Lundi 19 mai : Le retour du grand méchant roux
Vers 10 h, un coup de sonnette bref. Je cours (au sens figuré) ouvrir, croyant trouver Paul, mais c’est un homme en uniforme qui me demande :
« Vous êtes bien Delphine Morel ?
- Oui. Entrez. »
Le policier prend place sur la seule chaise du salon.
« Vous pouvez prendre un fauteuil, c’est plus confortable.
- Non, merci. Je dois vous poser quelques questions concernant l’accident du lundi 5 mai à 14 h 18.
- C’est précis comme timing.
- On s’est basé la déclaration de Monsieur Carbon.
- Ce n’est pas l’agent Delahaye qui s’occupe de ce dossier ?
- Il a fait le constat. Je suis chargé de l’enquête. Avez-vous vu le véhicule qui a percuté la voiture qui vous a renversée ?
- Non, pas du tout. J’ai perdu connaissance à cause du choc.
- C’est gênant car le seul témoin oculaire est Monsieur Paul Carbon qui a relevé juste le type de voiture. Monsieur Carbon aurait aussi bien pu vous avoir renversée et aurait rejeté la faute sur un conducteur fictif. Quant aux dégâts matériels, ils peuvent être antérieurs à l’accident.
- Ce n’est pas possible car il était à l’arrêt complet pour me laisser passer.
- En êtes-vous totalement sûre ?
- Oui, je ne traverse pas quand un véhicule arrive. Je ne suis pas suicidaire.
- Vous pourriez très bien vous être jetée sous les roues de la voiture pour toucher une prime d’assurance. Ca s’est déjà vu. Je sais que vous êtes en situation financière précaire …
- Non, avant cela, ma situation financière était stable. C’est maintenant qu’elle devient précaire. Vous devriez interroger le coiffeur d’en face. Il a entendu l’accident.
- Bon, j’ai noté vos déclarations. Veuillez signer ici. Je vais faire mon rapport. Bonne journée Mademoiselle Morel. »
Je me demande quel type d’homme est le fuyard. Il a vu qu’il avait provoqué un accident avec blessé et il prend ses jambes (ou plutôt ses roues) à son cou. Pourquoi ? Est-ce qu’il était pressé ou il n’était pas en règle d’assurance ou il n’avait pas de permis ou encore a-t-il eu peur de m’avoir tuée. Heureusement que Paul, lui, ne s’est pas débiné. C’est dans une situation de crise que l’on découvre la vraie nature des gens.
Bref, après ce petit moment de réflexion, il faut que je sorte chercher du pain. La boulangerie est assez lointaine. Ca me permettra de prendre un peu l’air. Il fait un soleil magnifique. Une seconde raison de mettre mes lunettes noires. Il est vrai que porter des lunettes de soleil quand il pleut peut paraître suspect. Tiens, le docteur a déposé son rapport dans ma boîte à lettres. Il faudra que je le donne à Paul qui le transmettra à Delahaye.
Je reviens un peu avant midi avec mon sac à dos rempli de pain, baguette et autres croissants. J’ai la jambe qui grince. Deux tours de clé et la porte s’ouvre. Je la repousse sans me retourner pour la refermer mais elle reste bloquée. Une forte odeur de bière envahit l’entrée. Je pivote la tête et … horreur … je me retrouve nez à nez avec le motard puant. Il brandit son couteau de chasse et me fait signe de ne pas crier. Une fois la porte fermée, il s’approche. Je suis toute tremblante, au bord de l’évanouissement.
« Vous … vous êtes enfui ?
- Tu ne pensais tout de même pas qu’ils me garderaient pour si peu. Tu n’as pas de chance car je suis rancunier. Avance ! »
Comment me sortir de ce pétrin ? Qu’est-ce qu’il a l’intention de me faire ? Comment appeler de l’aide ? Où est le téléphone ?
