Chapitre 14

Par Ohana

Quelques heures plus tard, les jumeaux se trouvaient encore au même point. Ayant troqué les quartiers de la magicienne guérisseuse contre un lieu de vie plus intime, ils s’étaient vu attribuer des chambres côte à côte. Ils n’avaient pas émis le moindre son, se contentant de suivre comme des pantins hébétés l’homme qui les avait accueillis avant leur rencontre avec le roi et le haut-mage. Ce dernier jetait parfois des regards un peu inquiets aux jeunes gens, mais il n’émit aucun commentaire.

Talia s’était assise quelques instants sur son lit aux draps un peu rêches. Elle pouvait sentir la présence d’Alaric, de l’autre côté du mur, dans le même état qu’elle. Prenant une grande inspiration, elle inspecta les lieux. C’était une toute petite pièce, mais somme toute confortable. Un bureau taillé dans le même bois sombre que la chaise qui l’accompagnait était l’unique autre meuble de la chambre.

Elle ne se rendit pas tout de suite compte qu’elle s’était levée. Sa main effleura un instant le bois. Elle la porta ensuite à son visage, étouffant un sanglot qui voulait se frayer un passage à travers le barrage qu’elle s’efforçait de maintenir. Ce n’était plus le temps de pleurer. Elle avait assez versé de larmes. C’était ce qu’elle se martelait constamment et mentalement, serrant son poing contre son front, jusqu’à ce que ses ongles laissent des marques en demi-lune sur ses paumes.

Une autre profonde inspiration plus tard, elle se tourna vers la porte. La jeune femme ne se sentait pas prête à affronter le monde extérieur. Même si elle voulait être forte. Elle se savait forte. Sa main enclencha la poignée en fer, produisant un cliquetis, puis elle sortit dans le couloir. Heureusement, il était vide.

Quelques pas lui suffirent à se retrouver devant la porte de la chambre d’Alaric. Il fallait qu’ils se parlent. Qu’ils fassent le point. Qu’ils voient ce qu’ils allaient faire, maintenant que leurs chances de retourner chez eux avaient été broyées jusqu’à devenir néant. Elle toqua légèrement.

Il ne lui répondit pas, mais elle savait qu’il était toujours là. Outre le grincement de son lit qu’elle pouvait entendre, signe qu’il s’était redressé, surement pour regarder la porte, elle pouvait sentir qu’il était là. Tout près mais inaccessible. L’absence de réponse lui fit l’effet d’une gifle.

  • Al ? Ouvre-moi, souffla-t-elle, la voix toujours enrouée.

Toujours aucune réponse. Talia sentit à nouveau les larmes menacer de la submerger. Elle avait besoin de lui en ce moment. Elle tenta d’ouvrir la porte, mais se rendit compte qu’il avait fermé le loquet de l’autre côté.

  • S’il-te-plait ? tenta-t-elle une dernière fois, mais elle savait à cet instant précis qu’il n’allait pas lui ouvrir.

Son rejet la blessa plus qu’elle ne voulait l’admettre. Elle savait pourquoi qu’il avait besoin d’un moment pour se remettre les idées en place. Mais il ne l’avait jamais repoussée. Ils avaient toujours été un pilier pour l’un et pour l’autre.

Incapable de retenir l’élan de frustration qui l’envahit, elle tapa de sa main ouverte contre le bois, plus fort qu’elle ne l’avait voulu. Se mordant la lèvre, elle recula d’un pas. Ça ne servirait à rien d’insister et de se défouler sur lui, elle le savait.

L’idée de retourner s’enfermer dans cette chambre qui n’était pas la sienne lui donna une vague de nausée, déjà fragilisée par les émotions chaotiques qui se chamaillaient dans sa tête. Poussant un soupir, elle fit quelques pas dans le couloir, cherchant à se remémorer à travers son esprit brumeux le trajet qu’ils avaient fait.

