Désormais dévêtu, Will laissait le champ libre à Suzanne d’explorer les moindres recoins de son corps. Là où un fusible aurait éventuellement pu éclater, là où le métal pouvait se tordre, frotter, chauffer, là où une valve pouvait se coincer – tout ce qui était à corriger. Et comme elle s’y attendait, son vieux corps n’avait pas été épargné par cette longue balade à l’extérieur.
« Ah là là, mon petit Willy, tu es tout cabossé encore… Je vais avoir du mal à réparer tout ça, hein !
— Tant que je peux me complaire d’un silence absolu dans mon sommeil, tu peux prendre le temps que tu veux.
— Mais, intervint Noah, tu ne lui as pas fabriqué un nouveau corps ? » Il était rentré à l’aube, sans compagnie aucune. Il semblait que Neila avait gardé la camisole, ce qui n’était pas des plus idiots, au vu de la météo qui s’annonçait.
« Ch’est che que che defais faire oui ! répondit cette dernière, décoinçant un morceau de gâteau d’entre ses canines. Mais comme Neila ne rentrait pas, j’ai préféré arranger du mieux que je le pouvais son ancien corps. En y plaçant le plus de nouveau matériel que possible. Malheureusement, sa batterie reste en un sale état, et je ne peux pas la remplacer. Cette antiquité est introuvable, hein. Il me faut un nouveau processeur pour lui, pour une batterie next-gen !
— Je vois », marmonna Noah en avalant sa part de gâteau. Will l’observa un moment, mâchonner plus qu’il savourait sa pâtisserie, lui qui ne devait pourtant pas en manger tous les jours. Depuis son retour, il se débrouillait pour éviter son regard. Ou même, tous les regards. À Emil, il ne disait rien, se contentant de ranger le labo et le bureau. À Suzanne, il posait de simples questions, feignant un sourire.
« Où est Neila, d’ailleurs ? demanda Will, s’étant retenu de poser la question.
— J’en sais rien, grogna Noah, de dos, fustigeant Emil du regard.
— Comment ça ? Vous étiez ensemble.
— Oui, eh bien on ne l’est plus. Elle a ses affaires à régler, j’ai les miennes. Je croyais que tu ne te préoccupais pas d’elle ?
— C’est vrai ça ! s’exclama Suzanne en retirant d’entre ses dents son cruciforme. À force, je vais finir par être jalouse, heeeiiinn…
— Occupe-toi de mes boulons toi. (Il revint sur Noah.) Elle n’avait aucune raison de ne pas revenir ici. »
Noah stocka avec force – plus qu’il en faudrait – un amas de tôle dans la réserve, puis accéléra la cadence, comme s’il souhaitait vider l’entièreté du laboratoire. Il gardait le silence, plongeant son esprit dans son affaire.
« Son sac est toujours ici. », insista le robot.
Suzanne sursauta, se cognant le crâne contre le menton de Will. « Aïe ! Son sac ? Mais il faut le lui amener !
— Si c’est si important, subodora Noah, elle n’aura qu’à revenir le chercher.
— Et si elle se perd hein ? insista Suzanne, en fouillant parmi ses propres affaires. Je te rappelle que le labo bouge toutes les nuits. Alors, son sac, son sac… Je suis sûr qu’il était ici la dernière fois… »
Will laissa l’ingénieure s’égarer dans son amas de babioles pour venir refermer les ouvertures de son torse. À force d’observer Suzanne, il avait fini par attraper un bon coup de tournevis. Son corps était abîmé, mais bien moins rachitique et démantelé qu’à son arrivée. C’était déjà ça, et il comptait bien s’en contenter pour quelques heures. Ou quelques jours.
« J’irai. Suzanne, passe-moi ton détecteur.