« Va déposer ton sac. T’as quelque chose à bouffer ici ?
- J’ai … des œufs, … du pain (je bégaie de peur).
- Fais-moi une omelette avec quatre œufs et bien grillée ! Grouille-toi ! »
Il est vraiment sans-gêne. Paul ne viendra pas avant deux heures. Il faut que je gagne du temps avant qu’il ne décide de … de quoi d’ailleurs ? De me violer, de me battre à mort, de m’égorger ? Je dépose mes courses dans la cuisine et reviens dans le salon.
« Qu’est-ce que tu fous ? Va cuisiner, fainéante !
- J’ai besoin de mon médicament.
- Tu l’auras quand j’aurai mon omelette. C’est cette boîte ?
- Oui. Donnez-moi juste un cachet … je vous en prie.
- Tu es vraiment poissarde car je n’ai jamais pitié. »
Il jette la boîte à terre et l’écrase à plusieurs reprises avec le talon de ses grosses santiags.
« (en exhibant son couteau rouillé) Il faut que je me montre vraiment plus méchant pour avoir à bouffer ? »
Je fais demi-tour en direction de la cuisine. Il me reste bien de la mixture de Maman pour me soulager un peu mais impossible de mettre des compresses en restant debout ! Et si j’en buvais ? Je préfère ne pas tenter le coup. Je vois le bonhomme s’allonger dans MON fauteuil et poser ses grosses bottes pleines de boue sur MA couverture. Il allume la télé. Je profite de sa distraction passagère pour ouvrir la porte donnant sur la cour. Je commence alors à hurler :
« Au secours. Un homme s’est introduit chez moi et me retient en otage. Appelez la police pour le numéro 12 ! »
Personne ne me répond derrière les hauts murs. Il est midi et il commence à pleuvoir. Les voisins sont chez eux, à table, devant leur repas. Le seul qui m’ait entendue, c’est mon hôte intempestif. Il arrive, furax ! Je me précipite vers la porte pour récupérer la clé et m’enfermer dehors. Mais je n’en ai pas le temps. Il met sa main répugnante sur ma bouche et me traîne dans la maison. Sur le sol, je gémis de douleur. Il sort chercher mes béquilles restées dans la cour et me les jette presque à la figure. Il referme la porte et met la clé dans sa poche pour s’assurer que je ne recommence plus.
« Ton père ne t’a jamais appris à obéir ?
- Il est mort quand j’étais jeune !
- C’est une grave lacune dans ton éducation ! Lève-toi, sinon … »
Il fait mine de vouloir m’asséner un coup de pied.
« NON ! »
Il se ravise et part au salon. Je me traîne, avec mes béquilles dans mon sillage, vers la table. En m’accrochant à une chaise, je parviens à me mettre debout. La douleur est intense et des gouttes de sueur perlent sur mon front.
Pendant que je prépare les œufs, j’en profite pour cacher un couteau dans l’élastique de ma jupe, sur ma hanche droite. Je mets dix minutes pour cuire l’omelette.
« Venez manger à table. C’est plus confortable.
- Non, ramène le tout ici. »
Ma tentative pour l’attirer loin du téléphone a échoué. Une question me taraude l’esprit :
« Comment avez-vous eu mon adresse ?
- Les policiers parlent tout haut en notant l’adresse d’une victime sur leur rapport. J’ai tout entendu dans la camionnette. Donne-moi une bière !
- Il n’y a pas d’alcool ici. J’ai de l’eau, de la limonade ou du jus de fruits.
- Des boissons de mauviettes ! De l’eau pour les animaux, limonade et jus pour les gamins.
- Du lait ?
- Tu vas regretter d’avoir fait la maligne quand j’aurai fini. Passe-moi de la moutarde. »
Je lui apporte le pot. Il en met un paquet dans son assiette.
A la moitié de son repas, le téléphone sonne.
« C’est qui ?
