Chapitre 14 : Dimanche 18 mai : Mon assistante bien aimée

Dimanche 18 mai : Mon assistante bien aimée

 

      Une odeur de café frais vient me chatouiller les narines. Comment est-ce possible ? Ma cafetière est en panne depuis plus d’un mois ! Maman arrive par derrière et commence à me caresser les cheveux. J’ouvre les yeux.

« Comment tu as réparé mon percolateur ?

-          Je l’ai tout simplement détartré avec du vinaigre. Tu as faim ?

-          Moi ? Toujours ! Il faut d’ailleurs que je fasse attention ; manger sans faire de sport …

-          En tout cas, tu n’as rien de trop en ce moment. Avec tes cheveux courts, tu as l’air famélique. Je vais te préparer un petit déjeuner complet.

Et elle revient avec un plateau garni comprenant un jus d’oranges, un yaourt, des tartines beurrées, un morceau de camembert et une tasse de café au lait. Le dos calé par des oreillers, le plateau posé sur les cuisses, j’entame mon fabuleux petit déj’. Une indispensable tasse de lait termine le tout.

« Quelle heure est-il ?

-          9 h 30.

-          L’infirmière va bientôt arriver.

-          Pour tes pansements, je peux le faire.

-          Impossible de décommander »

Dring !

« Quand on parle du loup … »

L’infirmière prépare son petit bazar  et s’installe près de moi.

« Hier, j’ai sonné plusieurs fois.

-          J’ai trouvé votre mot. Désolée, j’ai dû me rendre au bureau de police pour une plainte.

-          Vous vous êtes fait agressée ?

-          Comment le savez-vous ?

-          Votre joue est encore bleue. Qu’est-ce que vous avez mis sur votre genou et votre cheville ?

-          Demandez à ma mère.

-          (Maman) C’est une vieille recette de plantes macérées dans l’alcool. C’est très efficace pour calmer les douleurs. N’est-ce pas, ma puce ?

-          Oui, c’est étonnant.

-          (Infirmière) Vous me donnerez la recette. Bon, voyons voir. Le pansement a été changé quand même hier ?

-          Oui, un médecin l’a fait »

Très curieuse, Maman reste près de moi. Du sang séché empêche le morceau de gaze de se décoller de ma peau. L’infirmière l’imbibe de désinfectant et il se détache comme par magie. Ma jambe nue semble raconter à ma mère toutes mes douleurs.

« (Maman) Les fractures ouvertes laissent toujours des cicatrices très impressionnantes.

-          (Moi) Je ne m’y ferai jamais. Juste après l’accident, j’ai regardé lorsqu’ils ont découpé mon pantalon. Je n’oublierai jamais cette vision de ma jambe brisée en deux comme une allumette avec l’os qui sortait sur le côté. C’était comme dans un cauchemar … dont je ne me suis pas encore réveillée »

Après un bon repas, j’entame une sieste réparatrice écourtée par deux coups de sonnette de Paul. Je suggère alors à Maman de rentrer chez elle.

« Paul va me surveiller maintenant. Et Val doit en avoir marre de manger des œufs et des surgelés.

-          Tu as plus besoin de moi qu’elle.

-          Ne t’en fais pas. Paul va te conduire à la gare »

Après de longues embrassades, Maman sort, escortée par Paul. Au retour de ce dernier, je raconte ma journée d’hier et il fait de même.

            Le souper se compose d’un des nombreux plats préparés par ma mère et répartis en portions individuelles. Paul ne mange pas avec moi. Il attend que j’aie fini pour tout débarrasser et faire la vaisselle. Je sens qu’il est embarrassé.

« Qu’est-ce qui se passe ? Tu as l’air bizarre.

-          J’ai promis de souper chez mes parents car ma marraine vient ce soir. Comme elle habite loin, je la vois peu. Ma mère voulait t’inviter mais j’ai dit qu’il fallait que tu te reposes. J’ai bien fait ?

-          Oh oui ! J’évite déjà les repas avec ma propre famille, tellement c’est rasoir. Tu vas voir Paulette alors ? Embrasse-la de ma part.

-          Si tu veux, je peux m’excuser et rester près de toi en prétextant une horrible crise.

-          Non, vas-y. Je ma sens bien. On se voit demain. »

Un bisou et il file. Ca me retire une épine du pied car je ne peux pas encore me débiner au café et je ne savais pas comment me débarrasser de Paul. Il me reste une heure pour me rendre présentable avec du maquillage un peu plus prononcé que d’habitude pour cacher mon œil poché.        

J’entre à 20 heures au Grincheux. Mon  plateau n’est pas à sa place habituelle. Je me dirige vers le patron pour lui en faire la remarque quand j’aperçois une jeune fille s’approcher du bar et crier diverses commandes en échangeant des verres vides contre des pleins et repartir aussitôt vers MA salle avec MON plateau. Le boss remarque enfin ma présence.

