déjà. Le théâtre des Mathurins nous en offre d’ailleurs un parfait exemple avec son Dernier Coup de Ciseaux. Le murder mystery, très prisé dans le milieu de l’improvisation, n’est en somme rien de nouveau. Il faut toutefois noter que cette interprétation est très bien ficelée, et notamment grâce à la performance de Yacine Ben Arfa qui endosse le rôle de tous les habitants et passe du mari désabusé à la vieille fouineuse avec une fluidité remarquable pour une première pièce.
Un nouveau talent à suivre. »
« Félicitations pour l’article.
— Merci » me répond-il sèchement avant de partir à la douche.
J’avais espoir qu’une critique positive mette fin à cette animosité qui s’est enracinée un peu plus chaque jour. Je guettais les réseaux de Sylvain Teste pour avoir ma réponse. Le matin dans le métro, puis le soir en rentrant. Souvent, le reste de la journée, quand je me perds à scroller sans fin mon téléphone et vérifier mes messages alors que je n’en reçois jamais, je finissais par faire un tour sur le profil du critique, à l’affût de sa moindre publication. Jusqu’à ce qu’un nom, deux jours plus tôt, attire mon attention : Yacine Ben Arfa. Je n’ai pas eu l’occasion de le féliciter depuis. Nous ne nous sommes pas croisés de la semaine. Yacine n’a passé aucune soirée à l’appartement. Je le retrouve parfois dans son lit, le matin, quand je me lève. D’autres fois, il ne rentre pas du tout.
Il ressort de la salle de bain et s’habille, avant de quitter l’appartement en m’adressant un sommaire « salut ». Je demeure, seul, planté au milieu de la pièce, quelques minutes avant de réagir. À quel moment tout ceci a déraillé ? Je repense à cette représentation que j’ai loupée, à cette nuit avec Nina, à ces pastilles que Gustave a dissoutes dans le gin, au tournoi de hand, à ce qui m’a poussé à reprendre ce sport : rencontrer des gens, ne plus être seul à la Banque Géniale. J’en suis devenu seul dans ma vie tout entière.
Depuis mon appartement, j’entends des éclats de rires depuis l’autre côté du mur. Je reconnais parfois même l’intonation de Tony. Je suis seul, et ceux qui m’entouraient, bon gré mal gré, sont toujours ensemble. Sans moi. Tout ça parce que Yacine a décidé de me tourner le dos, lui qui m’accompagnait depuis l’enfance. J’ai merdé, je le sais, mais je ne peux pas croire que ce soit tout. Sinon, il m’aurait pardonné, maintenant que cette critique est tombée. Et pourtant, il ne m’a pas adressé la parole depuis dix jours.
Je consulte souvent les sites de vente de billets, recherche Cagibi puis actualise les disponibilités. La pièce fait carton plein. Hormis un mardi après-midi dans deux semaines, tous les horaires sont réservés sur trois mois. Je me demande comment Yacine s’est arrangé pour le café. Il joue tous les soirs sauf le dimanche, et les après-midi du mercredi au samedi. Et puis, je fais le calcul. S’il prend le même cachet qu’avant… Yacine empoche six mille euros. Je n’en reviens pas. Je refais les comptes pour être sûr de ne pas avoir fait d’erreur, vérifie sur le site. Une représentation pour six personnes coûte quatre cents euros, plus s’il y a davantage de spectateurs…
Six mille euros. Plus de trois fois ce que je gagne, alors que je me lève tous les matins pour aller à la banque. Alors que je travaille dans une banque, même si dès l’annonce de mes émoluments, j’ai vite compris que ce ne serait pas ce poste qui m’offrirait un salaire décent, du moins pour une vie à Paris. Je dépense tout ce que je gagne. Et si je n’ai pas l’impression de me priver, je ne fais pas d’excès, et surtout, je paye un loyer pour la moitié de son prix.