- Sûrement mon copain. Si je ne réponds pas, il va débarquer dans les cinq minutes.
- Tu réponds mais tu n’as pas intérêt à ce qu’il soupçonne quoi que ce soit. Compris ? (en me posant son couteau sur la gorge)
- Oui. »
Je décroche donc et tente de simuler la joie de vivre.
« Allô.
- Salut. Je voulais savoir si tu allais bien.
- Pas de problème.
- Qu’est ce que tu as mangé ?
- Une omelette.
- Encore ! Je vais finir par te surnommer ma poule. Repose-toi bien, Je t’aime. A tantôt ! »
Il ne faut pas qu’il raccroche !
« N’oublie pas de ramener ce que je t’ai demandé. Bisous. »
Je fais mine d’appuyer sur le bouton pour raccrocher mais Paul reste en ligne, curieux de savoir ce qu’il est censé devoir me rapporter. Je dépose le combiné sur la table et je m’empresse de prendre la parole haut et fort.
« Alors, vous êtes content ? Il n’a rien pu soupçonner. Qu’est-ce que vous me voulez. Ce n’est pas moi qui désirais porter plainte. C’est mon copain. Vous n’avez qu’à vous en prendre à lui.
- Du calme, ma poulette. Lui, il ne m’attire pas. Je finis les œufs et je te fais ton affaire.
- Je vais … chercher du pain dans la cuisine. »
En fait, j’en profite pour aller m’enfermer dans la toilette. Le bruit du cliquet lui met la puce à l’oreille et il accourt.
« Qu’est-ce que tu fous ? Ouvre la porte ! »
Je préfère rester muette. Ma jambe me fait horriblement souffrir. Il s’énerve et s’acharne sur la vieille porte en bois. Je prie pour que le verrou tienne le coup mais en vain. Ce dernier cède sous la force herculéenne de Barbe Rousse. Hors de lui, il entre dans le cabinet et m’attrape par les cheveux.
« Maintenant, tu vas sagement aller te vautrer sur le canapé. »
Tremblante comme une feuille en pleine tempête, je retourne au salon. Le motard me pousse violemment dans le fauteuil. Ma jambe en heurte le bord en bois.
« Couche-toi ! »
Je tente de l’amadouer en hoquetant de douleur.
« Je vous en prie … vous aggravez votre cas. Séquestration, c’est plus grave que coups et blessure … Réfléchissez … Si vous partez maintenant … je ne dirais rien à personne.
- Tu t’inquiètes de mon sort. Tu ferais mieux de t’occuper du tien. »
Il arrache mon chemisier ouvert. Les boutons volent partout. Soudain, j’aperçois sur le plafond de l’entrée des lumières bleues tournoyantes qui se reflètent. Enfin la cavalerie est arrivée ! Un bruit au niveau de la serrure n’échappe pas à mon geôlier qui me gifle.
« Comment t’as fait pour prévenir les flics ? Lève-toi ! »
Il m’agrippe le bras pour me relever, m’enserre la poitrine avec son bras gauche et attrape son couteau laissé sur la table. Deux policiers, dont l’agent Delahaye, forcent la porte et entrent, une arme à la main. Le gros me met sa lame sous la gorge.
« (Delahaye) Lâche ce couteau et lève les bras. Tu es seul et cerné. Tu n’as aucune chance de fuite. Libère-la !