«  Tiens, une revenante ! C’est trop tard, je t‘ai trouvé une remplaçante.

-          Mais … ce n’était que pour un  soir. Vous voyez, je suis là … et à l’heure. Pitié, donnez-moi une dernière chance. Vous savez que j’ai besoin de ce job. »

Didier arrive à la rescousse :

« Patron, vous savez que Delphine est une fille courageuse. Elle traverse une période de galères. N’aggravez pas sa situation. Je vous avais dit hier qu’elle serait là. Pourquoi avez-vous fait revenir Aurore ?

-          Je n’avais pas envie de me retrouver sans serveuse. Et la petite travaille bien.

-          C’était un remplacement. Delphine retrouve son poste et Aurore s’en va.

-          Je la garde encore pour ce soir car un groupe a réservé une table de vingt. Delphine n’est pas assez rapide.

-          Gardez les deux pour ce soir. »

Le gros réfléchit longuement.

« D’accord mais toi (en me désignant) je ne te donnerai que la moitié de ton salaire horaire. Ca compensera ta perte d’efficacité. C’est à prendre ou à laisser. Je ne discuterai plus. »

J’accepte. C’est mieux que rien. Je conserve ma place et un coup de main n’est jamais de trop. Je m’en vais faire la connaissance de ma doublure blonde lorsqu’elle revient au bar.

« Bonsoir, je suis Delphine. Tu m’as remplacée hier.

-          Enchantée. »

Elle jette un regard inquiet vers le patron.

« Ne t’en fais pas. Tu restes ce soir, on va travailler en partenariat. Dans la salle, je m’occuperai des tables 20 à 30. Toi, tu prendras celles du fond. Comment t’appelles-tu ?

-          Aurore.

-          Tu as quel âge ?

-          Seize ans.

-          Alors, au boulot, Aurore ! »

Seize ans ! J’espère que je ne devrai pas lui changer ses couches. Le patron est fou ; une mineure pour un travail si tardif dans un milieu plein d’anonymes alcooliques. Je l’observe. Elle me ressemble quand j’ai débuté ici : toujours occupée à courir de table en table, à veiller à ce que rien ne traîne, que les cendriers soient vidés au départ des clients. Cela s’appelle le zèle. Celui-ci s’estompe après quelques semaines lorsque l’on comprend qu’il n’est pas rémunéré. En outre, au plus vous donnez, au plus on vous demande. Donc, peu à peu, on freine la cadence pour ne faire que le nécessaire. Encore plus dans ma situation ! Le temps que je prenne une commande et que j’aille jusqu’au bar, Aurore a fait trois allers-retours. Lorsqu’elle passe à mes côtés, je lui attrape le bras.

« Sois sympa. Ralentis un peu la cadence. Dans ton intérêt et le mien. »

Le club de motards qui avait réservé arrive vers 22 heures. Il s’installe dans la partie de la salle dévolue à Aurore. J’ai un petit sursaut d’effroi en les voyant débarquer mais aucun ne fait partie du groupe de vendredi soir. La petite serveuse se rend à leur table. Je la surveille du coin de l’œil. La prise de commande semble s’éterniser. Je m’approche et constate qu’ils sont occupés à la draguer avec la délicatesse d’un quinze tonnes et des mots qu’une jeune fille n’a pas à entendre. Je la vois devenir rouge comme une pivoine quand un des gars se permet de lui poser la main sur les fesses. C’est trop, je m’en mêle.

« Aurore, va prendre la commande de la table 23, je te prie. »

Soulagée, la petite s’éclipse rapidement.

« Bonsoir, messieurs. Je pense que vous avez eu largement le temps de vous décider sur vos consommations.

-          Oui, on veut une blonde … en mini jupe. »

Les autres se mettent à rire.

« Désolée, ce soir, il n’y a plus que de la brune. Mais on vous offre les cacahuètes avec ! »

Ils rient et se décident enfin à passer commande. La vingtaine de boissons en tête, je retourne au bar où je croise Aurore qui me remercie discrètement.

« Dans ce métier, il faut apprendre à se défendre … mais sans se mettre en danger. C’est ce qui m’a fait défaut vendredi.

-          Didier m’a expliqué ce qui s’est passé. »

Le travail continue au même rythme. Vingt-trois heures approchent et la fatigue se fait sentir. Je commence à avoir des étourdissements ; ce qui m’amène à faire un détour aux toilettes. Assise sur la lunette fermée et la tête appuyée contre le mur, j’entends quelqu’un entrer et appeler mon prénom d’une petite voix. C’est Aurore.

« Je suis dans la dernière toilette. »

Elle ouvre la porte.

« Didier m’envoie. Il m’a dit de vérifier si vous étiez encore consciente. Pourquoi ? »

Je pouffe de rire.  

