Palais impérial – Mardi 22 décembre 2009
Gretta serrait les dents. Le roi – Vive le roi – faisait les cent pas devant eux, sa colère visible à des kilomètres.
- Comment se fait-il que vous ne le trouviez pas ? hurla-t-il.
- Il connaît nos méthodes, indiqua Judy. Il est le meilleur rafleur. Il maîtrise toutes les techniques de dissimulation pour lutter contre à longueur de journées.
- Peut-être que vous n’y mettez pas tout votre cœur ? proposa Sa Majesté.
Gretta se crispa. Cette insinuation lui déplaisait au plus haut point. Elle n’était pas la seule à ne pas apprécier.
- De Ranti a disparu avant même que nous ne l’atteignons, rappela Mathieu.
- Quelqu’un l’aura prévenu, gronda le roi – Vive le roi. Cela prouve uniquement qu’il y a un traître parmi nous.
Gretta fit son possible pour ne rien laisser transparaître. C’était elle qui avait prévenu Charles-André. Il lui était insupportable de l’imaginer commémoré. Il était son meilleur ami, mais également le meilleur élément, le pilier de la confrérie. S’il sombrait, n’importe qui pourrait le suivre, elle y compris. Comment avait-on pu en arriver là ? Qu’est-ce que Charles-André avait bien pu faire pour mettre ainsi le roi – Vive le roi – hors de lui ?
D’accord, son fils avait trahi la confrérie en aidant une mage noire dont il était clairement tombé amoureux. Et alors ? Cela ne disait rien du père, à part que son amour paternel l’avait aveuglé. D’ailleurs, Charles-André n’avait pas été la cible de la colère du roi – Vive le roi – au moment de son annonce de la trahison de son fils mais plus tard, après que Charles-André fut allé parler à Sa Majesté. Quel avait été le sujet de leur échange pour que le roi – Vive le roi – en arrive à une telle extrémité ?
Gretta en tremblait de terreur et de rage devant ce qu’elle considérait comme une terrible injustice. Charles-André ne méritait pas ça. Chaque jour, le roi – Vive le roi – devenait de plus en plus aigri.
- D’habitude, vous trouvez les disparus sans la moindre difficulté, lança Damien à Sa Majesté. Pourquoi votre méthode personnelle ne fonctionne-t-elle pas ?
Le roi – Vive le roi – envoya un regard noir à Damien et Gretta sentit que le guide de la lumière cercle 7 prenait un gros risque en osant insinuer que Sa Majesté échouait autant qu’eux.
- Il semblerait que de Ranti ait plus d’un tour dans son sac pour tous nous mettre en défaut, continua Damien.
- De Ranti ne fait rien de particulier, gronda le roi – Vive le roi. J’ai perdu quelques alliés, c’est tout, mais ils vont revenir et de toute façon, je n’ai pas besoin d’eux puisque je vous ai, vous. Retrouvez-moi ce salopard !
Le roi – Vive le roi – disparut. Il venait de se téléporter. Des conversations jaillirent un peu partout. Gretta choisit de s’éloigner pour rejoindre le foyer.
- Salut, dit quelqu’un derrière elle dès qu’elle fut entrée.
- Charles-André ! Mais tu es fou de venir ici ! s’exclama-t-elle. Le roi – Vive le roi – est fou de rage.
Elle observa son ami mais il resta silencieux. Il n’avait pas dit « Vive le roi ». Le blasphème était violent.
- Qu’est-ce que tu as fait ? demanda Gretta.
- J’ai posé la mauvaise question, sauf que je ne comprends toujours pas en quoi elle était dérangeante, mais bref. Cette fuite m’a permis de rejoindre nos ennemis. Je suis auprès d’Isabelle et de son père.
- Tu as réussi à les infiltrer ? s’étonna Gretta.
- Je ne joue pas un double jeu, Gretta. Je suis réellement avec eux. Le roi a eu la stupidité de me rejeter. Tant pis pour lui. Cela m’a donné l’occasion d’entendre leur point de vue et je le trouve très intéressant. Je pense qu’ils vont gagner.
Gretta ricana.
- Gagner ? Cette poignée de rebelles va se faire écraser, tu veux dire !
- Ils rallient de nombreuses personnes à leur cause. Ils sont déjà des centaines de milliers.
- N’importe quoi, répliqua Gretta.
- Leur force de frappe est gigantesque, prévint Charles-André. Vous serez aveugles et impuissants. Tu n’es pas dans le bon camp, Gretta. Rejoins-nous.
- Tu dérailles, Charles-André ! Je t’ai prévenu parce que tu es mon ami mais de là à trahir les miens !
- S’ils savaient ce que tu as fait, tu serais envoyée en commémoration, tu le sais. Viens avec moi et ta puissance se décuplera.
- C’est ridicule, répliqua Gretta.
- Tu ne me crois pas ? Très bien. Je ne t’ai jamais battue en face à face. Attaque-moi. Vas-y, essaye de m’attraper.
Gretta plissa des yeux. Charles-André se croyait vraiment meilleur qu’elle ? Il rêvait. Elle l’avait toujours surpassé.
- Si tu m’amènes au roi, tu deviendras sa nouvelle égérie, lâcha Charles-André.
Il n’en fallut pas plus pour la décider. Gretta n’y alla pas par quatre chemins : un collier de souffrance empêcherait son adversaire de se battre. Simple, rapide, efficace. Elle savait être en mesure de lancer ce sort beaucoup plus vite que son ami. Il serait impuissant dans moins d’une seconde.
Elle contacta la magie et monta son sort, qui refusa de se terminer. La magie se refusait à elle. Elle se heurtait à un mur et ne comprenait pas pourquoi. Quand elle était jeune, à l’école, parfois, les sorts rataient de cette façon mais rapidement, cela ne s’était plus produit.
- Une difficulté, Gretta ? lança Charles-André.
- Comment fais-tu ça ?
- Je ne fais rien, précisa Charles-André. Mon allié s’en charge pour moi.
- Ton allié ?
Un homme apparut à gauche de Charles-André, dissimulé jusque-là d’une manière inconnue de Gretta. Elle sursauta en reconnaissant le seigneur James Moriat.