Je pensais qu’être comédien, c’était vivre de bohème, d’amour et d’eau fraîche, ou vivre chez ses parents bien après la date limite, comme Tony. Je n’avais pas prévu que Yacine s’envolerait avant moi, moi qui ai décidé de venir à la capitale, d’intégrer un grand groupe et de réussir à faire quelque chose, sans grande idée de quoi. Moi qui lui ai proposé de venir à Paris et d’emménager dans mon appartement.
Sans moi, Yacine ne serait pas là. Je lui en veux de ne pas au moins me reconnaître ça. J’ai connu le Yacine timide, avec les autres garçons à l’école d’abord, puis avec les filles ensuite. Le Yacine effacé, qui venait se réfugier chez moi, sans raconter ce que lui avait dit sa mère, mais dont je devinais qu’elle venait de le blesser au cœur. Le Yacine paumé, qui a décroché de l’IUT d’informatique qu’il venait à peine d’entamer, qui ne savait pas quoi faire, et qui est passé d’as de la plonge à serveur émérite à l’Hameçon, l’institution du front de mer pour manger des crustacés. Le Yacine que sa mère venait de mettre à la rue, qui n’osait pas montrer à quel point il était désemparé de perdre à la fois son domicile et le peu d’attention que sa mère lui portait encore. Il me refuse le Yacine épanoui, à qui la vie réserve enfin un tournant favorable. Au fond, tout remonte à la même époque : le début d’année. Angélique, la première représentation de Cagibi. Les premières conquêtes de Yacine, dans la vie sentimentale comme dans la dramaturgie. À peine connaît-il ses premières victoires qu’il oublie déjà d’où il vient, et avec qui il a avancé jusqu’ici : son meilleur ami, dont il n’a pas voulu comprendre le désarroi face à son histoire avec Angélique, dont il s’est désintéressé peu à peu à mesure que son théâtre l’animait davantage. Il l’a dit lui-même, et ses mots résonnent tel un écho que je n’arrive pas à faire taire depuis : il méprise la banque, et tout ce qu’elle représente. Je me demande s’il n’a pas commencé à me détester dès que j’ai commencé à y travailler, et que notre relation s’est étiolée peu à peu, sans que je m’en rende compte.
Je vais avoir vingt-cinq ans demain, et il ne sera pas là pour le fêter avec moi. Personne ne sera là. Je recevrai un coup de fil de mes parents, quelques messages peut-être. Et encore, ceux-ci ont tendance à se raréfier avec les années. Nous serons samedi et je ne sortirai même pas, le soir, comme nous le faisions encore il y a quelque temps. Cet anniversaire sera celui du néant.
Une musique qui grésille s’élève, de l’autre côté du mur. Je reconnais la mélodie du saxophone, les accords de jazz si chers à Angélique, que je devine à côté de son tourne-disque, en train de reposer la pochette du vinyle qu’elle vient de mettre. Des voix surenchérissent, tel un écho diffus derrière la pierre, de plus en plus volubile à mesure que le temps passe. Une soirée. Angélique fait une soirée dans son appartement, juste à côté. Yacine y sera probablement bientôt. Il est neuf heures, et le créneau de ce soir pour Cagibi a été réservé. Je me demande s’il a invité Tony à venir, si la représentation n’était pas loin et qu’ils ne sont pas déjà là.
J’empoigne ma veste et mes clés et claque la porte de l’appartement. Devant moi, la porte résonne. Elle vibre, m’appelle. Dans l’escalier, des bruits de pas me font virevolter. Un garçon à la large chemise rouge à carreaux noirs ouverte sur un haut noir arrive sur le palier, une bouteille enroulée dans du papier sous le bras.
« T’es là pour la soirée aussi ? me lance-t-il.
— Non, je ne suis pas… J’habite ici, je sortais de chez moi. Bonne soirée à toi. »
Je m’engouffre dans les escaliers que je dévale deux par deux jusqu’à déguerpir de l’immeuble. Je pars à gauche, sans grande conviction, erre quelques pas puis m’affale sur une chaise libre sur la terrasse du bar bleu.