Décidant de se fier qu’à son instinct – enfin, elle y allait tout à fait au hasard, soyons honnêtes – elle déambula quelques instants. Elle se ratatinait sur elle-même à chaque fois qu’elle croisait quelqu’un. Mais personne ne faisait attention à elle.

Rapidement, elle se rendit compte qu’elle s’était totalement perdue. Elle avait monté un large escalier à un moment et elle n’arrivait plus du tout à retrouver ses repères. Se triturant les manches, elle sentit la panique l’envahir.

Talia se décida alors de faire le chemin inverse, pour retrouver aussi vite que possible la petite chambre pas si hostile, finalement. Mais son regard fut accroché par ce qui s’offrait à sa vue, à l’extérieur. Elle s’était arrêtée dans un couloir dont un des murs avaient de grandes ouvertures, laissant le vent s’y engouffrer. Respirant un bon coup, elle s’approcha et s’adossa contre la pierre. D’ici, elle avait une assez bonne vue.

La cour extérieure qu’ils avaient traversée à leur arrivée avec Gadriel et Loric était juste en dessous d’elle. Elle pouvait voir, à plusieurs dizaines de hauteur, l’activité qui y régnait. Trouvant un certain apaisement dans le tableau qui s’offrait à elle, la jeune femme prit quelques minutes pour laisser vagabonder son regard.

Est-ce qu’elle arriverait à s’intégrer à cette vie-là ?

Cette pensée ne lui provoqua pas à nouveau une vague d’angoisse, même si elle ressentit un petit pincement au cœur. Leur avenir était plus qu’incertain et elle détestait ça. Après tout, elle avait tout planifié, malgré les aléas de la vie et les trimballements de leur tuteur. Elle voulait finir ses études, trouver un petit travail qui lui permettait d’être en contact avec la nature, ou les fleurs.

Un petit sourire étira ses lèvres. Elle aurait aimé transmettre sa passion à d’autres, partager toutes les merveilles qui se trouvaient à portée de leur regard, avec respect. Elle aurait eu un bon contact avec les gens, elle en était sûre.

Et Alaric. Alaric ferait partie de ce tableau. Il n’avait pas encore choisi ce qu’il voulait faire. Elle pouvait sentir, chaque jour, sa lutte contre lui-même et son incertitude. Mais il aurait fini par trouver, elle avait confiance en ses capacités. S’il pouvait avoir confiance en lui-même autant qu’elle …

Pinçant les lèvres, elle recula légèrement de la balustrade, soudainement décidée à retourner vers son frère. Si elle devait défoncer la porte, elle le ferait.

  • Chaud devant !

Le cri la prit par surprise, assez pour la faire se figer, tel un animal pris dans les phares d’une voiture. Deux jeunes femmes venaient d’émerger du couloir qui bifurquait. Talia n’eut que le temps de voir un éclat enflammé entre les mains de l’une d’elles avant de se décaler. Pas assez rapidement pour éviter de se faire pousser par accident par celle qui semblait tenir un morceau de charbon ardent.

Celle qui semblait souffrir à cause de ce qu’elle tenait finit par balancer l’objet douloureux par l’ouverture, provoquant un élan de scandale et de panique dans la cour, quelques étages en dessous.

Une plainte sortit de la gorge de la jeune femme et Talia put voir ses paumes atrocement brûlées. La Voyageuse ouvrit la bouche mais elle n’eut pas le temps, encore, de faire quoi que ce soit. L’impétueuse fille du feu s’était à nouveau mise en mouvement, dévalant en criant de douleur et de rage les larges escaliers pour ensuite disparaître.

La deuxième s’empressa de la suivre, non sans avoir jeté un regard d’excuse vers Talia. Cette dernière fut frappée par l’éclat argentée, presque blanc, dans son regard. Regard d’argent disparut donc à son tour, laissant la jeune femme pantoise, toujours les fesses au sol.

Elle hésita un instant.

