Tout le long de l’après-midi, mon père Ryan m’avait proposé de l’aider en cuisine pour préparer le repas.
Rapidement, il avait remarqué mon air assez morose et n’avait pas insisté au-delà de quelques questions pour en savoir davantage.
Normalement, j’aurais dû être heureuse et sourire comme n’importe qui à Noël. Je n’avais même pas une famille approchant de près ou de loin de la définition de chiante pour me sentir complètement oppressée par celle-ci.
Ayant vu Blaine et sa sœur discuter à propos de leur famille, j’avais pu constater à quel point j’avais de la chance. Mes parents m’avaient soutenu dans tous mes choix et j’étais à la limite d’être considérée comme une enfant pourrie gâtée. Mais mes parents m’avaient quand même appris certaines valeurs durant ma jeunesse.
Je me rappellerai toujours que j’avais annoncé très naturellement ma bisexualité à mes parents. Ça restait tout de même un coming out, mais il était totalement éloigné de la vision qu’on avait habituellement.
C’était autour d’une blague. J’avais rajouté un « mais je suis sérieuse en fait ». Et ils n’avaient rien ajouté de plus. Puis on avait mangé des glaces en regardant la télé.
Le plus dur fut le regard des autres. Parce que les autres ne comprenaient pas. Ils pensaient que mes pères m’avaient « convertie » alors que j’avais toujours été comme ça. Ils m’avaient juste donné la possibilité de m’exprimer et j’étais reconnaissante d’avoir cette chance. J’aurais été terriblement malheureuse d’être avec des parents homophobes qui m’auraient contrainte à rester dans le silence.
Et ce n’était qu’un exemple parmi tant d’autres. Ma famille était bien plus que ma famille. Je ne pouvais pas vivre sans eux, ni même évoluer sans eux.
Malheureusement, dernièrement, mon rapprochement avec Kayla et Blaine me tiraillait profondément. Même si je ne les connaissais pas tant que ça, j’aimais déjà ce que je voyais en eux et je n’étais pas près de les abandonner.
En repensant à eux, ça me rendit d’autant plus morose. Alors je m’emparerai de mon téléphone pour envoyer un message à Blaine. Mais je vis que je venais de recevoir une invitation de Kate pour le Nouvel An. Enfin, c’était plutôt une supplication pour que je vienne.
Dit comme ça, je n’avais pas trop envie de me mêler à ce genre d’évènements. La dernière fois avait été suffisante.
Enfin, la dernière fois, j’y avais vu Blaine depuis bien longtemps et nous nous étions donné notre premier baiser. Nous avions prétendu à un jeu et la tension entre nous était encore bien trop néfaste.
En effet, ç’aurait pu être une pire soirée, mais c’était très différent de ce que j’avais l’habitude en France.
Alors, j’envoyai un message à Blaine pour lui demander des nouvelles de son repas familial tout en me plaignant du mien. J’aurais tellement préféré rester dans ma chambre à regarder une série, ça m’aurait évité de réfléchir et ça m’aurait permis de vraiment me reposer. Malheureusement, je sentais déjà que j’allais terriblement manquer d’énergie avant la fin de la soirée.
Il me répondit alors qu’il se trouvait dans une situation similaire. Lui non plus n’avait pas vraiment envie de passer du temps avec sa famille et de son côté, c’était bien plus compréhensible.
Il ne répondit pas immédiatement, alors mon attention se porta de nouveau sur mon père, pleinement concentré dans sa cuisine jusqu’à ce qu’il m’adressa un tendre regard.
— À qui tu parles pour que ça te fasse autant sourire ?
— Quoi ?
— Charlie, tu n’aurais pas un amoureux ou une amoureuse ?
Immédiatement, je me sentis devenir rouge et avoir les larmes aux yeux.
— Tu n’es pas obligée de me le dire maintenant, me coupa-t-il pour me rassurer. Je suis sûr que c’est quelqu’un de bien. Tant que cette personne te fait du bien, ça me suffit.
Je lui rendais son sourire. Comme toujours, mon père était adorable. Mais si jamais il apprenait qu’il s’agissait de Blaine, il changerait probablement d’avis. Je le voyais déjà me dire que tout le monde était parfait, sauf lui. Heureusement, je pouvais mentir à moitié.
— En effet, je suis avec quelqu’un, avouai-je d’une faible voix. C’est vraiment quelqu’un de bien.
— Tu me présenteras cette personne quand tu seras prête ? me demanda-t-il, l’air curieux.
— Bien sûr.
Cette fois-ci, c’était totalement un mensonge. Dans aucune dimension, mon père ne pourrait accepter que je sorte avec Blaine.