— HORS DE QUESTION ! hurla Suzanne en le menaçant avec son tournevis. Tu ne bougeras pas d’ici tant que tu ne seras pas absolument parfait ! J’ai encore tout ton système interne à fabriquer, ta carcasse à changer, ta batterie à remplacer… Et je ne parle même pas des finitions hein ! Le nettoyage, le polissage, les…
— Je l’ai trouvé, c’est bon », la coupa Will, rangeant le détecteur dans la poche de son pantalon nouvellement enfilé. Suzanne tenta de le tirer en arrière, avec la force d’un moucheron, tandis qu’il attrapait la chemise bleue. Il l’enfila d’un même mouvement, attachant avec une étonnante habitude ses boutons. Puis, posant le chapeau de Neila sur sa tête : « Trop petit ce truc. Petit crâne, petit cerveau. Je te le donne, Suzanne. Oh, il te va comme un gant.
— Lâche-moi ! chouina Suzanne en se débarrassait du couvre-tête et tirant sans effet sur le bras du sinistré. Reste là, j’ai beaucoup d’amour à donner, je te jure ! Tu vas te faire dépiauter dehors…
— Qui sait, mon prochain laboratoire sera peut-être plus silencieux qu’ici. Bien que le bruit semble s’être fait la malle ces dernières heures. »
Will adressa à Noah, curieusement alerte, un regard significatif. Autant qu’il aurait pu l’être, composé de simples lentilles bleues. Le jeune homme avait tenté d’intervenir durant l’échange avec Suzanne, mais ne s’était finalement pas manifesté. Cette fois, il adressait une œillade à Emil, qui s’était lui aussi tourné vers la scène.
« Tant de visages pour me faire des adieux, ça me fait chaud au cœur. Bon, Noah. Où l’as-tu laissée ? Ça m’économiserait du temps si je pouvais chercher directement là où vous vous êtes séparés. »
De nouveau, les yeux de Noah interrogèrent Emil. Qui n’intervenait pas. Suzanne ne disait plus rien, les sourcils froncés, ayant (enfin !) repéré l’anomalie. Will, lui, n’en était plus à ce stade : il avait compris. Ou, craignait de comprendre.
« Si vous pouviez me répondre, avant que je rouille sur-place une deuxième fois.
— J’irai, se réveilla Noah. Suzanne a raison, tu n’es pas en état, et…
— C’est un très long nom de lieu ça, dis-moi. Tu n’as pas plus court ?
— Tss… Donne-moi ton détecteur. »
Noah tendit la main, attendant qu’il le lui confiât. Mais Will n’en fit rien, désormais convaincu. Il s’était passé quelque chose, et on le lui cachait. Sa main broya la sienne, Noah lâcha un cri de douleur, et Suzanne les sépara immédiatement.
« Will !
— Putain ! gémissait Noah, se massant les doigts.
— Il s’en remettra. Emil ? »
L’intéressé ne bougeait pas. Tout ce qu’il faisait, c’était tapoter du doigt son bureau, sans intervenir. Will interpréta ce silence et tourna les talons, s’approchant vivement de la sortie.
« Will ! »
La voix de Suzanne figea le sinistré. Ou bien autre chose : sa vision devenait trouble. Ses jambes cédaient sous son poids, et il dut s’accrocher au mur pour ne pas rencontrer le sol. Un « clic » se fit entendre, et il reprit constance.
« Si tu fais un pas de plus, je te désactive », le menaça l’ingénieure, une grosse télécommande dans la main. Elle tourna l’énorme bouton, et l’effet de vertige le démangea à nouveau. « C’est méchant, ce que tu as fait à Noah. Excuse-toi maintenant et reviens à ta place. »
Le grognement qu’émirent les enceintes de Will fit trembler jusqu’aux petits robots nettoyeurs. Ceux-ci se réfugièrent sous le bureau de leur créateur, rejoints par les quelques chaises et tabourets, créant un magnifique bouchon. Emil se leva, pour s’écarter du bazar et pour rejoindre Suzanne.
« Désactive-le, Suzanne. Il perd les boulons, tu ferais mieux de le réparer endormi.
— Mais ! couina l’ingénieure.