- NON ! Sortez ou je la tue ! »
Il serre fort, j’ai du mal à respirer. Mes pieds ne touchent pas terre. Je sens le métal aiguisé pénétrer dans ma chair. Et moi qui ne suis plus immunisée contre le tétanos depuis longtemps ! La situation est dans l’impasse. Delahaye semble lire dans mes yeux la peur et la douleur. Mon geôlier crie et s’énerve :
« Lâchez vos armes sinon je tapisse la pièce de son sang. »
Je sais qu’il est temps que je refasse la déco mais tout de même ! Les agents baissent leurs revolvers et s’apprêtent à les poser à leurs pieds. La situation tourne en faveur du méchant ! C’est à moi de faire pencher la balance de l’autre côté, du mien ! De la main droite, je cherche mon couteau de cuisine. Il est toujours là. D’un geste rapide et de toutes mes forces, je lui taillade le bras gauche. Il crie et lâche prise. Je plonge en avant et rampe sur le flanc gauche vers les policiers. J’entends le bruit d’une détonation et un hurlement rauque. Je ne sais pas s’il est hors d’état de nuire alors je continue mon parcours du combattant pour m’éloigner le plus possible de lui. Un troisième policier se précipite vers moi et me traîne plus loin.
« Ca y est, c’est fini. »
Les deux policiers armés se précipitent vers le salon en préparant leurs menottes. Je me retourne. Le barbu se tient l’épaule en gémissant à genoux. Deux ambulanciers entrent pendant que le motard sort, encadré par trois agents. On me pose des questions mais mes idées sont confuses. Une tornade entre. C’est Paul. Il pousse un infirmier pour se frayer un chemin près de moi.
« Comment va-t-elle ? C’est quoi tout ce sang ?
- Laissez-nous travailler, Monsieur. Sortez pour vous calmer.»
Un policier accompagne Paul dehors. Couchée sur le sol de l’entrée, je reprends peu à peu pied dans la réalité. Je suis à moitié nue devant tous ces intervenants. C’est dans ce genre de situation que je regrette de ne jamais porter de soutien-gorge, faute d’avoir quelque chose de conséquent à y mettre ! Je porte juste parfois une sorte de brassière, taille douze ans. On me nettoie le sang que j’ai sur le torse et le cou avant de refermer mon chemisier. J’ai droit à un pansement à la gorge. Apparemment, mon agresseur a appuyé un peu trop fort et j’ai une entaille souvenir. Pas d’autre bobo. Pourtant, on me pose une perfusion.
« Ce n’est pas nécessaire.
- Je vais vous donner un calmant pour vous détendre. Vous avez eu de la chance de ne pas prendre de balle !
- Pas de bavure policière cette fois !
- Il vous a frappée au visage ?
- Oui, mais vendredi. C’est la seconde fois qu’il m’agresse !
- Il s’est acharné.
- Le sort aussi s’acharne sur moi »
Un policier revient du salon avec ma boîte toute écrasée. Il me demande :
« C’est à vous ou à lui ?
- A moi. Donnez m’en un qui n’est pas trop en miettes avec un peu d’eau s’il vous plaît. »
L’infirmier saisit les comprimés.
« Des antalgiques ? Où avez-vous mal ?
- Ma jambe. »
L’ambulancier relève ma jupe avec précaution.
« Désolé, je n’avais pas remarqué. C’est récent ?
- Deux semaines.
- Je vais vous donner un peu de morphine.
- C’est pas de refus. Je suis en manque. Ma dernière dose remonte à jeudi.
- Ensuite, on vous emmène à l’hôpital.
- Non, je préfère rester ici. Mon ami est là.
- Vous n’allez pas rester longtemps. Quelques heures pour finir la perfusion, récupérer vos forces et faire un petit check-up. Vous sortirez en fin de journée. »
Ils m’installent sur la civière, me sanglent et me rentrent dans l’ambulance. J’entends la voix de Paul :
« Je te retrouve aux urgences. »
Le trajet me rappelle de mauvais souvenirs. A l’hôpital, on me met dans un lit entouré par deux rideaux blancs. Il doit y avoir quelqu’un à ma droite car j’entends des murmures. Paul arrive une demi-heure après.
« Quelle galère pour se stationner ! Je peux enfin m’approcher de toi. Les policiers m’ont empêché d’entrer. Qu’est-ce qu’il t’a fait ?
- Rien, vous êtes arrivés juste à temps.
