Chapitre 15

Par Ohana

Talia poussa un soupir agacé. Les doigts plongés dans la terre meuble et fraîche, elle ne ressentait pas cette étincelle qui l’avait sauvée auparavant, malgré toute la concentration dont elle faisait preuve.

Deux heures. Deux heures et pas la moindre petite réaction sous ses paumes. Elle n’était pas du genre à se décourager aisément, mais elle devait avouer qu’elle était déçue.

  • Je pensais que, parce que nous sommes différents, nous avions accès plus facilement à la magie, grommela-t-elle, à l’intention de Veenya qui était assise en tailleur à quelques pas d’elle. C’est ce que le haut-mage nous a dit.

Elle ne voulait pas avoir l’air d’une enfant qui boudait parce qu’elle n’arrivait à rien, mais la frustration l’envahissait de plus en plus.

  • Malgré ce que vous êtes, votre esprit reste humain, comme tous les autres. Il doit y avoir une raison pour qu’un résultat tarde à se faire voir, lui répondit calmement l’apprentie mage aux yeux argentés.
  • Quoi ? Une sorte de blocage, tu veux dire ?

Elle avait répondu un peu plus sèchement qu’elle ne l’avait voulu, ainsi lança-t-elle un regard d’excuse envers la jeune femme qui avait été chargée de leur enseigner la Loria, ce bouclier supposément instinctif qu’ils avaient réussi, durant leur voyage, à invoquer.

  • J’ai réussi à le faire alors que j’étais entourée d’hommes qui voulaient me tuer, alors je ne comprends pas pourquoi maintenant, alors qu’on est confortablement installés ici, je n’y arrive pas, fit-elle un peu plus doucement.

Elle vit Alaric, lui aussi assis à quelques mètres d’elle, tressaillir. Il la regardait par-dessus le livre qu’il était en train de lire. Elle détourna les yeux, se mordant l’intérieur de la joue. Elle s’en voulait de ne pas avoir réussi à se confier à son frère à propos de ce qu’elle avait fait. C’était un souvenir qu’elle préférait enterrer dans un coin de son esprit.

Veenya ne se démonta pas. Elle faisait, jusqu’à présent, preuve d’une immense patience. Leur maître avait eu raison de la désigner, elle, pour leur apprendre quelques bases. Elle savait que Hildr n’aurait jamais eu la patience nécessaire et aurait fini par faire flamber quelque chose pour provoquer une réaction chez les nouveaux arrivants.

            Alaric, quant à lui, était plongé dans sa lecture. Il gardait un œil prudent sur ce qu’il se passait dans la pièce, mais il ne put s’empêcher d’être happé par le livre que lui avait prêté Veenya. Il avait compris que c’était la manière la plus douce qu’elle avait trouvé pour le confronter à leur monde et à ses particularités. Le passage où il était rendu le captivait. Il évoquait l’origine possible des portes. Comme n’importe quel livre religieux, il y avait cette force créatrice à l’origine de tout. Ils l’appelaient l’Entité. Avant la création du monde, de tous les mondes, l’Entité aurait décidé de créer ses Enfants, l’extension d’elle-même. Elle leur aurait conféré le pouvoir de créer. Elle voulait qu’ils laissent cours à leur imagination, mais elle constata bien vite qu’ils préféraient rester entre eux, à se quereller, comme les Enfants qu’ils étaient. Sauf le prince Yrlen, qui créa ce monde, à son plus grand bonheur. Plusieurs de ses frères et sœurs, curieux de cette création, décidèrent de faire de même, et une certaine paix régna dans le chaos.

            Mais Yrlen avait un frère jumeau, Darkon, et ce dernier, jaloux de la perfection du pouvoir créateur de son frère, tenta de détruire ce que ce dernier avait créé, rallumant l’étincelle de la querelle parmi les Enfants. Voyant les dommages que ses Dieux faisaient sur les mondes des autres, l’Entité créa des sceaux autour des univers de sa progéniture et bannit chacun d’entre eux dans leurs créations respectives. Ces sceaux étaient des portes qu’ils ne pouvaient pas franchir. Mais Darkon, ingénieux à sa façon, parvint à se glisser dans le monde son frère Yrlen, plutôt que d’être enfermé à jamais dans ce simulacre de monde qu’il avait tenté de créer, désertique et laid.

