Chapitre 14 : Cléo

— Avant de l’écouter, j’aimerai que tu nous expliques où tu étais Cléo. J’étais morte d’inquiétude, dit Ilana.

Cléo regarda le visage maculé de suie de sa sœur. Elle s’en voulait tellement de ne pas avoir été là quand ils avaient affrontés ces créatures, mais ce qui la rongeait le plus c’est de ne pas avoir protégé sa petite sœur. Néanmoins, elle était persuadée qu’elle avait fait le bon choix en suivant son instinct.

— Quand on était à la taverne, commença-t-elle, j’ai remarqué une personne avec une capuche qui nous fixait. Je… sentais que sa présence était importante même si je ne peux pas expliquer pourquoi.

— Et pourquoi tu ne nous en as pas parlé ? la coupa Jorick.

— J’ai pensé qu’il fallait d’abord qu’on trouve un endroit pour dormir, alors j’ai mis cette information de côté. Mais cette nuit, je n’arrivais pas à dormir… et en regardant par la fenêtre, je l’ai revue. Je me suis dit que je devais la suivre. Je suis sortie en douce, sans vous réveiller… Je ne voulais pas vous inquiéter.

Elle jeta un coup d’œil vers Syn, immobile mais attentif, ses yeux marrons et perçants scrutant le groupe comme pour jauger chaque réaction.

— Je… je ne voulais pas vous laisser tomber, ajouta Cléo, la voix plus basse. Mais je devais savoir.

Le silence pesant suivit. Cléo sentait tous les regards braqués sur elle et son cœur battait à la chamade. Elle espérait qu’ils comprendraient que son choix, risqué et solitaire, avait été dicté par la nécessité et non par l’égoïsme.

— Tu as fait ça seule ? répéta Liam, les bras croisés, l’air grave. Tu ne te rends pas compte du danger…

— Je savais ce que je faisais, coupa Cléo, un peu sèchement mais sans agressivité. Et je n’avais pas le choix : cette personne pouvait nous aider.

Caleb fronça les sourcils, mais il semblait plus inquiet qu’énervé.

— On comprend que tu voulais bien faire… mais tu aurais pu te faire tuer.

— Je le sais, répondit Cléo, hochant la tête. Mais je devais agir. Je ne pouvais pas rester là, à ne rien faire alors qu’on avait besoin d’une solution.

Ilana, toujours secouée par les événements, murmura :

— Alors… c’est pour ça que tu es revenue avec lui.

Syn resta silencieux quelques instants, observant chacun d’eux. Son regard glissa sur les flammes, sur les villageois courant pour éteindre les foyers menaçants, puis revint sur le groupe.

— Vous n’êtes pas là par hasard, dit-il enfin, sa voix calme mais pleine d’autorité. Mais pour l’instant… ce qui compte, c’est d’aider ces gens. Le reste peut attendre. Une fois que vous serez en sécurité, je vous expliquerai tout.

Cléo sentit un mélange de soulagement et de frustration : il ne dévoilait rien, mais au moins il établissait la priorité.

Sans attendre davantage, les cousins se mirent au travail. Jorick et Liam aidèrent à transporter des seaux d’eau depuis le puits, leur force permettant de soulager les villageois épuisés. Caleb organisait les chaînes humaines et distribuait des instructions claires, son calme naturel rassurant ceux qui paniquaient. Ilana, encore secouée, suivait les consignes de Jorick et Cléo, mais Cléo ne pouvait s’empêcher de jeter un coup d’œil à Syn, cherchant dans ses yeux une confirmation silencieuse qu’elle avait fait le bon choix.

Syn, lui, se déplaçait avec aisance parmi les villageois, offrant de brefs conseils, guidant les gestes, mais sans jamais toucher directement au feu. Cléo sentait qu’il contrôlait la situation, et que sa présence apportait un peu de calme.

Peu à peu, les flammes faiblirent, et la fumée commença à se dissiper. Les villageois, épuisés mais soulagés, commencèrent à rassembler ce qui pouvait encore l’être. Cléo sentait l’adrénaline retomber et ses muscles se relâcher, un mélange de fatigue et de satisfaction s’installant.

Le lendemain matin, le village était silencieux, comme si la nuit avait tout effacé et laissé derrière elle seulement la suie et les cendres. Le soleil filtrait à travers la fumée, dessinant des rayons dorés sur les toits effondrés et les ruines encore fumantes.

Au loin, Cléo aperçut Syn, immobile, en pleine conversation avec le chef du village. Sa silhouette paraissait inébranlable malgré la catastrophe. Le chef hochait la tête à plusieurs reprises, les traits tirés, puis se détourna. Syn, sans un mot, se dirigea vers eux.

— Vous ne pouvez pas rester plus longtemps, dit-il simplement en s’approchant, le regard perçant chacun des cousins. Les lieux sont sûrs pour le village… mais pas pour vous.

Ilana ouvrit la bouche, prête à protester, mais Cléo posa une main sur son bras. Elle savait que Syn ne parlait pas à la légère.

— Je vais vous conduire à un endroit sûr, continua-t-il, en jetant un œil circulaire sur les collines et les pins environnants. Là où vous pourrez comprendre ce qui se passe… et apprendre à maîtriser ce que vous portez en vous.

