Syrcail et Lucas avaient volé avec le Messager Arcal jusqu’à Béryl, où ils avaient passé la nuit, avant d’obliquer au petit matin vers Stibine. Ce voyage sans incident avait quelque peu rasséréné les deux Envoyés, restés méfiants et sur le qui-vive depuis la trahison de Mélior.
Une semaine avait passé, et même s’il cachait bien son jeu, Lucas et Syrcail devinaient que le Messager souffrait encore de sa blessure au flanc. Certainement la raison pour laquelle il avait progressé à une allure de croisière, tranquillement. Lors de leurs rares pauses, Arcal leur avait enseigné le nom des nuages ; dans les airs, il leur avait montré les différences d’altitudes et les courants d’air chaud et froid ; ceux qui les portaient sans effort, et les traitres qui les entrainaient trop haut ou tendaient à les projeter vers le sol.
Ils avaient atterri à l’entrée de la ville de Stibine. Comme souvent, les cieux étaient encombrés à l’approche d’une agglomération, et le Messager Arcal tenait à leur faire découvrir la ville par ses rues animées. La Maison des T’Sara était sans contexte le plus grand bâtiment de la ville, tout proche de son centre. Son porche d’entrée, immense, ressemblait à une Porte. Autour des deux lourdes portes battantes, deux colonnes de bois rouge se dressaient vers le ciel, surmontées par un linteau taillé dans le même matériau.
Les deux Envoyés étaient intimidés. De nombreuses légendes couraient sur les T’Sara, et les adultes n’en parlaient qu’à mots couverts devant les enfants. Une chose était certaine, elles étaient très respectées et jouissaient d’un grand honneur. Tous les Massiliens, sans exception, y faisaient leurs classes quelques temps à l’adolescence. Lucas et Syrcail n’auraient pas cru que leur tour viendrait si vite alors qu’ils venaient à peine d’intégrer les Mecers. Arcal frappa, et la porte s’ouvrit sur une jeune Massilienne d’une vingtaine d’années.
–Bienvenue ! Je suis Anamie. Nous vous attendions. Entrez, je vous prie.
*****
Leur guide connaissait les lieux ; elle les guida à travers le large patio. Un grand jardin s’y étalait, avec de rares arbres qui apportaient une ombre agréable sans gêner un atterrissage ou un décollage éventuel. Un bassin ovale le parcourait, et une petite cascade avait été aménagée. De forme rectangulaire, le bâtiment encadrait totalement le jardin. Lucas et Syrcail y découvrirent avec étonnement de jeunes enfants qui se poursuivaient en riant.
–C’est ici que grandissent les enfants des T’Sara, dit Anamie en suivant leur regard. Toute une aile du bâtiment leur est consacrée. Une autre contient les logements des T’Sara, qui disposent ici d’une chambre comme les Mecers ont toujours une place à la caserne, ainsi que les dortoirs des apprenties. Nous avons aussi des chambres à disposition pour les femmes qui ont besoin d’un abri temporaire ; et bien sûr, nous avons toute une section pour accueillir toute femme qui souhaite accoucher à nos côtés.
Le Messager Arcal sourit face à la stupéfaction des deux jeunes Envoyés. Ils s’imaginaient peut-être savoir des choses sur les T’Sara, grâce aux Envoyés plus âgés ou d’éventuels frères et sœurs, mais ils allaient rapidement comprendre qu’il y avait un monde entre la théorie et la pratique.
–Jannah serait ravie de vous accorder l’hospitalité cette nuit, Messager, poursuivit-elle à l’intention d’Arcal.
–Ce sera un honneur et un plaisir, répondit le Messager.
Anamie leur fit faire le tour de l’ensemble des bâtiments ; bientôt les jeunes gens furent certains de pouvoir à peu près se repérer. Le temps de leur séjour, ils partageraient une même chambre. Les lieux étaient essentiellement féminins ; ils n’y étaient pas habitués et trouvèrent réconfortant d’être mis ensemble.
–Je partirai demain matin, annonça Arcal une fois qu’ils furent installés.
–Vous allez nous laisser seuls avec… elles ? s’inquiéta Syrcail.
Le Messager sourit.
–Vous ne risquez rien, ici. On vous enseignera tout ce que vous devez savoir. N’oubliez pas que vous leur devez un respect absolu. Insulter une T’Sara est un grave manquement à l’honneur et peut aller jusqu’à vous coûter la vie. Est-ce entendu ?
–Oui, Messager, marmonnèrent les deux Envoyés, vaguement angoissés.
–Je reviendrai vous chercher dans trois semaines. Lucas, n’oublie pas que ta mère voulait être une T’Sara, avant de rencontrer ton père. Elle en a suivi la formation. Tu trouveras peut-être ici des réponses aux questions que tu te poses, si tu le souhaites.