- Il t’empêche de lancer des sorts. En revanche, tu t’en doutes, il ne m’empêche pas moi de le faire.
Gretta sentit le sort se créer. Elle reconnut le montage d’un collier de souffrance et se trouva incapable de l’empêcher de l’atteindre. Afin de ne pas souffrir, elle cessa de se connecter à la magie.
- Alors, toujours à penser que cette petite rébellion se fera écraser ? lança Charles-André. Je vais te laisser réfléchir, Gretta. Je reviendrai te voir demain pour entendre ta réponse.
Charles-André et Moriat disparurent. Gretta contacta timidement la magie qui lui répondit sans souffrance. La guide de la lumière grimaça. Sa nuit promettait d’être tumultueuse.
École de sorcellerie de Passravent – Mercredi 6 janvier 2010
Hubert lut le papier écrit par la main de son père.
- Tu veux vraiment tenter de les convertir à notre cause ?
- Les commémorés sont notre meilleure porte d’entrée, indiqua Isabelle. Ils détestent la confrérie.
- La torture a brisé quelque chose en eux. Ils sont instables. On ne donne jamais de hauts postes à un commémoré pour cette raison. Ils sont tout le temps sous surveillance. Ils le savent. Cela les rend paranoïaques mais également très fidèles. Ils ne font jamais un pas de côté. Ils comprennent les risques.
- Ils n’en auront que plus envie d’être enfin libres.
- Je te déconseille de les laisser se promener sans surveillance. Ils feraient tout pour retrouver la confiance du groupe, y compris nous trahir.
- Je veux essayer, dit Isabelle. Je veux les sauver, eux aussi.
- Tu veux sauver le monde entier, Isabelle, sourit Hubert. C’est pour ça que je t’aime… et pour tes magnifiques seins que tu me laisses observer à loisir.
Sa petite-amie eut un regard tendre vers lui.
- Et que tu aimerais pouvoir toucher, finit-elle.
- Et me branler dedans, et jouir dessus, poursuivit-il. Mais nous avons dévié du sujet de conversation initial.
Isabelle rit franchement avant de reprendre sérieusement.
- Nous avons besoin de mages blancs.
- Et de mages noirs, répliqua Hubert. Des tonnes de sorciers attendent leur trio avec impatience. Tu les convaincs sans difficulté.
- Tu m’étonnes, souffla Isabelle. Je fais d’eux les piliers de ce monde sans lesquels nous ne serions rien. Bien sûr qu’ils m’écoutent. Pour les mages noirs, nous pouvons déjà commencer par aller récupérer les jouets des guides de la lumière.
- Alors déjà, ce ne sont pas que des mages noirs, indiqua Hubert. Les guides se servent parmi tous les prisonniers sans regard pour leur nature. Ensuite, tu veux vraiment créer une guerre ? Mettre les guides de la lumière en colère n’est pas la meilleure façon d’agir. Si tu veux les convaincre de te rejoindre, commence par ne pas les titiller.
Isabelle grimaça.
- Soit, admit-elle. Du coup, les mages noirs, je les trouve où parce qu’au cas où tu ne le saurais pas, ils se cachent.
Hubert appela son père et Gretta par magie. Ils apparurent à ses côtés. Isabelle ne sursauta pas. Elle avait dû sentir la pression d’une téléportation imminente. Elle fronça les sourcils en découvrant l’identité des arrivants.
- Papa, Gretta, une rafle vous dirait-elle ? proposa Hubert. Isabelle a besoin de mages noirs pour compléter ses trios.
Les deux anciens guides de la lumière, meilleurs rafleurs du palais, hochèrent la tête en souriant.
- Sans déconner ? lança Isabelle.
- Ce sont les meilleurs ! assura Hubert. Ils t’en trouveront.
- L’invitation n’est pas des plus agréables.
- L’arrivée n’en sera que plus heureuse, sourit Hubert. Je peux vous accompagner ?
- Avec plaisir, mon fils. Allez, en chasse !
Hubert et Gretta posèrent un doigt sur Charles-André – l’un choisissant l’épaule et l’autre le bras. Le fils et l’amie suivirent leur aîné sans broncher, en toute confiance. Charles-André avait un don pour trouver les mages noirs. Aujourd’hui, cela allait être utile à la communauté.
Tokyo – Mardi 12 janvier 2010
Korlan regardait le bol de nouilles devant lui. Il se reposait après sa journée de travail. Il n’avait pas vraiment faim. Il aurait pu se contenter de la magie pour se nourrir. Manger était tout de même plus agréable mais, ses baguettes à la main, Korlan ne trouva aucun intérêt à ingérer ça.
Il s’agissait du meilleur restaurant à nouilles de la ville. Korlan ne devait sa place qu’à sa tunique beige et au fait que le patron était un mage blanc. Le bol contenait un vrai délice pour les papilles, à n’en pas douter. Pourtant, Korlan n’y touchait pas. Sa dépression le reprit. Il broyait du noir.
Pourquoi continuer ? Chaque pas coûtait davantage que le précédent. À quoi bon ? Pour qui ? Pour quoi ? Même les missions classiques de simple maintien de l’ordre ne faisaient plus briller ses yeux. Même sauver la veuve et l’orphelin l’indifférait. Il se sentait mort à l’intérieur. Autant rendre le tout cohérent et se tuer.
- Salut, Korlan, dit une voix féminine en s’asseyant devant lui.
De nombreuses femmes venaient souvent le rejoindre pour tenter de le draguer. Il n’ignorait pas que son physique et son charme lui permettraient de mettre n’importe qui dans son lit. Il n’en voulait pas. Ça ne l’intéressait pas. Il ne se supportait déjà pas lui-même. Comment pourrait-il offrir quoi que ce soit à quelqu’un d’autre ?
Cette fois, cependant, la femme l’avait appelé par son nom. Cela attira suffisamment sa curiosité pour ne pas la rembarrer de mots cinglants. Il leva les yeux sur son interlocutrice et se figea de stupeur.
- Isabelle ?