- C’était malin de ne pas avoir raccroché. Je me demandais ce que tu voulais que je te ramène. Puis, j’ai entendu votre conversation. J’ai tout de suite prévenu l’agent Delahaye. Ils l’avaient relâché ce matin après 48 heures de garde à vue avec ordonnance du juge de ne pas t’approcher. Maintenant, il est bon pour la prison.
- Comment vous êtes entrés ?
- Ils avaient pris un serrurier avec eux. Qu’est-ce que tu as au cou ?
- Une petite entaille. Il m’avait mis sa lame sur la gorge.
- Ils m’ont raconté comment ça s’est passé. Tu avais caché un couteau !
- Oui, pendant que je cuisinais son omelette. J’aurais voulu prendre mes jambes à mon cou mais j’ai beaucoup perdu en souplesse.
- Donc, le sang sur ton chemisier, c’est le sien quand tu l’as blessé ?
- Oui.
- Quel sang froid !
- Je n’ai pas trop réfléchi. Mais j’ai quand même eu de la chance. Ca aurait pu mal tourner.
- Tu es toujours une rescapée.
- Il ne faut pas compter que sur la police pour vous sauver. Le pire, c’est qu’un agent est venu ce matin pour m’interroger sur l’accident. Il a osé me suspecter de m’être jetée sous tes roues pour toucher l’assurance. Bref… me revoilà dans ces murs pour la troisième fois. Le quatrième séjour est peut-être gratuit. Aïe …
- Ils ne t’ont rien donné contre la douleur ?
- Si, mais la dose pour un enfant de cinq ans. Ils sous-estiment mon âge, Ouvre un peu mon attèle au niveau du genou. »
A travers la fenêtre donnant sur le couloir, qui vois-je passer ? Le docteur Lesage. Je demande à Paul de se mettre devant moi pour me cacher. Le médecin entre dans la pièce et se dirige vers le lit derrière le rideau de droite. Il passe au pied du mien en jetant un coup d’œil furtif. Indiscrète, j’écoute la conversation d’à côté. Apparemment, c’est une chute dans la rue à cause de mauvais pavés. La fille doit se faire opérer des ligaments du genou. J’entends « Bonne journée ! ». La blouse blanche repasse et s’arrête.
« Vous revoilà parmi nous. Vous vouliez vérifier que je suis bien de garde le lundi ?
- Non, j’ai été agressée. Une fois cette perfusion vide, je sortirai sans devoir demander votre avis.
- Ce n’est pas sûr. Je suis l’orthopédiste de garde aujourd’hui et vous êtes toujours blessée à la jambe, non ? Comment va-t-elle ?
- Incroyablement bien.
- (Paul) Elle a pris un violent coup de pied dans le genou vendredi soir
- Voyons ça …. »
Je murmure à Paul :
« Tu ne pouvais pas te taire ? »
Lesage fait son travail d’inspection :
« D’où vient cette coloration verdâtre sur votre genou et votre cheville ?
- Ce sont les marques des cataplasmes maison.
- C’est inutile !
- C’est faux. Grâce à cette médecine douce, mon genou est passé de la taille ballon de basket à celle d’un ballon de foot. Ce n’est pas négligeable. Au fait, j’aurais besoin d’une nouvelle prescription pour les antidouleurs. Mon agresseur s’en est pris aussi à ma boîte et a réduit les cachets en poussière.
- On va vous changer l’attèle. Celle-ci est abîmée. Ensuite, une petite radio pour vérifier qu’il n’y a pas d’autre dégât plus important que l’hématome. Mais, n’ayez crainte, je ne vous retiendrai pas si tout est normal.
- Je ne devrai donc pas venir demain ?