Je ne pouvais même pas me projeter dans cette relation alors que normalement, n’importe qui l’aurait fait. C’était assez perturbant pour moi, parce que c’était la première fois que je devais mentir à ma famille et vivre dans le secret. Ça ne m’aidait clairement pas à voir ce que je souhaitais dans cette relation.
Mon deuxième père Frank entra dans la cuisine pour voir comment on avançait. Il s’extasia sur l’odeur, déjà emballé à l’idée de manger le repas.
Il ne resta pas bien longtemps en cuisine puisqu’on venait de sonner. Il nous abandonna alors dans la foulée pour aller ouvrir et je le suivis, assez curieuse.
Mon cousin Curtis venait d’arriver accompagné de sa copine. Mon père était complètement ravi de les voir.
Ça faisait des années que je n’avais pas revu mon cousin et il n’avait vraiment pas changé depuis. Il avait toujours la même courte taillée à la perfection et une légère barbe de quelques jours.
Quant à sa copine, c’était la première fois que je la voyais. Elle était bien plus grande que mon cousin, un peu aidée par ses talons aiguilles, mais pas que. Elle avait un look assez sombre, tous ses vêtements étaient noirs et elle avait de longs cheveux rouges.
Mon cousin s’approcha de moi, alors émerveillé de me revoir.
— Charlie ! Ça fait si longtemps ! Et tu es vraiment magnifique ! T’es vraiment loin de la petite gamine que t’étais avant.
Il me prit dans ses bras et en étant si proche de lui physiquement, je me rappelais soudainement qu’il faisait pratiquement ma taille.
Il me dévisagea un instant, assez ébloui par ma tenue et ma coiffure.
Cette fois-ci, j’avais osé boucler mes cheveux, ce qui les rendait terriblement courts et me donnait l’impression d’avoir un carré. Néanmoins, ça mettait en valeur mes reflets cuivrés sur les pointes. Quant à mes vêtements, ce n’était qu’une robe bustier d’un vert émeraude profonde. J’y avais ajouté une simple paire d’escarpins noirs et un choker épais noir.
En jetant un bref regard dans le miroir du hall, j’étais assez perturbée par ma tenue. Je ne m’y reconnaissais qu’à moitié. Certes, j’étais magnifique. Mais ce n’était que des apparences.
Puis sa copine, Jade, vint me saluer. Elle avait un adorable sourire et j’étais persuadée qu’elle s’était retenue dans son look pour ne pas trop effrayer ma famille. Bientôt, elle découvrirait que ce serait le cadet de leurs soucis... sauf si elle sortait avec l’ennemi.
*
Au cours de la soirée, Jade était partie fumer sur le perron à l’avant de la maison et je l’avais suivi. Ce n’était pas pour particulièrement discuter avec elle, mais parce que j’avais besoin d’un temps de pause et de m’éloigner de tout ça.
Pendant un instant, mon regard se posa sur la maison d’en face, celle des Van Rossem. Quelques pièces étaient éclairées et je me doutais que Blaine était dans l’une d’entre elles, subissant lui aussi une réunion familiale qu’il aurait préféré éviter.
— T’as l’air assez fatiguée, me fit remarquer Jade.
— C’est le cas de le dire...
Elle tira une taffe sur sa cigarette sans rien ajouter de plus. Elle aurait pu remplir ce blanc, mais elle non plus n’en avait pas envie. Et parfois, le silence était une bien meilleure discussion.
Je sortis alors mon téléphone et vis que Blaine m’avait envoyé un message. Visiblement, son repas ne semblait pas s’améliorer. Je compatis à sa douleur et ajoutai que j’avais vraiment besoin d’un câlin en ce moment.
Il m’envoya rapidement une image mignonne puis rajouta qu’il aurait préféré être à mes côtés pour vraiment me prendre dans ses bras.
J’aurais tellement voulu aussi. Même si ce n’était pas arrivé tant de fois que ça, j’appréciais déjà trop d’être collée à lui.
— Ton copain n’a pas pu venir ? me demanda Jade.
Mon regard se tourna vers elle et un grand sourire se dessina sur son visage.
— J’ai vu la petite image mignonne sur son téléphone, ajouta-t-elle, l’air malin. Je regardais pas, mais ce genre d’images, ça attire bien le regard.
— Il n’aurait pas pu venir...
— Tu as peur qu’il ne soit pas accepté ?
— Malheureusement.
— De ce que j’ai entendu de ta famille, j’ai pas l’impression que tu as vraiment besoin de t’inquiéter. C’est bien la première fois qu’on ne me critique pas physiquement quelque part... Ça me rend presque triste de me dire que je suis mieux acceptée ici que par mes propres parents.
Il y eut une brève expression de tristesse sur son visage et je ne pus m’empêcher de comprendre sa douleur et, presque, de la vivre en même temps.
