Chapitre 15 : Jorick

La nuit avait été paisible pour le groupe et la marche avait repris au matin, au rythme régulier de Syn qui ouvrait la voie. Le silence s’était imposé entre eux, chacun ruminant ses pensées. Jorick scrutait les contours des collines et des pins : le vent faisait frissonner les aiguilles et les feuilles, apportant avec lui des odeurs de terre humide et de mousse, si différentes de celles de chez eux.

Il n’arrivait pas à se faire un avis sur leur guide. De premier abord, il lui avait semblé froid et peu digne de confiance. Comment un parfait inconnu pouvait-il savoir qui ils étaient et ce qu’ils faisaient dans ce monde inconnu ? Le doute le rongeait, et l’angoisse de se tromper en suivant Syn pesait sur ses épaules comme un sac de pierres.

Il se permit un coup d’œil aux visages de ses cousins. Fatigués et nerveux, ils n’avaient plus rien de ces jeunes gens ordinaires qu’ils étaient quelques jours plus tôt. Quelque chose avait changé en eux, et il savait que ce n’était pas seulement la peur.

Ilana le troublait plus que les autres. La nuit de l’attaque, il avait remarqué ces flammes dans ses yeux, cette énergie qui vibrait autour d’elle comme un brasier prêt à exploser. Et lui… lui, il avait senti l’eau répondre à sa peur, comme un torrent jaillissant de son cœur, puissant et incontrôlable. Cette force l’avait surpris, mais elle avait jailli exactement au bon moment pour protéger ceux qu’il aimait.

Il inspira profondément, laissant l’air humide et parfumé de la forêt emplir ses poumons. Chaque pas dans les feuilles mortes et les brindilles craquantes lui rappelait qu’il n’était plus chez lui, que ce monde obéissait à d’autres règles, et qu’il devait apprendre vite. Syn marchait devant eux, droit et immobile comme un chêne, ses yeux marrons balayant la forêt de temps à autre. Jorick sentait que leur guide connaissait plus de choses qu’il ne voulait bien en montrer.

La colonne arriva finalement au bord d’une rivière aux eaux clairs et rapides dont les remous argentés reflétaient la lumière du soleil matinal. Syn leur indiqua qu’ils allaient faire une pause laissant le groupe reprendre son souffle et observer les alentours. Il s’installèrent le long de la berge, les pieds dans l’herbe humide et Jorick ne put s’empêcher de scruter le courant. Il était hypnotisé par la force de l’eau qui frappait les rochers, il la ressentait jusque dans son cœur.

Syn s’approcha du bord de la rivière et indiqua la rive opposé :

— Il faudra traverser.

Un murmure inquiet parcourut les cousins. Le courant paraissait impossible à franchir. Même Jorick, qui n’avait jamais eu peur de se mouiller, sentit un pincement au ventre.

— Tu te fiches de nous ? lança Liam, les bras croisés. On va se faire emporter direct !

Syn ne répondit pas. Son regard pénétrant s’était tourné vers Jorick, comme s’il attendait quelque chose. Jorick sentit son cœur s’accélérer.

— Tu veux que je trouve une solution ? demanda-t-il, mal à l’aise.

— Non, répondit Syn d’une voix calme. Je veux que tu écoutes.

Jorick ouvrit la bouche pour répliquer mais il décida d’écouter son conseil. Il ferma les yeux et se concentra. Le rugissement du torrent emplissait ses oreilles, vibrant jusque dans ses os. Il rouvrit les yeux et s’agenouilla au bord, fixant l’eau furieuse. Plus il la regardait, plus il avait l’impression qu’elle l’appelait.

— Tu peux le faire, souffla Lysandra derrière lui.

Il n’était pas sûr de comprendre ce qu’il faisait. Ses mains s’étendirent vers le torrent, son instinct guidant ses gestes. Une énergie puissante jaillit de son ventre, froide et brûlante à la fois. L’eau réagit aussitôt.

Le courant ralentit. D’abord à peine perceptible, puis plus marqué, comme si le fleuve tout entier se pliait à sa volonté. Un passage étroit se forma, dévoilant des pierres pleine d’algues jusqu’alors noyées.

Les cousins restèrent bouche bée. Cléo posa une main sur son épaule, à la fois fière et stupéfaite. Liam lâcha un juron admiratif.

Jorick, lui, tremblait de toutes ses forces. Ses bras lui semblaient de plomb, son esprit prêt à éclater sous la pression. Mais il tint bon, assez longtemps pour que Syn leur fasse signe de traverser. Les cousins s’élancèrent un à un, prudemment mais avec hâte.

Quand enfin le dernier eut atteint l’autre rive, Jorick lâcha prise. L’eau se referma avec un fracas assourdissant, éclaboussant ses jambes. Essoufflé, vidé, il resta un moment à genoux, les mains crispées dans la boue.

Syn le rejoignit, posant une main ferme sur son épaule.

— Tu commences à entendre ton élément. Mais ce n’est que le début.

Jorick leva les yeux vers lui, partagé entre la fierté et la peur. La puissance qu’il venait de ressentir l’avait grisé, mais aussi terrifié. Et une question, plus lourde que toutes les autres, s’imposa dans son esprit : Était-il capable de contrôler cela… ou bien allait-il un jour s’y noyer ?