— Gamine, rugit Will. Tu vois bien qu’il y a un problème. Lâche cette télécommande.
— Suzanne, la sermonna le Doc. Obéis.
— Mais… »
Ses yeux jonglèrent du petit docteur au géant robot, sans savoir qui obéir. Elle leva son appareil en l’air, afin d’éviter que le premier ne le chopât, et se colla contre le mur pour s’éloigner du deuxième. Qui avait mis un pas devant l’autre, laissant une trace sur le sol.
Un robot était dangereux. Les ingénieurs l’oubliaient souvent, mais il ne fallait pas jouer avec leurs inventions. Encore moins les sinistrés, complètement fous. Will ne s’estimait être qu’un robot cassé, mais n’ignorait pas sa force. Il aurait pu briser la main de Noah, s’il en avait eu l’intention. Ne voulant blesser personne, il usa de toute son aura pour effrayer la jeune fille et récupérer son appareil. Il fut interrompu dans ses plans par un Noah remis de sa douleur :
« Je l’ai envoyée me chercher du klein ! »
Les lunettes télescopiques du Doc fusèrent jusqu’au visage du jeunot, qui sursauta. Suzanne mit plusieurs instants avant de lâcher un « Quooiii ?! », fonçant sur lui dans l’objectif de lui tirer les cheveux. Will, lui, s’affaissa contre le mur. Les ondes qui martelaient ses méninges l’empêchaient de se maintenir droit. À moins qu’en rampant…
« C’est une blague ?! le fustigea Suzanne, qui secouait la tête de Noah en tenant ses cheveux. T’as replongé, avoue-le, hein !!
— M, m, mais noon ! gémis le jeune homme en tentant de fuir. J’te jure !
— Ah ouais ?! Ose le répéter pour voir !
— Je te le promets ! C’est pour Will, le klein ! Si c’est un sinistré, ça peut l’aider à rester lui-même ! »
Suzanne le lâcha, les dents toujours sorties, puis lâcha un grognement insatisfait. « Pourquoi avoir envoyé Neila pour ça ?
— Si j’y étais allé, s’excusa Noah, si j’avais touché les fioles… je ne sais pas comment j’aurais réagi. T’avais une meilleure solution ?
— M’envoyer moi !
— Non, pas toi, gronda Emil. Je refuse que tu ailles à Solstille, tu le sais bien. Neila a vécu dans le désert, elle doit savoir se défendre.
— Et si elle ne revient pas, hein ? se lamenta Suzanne. Et si… »
Elle fut coupée par un bruit de machine cassée. La télécommande, dans sa main… n’y était plus. Désormais écrabouillée entre les doigts de cuivre du robot, couché par terre, ravi de son effet. Il avait doucement rampé pour arriver à ses fins, puis, profitant de l’étonnement des trois humains, bondit près de l’entrée. Entendant Suzanne crier à son arrière, il mit les voiles, et en vitesse.
Car il venait d’avoir la confirmation. Noah mentait.
——
L’infâme monstre rugissait. Il se frappait le crâne de ses grandes mains informes et illuminait la scène par son simple regard. La jeune fille qui se tenait devant lui, le cube dans ses doigts, souriait avec douceur.
« Père, je vous l’ai amenée. Rien que pour vous. La lanterne, que vous me montriez quand j’étais petite. »
Il hurla de plus belle, ignorant la jeune dame qui reculait à mesure qu’il faisait un pas devant l’autre. Elle se déplaça habilement sur le côté, rejoignant l’effrayée aux cheveux blancs, dont le regard ne quittait pas le colosse de fumée nouvellement apparu.
« Vous vous en souvenez, père ? Regardez ! »
Alors que ses yeux perdaient leur assurance, elle posa le cube dans les mains de Neila. Celle-ci déporta enfin son attention du scaphandre noir pour venir épouser le regard de la musicienne. Un regard pressant et insistant. Mais toujours moins que celui qui l’écrasait, au-dessus d’elle.