Le visage de son Envoyé s’éclaira devant l’espoir que cette situation représentait.
–Je n’y avais pas pensé ! Merci, Messager, dit Lucas avec sincérité.
Après qu’ils se fussent rafraichis, une jeune apprentie T’Sara vint les chercher pour le repas du soir. Les jeunes gens étaient intimidés ; de nombreuses jeunes massiliennes étaient présentes, et chuchotaient entre elles à voix basse en leur glissant de nombreux clins d’œil. Il ne fallut pas longtemps pour que Lucas et Syrcail virent à l’écarlate.
Les Massiliens étaient pourtant connus pour ne pas être pudiques ; ils étaient francs et ouverts, et leur incapacité à mentir les faisait paraitre crus et directs aux autres peuples de la Fédérations des Douze Royaumes. Syrcail et Lucas étaient jeunes, et commençaient tout juste à comprendre que leur apprentissage allait les entrainait sur des chemins qu’ils n’avaient que peu explorés jusque-là.
Finalement, après que tous furent rassasiés, Jannah se leva et frappa dans ses mains pour réclamer le silence.
–Chères habituées et chères élèves, deux apprentis Mecers nous arrivent tout droit de l’Ecole. Ils vont rester avec nous quelques jours pour découvrir nos coutumes. Je suis Jannah do Rilys, et c’est moi qui dirige la Maison de Stibine. Vous assisterez à des cours collectifs en compagnie de nos élèves, ainsi qu’à quelques cours individuels. Vous comprendrez rapidement pourquoi, ajouta-t-elle avec un sourire. Plusieurs T’Sara viendront vous parler de leur expérience, et du lien qui nous unit aux Mecers. À la fin de votre séjour, vous passerez l’Initiation avec l’une des T’Sara volontaire de votre choix. Notez bien que ce sera la seule et unique fois où vous aurez le choix, alors, profitez-en !
Les deux Envoyés, estomaqués, finirent par retrouver suffisamment leurs esprits pour bredouiller les paroles de remerciements adéquates.
Jannah ne se formalisa pas et leur répondit par un sourire. Les Massiliens passaient tous par cette épreuve, il s’agissait de leur héritage.
*****
Lucas s’éveilla comme on frappait à leur porte.
–Oui ? répondit Syrcail d’une voix ensommeillée.
–Le petit déjeuner est servi ! Dépêchez-vous, pouffa une voix indubitablement féminine.
Ce fut suffisant pour que les deux Envoyés bondissent sur leurs pieds en jurant.
Quelques minutes plus tard, ils dévalaient les escaliers en direction du réfectoire et se confondirent en excuses auprès de la T’Sara qui supervisait le déjeuner. Toutes les apprenties étaient déjà attablées et les dévisageaient avec curiosité.
–Il n’y a pas de mal, les rassura-t-elle. Rien ne presse, ici. L’organisation n’est pas aussi militaire que chez les Mecers. Restaurez-vous ; quand la cloche sonnera neuf heures, ce sera l’heure de l’exercice.
–Je me demande bien ce qu’elle entend par là, souffla Syrcail quand ils s’installèrent à une place libre, un bol fumant entre les mains.
–Si vous nous demandiez, on vous éclairerait peut-être, rétorqua une voix malicieuse tout près d’eux.
Les deux Envoyés s’aperçurent qu’ils étaient encore une fois au cœur de l’attention féminine.
–Je suis Flora, se présenta-t-elle devant leur silence. Et vous ?
Ils déclinèrent leur identité.
–Des Mecers donc, poursuivit-elle. Vous n’êtes pas les premiers que nous voyons passer, n’ayez crainte. Mais je vois que vous êtes encore plein de préjugés à notre égard.
–C’est faux ! s’insurgea Lucas.
Flora eut un sourire mi-figue mi-raisin.
–Alors tu vas découvrir que les T’Sara ne le cèdent en rien au Mecers sur l’art du combat.
–Ah bon ? s’étonna Syrcail. Vos talents ne sont-ils pas censés être… ailleurs ?
–Ferais-tu référence à notre art de l’amour, jeune Envoyé ? dit-elle avec un clin d’œil.
Syrcail rougit.
–Tu découvriras bientôt pourquoi notre condition physique se doit d’être excellente, se moqua-t-elle. J’ai hâte d’être ton adversaire.
*****
Essoufflé, Lucas tentait désespérément de suivre le rythme des apprenties T’Sara. Il se trouvait aux côtés de Syrcail, et réaliser que son confrère peinait tout autant que lui le rassurait quelque peu. Un terrain d’exercice avait été aménagé dans l’un des coins du patio. Les jeunes massiliennes y enchainaient des séries d’exercices et de postures, nécessitant force et souplesse.
Rien à voir avec la fluide gestuelle des Mecers, pourtant Lucas sentait confusément qu’il s’en dégageait également une certaine harmonie.