Je ne suis jamais allé au bar bleu. À vouloir découvrir les comptoirs parisiens, nous avions toujours poussé notre recherche d’adresse pour la sortie du samedi soir au-delà des limites de la rue Delambre. À présent, le moindre bar fera l’affaire, et celui-ci me paraît toujours bien rempli, quand je passe devant. Le Blue Sky. Je n’étais pas très loin, avec mon bar bleu.
Je commande une première pinte que je bois plutôt vite. Dès la deuxième, un poivrot seul de la table d’à côté m’accoste en rayant mon accent. J’essaie poliment de m’en défaire mais le bougre tient à son échange, et me passe au crible. D’où je viens, ce que je fais, pourquoi je suis là. Je reste évasif.
« Garçon ! Deux scotchs, un on the rocks pour moi, et pour toi petit ?
— Oui, je réponds bêtement. Exactement pareil. »
Il n’est pas prêt de me lâcher à présent.
« Tu sais pourquoi René il vient ici, tous les soirs ? »
D’une main tremblante, il me montre un homme à la longue chevelure blanche debout à côté de la table de billard.
« Il n’aime pas rentrer chez lui depuis que son petit est parti. Ça fait dix-huit ans. Pat… continue-t-il en désignant une femme assise devant le comptoir. Elle, je ne sais pas, en fait. Mais elle est là souvent. Et Lary, à côté, il ferait tout pour passer le moins de temps possible chez lui. Tu vois, on a tous nos raisons pour être ici.
— Je vais très bien. »
Il rit jaune.
La serveuse revient et pose nos verres sur la table.
« Je m’appelle Daniel, et toi ?
— Ulysse.
— C’est original, ça.
— On me l’a souvent dit.
— C’est un beau prénom.
— Je ne l’aime pas. »
Tout alcoolisé qu’il est, Daniel semble ahuri par cette confidence.
« Tu aimes ton prénom du coup ? relancé-je la conversation d’un ton ennuyé.
— Je m’appelle Daniel, pas Ulysse. Tout le monde s’appelle Daniel. Toi, tu es Ulysse. L’Ulysse d’Homère, l’Ulysse de Joyce. Ton nom évoque de grandes choses.
— Ça ne fait pas de moi un grand homme.
— Leur Ulysse aussi, s’est plusieurs fois perdu en chemin. »
Je siffle, avant de m’en remettre à mon whisky. Une retraite plus tumultueuse qu’espérée, tant j’ai pris une grande gorgée qui se répand dans mon corps en brûlant tout sur son passage. Daniel ne me lâche pas. Il est venu au bar seul et vient de trouver sa béquille pour le restant de la soirée. Celle à laquelle il dirait quoi faire alors que lui-même ne sait pas où il va. Il parle des malheurs des autres, connaît la vie de tous les poivrots du Blue Sky, mais ne m’a rien dit sur lui, si ce n’est son prénom.
« La vie est un chemin compliqué, Ulysse, tu sais… Demande à René. »
Je me réveille dans mon lit, la tête lourde. J’ai été tiré d’un sommeil comatique et vital. Hier… Les événements de la veille me reviennent péniblement. Lentement. La soirée chez Angélique, le Blue Sky, Daniel, ses rasades de whisky, la patronne qui répétait maintes fois qu’elle allait fermer le bar, avant de le faire vraiment. Les accolades avec Daniel, sur le trottoir, à qui j’ai promis de revenir bientôt… Qu’est-ce que j’ai foutu ?
La sonnette de la porte d’entrée retentit. Je n’attends personne. Yacine n’aurait pas oublié ses clés ? Je me raidis rien qu’à l’idée de le croiser. J’enfile mon tee-shirt de la veille, aux effluves d’alcool renversé qui éclaircissent ma mémoire : Pat qui insistait pour qu’on vienne jouer avec elle au billard, jusqu’à renverser son verre sur moi. De toute façon, je n’attends personne.