— Je crois que c’est peut-être la seule fois où ma famille ne serait pas tolérante...
Je ne pouvais m’empêcher de fixer la maison d’en face. Malheureusement, j’avais déjà eu un aperçu avec mon cousin qui m’en voulait pour avoir osé échanger avec Kayla.
Kate venait alors de me relancer pour sa soirée du Nouvel An en espérant m’appâter avec de vulgaires propositions que ce soit avec la nourriture, l’alcool ou quelques personnes présentes. Malheureusement, pour elle, elle n’avait pas cité la seule personne qui aurait pu m’intéresser : Blaine.
Alors, j’envoyai un message à Blaine en lui demandant si on verrait après Noël. Peut-être que ça le ferait relativiser quant à sa situation et j’avais terriblement besoin de quelque chose pour tenir. Parce que, malheureusement, même si j’aimais terriblement ma famille, ils avaient du mal à me comprendre dernièrement.
Il me demanda alors si je comptais me rendre au Nouvel An de Kate. Nous étions probablement sur la même longueur d’onde. Nous n’avions aucunement envie d’y aller sans l’autre. Alors, je me contentai d’un « Pourquoi pas » assez évasif.
— Tu penses garder ça secret combien de temps ? me demanda-t-elle, l’air grave.
— Je sais pas. Et c’est bien de ça que j’ai peur. Le peu que je vois ne passe même pas... J’ai réussi à m'engueuler avec Clint alors qu’on était inséparable.
— Peut-être qu’il lui faut du temps pour digérer ?
— J’espère que c’est ça, soupirai-je.
Elle me connaissait à peine, mais elle était déjà prête à m’aider et me soutenir. Les gens étaient souvent bien plus bienveillants que je ne le croyais, mais tout s’assombrissait lorsque la famille Van Rossem entrait en jeu.
J’aimerais tellement jeter tous ces conflits et que tout le monde fasse la paix avec tout le monde... J’aimerais tant que cette mascarade s’arrête. Malheureusement, elle était installée depuis bien trop longtemps pour être délogée aussi facilement...
*
À quelques moments du repas, Clint m’avait jeté de sales regards, mais cette fois-ci, il avait évité de faire trop de vagues. Au moins, ça m’enlevait un peu un poids : je n’aurais pas à me battre avec mon cousin ce soir.
Cette situation me peinait atrocement. Parce qu’il avait toujours été mon meilleur ami. Nous avions toujours été inséparables. Mais finalement, je me rendais compte qu’on était bien trop différents, à mon plus grand malheur.
J’aimerais tellement qu’il aille au-delà de ces sentiments envahissants. La haine était probablement le pire. Il consommait tout et nous rendait incapables de juger sainement tout ce qui nous entourait.
Sa mère était morte et je ne pouvais pas non plus l’empêcher de faire son deuil. Peut-être qu’il finirait par se rendre compte que sa colère était vaine et que sa mère souffrait bien plus qu’il ne le croyait.
J’aurais tellement voulu dire que je comprenais ce que sa mère avait vécu avant de définitivement sombrer, mais je n’avais pas envie de tout lui dire. J’avais peur de briser cette image de petite fille parfaite que tout le monde avait de moi.
Parfois, je fus assez étonnée de voir que mon oncle se portait excellemment bien, comme s’il n’avait aucun deuil à gérer. Mais peut-être que, encore une fois, tout n’était que question d’apparence. Malheureusement, j’en connaissais un rayon. J’avais l’impression de devenir la reine de ce genre de mascarade. Je savais d’ores et déjà, qu’un jour, je finirais par exploser. Parce que je ne sais rien garder en moi.
À la fin du repas, une partie de la famille resta dans le salon pour de longues discussions qui termineraient à des heures improbables. N’ayant plus l’énergie pour tenir, je montai dans ma chambre et au bout de quelques minutes, je reçus un message de Blaine.
Il me demandait si nous pouvions nous voir rapidement. Visiblement, quelque chose avait probablement dû très mal se passer de son côté. J’espérais vraiment m’inquiéter pour rien, mais j’en doutais fortement.
Malheureusement, avec les festivités, je n’étais pas sûre de trouver du temps. Je lui dis que je le préviendrais si je trouvais un peu de temps. Et j’essaierais d’en trouver.
Je m’allongeai dans mon lit, complètement lessivée. Même si ma tenue n’était pas la plus confortable pour m’endormir, je savais que je le ferais quand même. Parce que ça avait été bien trop lourd pour moi cette soirée... et qu’en plus, désormais, j’angoissais pour Blaine. Je savais que ça pouvait rapidement partir en vrilles de son côté... Malheureusement, j’en savais un peu trop sur sa famille.