–C’est beau, commenta-t-il entre deux respirations rauques.
Son ami se contenta d’acquiescer. Les T’Sara en titre travaillaient leur endurance. Les mouvements recherchaient la perfection.
Quand l’enseignante décréta la pause, ils s’effondrèrent au sol avec reconnaissance. Leurs muscles, pourtant habitués à un exercice quotidien, demandaient grâce.
Oscha s’approcha d’eux avec une outre d’eau et ils se désaltérèrent avec reconnaissance.
–Alors ? s’enquit-elle.
Comme souvent, ce fut Syrcail qui répondit le premier.
–Quelle force, quelle souplesse ! C’est époustouflant. Vous les obligez à solliciter l’ensemble de leurs muscles, l’entièreté de leur corps. C’est éprouvant.
Oscha approuva.
–Ton sens de l’observation est aiguisé, Syrcail. J’ai une question pour vous. Quelle est la raison de cet entrainement ?
–Entretenir une bonne forme physique ? hasarda Lucas.
–Mais encore ?
Syrcail resta silencieux, réfléchissant.
–J’imagine que cette forme physique est importante pour le « travail » des T’Sara ? dit-il enfin.
–Tu t’approches, oui.
Elle laissa planer un silence pour ménager son effet, puis continua.
–La conception d’un enfant est de loin la partie la plus facile, amusante et agréable du quotidien d’une T’Sara. L’accouchement demande lui une force mentale et physique bien plus intense.
Ils étaient mal à l’aise face à ce côté de la face féminine qu’ils ne connaissaient pas, songea-t-elle avec un sourire. C’était vraiment une bonne chose que tous les Massiliens passent par l’une des Maisons des T’Sara. Ici, c’était la maison-mère, la première créée par le tout nouvel Ordre des T’Sara. Depuis, l’Ordre avait parcouru bien du chemin. Chaque village de taille moyenne disposait d’une Maison, maintenant. Leurs connaissances de la vie féminine étaient équivalentes à celle des meilleures spécialistes de Soctoris. Toutes les Massiliennes souhaitaient accoucher en présence d’une T’Sara ; le meilleur gage de survie.
Ils ne le savaient pas encore, mais à la fin de leur stage parmi elles, ils auraient une idée bien plus précise de la réalité d’un accouchement. Les Massiliens mâles étaient de fait les plus fervents défenseurs des T’Sara. Pour l’heure, les deux jeunes étaient bien embarrassés devant un sujet certes non tabou dans la société massilienne, mais dont on parlait peu devant les enfants.
Et enfants ils étaient encore récemment.
*****
Après le repas, Lucas et Syrcail rejoignirent les apprenties T’Sara pour un cours théorique. Une heure durant laquelle leur enseignante détailla toute l’anatomie féminine et masculine. Si les deux Envoyés étaient bouches bées, les apprenties répondaient avec sérieux et rapidité aux questions posées.
La première gêne passée, Lucas réalisa rapidement que le sujet était intéressant. Donner la mort ou donner du plaisir ; selon le point de vue, tout prenait une autre dimension. En sortant du cours, plusieurs massiliennes les frôlèrent ou leur lancèrent des œillades aguicheuses.
–Tu sais, si tu veux réviser la théorie… nous pouvons t’aider.
Lucas sursauta, rougit, pâlit. Un coup d’œil à Syrcail lui permit de vérifier que son ami n’en menait pas large non plus. Mais il avait quand même plus d’assurance ; ses trois ans de plus étaient ici un avantage. Lucas bredouilla une réponse inintelligible avant de battre précipitamment en retraite, le cœur battant, sous les rires des jeunes apprenties. Il en heurta presque une T’Sara dont les ailes grises s’élevaient gracieusement dans son dos.
–Mes excuses, dit-il aussitôt en saluant.
–C’est donc toi, Lucas ? demanda-t-elle. C’est vrai que tu lui ressembles beaucoup.
Le cœur de Lucas rata un battement.
–Vous l’avez connue ?
–Oui, répondit-elle avec un sourire. Je suis Samira, se présenta-t-elle. C’est moi qui répondrait à tes questions sur la prochaine heure.
Le jeune homme n’était clairement pas à l’aise. Samira l’entraina dans une petite salle dont elle ferma la porte. Les lieux n’étaient pas vraiment conçus pour l’étude telle qu’on se l’imaginait, avec un large sofa garni de nombreux coussins, et une petite table basse.
–Installe-toi, et demande-moi ce que tu veux. Je répondrai à toutes tes questions.
Lucas se trémoussa sur son siège. Samira avait un regard doux, apaisant. Son visage se marquait de quelques rides, trahissant son âge, mais lui donnant aussi la profondeur de la maturité éclatante. Sa robe simple était d’un gris doux, sa taille soulignée par une ceinture dorée dont les pans retombaient presque jusqu’à ses pieds.