Incapable d’ignorer sa terrible curiosité, elle se remit sur ses pieds, se frotta le bas du dos qui avait pris cher, puis dévala, elle aussi, l’escalier de pierres. Elle n’eut pas à chercher par où s’étaient dirigées les deux magiciennes – car elle était certaine qu’elles l’étaient ! – entendant une plainte puis un grognement irrité dans une pièce, elle poussa légèrement la porte entrebâillée pour passer la tête et espionner ce qui s’y passait.

La pièce qui aurait dû être spacieuse était remplie de babioles et de piles de larges bouquins, certains semblant ne pas avoir bougé depuis des siècles. Dans un coin, elle vit alors les deux jeunes femmes, vaguement enlacées. Celle qui avait joué littéralement avec le feu grogna à nouveau.

  • Arrête de faire l’enfant, Hildr. C’était ton idée cette petite expérience !

Celle avec les yeux argentés avait parlé avec autorité, effleurant les paumes blessées de sa partenaire. De là où elle était, Talia ne put voir ce qui se produisit mais la dénommée Hildr émit un soupir de soulagement et l’aura enflammée qui l’entourait, que la Voyageuse ressentait, s’apaisa.

  • Tu peux entrer, tu sais.

Talia sursauta, réalisant que l’autre jeune femme lui avait parlé, à elle, alors qu’elle n’avait pas levé son regard de ce qu’elle était en train de faire.

Se doutant qu’il ne servirait à rien de prendre la fuite ou de rester plantée là, Talia ouvrit la porte et entra dans ce qui semblait être une salle d’étude, pour s’approcher.

  • Est-ce que ça va ? demanda-t-elle, sincère.

Les brûlures l’avaient fait grimacer. Hildr se redressa légèrement, retrouvant un grand sourire, malgré la douleur qu’elle tentait de cacher.

  • Une toute petite brûlure, rien de grave, fanfaronna-t-elle.

Une petite tape autoritaire de Regard d’Argent sur son bras la ramena à l’ordre et elle se rassit, un air faussement sage sur le visage. Ses yeux sombres ne quittaient plus Talia.

  • Tu es l’une des deux Voyageurs, non ?

Talia manqua de souffle. Un air paniqué envahit son visage et elle se crispa, prête à … quoi ? Fuir ? Se défendre d’être un de ces Voyageurs ?

Hildr haussa les sourcils, surprise par la brusque tension dans l’aura magique de la nouvelle arrivante.

  • Hey ! Tout doux … Nous sommes les Magiki de maître Talaman, tu peux nous faire confiance.
  • Les apprenties de premier rang, précisa sa compagne en voyant l’interrogation dans les yeux de Talia. Une de nous sera amenée à le remplacer, un jour. Il nous fait confiance pour nous faire part de certaines informations … sensibles.

Son ton était compatissant, même si son aura magique tressaillait par moment. Douce à l’extérieur, redoutable à l’intérieur. Talia ne pouvait se défaire de cette impression.

  • Je vois que tu apprends déjà à lire les auras, plutôt impressionnant pour une nouvelle ! s’exclama celle qu’elle observait.

Talia rougit un peu, se rendant compte qu’elle les dévisageait. Elle ouvrit la bouche mais ne sut que dire, encore sur le choc et mal à l’aise. Hildr se redressa finalement, après que sa compagne eut fini de bander ses paumes blessées. Bandage qui semblait se matérialiser dans les airs, mais Talia n’eut pas le temps de se poser des questions à ce propos.

  • Moi c’est Hildr ! Ravie de faire ta connaissance !
  • Veenya, renchérit doucement celle aux yeux éclatants. Et de même ! Je suis désolée qu’on t’ait fait une aussi mauvaise première impression !

La Voyageuse se permit un petit sourire, sentant ses épaules se détendre légèrement.

  • Talia, et oui, je suis ce que tu as dit, fit-elle d’une voix hésitante.

Hildr s’approcha et entoura ses épaules de son bras, tout sourire.

— Tu n’es pas aussi terrifiante que je le pensais, Voyageuse ! Enfin, on verra d’ici quelques temps !