Le géant ne bougeait pas. Il observait les deux insectes face à lui, et le cube brillant qu’ils détenaient. Mais son rugissement se faisait grondant, à mesure que Neila se perdait en réflexion. Elle fouilla dans sa mémoire, tandis que Lyza pressait ses doigts. Elle revit la combinaison. Un engrenage après l’autre. Sans attendre, elle les actionna, suivant un ordre précis. Soudain, une explosion de lumière : des formes lumineuses projetées sur les parois de pierre et le fer noirci. Des notes de musique, qui flânaient d’une pierre à l’autre. La créature baissa d’un ton, levant ses phares infernaux sur les lueurs qui décoraient la pièce.
Les hurlements cessant, une voix put s’élever.
« Belle était la lune, trônant, face à la neige qui tombait
» Une nuit d’été, où trois déesses viennent danser
» Ce paradis blanc où l’on se promènerait
» Une nuit d’été, où la neige peine à résister…
» Une colombe blanche y sort, de la poudreuse
» Pour épouser de ses ailes une envolée radieuse…
Lyza chantait. De paroles, elle poussait sa voix, dans le cube de serrain lui-même, qui répercutait chaque note sur les parois de cette obscure grotte. L’obscurité faisait briller la lumière, autant que la musique. Dans leur pleine intimité, les deux individus partageaient un moment de plénitude, que rien ne pouvait briser.
Pas même la présence d’une gêneuse, lanterne en main. Neila les observait, bouche bée. Ce qui paraissait tout d’abord être une infâme créature n’était maintenant qu’un pauvre bébé observant les mouvements du firmament, couvert d’étoiles filantes. Ce ciel musical qui gouvernait le plafond fit taire la souffrance de ce monstre de métal, qui soupira d’allégresse.
Un soupir de fumée. Une fumée noire, obscure et qui absorbait toute lumière. Un soupir de solitude. Cette exhalation masqua le cube, et la lumière, qui disparut un instant.
Un instant suffisant pour provoquer un hurlement de surprise de la part du colosse. La poupée tenta de le calmer, dissipant le voile obscur, mais le mal était fait : le nocturne vocal n’était plus là. Le ciel de note n’était plus là. Plus rien n’existait : simplement une intense lueur rouge, qui explosa soudain, accompagnée d’un rugissement de rage. Le monstre bouscula Lyza, attrapée par Neila une fois au sol, laissant le cube éteint choir jusqu’à l’entrée. Puis, il frappa les murs. Et les chaudrons de fonte. Le sol. Quand, enfin, il sauta, cognant le plafond. Les voutes fragiles du hangar ne soutinrent pas le choc, et la structure commença à s’effondrer, alors que le géant fit de même. Dans un grognement de feu, il se releva, tandis que des morceaux de tôle tombaient sur lui, et près des deux filles.
Neila tenta de s’enfuir de la pluie de fer, mais Lyza la bouscula, réclamant la priorité. S’approchant des portes, elle attrapa le cube, et, alors qu’elle revenait vers le gisant, celui-ci fonça en sa direction. Ce qu’il visait : le mur.
S’écartant de justesse, la jeune femme frôla ce météore de feu et d’acier, qui percuta la solide paroi de pierre contre laquelle le hangar reposait. Il s’y reprit plusieurs fois, la pierre tremblant et se craquelant puis, alors que la poupée le suppliait, il disparut dans un gouffre sans fond. Des bruits d’effondrement se firent entendre, et, peu à peu, ne laissant place au fond d’un tunnel qu’à une petite braise, celle-ci disparut.
S’ensuivit le silence. Vite brisé par l’énorme poutre qui vint se fracturer sur le sol, entre Neila et Lyza. La première sursauta, reprenant conscience de l’urgence, et héla la musicienne. Celle-ci ne bougea pas.
« Lyza ! Il faut partir, vite ! »
Elle s’approcha, esquivant au grand hasard les chutes mortelles, et attrapa le poignet de Lyza. Elle tira, et, sans effort, la charria dans son cours. En direction de la sortie, pour s’éloigner du danger.