–Combien ? demanda-t-il soudainement. Votre silhouette est si fine, si… parfaite !
Samira éclata de rire.
–Tu comprends mieux notre entrainement physique intense, n’est-ce pas ? Déjà seize, et si Eraïm le veut, bientôt une dix-septième grossesse.
–Ma mère… Elle était comment ?
–Yléna rêvait de devenir T’Sara depuis son enfance. Elle était vive, pétillante… et possédait un fort caractère. Quand elle élevait la voix, on devait l’entendre à l’autre bout de la planète ! Une fois qu’elle a eu jeté son dévolu sur ton père, eh bien… le pauvre n’a plus eu aucune chance.
Rêveur, Lucas essaya d’imaginer son père contrit devant l’une des colères légendaires de sa mère. Si Aioros était muet sur le sujet, Valérian et Alya s’étaient montrés plus diserts, et l’avaient régalé d’anecdotes sur le sujet.
Imaginer son père autrement qu’arborant un air sévère restait difficile.
–Pourquoi a-t-elle renoncé à son rêve ? Ça ne semble pas coller avec son caractère…
Samira le regarda avec compassion.
–Il y a six d’années d’études pour devenir T’Sara, indiqua-t-elle. À douze ans, les jeunes filles passent l’examen d’entrée. Cet examen est à la fois physique et mental. Une morphologie au bassin trop étroit est par exemple rédhibitoire, car cela augure de difficultés pour l’accouchement. Nous avons donc quelques critères assez sévères. Jusqu’à leurs dix-huit ans, elles s’entrainent et apprennent ici, ou dans l’une des nombreuses Maisons des T’Sara. Il leur est interdit de tomber enceinte durant leur apprentissage, et les enseignantes vérifient qu’elles boivent bien leur potion à ce titre.
–Pourquoi donc ? s’étonna Lucas.
–Comme vos Messagers ne vous envoient pas sur le champ de bataille non préparés, nous devons d’abord forger leur corps pour des années de grossesses répétées. En se mariant… eh bien, même si les vœux massiliens laissent pas mal de libertés aux époux par rapport à d’autres peuples de la Fédération des Douze Royaumes, il est difficile de concilier l’engagement des T’Sara – à savoir, enchainer les partenaires et les grossesses – avec celui de la vie de famille. La famille encourage à la stabilité. C’est une chose de permettre les aventures occasionnelles, une autre quand ça devient le quotidien. Sans compter qu’il ne s’agissait pas de n’importe quelle famille, mais de la Seycam, vitrine du Neuvième Royaume.
–Je comprends mieux, dit Lucas.
–Ta mère a de plus posé une condition. Si elle devait renoncer à être T’Sara, et de fait faire vœu de fidélité, elle a demandé à ton père de consentir au même sacrifice.
–Il devait être fou amoureux pour accepter une telle demande, nota Lucas.
–Oui, dit simplement Samira. Il ne s’est jamais vraiment remis de sa mort, tu sais.
–Je sais, répondit sombrement l’Envoyé.
Il ne connaissait pas tous les détails de la vie politique massilienne ; parce qu’il était trop jeune pour ça et que cela ne l’intéressait pas. Depuis qu’il avait intégré les Mecers cependant, depuis l’altercation avec Mélior… il avait compris qu’il devrait s’y intéresser pour ne pas finir broyé par des intrigues initiées bien avant sa naissance.
*****
Aujourd’hui, Lucas gardait l’entrée de la Maison avec Lysa, une apprentie en troisième année. Enfin, « gardait » était un bien grand mot. Il l’assistait surtout, notant sa façon d’accueillir tous les visiteurs avec le sourire, de prendre le temps de les renseigner, avant de les confier à une apprentie plus jeune qui s’occupait de les guider dans le vaste domaine.
Lucas avait découvert que des Massiliennes de tout âge frappaient aux portes de la Maison ; en quête de conseils le plus souvent. Parfois, elles étaient accompagnées par un homme, clairement mal à l’aise, mais la plupart du temps, elles arrivaient seules. Il fut interrompu dans ses pensées par le tintement du carillon qui annonçait une visiteuse. Juste après que Lysa lui annonce qu’elle s’absentait quelques minutes, bien évidemment. Qu’avait-elle dit, déjà ? Que les chances étaient faibles que quelqu’un se présente durant ce court intervalle ?
Le jeune homme jugula son anxiété et alla ouvrir. Une femme franchit aussitôt le seuil, soutenue par un homme visiblement anxieux.
–C’est… à quel sujet ? questionna Lucas avec hésitation.
Le Massilien posa sur lui un regard où se disputaient colère et appréhension.
–À ton avis ? Ne vois-tu pas comment elle souffre ? Qu’est-ce que je dois faire ?
Lucas pâlit.