Derrière, Veenya poussait un soupir découragé et leva les yeux au ciel, se disant que Hildr allait finir par se prendre une claque, ou pire, à trop être tactile comme elle avait l’habitude de l’être. Elle n’en fit cependant pas la remarque, ayant tout de même un bon pressentiment envers la jeune femme complètement perdue.

  • Ton frère et toi êtes bien tombés ! Il n’y a pas meilleur professeur que maître Talaman ! Et puis, tu nous auras, nous ! continua la fille de feu.

La Voyageuse se dégagea soudainement de l’étreinte, hésitant entre culpabilité et colère. Évidemment, celle-ci n’était pas dirigée vers les deux jeunes femmes. Mais elles étaient là, elles.

  • Nous ne sommes pas « bien tombés » ! On nous a arrachés à notre chez-nous pour nous plonger dans un monde barbare, en nous promettant un moyen pour rentrer, et on est finalement coincés ici !

Sans le vouloir, elle s’était mise à crier. Elle se tut brutalement, emplie de honte. Ce n’était pas son genre d’entrer la tête dans les épaules, mais elle était tellement confuse, déstabilisée, qu’elle le fit, attendant que la foudre lui tombe sur la tête.

Levant finalement le regard vers le visage d’Hildr, elle y découvrit un sourire qui se voulait léger, mais un peu teinté de tristesse. Elle n’avait pas voulu blesser la nouvelle arrivée, mais elle ne put s’empêcher d’être triste que cette dernière voit leur monde, leur chez eux, ainsi. Elle sentit la douce présence de Veenya à l’orée de son esprit, l’enjoignant de ne pas être trop dure envers la Voyageuse. Elle se ressaisit.

  • Je suis désolée, je suis maladroite, fit-elle.

Elle tourna la tête vers Veenya, inspirant un grand coup, et choisit prudemment ses paroles, mettant de côté son tempérament querelleur.

  • Nous ne pouvons pas savoir ce que tu as vécu, nous avons toujours été prédestinées à suivre la voie de la magie. Belvrior est notre chez-nous, d’aussi loin que je me souvienne.
  • Et tu as vu le pire de ce monde, concéda Veenya, doucement. Il est probablement difficile de le voir pour le moment, mais ici, vous trouverez un endroit où vous pouvez être vous-mêmes ! Où vous serez entourés, jamais abandonnés. Tu peux compter sur nous. Enfin … Si vous décidez de rester !

Ses yeux argent semblaient la sonder. Comme si elle pouvait lire en elle. Mais, plutôt que de sentir épiée, mise à nue, Talia sentit une chaleur dans sa poitrine. Ses joues rosirent et le coin de ses paupières s’humidifièrent. Reniflant, elle essuya rapidement les prémices de larmes du dos de la main.

  • Désolée, ça a été difficile, ces dernières semaines, s’excusa-t-elle.
  • Ne t’excuse pas ! s’exclama, à nouveau pleine d’énergie, Hildr. Tu as envie de manger quelque chose ?

La proposition soudaine eut le mérite de la surprendre et faire dévier ses pensées noires. Et effectivement, la jeune femme enflammée avait vu juste, Talia entendit son estomac gronder. Hildr tapa une fois dans ses mains, regrettant une seconde trop tard. Une grimace déforma ses traits. Elle avait oublié. Un soupir irrité de la part de Veenya la fit doucement rigoler.

  • C’est décidé ! On te montre les cuisines ! Tu vas voir, elles sont chouettes, et il y a toujours quelque chose à chaparder !

X

Quelques heures plus tard, après avoir décompressé, Talia décida de prendre congé de ses nouvelles amies. La distraction lui avait fait un bien fou. Évidemment, elle ne savait pas encore vraiment ce qui allait leur arriver. Pour ça, il fallait qu’elle perce la carapace que s’était forgé son frère. Elle s’en voulait de s’être énervée contre lui un peu plus tôt. Il avait certains torts, mais elle savait, au fond, comment il pouvait réagir. Ce n’était pas la première fois qu’ils se retrouvaient face à une situation insoutenable.