S’il parvenait à la ramener au palais, il remonterait dans les bonnes grâces de la confrérie. Sa présence était une chance inouïe de… de quoi ? De plaire à ces connards qu’il ne pouvait pas voir en peinture ? Qu’ils aillent se faire foutre.
- Tu ne devrais pas être là, dit Korlan. Mes confrères pourraient nous voir.
- Je prends le risque, répondit Isabelle en souriant. Je veux te proposer de me rejoindre.
- Te rejoindre ? Je suis déjà assez mal comme ça, merci bien.
- Tu as connu la commémoration, je sais, indiqua Isabelle. C’est douloureux, hein, un collier de souffrance ?
Korlan lui envoya un regard noir puis se radoucit. Qu’elle veuille se venger était logique. Il méritait cette réplique cinglante. Il méritait bien davantage en fait.
- Je suis en train de créer un mouvement dont la base est le rééquilibrage des utilisateurs de magie afin de rendre à chacun sa juste place.
- Sa juste place ? répéta Korlan. Comment ça ?
- Je souhaite faire apparaître la complémentarité entre les sorciers, les mages blancs et les mages noirs afin que les différents groupes magiques coopèrent au lieu au mieux, de s’ignorer, au pire, de s’entre-tuer.
- J’avoue ne pas saisir, annonça Korlan.
- Cet endroit est un peu trop passant à mon goût, dit Isabelle. Accepterais-tu de me suivre ailleurs pour discuter plus tranquillement ?
- Pourquoi me proposes-tu ? Je t’ai agressée alors pourquoi moi ?
- Il paraît que je dois montrer l’exemple en pardonnant alors je fais des efforts.
- Tu as pardonné à Dan en le tuant ? demanda Korlan.
Isabelle grimaça.
- Il m’agressait. Je n’ai pas vu d’autres solutions. Mes amis me proposaient de le mettre sous collier de souffrance. Je ne voulais pas. Il m’a prise par surprise. Le temps de réfléchir, il a réussi à contourner mes défenses. Il prenait lentement l’avantage. J’ai eu peur de me retrouver là-bas.
Korlan comprenait. Il serait également prêt à tuer pour ne jamais se retrouver dans l’arène sous les huées de la confrérie. Il n’ignorait rien de ce qu’Isabelle avait vécu entre les mains de Dan. Le guide de la lumière avait tendance à se vanter et n’hésitait pas à raconter les sévices dans ses moindres détails.
- J’aurais fait pareil, si j’en étais capable, précisa Korlan.
- Rejoins-nous et tu n’auras plus à les craindre. Tu pourras rejoindre un trio et devenir plus forts qu’eux.
- J’ai atteint ma limite, indiqua Korlan en désignant son tatouage à 5 cercles concentriques.
- Tout seul, oui, mais à trois, la donne sera différente.
- Trois quoi ?
- Un mage blanc, un mage noir et un sorcier, travaillant ensemble, de concert, avec équilibre, chacun à sa place, soutenant les autres.
- Tu as déjà testé ta théorie ou c’est juste du vent ?
- Les trois trios déjà existant fonctionnent plutôt bien, annonça Isabelle.
- Qui sont les mages blancs t’ayant rejoint ?
Korlan savait que Charles-Hubert de Ranti était un traître. Il voulait tester la bonne foi de son interlocutrice.
- De Ranti père et fils sont à mes côtés, ainsi que Gretta Dreymar.
Korlan grimaça. Un cercle 6 et deux cercles 8, Isabelle s’était bien entourée.
- Si je t’attaque, je perds, c’est ça ?
- J’ai tué Dan, rappela Isabelle.
- Je n’ai aucune chance, comprit Korlan. Si je refuse de te suivre, que se passe-t-il ?
- Tu te jettes sous le premier bus qui passe ? Pardon hein, mais tu as vraiment la tête de quelqu’un qui veut mettre fin à tout ce merdier de manière brutale. Je t’offre un avenir, un changement radical de vie, de quoi revivre.
Isabelle lui tendit la main. Korlan avait tellement envie de la saisir et en même temps, il était pétrifié de terreur. Et si la confrérie s’en rendait compte ? Et si tout ceci n’était qu’un piège monté par les autres guides, un test qui le mènerait à l’échafaud s’il échouait ?
- Que t’ont-ils fait, Korlan ? demanda Isabelle clairement emplie d’une tristesse infinie.
- À la sortie de l’école, j’ai passé le concours et c’est avec une immense joie que j’ai reçu mon intégration à la confrérie des guides de la lumière.
Isabelle retira sa main pour une pose plus détendue tandis que Korlan racontait.
- Mes premières missions m’ont comblé de joie. Bien sûr, je ne courrai pas après les mages noirs ni après le terrible seigneur James Moriat. Cela était réservé aux supérieurs, évidemment. Je me contentais de petits crimes magiques, d’enquêtes mineures et secondaires mais cela me convenait. Je savais que grimper les échelons prendrait du temps. J’ai passé mon premier cercle, mon deuxième et mon troisième.
Isabelle écoutait avec patience et calme. Elle ne semblait pas craindre quoi que ce soit. Pourtant, à chaque instant, des guides de la lumière pouvaient apparaître. Cela ne l’inquiétait visiblement pas. Korlan continua.
- Un jour, j’ai reçu pour mission d’appréhender un homme, un mage blanc. J’étais très proche de son domicile. L’occasion faisant le larron, on m’a confié cette tâche. J’ai demandé la raison de cette arrestation, on m’a répondu de me mêler de mes affaires.
Isabelle serra les dents et fronça les sourcils.
- L’homme m’a volontiers ouvert sa porte, indiqua Korlan. Il m’a accueilli avec chaleur chez lui, m’offrant le thé et des biscuits, me demandant ce qui amenait un guide de la lumière chez lui. Ses yeux brillaient d’adoration. J’ai discuté avec lui. Je n’ai rien vu de répréhensible chez lui. J’ai contacté le palais pour demander des précisions. Trois guides de la lumière sont apparus dans le salon. L’un a emmené le mec. Les deux autres étaient là pour moi.
Isabelle frissonna tandis que Korlan sentait son ventre se serrer. Il racontait ces évènements à quelqu’un pour la première fois. Cela lui faisait du bien.