« Parce que j’ai perdu connaissance la semaine dernière et qu’il s’inquiète. J’arrive tout de suite.

-          Reposez- vous encore quelques minutes. Je m’occupe de vos tables. Je vous dois bien ça pour m’avoir sortie de ce guêpier tout à l’heure.

-          Merci. »

Ces minutes de répit supplémentaires me sont profitables et je repars du bon (et seul) pied jusque minuit. Les derniers clients partis, les tables nettoyées et prêtes pour le lendemain, je rends mon plateau. Après avoir récupéré ma seconde béquille, je demande à Aurore :

« Où habites-tu ?

-          Près du parc, rue verte.

-          On peut faire un bout de route ensemble. Les rues sont dangereuses pour une jeune fille. N’oublie pas de réclamer ton salaire. »

Le patron lui glisse des billets soigneusement pliés dans la main et on sort.

« Il ne t’a pas arnaquée ?

-          Je n’ai pas osé compter. Ca fait longtemps que vous êtes serveuse ?

-          Ca fait quatre ans. Tu peux me tutoyer. Je n’ai que 22 ans.

-          Comment vous … euh … tu t’es fait cela ?

-          Dans un accès de colère, je me suis tapée la jambe contre le mur jusqu’à ce qu’elle se brise. C’est un syndrome d’automutilation classique. »

La petite me regarde avec des yeux écarquillés. Je la vois imaginer la scène. S’en suit une expression d’horreur et d’incompréhension. Je la rassure avant qu’elle ne s’enfuit en courant :

« Non, c’est une voiture qui m’a percutée. C’est rien. Et toi, pourquoi tu travailles ? Tu as encore l’âge d’aller à l’école. 

-          J’habite seule avec mon père depuis le divorce de mes parents. Il est au chômage et les fins de mois sont difficiles. Donc, j’essaie de trouver des petits boulots pour le week-end. La semaine, je suis en cours. C’est difficile de combiner les deux en période d’examens.

-          Ne lâche surtout pas tes études. J’ai fait cette bêtise et maintenant je le regrette amèrement car je ne peux espérer mieux que ce job de serveuse. »

On atteint l’arrêt d’autobus.

« Excuse-moi. J’ai besoin de faire une petite pause. »

Je squatte l’entièreté de la petite banquette en plastique.

« Désolée, je ne te laisse même pas une petite place.

-          Je n’en ai pas besoin. Vous … tu as mal ?

-          Oui, tout le temps. La seule chose qui change, c’est l’intensité.

-          (d’un air inquiet) Tu n’as personne pour t’aider ?

-          Si. Ma mère rêverait que je revienne chez elle pour ma convalescence mais je préfère garder ma liberté. J’ai un ami aussi qui passe tous les jours. Tu vois, je ne suis pas seule. Ne t’inquiète pas. Bon, on repart. »

Arrivées en face de chez moi, je l’invite à entrer boire quelque chose. Elle refuse poliment. On se serre la main.

« Avant que tu t’en ailles, je pourrais avoir ton numéro de téléphone ? Au cas où j’ai encore besoin d’une remplaçante. »

Elle scribouille sur un bout de ticket de caisse et me le remet.

« En tout cas, si tu as besoin un jour d’une amie ou si tu as un problème, sache que tu peux toujours sonner à ma porte.

-          Merci, Delphine. Je m’en souviendrai. Je passerai te voir pour prendre de tes nouvelles. Bonne soirée. »

Je suis heureuse de m’être fait une nouvelle amie ce soir. Elle est attachante cette petite. Je sens chez elle une certaine solitude et une détresse. Pourvu qu’elle rentre saine et sauve chez elle. Avec tous les dangereux criminels en cavale. D’ailleurs, je me demande si mon motard puant est toujours en cellule. Je me glisse dans ma robe de nuit et sous ma couverture. Je regarde l’horloge : il est déjà minuit et demi. Je n’ai pas encore dormi et une nouvelle journée commence. J’espère qu’elle sera belle. Je m’endors sur cette pensée positive.  

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arielleffe
Posté le 12/08/2013
La mère de Delphine se laisse facilement convaincre de partir, elle pourrait protester un peu...
Je "me" sens bien, tu as écrit je "ma" sens bien
"au plus vous donnez, au plus on vous demande" j'aurais écrit "plus vous donnez, plus on vous demande"
Elle est vraiment folle de retourner bosser!!!! 
couscous1976
Posté le 12/08/2013
Elle laisse la place à Paul. Il est vrai que la tournure est un peu bancale, comme Delphine d'ailleurs. Elle est totalement folle en effet.
dominosama
Posté le 17/04/2013
ha encore un doublon cet article est le même que celui que je viens de lire, il n'y a que le titre qui change, peut-être t'es-tu trompée dans le découpage ?
couscous1976
Posté le 17/04/2013
Oui, je corrige. Merci
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