            Les sceaux fonctionnaient malheureusement dans les deux sens. L’Entité ne pouvait plus intervenir pour aider Yrlen. Une grande bataille eu lieu entre les deux princes. Ce fut Yrlen qui en sortit victorieux, Darkon disparut à jamais, et son monde put prospérer et devenir ce qu’il était aujourd’hui.

La magicienne aux yeux argentés l’avait mis en garde, il s’agissait d’une interprétation parmi d’autres, le livre ayant été écrit par un mage originaire de la région. Ce dernier faisait mention brièvement, et avec un ton un peu méprisant, des croyances de Vargues et d’Aramore. Des groupuscules de Vargues, par exemple, faisaient référence à l’Entité comme étant la Mère. Ou encore les dragonniers du royaume d’Aramore croyaient dur comme fer que les dragons seraient nés des gouttes de sang répandus lors de la grande bataille, ainsi ne voyaient-ils pas le prince Darkon comme une menace ou le méchant de l’histoire.

  • Je pense qu’une pause est nécessaire, intervint fermement Veenya, l’extirpant de sa lecture. Tu as besoin d’être plus concentrée.

Talia n’arriverait à rien dans cet état d’esprit. Voyant la jeune femme ouvrir la bouche pour protester, Vee leva la main pour l’interrompre.

  • Ce n’est pas quelque chose de mal. Au contraire, un mage qui nécessite un niveau de concentration plus élevé que les autres peut être redoutable, et surtout d’une finesse rendant ses sorts quasi impossibles à contrer. Tu vas y arriver, laisse-toi le temps.

La Voyageuse poussa un soupir contrit mais hocha la tête, pour lui faire savoir qu’elle avait compris. Leur professeure tourna la tête vers Alaric.

  • À ton tour.

Ce dernier se raidit, et ses mains se crispèrent sur le livre qu’il tenait toujours devant son nez, en une barrière instinctive.

  • Je préfère continuer à lire ça, comme tu me l’as conseillé, marmonna-t-il. C’est très intéressant …
  • Al, commença Talia, surprise de sa réticence, mais elle s’interrompit en voyant le mélange de peur et de colère dans le regard de son frère.

Veenya se releva, posant son regard argenté sur lui. Même si elle le regardait avec calme, il ne put s’empêcher de frissonner et de détourner les yeux.

  • Tu ne blesseras personne ici, je peux te l’assurer, fit-elle doucement.

Elle n’avait pas besoin de lire réellement dans son esprit pour savoir qu’il avait peur de ses pouvoirs. La Magicus avait conscience qu’il allait falloir l’approcher avec prudence, comme un animal blessé. Elle savait aussi qu’elle n’arriverait à rien, là, maintenant, avec lui. Comme de fait, l’aura du jeune homme avait subitement changé, devenant chaotique en une fraction de seconde.

Alaric déposa son livre, le cœur battant.

  • Ce n’est pas … Écoute, je ne veux pas, d’accord ? Je passe mon tour, faites ça sans moi, répondit-il, le ton montant rapidement.

Il bondit sur ses pieds, ne sachant pas vraiment ce qu’il faisait, et quitta la pièce, malgré sa sœur qui criait son nom pour le faire s’arrêter.

  • Laisse-le, fit Veenya quand elle vit la jeune femme se relever pour partir à sa poursuite. Il doit trouver le moyen de gérer ce qui se passe par lui-même.

Talia lutta contre elle-même pour lui obéir, n’aimant pas laisser son frère seul dans cet état. Se mordant à nouveau l’intérieur de la joue, elle finit par pousser un soupir et se remit à genoux, bien décidée à recommencer.

X

Marchant rapidement, Alaric tentait d’éliminer la migraine qui pointait le bout de son nez, en frottant ses tempes. Il se sentait mal d’avoir à nouveau surréagi, mais ça serait mentir que de se dire qu’il ne savait pas du tout pourquoi il l’avait fait. Il n’arrivait tout simplement pas à l’admettre, aux autres et surtout à lui-même. Il avait l’impression que le dire reviendrait à le rendre réel, alors il préférait le dissimuler dans le chaos ambiant de son esprit.

Il avait aussi honte d’être à ce point ridicule, même si la partie rationnelle de sa tête lui hurlait que ce n’était pas sa faute. Il lui était difficile de laisser cette petite voix raisonnable prendre plus de place.