J’ouvre la porte, l’air grave.
« Joyeux anniversaire ! »
Sur le seuil, ma mère tient un grand plat couvert d’aluminium à la main. Je reste, hébété, à la regarder. J’accuse l’alcool de la veille, crains une hallucination, mais non. Elle s’avance, m’embrasse sur la joue, et ses vêtements sentent la lavande. Elle est bien là.
« Tu as une mine terrible !
— Je suis sorti hier…
— C’est pour ça que tu ne répondais pas à l’interphone ? Des voisins ont fini par passer et nous ouvrir. J’ai bloqué la porte pour que ton père puisse monter quand il revient de la voiture. »
Je la débarrasse du plat et l’invite à entrer. Mon regard se pose sur tout ce qui ne convient pas à une visite de ma mère dans l’appartement : la vaisselle sale, les poubelles fermées mais non descendues, la poussière dans les moindres recoins, le sol qui mériterait un coup de serpillière, sans parler du bordel de Yacine… Le canapé-lit est déplié, couvert d’affaires balancées à la hâte.
Je suis les yeux de ma mère, à qui aucun détail n’échappe. Ses sourcils se haussent parfois. Pour les surprises les plus désagréables, elle échappe même un petit « oh » indigné.
Je m’empresse de replier le canapé, puis attrape un sac à la volée dans lequel je balaie tous les papiers de la table basse d’un coup de bras. Ma mère ouvre les fenêtres, repart sur le palier chercher ses sacs et investit la cuisine, où elle sort des pots de toutes les tailles.
« J’ai tout préparé hier, pour ton repas d’anniversaire. J’ai même fait une charlotte, pour le dessert. »
J’arrive à peine à me réjouir, tant j’ai honte de l’état dans lequel elle m’a trouvé. Je continue à m’affairer pour ranger autant que possible quand mon père entre à son tour, les bras chargés de la caisse recouverte d’aluminium où il a l’habitude de mettre les crustacés.
« Trois langoustines, sur demande de ta mère. Elle a dit que ça te ferait plaisir, je les ai achetées à Jackie hier matin. Je lui avais dit de nous réserver les plus grosses.
— Merci beaucoup.
— Tu nous fais visiter ? reprend ma mère.
— Je ne pensais pas que vous viendriez… Ce n’est vraiment pas…
— Propre, oui, on l’a bien vu. C’est ta chambre ? » continue mon père en ouvrant la porte sans même que je n’ai le temps de répondre.
Je finis par aller me doucher, pour interrompre cette arrivée déstabilisante, m’offrir quelques minutes pour remettre les idées en ordre dans ma tête. J’ai faim. J’ai vu ma mère mettre du champagne au frais… Je n’ai pas envie de boire. Mes parents sont là, et même si je suis ravi de la surprise, je crains qu’elle ne tourne à la catastrophe. À vrai dire, elle en prend déjà bien le chemin. J’espère que ma mère n’appellera pas Jérôme au sujet de l’appartement, et qu’il n’est pas à compter parmi les invités imprévus de cette journée.
Quand je sors de la salle de bain, mes parents ont pris leur aise. Le couvert est mis, et ils m’attendent dans le canapé. Sur la petite table, des pots et petites assiettes en tout genre : toasts de pâté de sardines, allumettes de carottes que je toucherai à peine, pistaches et autres cochonnailles. Seules les coupes vides attendent encore leur salut. Quand je m’assieds à mon tour, mon père part chercher le champagne et le déboucher face au mur, ce qui ne l’épargne pas du traditionnel « tu fais attention » de sa femme.
« Joyeux anniversaire ! me répète encore ma mère au moment de trinquer.
— Merci d’être venus, vraiment. Vous repartez quand ?