« Là-bas…
— Vite, l’ignora Neila, dépêche-toi !
— Non… Il faut aller là-bas. »
Le bras de Lyza se faisait plus rigide, à mesure que la sortie se rapprochait. Accusant un coup du sort, Neila paniqua, si près du but, mais de nouveau empêchée par une quelconque folie. Levant la tête, elle vit le plafond se plier dangereusement, menaçant de se briser. C’est pas vrai !
« Il faut sortir ! Attention ! s’écria-t-elle en esquivant une tôle.
— Je… je dois le suivre ! »
À un mètre de la sortie, Lyza se fit rigide, pour de bon. Tournée vers le trou dans le mur, elle luttait contre la force de Neila. Celle-ci était dans les faits plus costaude que cette frêle pseudo-princesse, mais l’air vicié corrompait ses poumons et ses muscles, qui tremblaient autant d’effroi que d’épuisement. Comment cette fille en robe et si délicate pouvait résister à un tel endroit, elle ne parvenait pas à y réfléchir. Et n’en avait pas le temps.
Lâche là.
Son instinct prit le relai. Sa prise se fit plus lâche, alors que son cœur était attiré par la sortie.
Oui. Si tu la laisses là… tu pourras partir. Cinq deux trois…
Ses doigts lâchèrent un à un le petit poignet de la musicienne, tandis que celle-ci tentait de foncer vers l’ouverture.
Tu peux partir !
Lyza se libéra, et fonça en direction du mur troué, passant près d’une énorme partie du toit. Celui-ci s’effondrait pour de bon, et, surtout, était devenu invisible.
Car la lanterne était partie dans le tunnel, avec son nouveau propriétaire.
Il faisait noir, à nouveau.
Paniquée, Neila fonça vers la lumière qui s’enfuyait, esquivant de justesse une averse qui l’aurait ratatinée sur le sol. Elle plongea dans l’ouverture, roulant sur le sol, devant une cascade de métal et de pierre. Celle-ci se poursuivit dans l’entrée de ce petit passage, avant de cesser enfin, ne laissant que quelques cailloux poursuivre la grêle.
Elle toussa. Elle commençait à en avoir l’habitude, entre l’atmosphère, la vase et maintenant la poussière. Reprenant difficilement son souffle, elle soupira de soulagement, voyant que Lyza n’était pas bien loin, lanterne en main, éclairant cet horizon incertain.
Quelle abrutie je fais… Sans le cube, je suis coincée ici. Et sans elle, je ne peux pas espérer m’en sortir.
Neila poussa sur ses paumes pour se relever… et rien. Elle resta clouée au sol.
Sa jambe était prise dans les gravats.
D’un sursaut de panique, elle tira, pour s’en extirper. La pierre bougeait, et le poids n’était pas bien lourd, son pied devait donc être intact. La douleur survenait, mais sans indiquer un danger. Mais il restait un problème.
« Je suis coincée… »
Elle tirait, de toutes ses forces, mais ces dernières l’avaient définitivement quittée. Ses bras vibraient terriblement sous le simple effort de se redresser, et sa jambe ne bougeait qu’à peine. Condamnée, ses yeux se dressèrent naturellement vers… en face.
« Lyza… »
Celle-ci entama son départ. Cube en main, elle partait en direction du titan, dont on devinait la présence au loin par de faibles échos.
Zéro un neuf trois… cinq deux trois…
« Non ! Lyza, aide-moi ! Je suis coincée ! » Neila supplia, plus qu’elle ne l’avait jamais fait, tirant désespérément sur sa jambe. Elle griffa le sol, dans le fol espoir de trouver une prise d’où tirer et s’extirper d’ici. Mais la petite lumière s’éloignait, et nul effort ne portait ses fruits.