Tournant dans un couloir un peu trop rapidement, il manqua de renverser une jeune fille, qui était suivie de deux autres jeunes gens. Alaric sentit aussitôt la magie autour d’eux, des apprentis. Ils en avaient croisé quelques-uns ces derniers jours, mais n’avaient jamais établi le moindre contact, préférant être en compagnie de Veenya et d’Hildr. Nerveux, il s’excusa platement et s’apprêta à continuer sa route, mais l’éclat bleu dans le regard de la jeune fille le figea. Elle le regardait d’un air méfiant. Un des autres jeunes mages le regardait franchement avec hostilité, le dévisageant de haut et bas. Le troisième semblait totalement être désintéressé de lui, et ce fut ce dernier qui agrippa les bras de ses comparses pour les tirer à sa suite, sans même adresser un mot au nouveau venu. Frissonnant, Alaric ne se fit pas prier pour mettre rapidement de la distance entre eux et lui.

Quittant les couloirs qui lui semblaient de plus en plus oppressants, le jeune homme finit par sortir au grand air. Il ne connaissait pas encore parfaitement les lieux, mais il s’en fichait de se perdre. Marcher sans regarder derrière lui faisait du bien.

Le garçon s’éloigna du centre plus actif à l’intérieur des remparts, préférant être seul. Ils passaient relativement inaperçus pour ceux ne sachant pas vraiment leur histoire. Ils n’étaient que les nouveaux apprentis. Mais les Magiki leur avaient parlé des auras, et du fait qu’il était possible que des apprentis plus sensibles comprennent ce qu’ils avaient de différents. Cependant, Veenya leur avait certifié qu’ils avaient reçu l’ordre de ne pas les embêter, en aucun cas. Il se demanda s’il devait lui parler, quand il la reverrait, de l’animosité qu’il avait perçue chez ceux qu’il venait de croiser. Alaric chassa bien vite cette pensée. Pour l’instant, on ne les traitait pas mal et il n’avait pas vraiment l’impression d’être une bête de foire, pour faire changement. Cet anonymat partiel le rassurait un peu.

S’asseyant sur un petit muret de pierre, Alaric tenta de penser à ce qu’il lisait un peu plus tôt. Mais inévitablement, cette réflexion le menait à comment c’était chez eux et ne faisait que le rendre encore plus morose. Veenya n’avait pas eu tort de lui faire apprendre petit à petit un peu plus sur ce monde, évitant de le jeter dans le grand bain d’un seul coup. Mais elle attendait plus de lui et ça l’effrayait.

Laissant tomber sa tête entre ses mains, il passa celles-ci dans sa tignasse, les yeux fermés. L’idée qu’ils soient coincés ici le rendait toujours nauséeux. Contrairement à sa sœur, il n’arrivait pas à se concentrer sur autre chose pour éviter de cogiter tout ça.

Des bruits de bottes se firent entendre. Levant la tête, Alaric ne mit pas longtemps avant de voir ce qui avait attiré son attention.

  • Hey ! Le nouveau ! s’exclama Cast.

Alaric le regarda, surpris, incapable de lui répondre. Le jeune chevalier était trempé de la tête aux pieds, couvert de boue. Cast lut l’interrogation dans son regard et éclata de rire.

  • Un entraînement qui a mal tourné !
  • Mais … et ta jambe ?
  • Oh ? Ça ? fit le guerrier, se tapotant là où il avait été blessé en venant à leur secours. Guéri en moins de deux, notre magicienne guérisseuse fait de véritables miracles !

Il était vrai que lui-même ne ressentait plus qu’une légère gêne là où ses blessures avaient été plus graves. Dans son monde, il n’aurait pas pu sortir du lit pendant des semaines. Enfin, dans son monde, il serait certainement mort.

Alaric manqua de tomber à la renverse lorsque le jeune chevalier s’approcha subitement pour venir s’asseoir à ses côtés. Il ne put s’empêcher de lui jeter un regard irrité, bousculé par la soudaine proximité, que Cast ignora superbement.

  • J’ai besoin d’une pause, soupira-t-il dramatiquement.

Alaric se força à inspirer puis expirer, et ses épaules se détendirent légèrement. Il ne se sentait pas en état d’avoir un peu de compagnie, mais, au final, il arrivait à admettre que ça ne lui ferait pas de mal.