- Ils m’ont expliqué que c’était la première et la dernière fois que je désobéissais à un ordre. À la prochaine incartade, non seulement je perdrais mon poste mais également ma liberté. Ils m’ont tendu un dossier. À l’intérieur, il était indiqué que j’avais harcelé une camarade au lycée.
Isabelle ouvrit de grands yeux ahuris en comprenant qu’il s’agissait d’elle. Ils l’avaient fait chanter en l’utilisant elle, et ce alors même que tous les professeurs savaient ce qu’il faisait et l’encourageaient ? Putain de salopards !
- Le dossier contenait des comptes-rendus de psy indiquant qu’à cause de moi, tu avais développé une phobie scolaire, ce qui expliquait ta disparition subite du lycée.
- Oh les…
Isabelle ne termina pas sa phrase.
- Il était écrit que tu restais bloquée, incapable de lancer des sorts et que c’était ma faute. C’est grave de faire ça à quelqu’un, très grave, assez pour passer plusieurs années en prison. Si je fermais ma gueule et obéissais comme un gentil chien, ils garderaient le dossier secret. J’ai obéi. J’ai courbé le dos.
Isabelle hocha la tête. Elle semblait comprendre sans le juger. Korlan se sentit écouté et son cœur s’allégeait à chaque instant.
- J’ai passé mon cercle 4 puis mon cercle 5. Ça a été long et je crois avoir atteint mon maximum.
- Ou pas, nous verrons, dit Isabelle avant de lui faire signe de continuer.
- Le cercle 5 ouvre de nouvelles portes, expliqua Korlan. Les missions deviennent plus sensibles. De ce fait, les guides de ce niveau accèdent à des dossiers tenus cachés jusque-là. Ton nom est ressorti alors je me suis renseigné. C’est là que j’ai découvert que tu étais une mage noire.
Isabelle resta parfaitement calme et stoïque à cette annonce. Elle ne semblait vraiment pas craindre quoi que ce soit. Si un mage blanc autour d’eux avait entendu cette phrase, il serait en train d’appeler les guides qui ne tarderaient pas. Pourtant, Isabelle restait calme. Korlan en frémit. Était-elle réellement aussi puissante qu’elle le disait ou simplement complètement stupide ?
- Au vu de ta nature, mon accusation ne reposait plus sur rien. Autant harceler une mage blanche est répréhensible, autant la même chose sur une mage noire ne pose aucun problème.
Isabelle ne broncha pas. Korlan en fut impressionné.
- Toutes ces années à avoir peur, à ramper, pour du vent. J’ai pété un câble. Dix minutes plus tard, j’étais au centre de l’arène et mes confrères se sont déchaînés. Je n’ai jamais souffert autant de toute ma vie.
- Viens avec moi. Aide-moi à faire changer les choses. Reprends ta liberté, Korlan.
Il regarda autour de lui, surpris que les autorités ne soient toujours pas arrivées.
- Nous empêchons les passants de les contacter, indiqua Isabelle. Ils utilisent leur téléphone mais nos brouilleurs fonctionnent à plein régime. Quand ils viendront, ça sera trop tard. Je serai partie. La question est : seras-tu là, toi ?
Isabelle tendit de nouveau la main. Pouvait-elle vraiment créer une telle bulle de sécurité ? Elle n’empêchait pas les guides de venir mais les passants de les appeler. De plus, elle avait dit « nous », indiquant qu’elle ne faisait pas cela toute seule. Elle avait des soutiens.
- Les de Ranti et Gretta sont réellement avec toi ?
- Prends ma main et tu seras fixé, répondit Isabelle en souriant.
Korlan acquiesça. Quand les guides arriveraient, ils ne trouveraient qu’un bol de nouilles froides.
Salle B605 – Jeudi 18 mars 2010
Isabelle observait le trio s’entraîner. De Ranti continuait à puiser des cristaux partout sauf dans la main de Billy. James ne parvenait pas à l’en empêcher. Quant à Billy, il créait toujours un seul cristal à la fois. Ça n’avançait pas. Heureusement, les autres trios avançaient sinon, Isabelle aurait sacrément déprimé.
Isabelle, agacée, soupira puis sortit son téléphone pour demander par sms à Amel de la rejoindre. Elle arriva – par la porte, les mages noirs préférant ne pas trop lancer de sorts avec la magie.
- Tu m’as demandée ? lança Amel.
- Pourrais-tu contenir monsieur de Ranti ? J’ai besoin qu’il ressente les cristaux crées par Billy et James ne parvient à pas le retenir.
- Tu n’y arrives pas ? s’étonna Amel.
- Probablement que si, je n’ai pas essayé, indiqua Isabelle.
- Pourquoi ?
- Tu veux bien le faire ou pas ?
Amel sentit qu’Isabelle n’avait pas du tout envie de répondre à cette question. Elle hocha la tête. L’entraînement reprit. De Ranti lança ses souffles dans les cristaux, les faisant tournoyer jusqu’à celui requis avant de le ramener vers lui. Il agissait ainsi non seulement de manière très rapide, mais également de manière difficilement prévisible. Il ne cherchait pas à attraper un seul cristal mais plusieurs de la couleur requise afin de s’assurer sa prise, délaissant les inutiles qui arrivaient trop tard.
- La vache ! s’exclama Amel. Il est super rapide ! Il n’est pas cercle 8 !
- Je ne pense pas non, répondit Isabelle.
- Cercle 10 ? proposa Amel.
- Je dirai plutôt 11 ou 12, ricana Isabelle.
- Ça n’existe pas, rétorqua monsieur de Ranti.
- Nous allons les créer spécialement pour vous, annonça Isabelle et monsieur de Ranti sourit en retour.
- C’est pour ça que tu n’essayes pas de le battre ? proposa Amel. Tu as trop peur de perdre ?
- C’est pour ça que tu ne l’aides pas à s’améliorer ? demanda Billy. Tu n’as rien à lui apprendre ?
Monsieur de Ranti se tourna vers Isabelle, soudain très intéressé par sa réponse.