–Je vais vous accompagner jusqu’au bâtiment où vous serez pris en charge, balbutia-t-il.
La panique commençait à le gagner. Qu’était-il censé faire ? Ce n’était pas à lui de gérer ce genre de situation ! Ils n’avaient fait que quelques pas lorsque Samira se posa près d’eux.
–Bon travail, Lucas.
Puis elle s’adressa à la massilienne :
–Nous allons nous occuper de vous, ne vous inquiétez pas. Appuyez-vous sur moi, comme ça, dit-elle en guidant ses gestes.
Le visage jusque-là tordu par la douleur de leur visiteuse se détendit quelque peu.
–Merci, souffla-t-elle.
–C’est votre premier ? s’enquit Samira.
–Oui. Je savais que… Par Eraïm, ça fait si mal !
–Nous allons vous installer confortablement, assura Samira.
–Puis-je rester à ses côtés ? demanda le Massilien.
–Bien sûr. Tu viens aussi, Lucas, ajouta Samira en voyant que l’Envoyé cherchait à s’esquiver. Il est grand temps pour toi de découvrir comment se passe un accouchement.
Le jeune homme devint plus pâle que la neige.
*****
Lucas était là depuis des heures et étouffa un énième bâillement. Eraïm que c’était long ! Il avait l’impression d’être totalement inutile.
Ils étaient cinq dans cette grande chambre surchauffée. La Massilienne s’appelait Syra ; pour l’instant elle était suspendue à une sorte de large écharpe fixée au plafond par des poulies, dont la hauteur se réglait avec des poids. Le tissu passait sous ses épaules sans gêner ses ailes ; depuis que Samira l’avait installée là, ses traits s’étaient apaisés.
Lucas avait dû se charger de rassurer Aralim, le futur père. Il ne savait plus trop ce qu’il avait bredouillé ; comment lui, douze ans, pouvait-il se permettre de donner des conseils ? Pourtant Aralim s’était détendu ; il avait commencé à parler, et Lucas, coincé, s’était contenté d’écouter poliment.
Aralim lui parlait d’un avenir qui n’était pas le sien. Lucas ne rêvait que de devenir Mecer, et ne se leurrait pas sur ses chances de survie. Peu de Mecers atteignaient un âge respectable… Quant à fonder une famille… il n’y songeait même pas. Appartenir à la Seycam compliquerait encore une fois les choses, il en était certain. Il savait déjà que Valérian cachait ses fréquentations à son père.
Samira posa la main sur son épaule et Lucas sursauta.
–Te serais-tu endormi, par hasard ? sourit-elle.
Lucas se sentit confus.
–Mes excuses, T’Sara, bredouilla-t-il. C’est tellement… long.
–Oui. Tu comprends mieux pourquoi nos entrainements travaillent l’endurance ? Toi tu attends simplement, mais dans son corps à elle, tout travaille. C’est une très longue course d’endurance.
–Pourquoi est-ce si douloureux ? s’enquit-il.
–Quand tu cours, quand tu voles… ta volonté décide et tes muscles obéissent. Dans un accouchement, c’est l’inverse. Ton corps décide de la force et de la fréquence des contractions. Pas si simple de suivre son rythme. Il faut s’adapter en permanence. Et tu ne sais jamais à l’avance combien de temps cela prendra…
Le jeune homme acquiesça. Son malaise du début s’était estompé. L’admiration commençait à l’envahir devant le miracle de la vie porté par le corps des femmes. Une brève pression sur son épaule, et Samira le laissa là.
–Le bébé arrive, cette fois.
Une boule d’angoisse se noua dans la gorge du jeune homme. Cantonné au rôle de spectateur, il n’osait pas trop s’approcher. Samira était concentrée ; il le voyait dans son attitude. Si souci il y avait, elle serait prête à intervenir.
Aralim serrait la main de sa femme, cherchant à l’aider et frustré de ne pouvoir soulager sa douleur. Lucas était crispé, dans l’attente d’un dénouement qu’il attendait et redoutait à la fois. Des pleurs retentirent, et Lucas sentit distinctement la tension quitter les lieux. Des pleurs vite interrompus. D’abord inquiet, le jeune Envoyé s’aperçut que le bébé était lové sur le sein de sa mère.
De nouveau, Samira fut près de lui.
–C’est émouvant, n’est-ce pas ?
Sans voix, il se contenta d’acquiescer.
–J’ai choisi Syra pour toi parce qu’il y avait peu de chances que son accouchement soit sujet à des complications, poursuivit Samira.
–Je comprends, murmura Lucas.
–Mais il arrive que malgré tout notre art, nous ne puissions pas toujours sauver la mère ou l’enfant.
–Et y’a-t-il parfois… un choix, à faire ?
Elle hésita suffisamment pour qu’il comprenne que la réponse était positive.