L’idée de partir encore fit frémir Liam et Lysandra. Cléo sentit une vague de soulagement mêlée d’appréhension. Les cousins, encore chamboulés, échangèrent des regards inquiets, mais tous comprirent que la décision ne leur appartenait pas.

— La route est longue, dit-il. Vous devez être prêts. Deux jours de marche vous attendent avant d’arriver à votre destination.

Ils rassemblèrent leurs affaires et prirent la route à travers les collines et les forêts denses. L’air matinal était encore frais et le parfum des pins emplissait l’air. La végétation ne ressemblait pas à ce que Cléo connaissait. Certaines plantes paraissaient vivantes, l’une d’entre elles avait même essayé de faire un croche-pied à Liam, qui n’avait pas apprécié la blague.

Plusieurs fois, elle aperçut de nouveau les même silhouettes aux ailes translucides qu’ils avaient vues lors de leur arrivée dans ce monde étrange. Ces êtres graciles et lumineux s’inclinaient toutes au passage de Syn qui leur rendait leur salut avec une gravité solennelle.

Cléo finit par demander à leur guide :

— Que sont-elles ?

— Ce sont des sylphes, des esprits des bois. Elles vivent en symbiose avec la nature et protègent leurs forêts. Les plus âgées d’entre elles ont un lien particulier avec les plus vieux arbres : ils partagent le même cœur, lui répondit Syn.

Cléo avait l’impression d’assister à une scène sortie tout droit de ses romans préférés. Une part d’elle brûlait d’excitation, comme si ses rêves les plus fous prenaient vie. Mais une autre, plus lucide, savait que ce monde n’avait rien d’un conte de fées.

— Tout ça c’est vraiment trop bizarre… marmonna Caleb qui avait écouté leur conversation.

Après quelques heures de marche, Syn leur accorda une pause près d’une rivière. Ils remplirent leurs gourdes que le chef du village leur avait gentiment données et s’installèrent quelques instants sur les rochers moussus afin de reprendre leur souffle. Le voyage se poursuivit toute la journée, jusqu’à ce que le ciel se teinte d’une douce lueur orangée et que le soleil disparaissaient lentement derrière la cime des arbres. Leur guide les mena jusqu’à une clairière abritée.

— Nous passerons la nuit ici, dit-il simplement.

Ils installèrent leur campement autour d’un feu avec les branches que Caleb et Jorick ramenèrent des sous-bois. La fatigue se lisait sur leurs visages mais personne n’osait se plaindre. Même Liam, qui adorait râler, restait étrangement calme, les genoux remontés contre sa poitrine. Cléo jeta un coup d’œil à Lysandra qui paraissait nerveuse. Elle se tordait les mains et n’arrêtait pas d’ouvrir et de fermer la bouche comme un poisson. Son regard croisa celui de Cléo qui l’encouragea d’un petit signe de tête.

— Hmm… Syn, est-ce que je peux vous poser une question ? se lança-t-elle d’une voix timide.

Syn, qui méditait à côté du feu, ouvrit un œil sans répondre à Lysandra. Prenant ce geste comme un assentiment, elle continua :

— Est-ce que vous pouvez nous dire où vous nous emmener exactement ?

Cette fois, Syn planta sur eux son regard profond.

— Je vous emmène chez moi, dans un endroit que l’on nomme le Temple des Eléments.

Un silence suivit sa déclaration. Cléo et sa sœur se regardèrent et elle vit dans les yeux d’Ilana une sorte d’espoir. Elle comprendrait peut-être enfin ce qui lui arrivait.

Jorick brisa le silence qui s’était installé :

— C’est quoi cet endroit ? Qu’est-ce qui nous attend là-bas ?

— Il n’y a rien à dire de plus pour l’instant, répondit Syn.

Il referma les yeux. Jorick et Caleb le pressèrent de répondre, même en le menaçant, mais rien ne le fit sortir de son mutisme. Ils finirent par abandonner et chacun essaya de s’installer pour la nuit. Cléo leva les yeux vers le ciel. La nuit tombait, parsemée d’étoiles plus nombreuses et plus éclatantes que dans leur monde. Elles semblaient si proches qu’elle avait l’impression de pouvoir les toucher. Au loin, un hululement étrange résonna, suivi d’un bruissement dans les feuillages. La forêt n’était jamais vraiment silencieuse : des murmures, des craquements, des chuchotements semblaient rôder juste au-delà de la lumière du feu.

Cléo avait du mal à se détendre. Ses yeux revenaient sans cesse vers Syn, assis en retrait, légèrement en hauteur sur un tronc d’arbre renversé. Il ne dormait pas, ne parlait pas. Son regard balayait la forêt avec une intensité troublante, comme s’il percevait des choses invisibles pour eux. Le feu projetait des ombres mouvantes sur son visage marqué par les ans, et Cléo se demanda soudain quel âge il avait vraiment.

Avant de sombrer dans le sommeil, une seule pensée traversa son esprit :

Il sait bien plus qu’il ne nous dit. Et tôt ou tard, il faudra qu’il parle.

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