Les bras remplis de victuailles, elle s’arrêta devant la porte close. Prise d’une impulsion, elle ne cogna pas, ouvrant directement. Il avait relevé le loquet. Un doux sourire étira ses lèvres. Poussant la porte avec délicatesse, elle entra, jetant un coup d’œil à la silhouette immobile d’Alaric.

  • Je sais que tu ne dors pas, la marmotte, souffla-t-elle, en fermant la porte.

Alaric roula de l’autre côté et se redressa, la fixant de ses grands yeux tristes. N’hésitant pas une seconde, Talia déposa le plateau sur le bureau et alla le serrer dans ses bras, soulagée.

  • Je suis désolé, fit Alaric d’une petite voix.
  • Je comprends, répondit-elle simplement.

Elle lui laissa le temps de reprendre ses esprits, profitant elle-même de la présence rassurante de son jumeau.

  • On n’est pas obligés de parler tout de suite de ce qu’on va faire. J’ai apporté des choses à manger ! Tu n’imagines même pas comment c’est bon ! fit-elle, retrouvant enfin ce semblant de paix qui lui avait manqué cette dernière heure.

Alaric accepta. Malgré son estomac noué d’angoisse, il commençait à avoir la tête qui lui tournait légèrement à cause de la faim. Talia, même si elle s’était déjà bien rempli la panse, partagea le repas avec lui, en profitant pour lui raconter sa rencontre avec les deux apprenties mages et tout ce dont elles avaient pu discuter. L’adolescente prit le temps d’engouffrer une pâtisserie au parfum sucrée, mais très doux sous la dent, avant de taquiner son frère :

  • Fais attention à Hildr, je pense que tu serais capable de te prendre le chou avec elle, mais tu risques de finir en barbecue !

Le grognement indigné, caractéristique de son frère, la fit sourire de plus belle. Le voilà de retour ! Son sourire se transforma en fou-rire et elle se laissa tomber vers l’arrière, utilisant la jambe étendue d’Alaric comme oreiller, tandis que lui, le dos posé contre le mur, continuait de grignoter un biscuit moelleux aux noix qu’elle avait pu sauver des griffes de la fille du feu.

Le silence s’installa, mais aucun des deux ne chercha à le briser. Finissant le dernier morceau, Alaric déposa l’assiette à côté de lui.

  • Qu’est-ce que … commença-t-il, hésitant.

Il passa une main sur sa gorge, comme s’il cherchait à effacer l’angoisse qui la lui serrait de ses griffes malfaisantes. Il calma les battements de son cœur, prenant une grande inspiration.

  • Qu’est-ce que tu veux faire ? finit-il par demander, posant son regard hésitant sur elle.

Talia tourna légèrement la tête pour lui faire face. Un pli soucieux barra son front et ses yeux se voilèrent un instant. Elle était perdue, elle aussi. Mais contrairement à lui, elle avait pu avoir un bref aperçu de l’extérieur.

  • Je ne sais pas … J’aimerais …

Elle se mordit la lèvre, détournant le regard.

  • Je crois qu’on manque d’options. Et que la meilleure, pour le moment, serait qu’on reste ici. Qu’on apprenne … Qu’on apprenne à se servir de ça, continua-t-elle, levant ses mains devant son visage.

Ces pouvoirs dont ils étaient dotés. Ces pouvoirs qui pouvaient autant faire le bien que le mal. Le souvenir de son enlèvement s’imposa dans son esprit et elle ferma brusquement les paumes, collant ses poings contre son visage, sentant un frisson la parcourir des pieds à la tête.

  • On reste, alors, souffla Alaric.

Surprise, Talia tourna à nouveau la tête vers lui, laissant retomber ses bras. Elle se redressa pour le regarder dans les yeux. Elle pouvait voir tous ces doutes, toute son hésitation et sa peur. Il n’avait pas encore accepté leur sort. Peut-être ne le fera-t-il jamais. Mais pour elle, pour ne plus voir cette peur dans le regard de sa sœur, il voulait essayer.