–Nous essayons au maximum de ne pas avoir à faire ce choix, dit-elle enfin. Cela dépend ensuite de celui qui a les plus grandes chances de survie, de l’âge de la mère… Beaucoup trop de paramètres pour tout t’expliquer maintenant.
–Et … pour moi ? s’entendit-il demander. Sais-tu ce qu’il s’est passé ?
Le regard de Samira se perdit dans le vague.
–Il n’y a rien eu à faire pour elle, tu sais. Tu es né vivant, en bonne santé. J’étais là, et j’étais impuissante. Nous étions impuissantes. Personne n’a su comment endiguer l’hémorragie. Et pourtant, ton père avait fait venir un Guérisseur Soctorisien de haut niveau. Les prédictions d’Eraïm ont tendance à se réaliser, tu sais.
–Les prédictions ? questionna Lucas, perdu. Comment ça ?
–Tu ne le savais pas ? Non, j’imagine bien que ton père ne t’en ait pas parlé… chaque enfant qui nait sur le sol de la Fédération des Douze Royaumes reçoit une prédiction à sa naissance, dit-elle. S’ils le souhaitent, les parents peuvent en demander la transcription à un Prêtre de Mayar.
–Que disait celle sur ma mère ? demanda Lucas, la gorge nouée par l’appréhension.
–Es-tu certain de vouloir le savoir ?
Le sérieux de Samira était une mise en garde, pourtant, sa curiosité était plus forte. Lucas acquiesça.
–Sa prédiction disait « ton neuvième enfant sera ta perte », poursuivit doucement Samira.
L’Envoyé fondit en larmes et Samira garda le silence. Si son père ne lui avait rien dit sur sa mère, nul doute qu’il ne lui avait rien révélé sur son avenir.
–Si elle savait, dit-il en étouffant un sanglot. Pourquoi ?
–Parce que donner la vie était plus fort qu’elle, répondit Samira.
–Alors c’est inutile de lutter contre le destin, c’est ça ?
–Non. Les prédictions que nous recevons d’Eraïm ne sont que des indications. Toutes ne se réalisent pas. Ta mère a choisi de ne pas laisser la sienne dicter ses choix. Elle voulait un neuvième enfant. Je dois aider Syra pour la délivrance, poursuivit-elle avec un silence. Puis nous la conduirons dans une chambre plus intimiste. Tu peux aller te reposer, maintenant, mais j’aimerai que tu passes la voir demain, d’accord ?
–Entendu, murmura Lucas.
Avec un dernier regard pour la famille souriante, il quitta les lieux. À son étonnement, la nuit était presque terminée. Le jeune Massilien se demanda si Syrcail serait déjà réveillé. Il brûlait de lui parler.
*****
Épuisé, Lucas n’avait pourtant pas réussi à trouver le sommeil. Trop de questions se bousculaient dans son esprit à la suite de cette expérience intense, qu’il n’avait pourtant fait qu’accompagner. Bras croisés sous sa nuque, son regard se perdait sur un plafond qu’il ne discernait pas. Tout proche, le souffle régulier de Syrcail lui indiquait que son ami était plongé dans un profond sommeil.
Sa mère avait su. C’était perturbant. Comment les Prêtres d’Eraïm, réputés pour leur douceur et leur empathie, pouvaient émettre des prédictions si angoissantes ?
« Ton neuvième enfant sera ta perte ».
Comment de simples mots avaient-ils pu avoir un tel impact ?
Ils avaient scellé son destin.
Le jeune homme se demandait si lui aussi avait eu droit à une prédiction. Son père ne lui en avait jamais parlé, si c’était le cas. Lucas soupira. La relation avec son père était trop fragile pour qu’il lui demande encore des comptes. Et les propos de Samira l’avaient rassuré, d’une certaine manière. Pour le moment, il s’en contenterait.
Ce ne fut que lorsque Syrcail le secoua pour le réveiller qu’il réalisa s’être finalement endormi.
–Alors, c’était comment ? demanda son ami avec curiosité. Tu dormais comme une souche ! Le soleil est levé depuis au moins une heure !
La bouche pâteuse, Lucas s’étira longuement, encore ensommeillé.
–Ça s’est terminé tard dans la nuit, avoua-t-il avec un bâillement. Je ne pensais pas que c’était si long. Dix, douze heures peut-être, tu imagines ?
–Hâte de voir ça ! commenta Syrcail. J’ai l’impression que ça t’a fait du bien.
–Oui, approuva Lucas. Tu sais, quand j’ai su ce qui était arrivé à ma mère… pourquoi on me l’avait caché, pourquoi on ne m’avait rien dit… ce n’était pas facile de trouver des réponses. Je crois que ça a débloqué quelque chose, que ça m’a permis de comprendre un peu mieux tous les enjeux.
Syrcail sourit.
–Ce fardeau qui pesait sur tes épaules n’était pas le tien. Tu l’as remis à sa juste place, et ça se voit déjà.