- Monsieur de Ranti n’est certainement pas à son maximum, indiqua Isabelle. En revanche, je pense qu’il est cercle 8 car je suppose que la rapidité de lancement d’un sort n’est pas la seule exigence pour monter au cercle supérieur, je me trompe ?
Monsieur de Ranti resta de marbre.
- Hubert aussi refuse de me transmettre le contenu exact des épreuves.
L’ancien guide de la lumière sourit.
- De ce fait, monsieur de Ranti pêche par autre chose. Je dirais qu’il se fatigue vite. Vous ne tenez pas sur la longueur.
Monsieur de Ranti grimaça. Isabelle sut qu’elle avait touché juste.
- Si vous parveniez à utiliser les cristaux fournis par Billy que James protège des autres mages, vous seriez invulnérable. On reprend, ordonna Isabelle. Prévenez-nous avant de lancer un sort afin qu’Amel, James et moi puissions vous en empêcher. Amel, James, vous prenez le côté face. Je m’occupe de son dos.
James allait ouvrir la bouche mais Isabelle le prit de vitesse.
- Oui, je sais, papa, tu ne sais pas ce que ça veut dire. Amel, prends devant. Je prends derrière. Papa, fais ce que tu peux.
- Isabelle, attention à ton attitude, gronda monsieur de Ranti. Tu frises l’insolence.
- Pardon, papa, répondit Isabelle sincèrement.
Elle ravala son impatience. Ses leçons auprès de madame Laloutre portaient leurs fruits mais il restait quelques moments difficiles. James remercia monsieur de Ranti du regard. Isabelle trouva cela bien, que ce groupe se soude et que ses membres se soutiennent les uns les autres, même si c’était contre elle.
- Oui ! s’exclama Isabelle quelques secondes plus tard. Celui-là, le deuxième, c’était le bon ! Bravo monsieur de Ranti !
- Quoi ? dit le concerné. Comment ça, le deuxième était le bon ? Le deuxième quoi ?
- Cristal ! Le bleu ! Vous avez pris celui de Billy !
Monsieur de Ranti resta figé. Ses rapides battements de paupières indiquaient son incrédulité.
- Je n’ai même pas lancé mon sort, maugréa-t-il.
- Mon exclamation vous a coupé mais de toute façon, on s’en fout du sort, rappela Isabelle. Quelle importance que le fauteuil bouge ou pas ? Le résultat n’a aucune importance. Que vous ayez pris son cristal à Billy l’est. Toutes mes félicitations ! On recommence.
Monsieur de Ranti lança un regard désespéré à James et Billy qui grimacèrent en retour. Le miracle ne se reproduisit pas. La séance prit fin sur les félicitations d’Isabelle qui ne cachait pas sa joie que le mage blanc ait réussi pour la première fois. Les trois membres du trio ne considéraient pas du tout ça comme une bonne nouvelle. Ils sentaient bien qu’il ne s’agissait que d’un immense hasard.
Terrasse nord de l’école de sorcellerie de Passravent – Jeudi 18 mars 2010
Charles-André trouva aisément Isabelle. La magie indiqua au mage blanc qu’elle était seule. Charles-Hubert n’était pas dans les parages. Quant au sorcier, la mage noire et le mage blanc n’avaient toujours pas trouvé chaussure à leurs pieds, les premiers essais avec monsieur Geraud s’étant soldés par des échecs.
Évidemment, Isabelle avait senti la recherche de Charles-André et savait donc qu’il arrivait. Il ne souhaitait de toute façon pas la prendre par surprise. Il s’approcha et s’arrêta à une distance suffisante pour discuter sans hurler mais plus loin qu’il ne l’aurait fait avec quelqu’un d’autre. Il ne voulait pas gêner son interlocutrice.
- Tu as remarquablement éludé la question ce matin, dit Charles-André.
Isabelle continua son admiration silencieuse du paysage.
- Du coup, pourquoi ne m’aides-tu pas à améliorer mes compétences ?
- Je le fais en tentant de vous apprendre à sélectionner les cristaux crées par Billy.
- Tu formes tous les trios à la cohésion mais tu aides aussi individuellement toute personne qui le demande, sauf moi. Pourquoi ? Tu n’en es pas capable ? Je suis trop puissant ?
Isabelle serra les dents. Il sentit son malaise. Non, clairement, le problème n’était pas là.
- Tu as réussi à empêcher Dan de lancer des sorts. Pourquoi échoues-tu avec moi ? demanda Charles-André qui décida de changer d’angle d’attaque.
Isabelle daigna enfin se tourner vers lui. Il sentit qu’il avait réussi à ouvrir un peu l’huître. Il espéra rapidement avoir accès à la perle qu’elle dissimulait.
- Un mage noir peut procéder de plusieurs manières pour empêcher un mage blanc de lancer un sort. La première méthode consiste à récupérer les cristaux nécessaires à lancer le sort. Pour cela, le mage noir doit déterminer la volonté de son adversaire. Parfois, la situation permet aisément de le deviner. Sinon, le mage noir observe les premiers jets pour comprendre le sort à venir.
Charles-André hocha la tête. Il ignorait tout cela. Ils travaillaient ensemble mais Isabelle n’avait pas vraiment pris le temps de lui expliquer les méthodes en détail.
- En ce qui concerne le guide Bern, continua Isabelle, la situation et le début du sort indiquaient sans nulle doute un collier de souffrance. Je connais cet assemblage par cœur.
Charles-André resta de marbre. Hors de question d’entrer dans le sentimentalisme et la nostalgie. Il tenait à ce qu’elle reste sobre et neutre pour poursuivre.
- Ce sort complexe nécessite l’usage de cristaux violets, très rares. Il m’a suffit de les récupérer et de les mettre de côté. Le guide Bern formait son sort mais au moment d’ajouter le cristal violet, n’en trouvait pas et le tout s’écroulait, explosant dans toutes les directions. Il devait recommencer, se fatigant inutilement.
Charles-André comprenait mieux le début de la rencontre entre Dan et Isabelle.
- Nous ne pouvons pas utiliser cette méthode pour vous empêcher de faire bouger le fauteuil parce qu’il s’agit d’un sort simple qui nécessite l’usage de cristaux très courants et nombreux. Nous ne pouvons pas tous les réquisitionner. Il y en a trop.