  • Si … Si tu as besoin de parler de ce qui s’est passé, continua-t-il, toujours doucement. Je sais que je ne suis pas la meilleure oreille pour écouter, surtout quand je vrille comme ça, mais … mais je suis là, d’accord ?

Talia lui sourit faiblement. Elle lui prit la main.

  • Je sais.

X

  • Je tiens avant tout à exprimer mes sincères excuses de ne pas avoir pu vous apporter les réponses que vous attendiez, fit le vieil homme, les mains jointes sur le bureau de bois finalement sculpté.

Son regard vif mais compatissant ne quittait pas les deux adolescents assis en face de lui, de l’autre côté. Ils baissèrent momentanément les yeux, le cœur serré dans leur poitrine. C’était une réalité qu’une simple nuit de sommeil ne risquait pas de rendre moins cruelle. Mais ils étaient beaucoup plus reposés que la veille.

Talia, après quelques secondes de silence, se décida à se lancer :

  • Nous désirons aussi apprendre.

Elle jeta un coup d’œil à son frère.

  • Si nous avions su ce dont nous sommes capables, je pense qu’on aurait pu éviter … certaines choses.

Sa voix avait baissé d’un cran vers la fin, alors qu’un frisson lui parcourut l’échine au souvenir de ce qu’elle avait fait. De ce qu’elle avait voulu faire. C’était quelque chose qu’elle ne comprenait pas. Pas encore. Elle voulait changer ça.

Le mage hocha la tête, compréhensif.

  • Je serai heureux de vous aider sur ce point. Vous avez fait la rencontre d’Hildr et Veenya, si je ne m’abuse ? Ce sont mes apprenties.
  • Vos magi-Vos … hésita Talia.
  • Magicus, ou Magiki pour mes deux apprenties. Elles seront amenées à me succéder un jour, contrairement aux autres magies que je forme aussi.
  • Nous pouvons rejoindre ceux-là alors ?

Talaman hésita quelques secondes.

  • Sans mettre sur vos épaules le poids d’une succession, il me semble judicieux d’adapter votre apprentissage en conséquence de votre … nature particulière, ce qui diffère des simples apprentis mages que Belvrior recueille aux quatre coins du continent.
  • Mais en quoi … En quoi sommes-nous différents, mise à part … ben le fait qu’on ne soit pas d’ici ? intervint subitement Alaric d’une voix nerveuse.

En quoi leur magie était-elle différente que la sienne, ou de celle des deux apprenties que Talia avait rencontrées ? Voire de ce mage malfaisant qui avait blessé sa sœur ? Il l’avait vue à plusieurs reprises serrer ses manches, mais il avait vu les cicatrices.

  • Pour activer les portes, il faut qu’une certaine magie coule dans vos veines. Une magie plus pure, plus instinctive. Vous ferez certainement des progrès beaucoup plus rapidement que n’importe quel jeune mage ici.

Talia parut intéressée, curieuse de savoir jusqu’où ils pouvaient aller, s’ils parvenaient à contrôler leurs pouvoirs. Alaric, quant à lui, se ratatina sur son siège, maussade. Il ne se sentait pas particulièrement comme un génie de la magie. Au contraire. Jusqu’à présent, les choses avaient plutôt échappé à son contrôle.

Comme s’il lisait dans ses pensées, le mage reprit la parole :

  • Cette magie, cet accès à ce pouvoir brut, n’est pas moins dangereuse et volatile. Il est plus qu’important que vous apprenez à maîtriser celle-ci, pour ne pas qu’elle vous maîtrise, vous.

L’adolescent baissa les yeux, une sourde angoisse lui étreignant la poitrine. Il sentit la main de Talia chercher son bras, mais le geste se voulant rassurant ne réussit pas à calmer son appréhension. Maintenant qu’ils étaient en sécurité, il avait plus que jamais peur de faire du mal à quelqu’un.

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