— On reprendra la route en fin de journée, répond mon père. On en a pour quoi, trois heures si on roule bien. Et encore, avant, on faisait ça en deux heures et demie…
— On aurait pu prendre le train mais avec le repas, c’était mieux en voiture. Enfin, on ne s’imaginait pas que ce serait si compliqué de trouver une place.
— Ni que ça nous coûterait le même coût que le péage.
— Bienvenue à Paris ! » ponctué-je en levant ma coupe.
Je retrouve le temps d’un repas mon alimentation d’avant le début de la perdition. Chaque plat est un festival de saveurs dont je ne cesse de m’émerveiller.
« Eh bien, tu vois, tu le lâches quelques mois et il devient reconnaissant » siffle mon père.
Nous terminons par un café que nous prenons autour de la petite table, enfoncés dans les coussins du canapé pour mieux digérer.
Tout à coup, la porte d’entrée valse. Avant de le voir, c’est la voix de Yacine que j’entends.
« T’aurais pas pu faire plus de bruit, encore, hier soir ? Ou les retours de soirée sont toujours si compliqués pour toi à gérer ? »
Je fixe, tétanisé, le visage perdu de ma mère. Yacine balance ses clés avec dédain sur le comptoir de la cuisine et ne réalise qu’alors la présence d’individus qu’il n’avait pas anticipée. La stupeur traverse ses pupilles qui s’écarquillent, un bref instant, avant de redevenir mielleuses.
« Je ne savais pas que vous seriez là aujourd’hui ! »
Son visage avenant ne laisse rien transparaître. Yacine est un bon comédien, Sylvain Teste l’a dit lui-même, et j’ai l’occasion de le voir là improviser son nouveau rôle. Yacine est de passage à Paris, pour quelque temps seulement, et oui, il dort ici quelques fois. Oui, je ne fais pas son lit lorsqu’il s’en va, je pourrais le recevoir dans un appartement plus accueillant, en cela il acquiesce aux paroles de ma mère, mais il s’en fiche. L’important, c’est de se voir.
Je lui adresse un sourire que je peine à rendre sincère. Il me dégoûte.
« En tout cas, je peux m’arranger autrement pour ce soir si vous souhaitez rester ici pour la nuit.
— Ça ira, tranche mon père, merci bien. Nous ne comptions pas partir tard de toute façon.
— Tu restes à Paris jusque quand ? reprend ma mère.
— Dans la semaine, je n’ai pas encore pris mon billet retour. »
Mes parents saisissent l’opportunité de son arrivée pour partir. Si ça ne tenait qu’à moi, j’aurais préféré qu’ils restent et que Yacine parte. Ce doit être la première fois que je pense ainsi depuis que nous nous connaissons.
Je raccompagne mes parents jusqu’à leur voiture, garée quelques rues plus loin, accablé par les recommandations de ma mère sur l’hygiène de vie que je ferais mieux d’observer. Elle rentre dans l’habitacle en premier, me laissant seul avec mon père sur le trottoir pour ce que je m’attends être un bref salut de la main.
« Tu devrais faire attention à toi, me dit-il. Entre nous, ton ami… Je ne l’ai jamais vraiment aimé.
— Je l’avais deviné.
— Mais jusque-là, je ne te le disais pas. Maintenant, si » insiste-t-il en tapotant le nez de son doigt.
Je n’arrête pas de ressasser ces dernières paroles de mon père, tandis que je regagne l’appartement. Avait-il vu clair dans son jeu ? Après tout, Yacine n’avait rien d’amical quand il a haussé le ton, avant de se rendre compte de la présence de mes parents.
« T’aurais pu me prévenir qu’ils seraient là.
— Ils m’ont fait la surprise, pour mon anniversaire. Et toi t’aurais pu être aimable, au lieu de rentrer ici comme dans un moulin.
— Je suis chez moi.