- C’est comme ça que Dan t’a eue. Il a changé de portage pour te frapper avec un sort de bas niveau.
- Exactement, confirma Isabelle.
- Sauf que les sorts suivants ne sont pas passés non plus, se souvint Charles-André.
- Parce que j’ai utilisé la deuxième manière qu’un mage noir a à sa disposition pour contrer un mage blanc. Il s’est adapté et moi aussi.
Charles-André ne put que reconnaître la puissance de son interlocutrice. En cela, il était en désaccord avec son fils. Si Charles-Hubert considérait Isabelle comme une mauvaise magicienne, ce n’était pas le cas de l’ancien guide cercle 8 qui savait que la magie n’était pas qu’une histoire de pure rapidité de lancement de sort mais aussi et avant tout de capacité à adopter le bon comportement en toutes circonstances. En cela, Isabelle brillait.
- Pour attraper un cristal, un mage blanc crée un tourbillon vers sa cible. La tornade rejoint l’objectif puis, par un effet boomerang que je m’explique mal mais que les mages blancs maîtrisent très bien, ramène le trésor au lanceur.
Charles-André ne comprenait absolument pas ce qu’Isabelle racontait. Déjà le terme cristal lui échappait mais alors là, cela dépassait l’entendement. Tornade, tourbillon, boomerang, mais de quoi parlait-elle ?
- De ce fait, si le mage noir est assez rapide, il lui suffit d’intercepter le tourbillon au retour. L’aller et le retour se font toujours en ligne droite selon le même chemin. Il suffit d’écarter les cristaux, formant une sorte de mur. La tornade se désintègre et le cristal s’arrête, hors de portée. Du point de vue du mage blanc, il n’y a pas vraiment de différence. Son sort ne se termine pas.
- Pourquoi ne faites-vous pas ça pour m’empêcher de déplacer le fauteuil ? Si c’est un sort simple, il doit nécessiter peu de cristaux. À trois, cela devrait être faisable.
Isabelle grimaça.
- Je suis trop rapide pour vous ? proposa Charles-André.
- Vous utilisez la magie de manière inhabituelle… enfin, je veux dire, différente de Gretta, Korlan et Hubert, qui sont mes seules références côté mage blanc, et différente d’Amel, James et moi du côté mage noir mais bon, nous ne sommes pas une référence non plus.
- Différente comment ?
- Pour déplacer le fauteuil, trois cristaux sont nécessaires : deux jaunes et un bleu, combinés correctement, à savoir les jaunes en bas soudés en premier et le bleu par dessus en dernier. La forme et l’ordre sont importants mais là n’est pas la question. Tous les mages que j’ai vu faire – moi compris – allons chercher deux jaunes et un bleu pour former l’assemblage. Selon la puissance du mage, il va les chercher au hasard ou au plus proche de lui. Selon la puissance du mage, il va s’épuiser en tirant trop loin ou rentabiliser. Dans tous les cas, le mage vise les trois cristaux, soit un par un s’il est mauvais, soit plusieurs à la fois s’il est bon, mais toujours deux jaunes et un bleu.
- J’ai suivi, indiqua Charles-André. Je fais comment, moi ?
- Vous allez chercher, je ne sais pas exactement, j’estime à une trentaine de cristaux en même temps mais il y en a tellement que c’est difficile de compter. Honnêtement, tout bouge autour de vous. C’est un véritable capharnaüm.
- Je suis un excellent mage. J’arrive à aller chercher des trentaines de cristaux en même temps ! s’enthousiasma Charles-André.
Il perdit son sourire en constatant la grimace d’Isabelle.
- Vous allez en chercher trente alors que trois suffisent, précisa-t-elle. C’est une sacré perte d’énergie ! Vous serez un excellent mage quand vous serez capable de choisir volontairement d’aller chercher trente cristaux ou seulement les trois nécessaires. Tant que vous subirez cette manière d’agir, non, vous ne serez pas un grand mage, parce que vous vous fatiguerez beaucoup plus vite qu’un mage rentable.
Charles-André plissa les yeux, peu certain de comprendre.
- En fait, vous êtes fait pour contrer les mages noirs, maugréa Isabelle. Il est impossible pour nous de rompre vos trente lignes. De ce fait, vous arrivez à obtenir les trois cristaux nécessaires. Vous vous contentez d’ignorer le surplus qui retourne se répandre dans l’environnement.
- Pourtant, vous parvenez à réduire mon champ de tir, remarqua Charles-André. Certes, vous avez besoin d’être trois pour ça mais vous y parvenez.
- Nous pourrions même, à trois, vous empêcher de lancer des sorts, précisa Isabelle. Nous faisons exprès de ne pas le faire en espérant que vous irez chercher les cristaux de Billy. Sauf qu’il y a des cristaux proches de lui et que nous manquons de précision.
- Comment m’en empêchez-vous ? insista Charles-André qui voulait comprendre, même si la plupart des explications lui échappaient.
Il essayait de mentaliser les dires d’Isabelle et y parvenait à peu près. La difficulté était de lier ça à ses perceptions magiques et ça, ce n’était pas gagné.
- Nous créons des vides partout autour de vous. La déchirure que vous ressentez lorsque nous utilisons la magie n’est pas une cassure car nous ne détruisons rien mais un écartement. C’est comme si vous étiez à l’intérieur d’une immense piscine à balle et que vous vouliez ouvrir un tunnel. Vous mettez vos mains et vous poussez de toutes vos forces. C’est difficile mais pas infaisable. Eh bien nous faisons cela autour de vous, dans toutes les directions, créant une sorte de bulle de vide autour de vous. De ce fait, vous n’avez plus accès aux cristaux en dehors de la bulle.
- Créer la bulle doit vous prendre une énergie considérable, comprit Charles-André.
Isabelle acquiesça d’un geste.
- Si vous pouviez apprendre à réduire le tir, vous monteriez en puissance d’un coup. Je comprends que vous soyez un excellent rafleur. Cette façon d’utiliser la magie prend totalement les mages noirs par défaut. Vous êtes presque impossible à contrer. Le problème est que contre un mage blanc, vous ne valez pas grand-chose.