*****
Les jeunes gens s’habillèrent après une toilette rapide, et se joignirent aux apprenties pour le petit déjeuner. La gêne entre eux à leur arrivée s’était dissipée. Après tout, ils fréquentaient aussi des Massiliennes chez les Mecers. Même si leur proportion était nettement inférieure. Ici, ils étaient la minorité, et les apprenties T’Saras étaient bien plus habituées qu’eux à voir passer des jeunes gens en formation.
D’ailleurs, d’autres massiliens devaient arriver prochainement pour les mêmes raisons. Lucas picorait son assiette sans conviction, tandis que Syrcail bavardait avec animation à ses côtés.
–Alors, tu as trouvé ça comment ?
Le jeune Envoyé se redressa pour voir que Lysa s’était glissé à côté de lui.
–Intéressant, dit-il avec un sourire. Émouvant.
–Toute la beauté de la vie, ajouta-t-elle. Souviens-t ’en quand tu faucheras des vies avec tes copains des Mecers.
–Je n’oublierai pas, promit-il. C’est aussi pour ça que nous sommes là, non ?
–Oui. Bientôt une semaine que vous êtes arrivés. As-tu déjà assisté à une Initiation ?
–Une… quoi ?
–Alors c’est un non. Ma foi, elles jugeront quand elles te sentiront prêt. Et ensuite, ce sera bientôt la tienne. As-tu déjà une idée de qui tu choisiras ?
Lucas vira à l’écarlate en comprenant le sens de ses propos.
–Je… bredouilla-t-il. Non.
Lysa sourit.
–Ce sera notre travail, tu sais ? Comme le tien sera d’apprendre à tuer efficacement.
–Il n’y a pas que ça ! protesta énergiquement Lucas. Nous protégeons également.
Lysa acquiesça.
–Tu verras, le corps est la vie. Ça deviendra plus facile avec la pratique.
Partagé entre l’envie et l’expectative, Lucas se contenta d’un hochement de tête. Parfois, il avait l’impression de grandir un peu trop vite.
*****
Après les exercices du matin, Lucas fut séparé de Syrcail par l’une des apprenties. Il la suivit, quelque peu inquiet, jusqu’à un endroit plus calme du complexe. Ils étaient seuls, réalisa Lucas. Étrangement, son cœur s’était accéléré.
–Je m’appelle Kalia. Nous nous sommes croisés quelques fois, depuis ton arrivée.
–Possible, bredouilla le jeune Envoyé.
Les yeux verts qui le déstabilisaient le dévisagèrent.
–Tu es bien jeune, reprit-elle. D’habitude, les Mecers ne nous envoient pas de si jeunes gens.
–J’ai eu douze ans il y a quelques mois, se défendit l’intéressé.
–Ne le prends pas mal. J’ai été l’une des plus jeunes également. Je peux le comprendre.
Son sourire le détendit finalement.
–Je sais que tu as assisté à un accouchement, poursuivit-elle. Tu sais que ton Initiation viendra bientôt, n’est-ce pas ?
Lucas grimaça, mal à l’aise.
–Lysa m’en a déjà parlé ce matin.
–Que dis-tu de t’entrainer ?
–Tu n’es pas sérieuse ? balbutia-t-il en virant à l’écarlate.
–Je le suis toujours, contra-t-elle. Et il n’est pas question d’amour.
Comme Lucas restait silencieux, elle poursuivit.
–Quelle que soit ta réponse, je peux t’assurer ceci. Je ne me jouerai pas de toi, je n’aurai aucun propos blessant à ton égard. Tu es là pour la même raison que moi : pour apprendre. Et surtout, n’oublie pas. Tu peux t’arrêter à tout moment.
Lucas ravala sa salive. Jusque-là, il n’avait pas réellement réalisé qu’il aurait un jour à affronter une T’Sara. Certes, il n’était pas ignorant en la matière, et la semaine de cours passée ici avait répondu à nombre de ses questions. Néanmoins, il avait peur. Peur de ne pas se montrer à la hauteur, peur de ternir la réputation de la Seycam, peur de décevoir son mentor en échouant.
Sauf que la seule façon d’échouer était de ne pas essayer.
–D’accord, dit-il dans un souffle avant de songer à changer d’avis.
Kalia sourit.
–Crois-moi, tu ne le regretteras pas.
*****
La petite pièce où Kalia l’avait entrainé était petite, carrée, sans fenêtre. Kalia alluma les quatre appliques, baignant les lieux d’une douce lumière.
Puis elle guida Lucas sur les coussins, s’assit près de lui. Elle était suffisamment loin pour ne pas le mettre mal à l’aise. Était-ce voulu ? Si oui, elle avait beaucoup plus de tact qu’il ne l’avait supposé.
–Veux-tu que nous discutions un peu ? proposa Kalia.