Syn leur fit signe de reprendre la route. Jorick resta encore un moment à contempler la rivière, Lysandra à ses côtés.

— C’était incroyable Jorick.

— Qu’est-ce qu’il nous arrive Lysandra ? Je suis… perdu. Je sens cette énergie en moi mais ça m’angoisse, je ne sais pas quoi en faire, avouant-il en plongeant son regard dans les grands yeux verts de sa cousine.

Elle lui sourit, sereine.

— Tu veux que je sois honnête avec toi ? Je pense que nous avons trouvé notre place. Enfin… en tout cas c’est ce que je ressens. Je ne me suis jamais sentie aussi vivante.

Elle posa une main légère sur son bras, pressant ses doigts en signe de réconfort, puis partit rejoindre le groupe. Ses mots résonnèrent dans l’esprit de Jorick et l’apaisa. Il jeta un dernier regard à la rivière et reprit la route.

Après plusieurs heures de marche, la forêt s’ouvrit enfin sur une vaste clairière. Le bruissement des pins s’éteignit d’un coup, remplacé par un silence presque irréel.

Au centre, surgissant comme un vestige oublié d’un autre temps, se dressait le Temple des Éléments. Ses murs de pierre grise, érodés mais solides, étaient couverts de motifs anciens : spirales, vagues, flammes et éclairs s’enlaçaient dans une harmonie étrange, sculptés avec un soin qui défiait les siècles. Des colonnes élancées supportaient des architraves gravées de symboles indéchiffrables, et des plantes aux feuillages luisants avaient pris racine dans les fissures, comme si la nature elle-même protégeait ce sanctuaire.

Jorick sentit un frisson courir le long de son dos. Tout, dans cet endroit, respirait la solennité.

— Nous y sommes, annonça Syn, sa voix claire brisant le silence.

— C’est… énorme, murmura Liam, la bouche entrouverte.

— Regardez ça, ajouta Lysandra, fascinée. Les gravures… on dirait qu’elles bougent à la lumière du soleil.

Les cousins restèrent immobiles, submergés par un mélange d’émerveillement et d’appréhension, tandis que Syn les observait en silence, comme pour jauger leur réaction. Il s’avança vers les marches usées du Temple et se retourna vers eux. Le soleil couchant dessinait sur son visage des ombres qui accentuaient la gravité de ses traits. Son regard balaya chacun d’eux.

— Ce que vous portez en vous n’est pas le fruit du hasard. Vous êtes liés à une ancienne prophétie. Depuis des siècles, nous savions qu’un jour viendraient ceux capables de rétablir l’équilibre.

Il se tourna vers les gravures qui ornaient les pierres, suivant du doigt les lignes courbes qui s’entrelacaient.

— Une Ombre s’étend sur Astreval. Insidieuse, invisible pour la plupart… mais elle gagne du terrain. Elle affaiblit les royaumes, corrompt les cœurs et nourrit la discorde. Elle est patiente, et son voile recouvre peu à peu tout ce qui vit. Votre présence ici n’est pas une coïncidence. Vous êtes les héritiers de ce monde, les porteurs des éléments. Vous seuls pouvez repousser l’Ombre qui avance.

— Stop ! éclata Liam. Ça suffit avec tes histoires de prophétie et d’ombres maléfiques. Tu nous prends pour qui ? Des personnages de conte ? Nous, on n’a rien demandé à personne !

Sa voix résonna violemment dans la clairière. Caleb acquiesça, les bras croisés, le visage dur.

— Il a raison. On n’est pas des élus, ni des héros. On veut juste rentrer chez nous. Tu comprends ça ? Chez nous. On a une famille, une vie. Et tout ce que tu racontes, ça ne nous concerne pas.

Syn les regarda longuement, imperturbable. Son silence pesait plus lourd qu’un discours.

Cléo, mal à l’aise, prit la parole :

— Mais… et si c’était vrai ? Si c’est pour ça que nous sommes là ?

— Et si ce n’est pas vrai ? coupa Liam, furieux. Tu veux qu’on crève ici pour une histoire qu’on ne comprend même pas ?

L’ambiance devint électrique. Jorick serra les poings, partagé entre la peur et une étrange certitude. Syn, lui, resta impassible.

— Je comprends vos doutes, dit-il enfin, calmement. Vous n’avez pas choisi ce destin. Mais le monde ne demande pas toujours notre avis. L’Ombre est réelle. Et si vous l’ignorez… elle vous trouvera, tôt ou tard.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Talharr
Posté le 02/10/2025
Hello ^^
On comprend mieux pourquoi ils sont là, Syn en dévoile un peu plus.
ça fait un peu Narnia aha un passage, des "élus" qui viennent d'un monde plus technologique.
Sinon l'apprentissage des pouvoirs est bien faite avec l'utilisation du décors.
On comprend Liam et Caleb qui veulent rentrer chez eux. Pourquoi se battre pour un monde qui n'est pas le leur ? (question narniesque aha)
Même si Lysandra y répond déjà un peu.

Juste une petite faute :
"Il s’installèrent"

A plus ! ^^
Carlarqlm
Posté le 06/10/2025
Coucou,
Haha oui j'avoue que Narnia est une de mes inspirations pour ce roman, tu m'as démasquée ;)
Vous lisez