- Je perds toujours, confirma Charles-André.
Isabelle haussa les épaules.
- Peux-tu m’aider ? demanda Charles-André.
Isabelle grimaça. Il comprit que cela signifiait oui mais que quelque chose la bloquait.
- Quel est le souci ?
Isabelle se tortilla. Son malaise était plus que visible.
- Il y a bien une façon pour que je puisse véritablement vous venir en aide, finit par admettre Isabelle. Cela me permettrait de vous museler plus facilement, de vous empêcher de déborder de tous les côtés en me coûtant bien moins d’énergie, permettant aux entraînements de durer plus longtemps, parce que là, dix minutes, franchement, c’est ridicule.
Charles-André ne serait pas contre de vraies leçons.
- La méthode nécessite ? commença Charles-André.
- Que je vienne dans vos bras, gronda Isabelle. Plus la cible est éloignée et plus il est difficile à un mage noir de maintenir la bulle. J’en ai sans arrêt une autour de moi, pour protéger ma ceinture, par exemple. De ce fait, je sais très bien faire. L’agrandir ne me sera pas difficile. De plus, la première fois qu’Hubert a utilisé ses pouvoirs devant moi, j’ai dû me placer contre son torse pour comprendre ce que je voyais, voir les tourbillons. Vous en faites tellement qu’on n’y comprend rien. En me rapprochant, je pourrai enfin les compter et, je l’espère, vous les faire ressentir.
Charles-André sourit. Il n’était pas contre un peu de proximité avec Isabelle. Il comprenait carrément que cela lui pose problème. Il sortit un bout de papier et inscrivit cinq noms et adresses.
- Tu veux ces informations ? demanda-t-il en montrant la feuille pliée. Viens la chercher.
Ce disant, il plaqua la feuille contre son torse et sourit. Isabelle lui lança un regard assassin.
- Je ne te ferai rien, Isabelle, précisa-t-il. Sincèrement, mon envie de m’améliorer en magie est bien plus grande que celle, bien présente, de te violer. Je te promets d’être sage.
Isabelle leva les yeux au ciel.
- Sans insolence, mademoiselle ! gronda Charles-André.
- Vous venez d’annoncer avoir envie de me violer, cingla Isabelle.
- Tu es belle et non consentante. Quel autre choix ai-je ? Vu ta plastique, nombreux sont les hommes qui en ont envie et qui, comme moi, se retiennent. Je sais me tenir, figure-toi. Si je ne maîtrise pas mes tourbillons, je contrôle mes mains et ma bite. Allez, viens par là, tu ne risques rien.
Isabelle lui lança un regard narquois avant de venir. Elle attrapa le bout de papier qu’elle fourra dans une poche puis se retourna et vint se plaquer elle-même contre le torse de l’ancien guide qui ne bougea pas. L’entraînement pouvait réellement commencer.
- Lancez un sort, n’importe lequel, peu importe, demanda Isabelle.
Il inspira tout en créant une jolie illusion de papillon énorme multicolore. Ce faisant, il s’enivra de l’odeur des cheveux d’Isabelle, collée contre lui. Un vrai bonheur ! Il aurait voulu davantage mais se retint. Isabelle s’avança brusquement, lui lança un regard noir et siffla :
- Ne sentez pas mes cheveux !
- Je n’ai pas le droit de respirer ? répliqua-t-il.
Ses yeux lancèrent du feu. Elle revint se mettre en place en fulminant. Il avait sa longue chevelure brune sous le nez. Difficile de ne pas la sentir tout en respirant. Il relança son illusion. L’immense papillon dansait devant eux.
- Alors ? finit-il par demander.
- Trente-quatre, dit-elle.
- Tu n’as regardé que devant.
- J’en ai vu dix-sept. J’ai supposé que vous faisiez de même derrière et de toute façon, pour le moment, nous n’en sommes pas à un près.
- Certes, admit-il volontiers.
- Relancez votre sort, proposa Isabelle.
Charles-André blêmit. Il se sentit affreusement mal. C’était comme si il venait de perdre un bras. Ce n’était pas à proprement parlé douloureux, juste une impression terrible de manque, de vide, d’un immense trou, du néant. Il se sentit oppressé.
- C’est atroce ! s’exclama-t-il. Qu’est-ce que tu fais ?
- J’ai crée une bulle totale autour de moi, du coup autour de vous aussi. Cela vous coupe l’accès à la magie qui nous entoure.
- C’est particulièrement désagréable.
- C’est comme un collier de souffrance sauf qu’au moins, je ne vous fais pas mal quand vous tentez de ressentir la magie.
- Tu veux dire que sous collier, tu ressens ça mais qu’en plus, quand tu tentes de rechercher la magie, ça te fait mal ?
Isabelle se décolla du torse de Charles-André pour faire un pas en avant et se retourner, restant tout de même très proche de lui.
- On ne devrait jamais faire subir quelque chose à quelqu’un qu’on n’ait pas ressenti soi-même, accusa-t-elle.
Charles-André se sentit mieux. Isabelle avait emmené sa bulle avec elle, à moins qu’elle n’ait simplement arrêté de lancer son sort.
- C’est vraiment désagréable, insista-t-il.
- Subissez ça pendant vingt-cinq ans, comme Yassima, et on en reparlera, grogna Isabelle.
Charles-André frissonna. Il ne voulait vivre ça pour rien au monde. Il constata qu’Isabelle ne bougeait plus. Les yeux dans le vague, elle semblait penser intensément.
- Isabelle ? On reprend ?
Pour toute réponse, elle sortit son téléphone portable. Charles-Hubert apparut peu après accompagné d’Amel.
- Tu as besoin de moi ? demanda la jeune femme.
- Oui, répondit Isabelle. Tu es la seule à comprendre quand je parle.
Amel sourit.
- J’ai besoin que tu protèges ce cristal, puis celui-là et enfin celui-là. Ils ne doivent pas bouger, d’accord ?
- Si tu veux, dit Amel, circonspecte.
- C’est bon ?
- Oui, oui, répondit Amel sans conviction.