  • Et toi ? Comment ça se passe ?
  • C’est une catastrophe, répondit sans réfléchir Alaric, claquant des dents si fort en se rendant compte qu’il avait pensé à voix haute qu’il se fit mal à la mâchoire.

Cast lui jeta un regard curieux mais garda le silence quelques secondes. Alaric refusa de tourner la tête vers lui, préférant regarder ses mains.

  • Tu peux m’en parler, si tu veux. Je m’y connais en matière de catastrophe, fit le guerrier, écartant légèrement les bras, envoyant des gouttelettes d’eau boueuse autour de lui.

Son premier réflexe était de l’envoyer bouler, ne se voyant pas confier ses pensées à un parfait inconnu.

  • Écoute, tu peux voir ça comme ça : tu viens de me voir sous mon plus mauvais jour. J’ai de la boue absolument partout. Partout, insista comiquement le jeune homme. On peut difficilement donner pire comme image.

Sans pouvoir s’en empêcher, un maigre sourire étira la commissure des lèvres du jeune mage.

  • C’est vrai, admit Alaric, jetant un coup d’œil à Cast, dont les cheveux commençaient à durcir en épis à cause de la boue.

Essayant d’organiser sa pensée, autant pour être clair que pour éviter de fournir à son interlocuteur une information qui pourrait les mettre dans l’embarras, Alaric prit quelques secondes de silence, puis inspira.

  • Ma sœur et moi, nous ne savons que depuis récemment … ce que nous sommes, ou ce que nous pouvons faire. Sur la route, j’ai …

Il s’interrompit, l’envie de faire marche arrière lui prenant à la gorge. Cast garda le silence, pour éviter de le pousser et de le faire se refermer.

  • Nous avons été mis dans certaines situations et … j’ai découvert une part de moi qui … que je n’aime pas. Pas du tout.
  • Qui te terrifie.

Sa nuque se raidit, le mage en devenir refusant de regarder son interlocuteur. Pourtant, ce dernier avait raison. Il avait peur de lui-même.

  • J’ai blessé des gens par accident. Non … s’interrompit-il. (Il se sentit aussitôt coupable de tenter de mentir. Ce qu’il avait fait n’était pas anodin.) J’ai voulu leur faire du mal. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je ressentais toute cette magie en moi et tout ce qui me passait par la tête, c’était de l’utiliser pour éloigner toute menace de moi et de ma sœur.

Le silence de Cast lui fit craindre le pire. Il n’avait plus qu’une envie, c’était de rentrer sous terre. Mais quelle stupide idée il avait eu de lui raconter tout ça ! Pendant un instant, il avait oublié que les gens d’ici n’appréciaient pas la magie.

Sentant une pression dans sa tête, Alaric se releva brusquement, dans l’idée de partir. La main sale du guerrier se saisit de son avant-bras. Le mage se figea, luttant contre l’envie de rompre le contact. Cast le lâcha prestement.

  • Moi, ce que je comprends, c’est qu’on t’a mis entre les mains une arme sans qu’on t’ait demandé ton avis et sans te préparer.

Alaric finit par baisser les yeux vers le jeune homme, y découvrant un visage souriant, dénué de tout jugement ou peur. Ou haine.

  • Ce n’est pas pour rien que les mages prennent des apprentis alors que ceux-ci ne sont que des enfants. Même chose pour notre Garde, ou celle des Maraudiens, la plupart du temps. Ce serait idiot de prendre quelqu’un, de lui remettre une épée entre les mains, et de lui dire qu’il a maintenant la responsabilité de défendre son royaume, son souverain, ou sa maison. Ça ne finit jamais bien, ce genre de choses.

Même s’il ne pouvait chasser l’étrangeté de cette conversation, Alaric ressentit la pression en lui se relâcher. Pendant un instant, ses yeux le piquèrent, incroyablement soulagé d’être compris. Il ne chercha pas à le cacher, trop occupé à tourner et retourner dans sa tête ce que venait de lui dire le jeune chevalier.

Poussant un soupir, il se rassit finalement à ses côtés.