« Lyza, j’ai peur ! Aide-moi… »
Relevant sans espoir son visage vers elle, Neila constata qu’elle venait de s’arrêter. La musicienne tourna la tête en sa direction, sans savoir probablement que celle qu’elle regardait retenait son souffle. Elle l’observait, tel qu’on observait un lapin pris dans un piège. Une pitié et une hypocrisie manifeste, de celui qui comprend, mais « ne peut rien faire ».
Lyza resta néanmoins là, à observer cet animal, puis le cube. Puis Neila. Puis la lanterne. Enfin alors, elle pesta, et revint vers elle pour l’aider à se sortir de là.
« Huuugn !! », rugit Neila en sentant sa peau racler la pierre et les clous rouillés, puis en sentant son pied enfin libéré. Son cœur exhala son soulagement, tandis qu’elle se hissait difficilement sur ses pattes, cherchant l’appui de celle qui l’avait libérée. Et contre l’attente de Neila, elle ne repartit pas immédiatement. Elle la força à s’asseoir, posant le cube à terre – sans se méfier.
« Reste tranquille. Laisse-moi voir ta jambe d’abord. »
Elle se laissa faire. Lyza remonta son pantalon, avec lenteur et application, puis lui palpa le mollet. Neila grimaça sans attendre, reculant la jambe, mais l’autre la maintint avec force, continuant son examen. « Tutut, on ne bouge pas. Tu n’as rien de cassé, ça se serait vu. Mais quelques hématomes, et ta cheville…
— Non non, touche paaaaas ! se plaignit Neila en sentant ses doigts s’approcher dudit endroit.
— Reste tranquille. (Neila lâcha un “Aïe !” sincère.) J’espère que ce n’est pas une entorse, tu me ralentirais.
— Eh ben, sympa… »
Sous le rire de Neila, après cette remarque, Lyza afficha une surprise sincère. La joie n’était pas au beau fixe jusqu’ici, aussi cette exclamation, enrobée de râles de douleur, eut le mérite de la surprendre.
Quand Neila se fut suffisamment plainte, elle lui remit en place son pantalon et sa botte, avant de lui tendre la main. Timidement, lentement, mais sans trembler. Son regard se faisait timide, mais pas fuyant.
Hésitante, Neila tendit ses doigts, puis serra sa paume. Celle-ci était si brûlante qu’elle retira vivement la sienne, plus de surprise que de douleur.
« Qu’est-ce que !
— Oh. Ne t’en préoccupe pas. » Elle reprit sa main et la serra, d’une poignée franche. « On est quittes ?
— Quittes ?! s’exclama Neila en retirant sa main, plus vivement. Pour quoi, m’avoir entraînée là-dedans et failli me tuer ?
— Ouais. Mais tu t’es jetée ici toi-même.
— Je… Bon d’accord. Mais n’empêche que tu m’as amenée ici !
— Je t’ai sauvée quand tu badigeonnais dans la vase. Tu veux y retourner ?
— Soit ! O.K., mais je t’ai parlé de la combinaison du cube, et je l’ai même utilisée !
— Et je t’ai sortie des gravats.
— D’accord d’accooord, tu as raison, on est quittes ! Ça te va ?
— Ça me va. Ceci dit… » Lyza caressa les engrenages du cube, toujours allumé, teintant de bleu cet exigu tunnel. L’estropiée le sentait mal, et se tint prête à sortir une remarque cinglante. « Je n’ai pas retenu la combinaison…
— Tss ! Je le savais ! », souffla Neila en claquant la langue. Cette fille, innocente d’apparence, avait encore des manigances sous le coude.
« Donne-moi juste ça, et je t’aide à sortir d’ici. Sinon… tu peux aussi t’amuser un moment dans ce tunnel. Dans le n.o.i.r. »
Neila lui lança un doigt d’honneur puis croisa les bras en contestation. Le chantage ne fonctionnerait pas, et elle garderait la combinaison pour elle.
« Bon, d’accord, soupira la musicienne. Je te rends un service, en échange de la combi. Ça te va ?
— Mouais.
— Tu t’intéresses à Victor Owlho, non ? »
Neila se fit soudain plus alerte.