— Vraiment ? T’as ton nom sur le bail ? Sur la boîte aux lettres peut-être ?
— À quoi tu joues là ?
— Je te retourne la question. Tu vis plus ici, tu rentres à peine dormir quelques fois.
— Je joue la plupart des soirs, maintenant. Et quelques après-midi aussi.
— Et la nuit tu dors ailleurs. Alors fais les choses jusqu’au bout. Barre-toi, si t’es mieux ailleurs. »
Ses pupilles tremblent, mais Yacine ne bouge pas.
« Tu ne penses pas ce que tu dis.
— Et pourquoi pas ?
— Si je pars, t’as tout le loyer à ta charge.
— Je n’ai pas besoin de ton argent.
— Et moi je n’ai pas besoin de toi. »
Yacine fonce vers le canapé et relève la banquette pour attraper ses sacs, et fait le tour de la pièce à la recherche d’affaires qu’il fait valser sur son lit.
« À aucun moment, tu ne comptes me parler, avant de partir comme ça ? m’indigné-je.
— On parle, là.
— Tu sais très bien ce que je veux dire. »
Yacine me regarde, l’air mauvais, avant de hausser les épaules et de disparaître dans la salle de bain à la recherche de ses affaires.
« Le succès t’est monté à la tête, c’est ça ?
— Quelques semaines de réservées sur une pièce de théâtre, ce n’est pas ce que j’appelle un succès.
— Tu as changé dès que tout a commencé à marcher, pour toi.
— C’est toi qui dérailles. Regarde-toi, tes cernes vont finir par tomber plus bas que ta figure, si ça continue. Tu devrais demander à tes collègues, ils ont bien une drogue pour te booster un peu, ça ne te ferait pas de mal.
— Si c’est comme ça que tu traites ceux qui t’aident, je comprends maintenant pourquoi ta mère t’a mis à la porte. »
Le coup de poing est parti sans même que je m’en aperçoive. Je recule de quelques pas, la main sur le visage, avant de hurler :
« T’es timbré ! »
Ma main est perlée de sang. De l’autre côté de la pièce, Yacine a armé ses sacs sur son épaule et me passe devant. Sans un mot d’excuses, ni même un au revoir. La porte s’ouvre puis claque sur son passage. Yacine est parti.
Très juste, ce chapitre, où tout tourbillonne et il n'y a plus de vérité unique.
Ça m'a fait un bien fou de retrouver les parents d'Ulysse, enfin quelqu'un de bienveillant et respectueux et honnête. Je finissais par perdre espoir en l'humanité sinon. Intéressant que son père lui dise ça... Ça me fait voir Yacine sous un autre angle, moi qui depuis le début me disais que tout était de la faute d'Ulysse. Soudain je me pose des questions.
"Ma main est perlée de sang." J'ai buggé sur cette phrase, en mode "mais... pourtant c'est Yacine qui a mis le coup de poing, non ? pourquoi il y a du sang" avant de comprendre que c'est le sang qui est sur son visage qui s'est retrouvé sur ses doigts ? Peut-être clarifier ça.
Yacine a mis le coup de poing mais en se touchant le nez Ulysse se met du sang dessus : ça vaudra la peine de le préciser, en effet.
Quant aux alcooliques, je crois que c'est 100% LA scène que je n'avais pas prévue d'écrire et qui s'est écrite en cours !
Cela dit, comme je te l'avais dit, on perd un peu de vue son travail ces derniers chapitres. Ça se justifie par les événements, mais j'espère qu'on y reviendra bientôt, c'est ce qui attise le plus mon intérêt. Là, par exemple, je me demande comment ils vont prendre le congé maladie soudain d'Ulysse...
Après avoir réfléchi à l'exposition, je suis en pleine réflexion sur la partie qui se passe jusqu'à ces chapitres-ci justement. Je vais essayer de repenser un peu les unités narratives pour que Yacine et la Banque avancent davantage de front