Cast se mit alors à lui raconter comment il était entré au service de la Garde du roi. Ayant perdu son père très tôt, il n’avait eu que sa mère comme modèle. Celle-ci, et sa mère avant-elle, faisait partie des troupes héodeniennes. Il avait donc voulu naturellement suivre ses pas. Il n’avait qu’une dizaine d’années quand il était devenu l’écuyer d’un chevalier qu’il avait rapidement commencé à admirer. Le suivre et l’épauler avaient été un honneur et avait fait l’homme qu’il était aujourd’hui. Quelqu’un dont pouvait être fière sa mère.

Le sourire sincère du jeune guerrier, alors qu’il parlait, acheva de détourner complètement Alaric de ses angoisses, le plongeant avec avidité dans le récit que lui faisait le jeune homme.

Cast avait donc passé les huit années suivantes à apprendre et à découvrir qui il était vraiment. Plus les années passaient, plus il était certain de la décision qu’il avait prise. Il voulait être utile et protéger les autres. Évidemment, toutes ces années ne l’avaient pas totalement préparé à ce qui les attendait réellement. Rien ne pouvait les préparer à la guerre. Il avait vu la situation se dégrader et les ravages que les nombreux combats avaient laissés derrière.

Quand il parlait des combats à venir, Alaric pouvait voir son regard briller. Mais ce n’était pas de la joie qu’il y voyait, plutôt une détermination ardente. Tout ce qu’il voulait, c’était que la paix revienne dans les royaumes et que la population puisse vivre en sécurité. Il n’avait cependant pas le rêve un peu fou d’avoir un grand rôle à jouer dans ce retour à la paix tant voulu. Il n’était qu’un pion parmi une grande armée.

  • Si je dois passer les prochaines années à occire des écorcheurs, si ça peut aider, ça sera déjà ça de fait ! s’exclama férocement Cast.

Le voir s’égosiller dans cet état provoqua un fou rire chez le jeune mage, qui ne parvint pas à le réprimer. Cast lui jeta un regard surpris, puis sourit de toutes ses dents à son tour.

  • S’il ne pouvait plus avoir ces trucs immondes, effectivement ça sera déjà ça de pris, répéta Alaric, après avoir repris son souffle.

Pinçant légèrement les lèvres, il finit par lui raconter leur première rencontre avec un écorcheur, et comment ils ne s’en seraient pas sortis sans la Seconde Main des Maraudiens – en appuyant fermement sur le fait qu’elle le terrifiait. La conversation bifurqua sur leur voyage avec les deux autres guerriers. D’une voix un peu hésitante, il lui raconta comment ses pouvoirs avaient dérapé, comment ils l’avaient envahi d’un sentiment de puissance, comment il aurait pu faire du mal à leurs protecteurs, croyant à tort que ceux-ci finiraient par les tuer. Une fois commencé, il ne s’arrêta plus, sentant peu à peu la pression se relâcher.

Au bout d’un moment, il s’arrêta de parler, devenant rouge comme une tomate en se rendant compte qu’il avait monopolisé la conversation. Et surtout, qu’il s’était confié à cœur ouvert à quelqu’un qu’il connaissait à peine. La sensation de légèreté le surprit néanmoins. Ça faisait bien longtemps qu’il n’avait pas ressenti celle-ci. Prudent, Alaric jeta un bref coup d’œil à Cast. Celui-ci ne souriait plus. Il eut aussitôt envie de rentrer sous terre.

  • Désolé, je … J’ai conscience que je viens pratiquement de révéler que je suis fou, marmonna faiblement Alaric, qui sentait toute cette légèreté s’envoler pour ne laisser que cette ignoble angoisse.

Sa voix sembla ramener le jeune guerrier à lui et il se tourna vers lui, le visage encore barbouillé arborant un air surpris.

  • Quoi ? Non ! Je me disais seulement que ça devait être vraiment compliqué à gérer, rectifia Cast. Pas étonnant que tu aies du mal à vouloir en apprendre plus sur tout ça …
  • Et puis tu n’es pas fou, ajouta le jeune guerrier après quelques secondes de silence.

Le sourire éclatant revint, calmant peu à peu Alaric, qui se passa une main nerveuse dans sa tignasse, se sentant gêné et ridicule. Cast semblait être sur le point d’ajouter quelque chose, mais une voix retentit :

  • Castelis ! Bouge ton cul de là, tu n’es pas devenu chevalier pour lambiner !

Alaric se ratatina sur place alors que Cast bondit, droit dans ses bottes, le visage à moitié rieur, à moitié inquiet.