- C’est juste. On va reporter votre rendez-vous au mardi 27, sûrement pour la pose du plâtre. »
J’envoie Paul me chercher un chemisier propre et mes béquilles restées dans le salon. On me change les pansements et on me pose alors une attèle bleue. J’aurais préféré une fluorescente pour être visible quand je rentre la nuit du boulot ! Ensuite, j’ai droit à quatre points de suture au cou avant de partir pour une radiographie du genou. Et comme ce dernier a tenu le coup, je sors à 17 heures. Un petit passage à la pharmacie de Paul et on rentre. A la maison, j’ai le réflexe de me retourner pour vérifier que personne n’entre de force quand Paul referme la porte. Dans le salon, il y a des taches de sang par terre, sur la table basse et dans le canapé. Je raccroche enfin le combiné.
« J’espère que ça ne me coûtera pas une fortune en téléphone cette histoire !
- Qu’est-ce qui s’est passé avec la porte des toilettes ?
- Je m’y suis réfugiée, donc il l’a explosée. Elle s’est bien battue !
- Je vais chercher ma boîte à outils à la maison.
- Ne me laisse pas seule, je t’en supplie.
- Tu veux que j’appelle ta mère ?
- Non, reste juste cette nuit. Demain ce sera sorti de mon esprit.
- D’accord, ne t’affole pas. Pendant que je nettoie le canapé et le reste du salon, je vais te porter jusqu’à ton lit.
- Je reste en bas avec toi, debout s’il le faut. »
Paul finit par m’installer dans le fauteuil une place avec le pouf sous les jambes. Ca me gêne un peu de le voir s’affairer à faire disparaître les traces du drame. La sonnerie du téléphone retentit. Paul me passe le combiné. C’est Maman. Elle me demande de mes nouvelles Je reste muette car une vague d’émotion me submerge et me serre la gorge. Je ne peux contenir mes larmes. C’est comme si tout remontait d’un coup : la peur, la colère, le ras-le-bol. J’articule en hoquetant :
« Ca … va.
- Qu’est-ce que tu as ? »
Incapable de me calmer, je passe le téléphone à Paul qui lui raconte les faits de la journée de façon très journalistique. Ces quelques minutes à entendre relater mes mésaventures m’ont permis de retrouver un peu de sérénité. Paul me rend le combiné. Je lui fais le signe poing fermé, pouce relevé pour le féliciter de son récit.
« Maman ?
- Ma puce, c’est affreux. Il t’a blessée !
- Trois fois rien. Juste quelques points.
- Qu’est-ce que je peux faire ? … J’arrive.
- Non ! Paul va rester cette nuit. Demain, tout ça sera du passé. Maintenant, ils ont assez de chefs d’accusation pour le garder en prison. Il ne viendra plus m’attaquer. Désolée, j’ai craqué mais ça m’a fait du bien d’évacuer le stress. Je vais te laisser. Embrasse Val pour moi.
- D’accord. Repose-toi. Je t’appelle demain. Bisous.
- (Paul) Elle voulait venir ?
- Oui, tu t’en doutes bien.
- Ecoute. Ce serait plus sûr et plus facile si tu allais quelques temps chez ta mère et ta sœur.
- On en a déjà parlé. C’est non pour deux raisons. Premièrement, je veux garder mon indépendance et, deuxièmement, je serais trop loin de toi.
- Alors, tu pourrais venir chez moi.
- Tu habites chez tes parents.
- Ce n’est pas un problème. Ma mère sera ravie de t’accueillir.
- Si je fais ça, la mienne deviendra verte. Aller chez des étrangers, après toutes les discussions qu’elle m’a servies pour me faire revenir chez elle. Oublie ça. A chaque jour suffit sa peine. »
Paul passe la nuit à mes côtés, allongé par terre sur des couvertures. Il doit être aussi crevé que moi car il commence à ronfler au moment où j’allais basculer de l’autre côté du miroir. Une petite tape sur l’épaule le fait changer de position et arrêter son vacarme.
Quel fou ce motard !
Toujours un bon sens des dialogues, c'est très distrayant.