- Monsieur de Ranti, mettez-moi un collier de souffrance, s’il vous plaît, demanda Isabelle.
- Quoi ? s’exclama-t-il. Tu déconnes là ?
- Non, répondit Isabelle. Amel, il ne doit pas toucher à ces trois là pour monter son sort !
- C’est bon ! chouina Amel. Je sais faire !
Charles-André haussa les épaules. Il ne comprenait pas mais fit comme demandé. Isabelle agissait vraiment de manière bizarre.
- Maintenant, lâche la protection Amel et aucun de vous ne lance plus de sort, ordonna Isabelle.
De longues minutes s’écoulèrent pendant lesquelles il ne se passa strictement rien.
- Isabelle ? osa timidement Charles-Hubert.
- Chut, répondit-elle.
Elle fixait intensément l’air, là où elle avait indiqué se trouver un cristal qu’Amel avait été priée de protéger. Charles-André ne comprenait toujours pas. Soudain, Charles-André ressentit une déchirure dans la magie. Isabelle sourit et son regard changea rapidement, fixant le deuxième puis le troisième cristal et un pot de fleur se déplaça.
- Tu viens de faire ça ? s’étrangla Charles-André. C’est impossible. Mon collier de souffrance est toujours en place.
Isabelle pencha la tête vers lui et sourit énigmatiquement et soudain, le collier tomba. Charles-André en fut profondément choqué.
- Tu viens de te libérer toi-même, s’exclama Amel. Comment peux-tu faire ça ?
- Le collier n’empêche pas son porteur de manipuler la magie, expliqua Isabelle.
- Bien sûr que si ! C’est sa fonction ! gronda Charles-André.
Isabelle réfléchit un instant puis commença :
- Imaginez que nous sommes des dauphins nageant dans l’océan. Pour nous repérer, nous n’utilisons pas nos yeux mais un radar. Il nous permet de localiser nos proies.
Tout le monde hocha la tête, signe qu’ils suivaient jusque-là. Isabelle poursuivit :
- Une fois que nous savons où elles sont, nous les récupérons. Pour cela, les mages blancs créent des tourbillons et les mages noirs ouvrent un tunnel avant d’aspirer. Le collier n’empêche pas cette seconde action, seulement la première. Privé de son senseur magique, le mage ne peut plus lancer de sorts parce qu’il ne sait pas où se trouvent les éléments nécessaires à ses assemblages. J’ai pu lancer un sort parce que je savais où se trouvaient les éléments. De ce fait, un mage portant des réserves et les connaissant par cœur peut, en théorie, lancer quelques sorts, à condition que son adversaire ne l’en prive pas.
- Je n’arrive pas à le croire, admit Charles-André.
- Elle vient de nous prouver que c’est possible, répliqua Charles-Hubert.
- D’accord, mais comment as-tu retiré ton collier de souffrance ? interrogea Amel.
- Là, il ne s’agit pas de monter un sort mais de détruire celui d’un autre. Un collier de souffrance est un ensorcellement sans support. Je crois d’ailleurs que ça coûterait beaucoup moins cher en énergie de passer un vrai collier en acier autour du cou de quelqu’un et de l’ensorceler.
- En acier ? répéta Charles-André.
- C’est de la sorcellerie, indiqua Isabelle. Allez suivre le cours correspondant et vous comprendrez. Nous sommes dans une école de sorciers, après tout. Et si vous trouver au milieu d’adolescents boutonneux vous rebute, la bibliothèque est pleine d’ouvrages très intéressants. Je le sais : je les ai tous lus.
Charles-André sourit. Il accepta le renvoi en touche. Après tout, Isabelle ne pouvait pas tout enseigner non plus. Elle avait raison. S’il voulait apprendre, il fallait aussi qu’il fasse des efforts de son côté.
- Le collier de souffrance est un assemblage précis et très difficile à réaliser de cristaux se plaquant sur la nuque de la cible. Lorsqu’il repère la légère vibration du senseur, il s’active et fait souffrir son porteur.
- Il a des cristaux en réserve pour faire ça ? demanda Amel.
- Chaque collier contient un sort d’une puissance différente en fonction du lanceur et un nombre d’utilisation fixé là aussi par la puissance du lanceur.
- Tu veux dire que si j’essaye, encore et encore, de contacter la magie, le sort finira par cesser d’opérer ? demanda Amel.
- Fais ça avec celui de monsieur de Ranti et tu mourras d’un arrêt cardiaque dû à la douleur avant d’arriver au terme des réserves.
Amel grimaça tandis que Charles-André souriait, ravi.
- Mais je peux utiliser mes pouvoirs pour détruire l’assemblage, comprit Amel. Il suffit que j’aspire n’importe quel morceau de ce qui se trouve sur ma nuque. Monsieur de Ranti ! Mettez-moi sous collier de souffrance !
L’ancien guide de la lumière obtempéra volontiers. L’instant d’après, Amel s’écroulait en hurlant, le faisant sourire.
- Retirez-le, s’il vous plaît ! Oh mais c’est atroce ! J’ai déjà ressenti une fois celui d’Hubert mais le vôtre est immensément plus douloureux !
Charles-André ricana tout en délivrant la mage noire.
- Va demander à Korlan, conseilla Isabelle. Il n’est que cercle 5. Le sien sera plus doux.
- J’y vais immédiatement. Tu as encore besoin de moi ?
- Non. Tu peux y aller. Merci, Amel.
- Hubert ? Tu me raccompagnes ? demanda l’adolescente.
Hubert tendit le bras. Amel le toucha et ils disparurent.
- On reprend ? proposa Charles-André et Isabelle hocha la tête.
Ils s’entraînèrent, Isabelle n’ouvrant qu’une minuscule brèche dans la bulle pour obliger Charles-André à ne lancer qu’un seul tourbillon. En échange, il la mettait de temps en temps sous collier de souffrance et elle devait s’en débarrasser. Parfois, elle ratait et se retrouvait tétanisée de douleur. Ce petit jeu n’était pas pour déplaire à l’ancien guide de la lumière. Humer les cheveux d’Isabelle, la sentir contre son torse et l’entendre hurler de douleur lui convenait parfaitement.