  • J’arrive, Sire Malcolm ! glapit-il en direction de l’homme qui avait déjà disparu.

Il fit un sourire désolé au jeune mage.

  • Même adoubé, on me traite encore comme un vulgaire écuyer, se plaignit-il théâtralement, pour faire rire son interlocuteur, qui semblait ne plus savoir où se mettre.

Alaric lui souhaita bon courage.

  • Cast ! fit-il soudainement, en bondissant sur ses pieds.

Le chevalier s’arrêta et tourna la tête vers lui, les sourcils relevés. Voyant qu’Alaric avait du mal à formuler ce qu’il voulait dire, et comprenant où il venait en venir, il fit un geste de la main, balayant ses remerciements.

Le jeune mage sentit ses épaules se relâcher après que son nouvel ami – pouvait-il le qualifier ainsi ? – eut disparu de son champ de vision.

Prenant une grande inspiration, Alaric décida de retourner à l’intérieur. Il avait honte de la manière dont il avait fait faux bond à sa sœur, ainsi qu’à leur professeure temporaire, qui ne voulait que les aider, après tout. Il n’était pas certain d’avoir vraiment envie de découvrir ce qu’il voulait faire, la peur était toujours présente.

De retour devant la porte de la grande serre dans laquelle ils s’étaient installés un peu plus tôt, il la poussa, mais elle refusa de s’ouvrir. Entendant un gloussement à l’intérieur, il se figea, un air confus sur le visage.

  • Tout va bien là-dedans ? ronchonna-t-il, perplexe.
  • Al ! Entre ! entendit-il Talia lui dire.

Il poussa un grognement, se retenant de lui dire qu’il avait déjà tenté. Il mit alors un peu plus de force et sentit la porte bouger. Élargissant l’ouverture, il manqua alors de se faire fouetter par une branche sauvage. Un juron sortit malgré lui de sa bouche.

D’un vigoureux coup d’épaule, il parvint à ouvrir suffisamment pour se glisser à l’intérieur. Le spectacle qui s’offrit à lui le laissa bouche bée.

Il y avait maintenant un arbre en plein milieu de la pièce. Les branches avaient fracassé plusieurs carreaux de la grande fenêtre, des racines s’entortillaient autour du mobilier – bonne chance pour retrouver son livre ! – et Talia, assise à même le sol, se tenait les côtes, secouée par un rire qui ne voulait pas s’arrêter.

Voyant enfin son frère, elle bondit sur ses pieds et le rejoignit, le serrant dans ses bras sous le coup de l’excitation.

  • Regarde ! C’est moi qui ai fait ça ! rigola-t-elle, malgré l’évidence de la situation.

Voir l’intense lueur dans son regard fit sourire Alaric, qui était heureux de voir sa sœur dans cet état. Ça lui rappelait quand ils étaient plus jeunes, avant le drame, lorsqu’elle faisait la découverte de quelque chose de nouveau. Il était alors impossible de la détourner de son nouvel hobby, désireuse comme elle était d’expérimenter et d’aller au fond des choses.

  • Par contre, je ne sais pas comment faire disparaître tout ça, fit-elle, lorsqu’elle eut repris son souffle. Veenya ?

La jeune magicienne, jusqu’alors tranquillement en retrait, se rapprocha des jumeaux.

  • La magie de la terre n’est pas ma spécialité, surtout quand elle est couplée avec la Loria. J’utilise pour ma part un bouclier psychique, il disparait une fois qu’il a accompli son rôle, répondit la jeune femme aux yeux argentés, un air d’excuse sur le visage.

Chaque mage avait sa magie propre, son affinité avec les éléments physiques ou psychiques. Ils passaient leur vie à peaufiner leur maîtrise.

  • Tu peux peut-être aller demander à Hildr, elle est présentement en train de donner des cours à un groupe d’apprentis. Il me semble qu’il y a une jeune fille qui maîtrise aussi la terre !

Tremblante d’excitation, Talia ne se le fit pas dire deux fois. Collant un baiser sonore sur la joue de son frère, elle disparut en un clin d’œil. Un sourire amusé illumina le visage d’Alaric.

Tournant son regard vers Veenya, qui l’observait en silence, il poussa un soupir.

  • À nous deux, maintenant ? lui demanda-t-elle doucement.
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