–Je veux bien, répondit Lucas, soulagé. J’envie ton assurance.
Kalia sourit.
–Je n’en menais pas large, la première fois, avoua-t-elle. C’est comme pour tout, c’est une question de pratique.
–J’imagine. Ce serait bien de pouvoir passer directement au moment où l’on est expérimenté.
–Peut-être, mais que fais-tu de l’émerveillement de la découverte ? rétorqua Kalia. Chaque partenaire est différent, et tes expériences seront toutes uniques, à leur manière.
Elle marquait un point, décida Lucas. Il gardait un souvenir vivace de son premier vol, où comme ici, il était tiraillé entre la peur et l’envie.
–Tu as raison, admit-il.
Kalia s’était rapprochée sans qu’il ne s’en aperçoive. Une proximité qui accélérait les battements de son cœur, qui était pourtant étrangement euphorisante.
–N’oublie pas, murmura Kalia à son oreille. Dès que tu me dis « stop », j’arrête. Dès que je perçois un refus de ta part, j’arrête. Tu décides.
Lucas hocha la tête, incapable de proférer un mot. Eraïm, il n’aurait jamais cru redouter une femme plus qu’un adversaire !
Elle s’avança encore, jusqu’à ce que leurs nez se frôlent, puis l’embrassa. Un simple contact, tout en douceur, avant qu’il ne plonge dans les yeux verts. Ils partagèrent un sourire, plein de promesses, avant de s’embrasser de nouveau.
Leurs lèvres s’ouvrirent, leurs souffles se mêlèrent. Elle était si douce, son corps si chaud contre le sien. Impossible de réfléchir alors que ses sens étaient submergés d’informations.
Lucas était suffisamment en confiance pour que ses craintes s’effacent sous le plaisir de la découverte.
Quand ils s’écartèrent l’un de l’autre, bien plus tard, ils étaient échevelés et leurs vêtements froissés.
–Ne dis rien maintenant, souffla Kalia quand il ouvrit la bouche. Nous pourrons remettre ça à l’occasion, si tu es partant ?
Lucas hocha la tête.
–Passe une belle fin de journée, Envoyé.
*****
Au repas du soir, Lucas retrouva Syrcail. Les deux amis échangèrent un sourire complice, mais ce ne fut qu’une fois de retour dans leur chambre qu’ils discutèrent.
–Tu as l’air bien rêveur depuis tout à l’heure, dit Syrcail.
–Ça se voit tant que ça ? maugréa Lucas.
Syrcail se contenta de sourire.
–J’ai découvert pas mal de choses, aujourd’hui, avoua le jeune Envoyé. Et toi aussi, tu as un air… différent. Je pense que tu ne t’es pas ennuyé durant mon absence.
–Tu supposes bien. J’avais des réticences, mais, après tout, nous sommes là pour apprendre. Même si c’est bien différent de notre champ d’étude habituel.
Lucas ne put qu’approuver. Tous les Massiliens passaient par les maisons des T’Sara, mais les Mecers avaient un lien privilégié avec elles. Il était connu qu’elles choisissaient davantage leurs partenaires au sein de l’élite des forces massiliennes. Leur formation ici n’en était que plus importante.
Lucas se demanda de quoi seraient faites leurs deux semaines restantes.
Bien mystérieuses et un brin inquiétantes, ces T’Saras... On ne sait pas trop quoi en penser. Ni de leur congrégation Une espèce d'ordre féminin, dédié à l'amour et à la maternité ?
Mais je note qu'au début tu t'es fendue de quelques notation descriptives, d'une mise en scène, et le texte a tout de suite plus de corps, je trouve.
▶️ "Les deux Envoyés, estomaqués, finirent par retrouver suffisamment leurs esprits pour bredouiller les paroles de remerciements adéquates."
Là, je n'a pas compris. Qu'est-ce qu'elle leur a dit, pour qu'ils soient si troublés ? Son discours semblait tout à fait normal et mesuré, en la circonstance.
Et sinon, ne pas confondre "intime" et "intimiste" (qui s'utilise pour qualifier des œuvres, peinture, cinéma, etc.)
Bisou 🌺
Pour ta remarque, leur trouble vient du fait qu'elle leur annonce la future mise en pratique de leurs acquis théoriques (leur "1ère fois") et qu'ils sont gênés du coup. Après ouais, pour un peuple aux moeurs libres ils sont peut-être un peu trop gêné par l'idée, du coup.
Je note pour "intimiste", en plus je le sais pas mais.... j'ai pas fait attention ^^
Merci pour tes remarques pertinentes, à une prochaine ^^
Parce qu'à ce point de l'histoire, le lecteur n'a aucun moyen de s'en rendre compte, ça pourrait vraiment être n'importe quoi... Et la rétention d'information toujours pas un procédé littéraire 😉