Chapitre 14 - Iro - Un secret nu sous la lumière

« S’effondrer, le Croc ? reprends Architecte Fio. C’est intéressant, ce que tu viens de dire. Qu’est-ce qui te pousse à penser ça ?

– Je pensais que votre rôle était de nous donner des réponses, interrompt Hani.

– En partie, mais prenez en compte ma position. Si on vient à travailler ensemble, je veux m’assurer que l’on puisse communiquer et échanger des idées. Pas seulement suivre mes ordres. Le terme apprenti m’a toujours agacé, mais ce n’est pas ma responsabilité d’attribuer un sens à un rôle. Son œil rebondit furtivement sur Wazo avant de revenir sur Raivo. Explique-moi ta pensée !

 

Raivo redresse son dos, resserre sa position en tailleur, et s’exprime méticuleusement, tout en se concentrant sur le visage de Fio. Surveillant la moindre expression, une ride, un sourcil, un battement, un fil de vérité.

 

« Tout ce qui existe finit par tomber, les oiseaux virevoltants autour du Croc, les créatures hantant les forêts sombres, nos corps flétris, aimé ou haï, à même le sol, ou jeté dans la fosse. Aussi indestructible, est le cristal, je doute qu’il soit éternel, et qu’à n’importe quel moment, il disparaîtra, comme vous et moi.

– Quand, à ton avis ? interroge Fio.

– Bientôt ? Depuis que je suis petit, je n’ai pas l’impression que le Croc s’élève… ni s’enfonce…

– Ah, Fio rigole. Intéressant, intéressant. J’imagine que tu n’es pas un natif du Croc. Tu viens des villes frontières ? de la couronne ? Raivo acquiesce. Sur les façades rayonnantes du Croc, n’avez-vous rien remarqué ?

– Les sculptures, réponds Iro hâtivement.

– Non, coupe Fio.

– Les armatures métalliques et cordes qui retiennent le Croc, enchaîne Iro, prise au jeu.

– Retiennent ? Pas vraiment. Tout en esquissant un sourire, Fio gratte son nez suivi d’un soupir fatigué et cite : Tous les secrets de ce monde sont nus devant vos yeux, mais encore faut-il savoir les découvrir sous la lumière. Une radote de mon aînée à chaque fois que je disais n’importe quoi, ou simplement trébuchait sur ma tunique. Fio hoche la tête en direction de Wazo puis s’assure de capter l’attention des autres. Regardez attentivement la prochaine fois que vous descendez à la couronne. Le long de la façade, le long des cordes de l’ascenseur, des traits horizontaux d’une couleur dorée, finement brillante, qui peut passer inaperçu à ceux qui sont hypnotisés par les reflets de jeux lumineux. À côté de chaque trait vous verrez une inscription, de centaines en centaines, une durée, en cycles, une marque que l’on trace pour mesurer l’élévation du Croc. Qu’ont vu vos yeux Apprenti Raivo ?

– Rien. Mais j’imagine que… la hauteur entre les traits s’est réduit.

– Effectivement, l’élévation du Croc s’est ralenti, grandement, depuis plusieurs centaines de cycles.

– Ses fondations s’enfoncent peut-être dans la fosse ?

– Non, son niveau est surveillé.

– Les nuages s’élèvent ?

– Non plus.

– Le cristal ne pousse plus ?

– Le cristal ne… Oh ! Oh ! J’ai failli baisser ma garde, avec la pire compagnie, une goutte de sueur coule sur son front, tandis qu’il surveille du coin de l’œil Wazo.

– Vous inquiétez pas, on gardera le secret ! plaisante Iro qui pense fièrement être la cible de ses craintes.

– En tout cas, cher Apprenti Raivo. Votre avenir est assuré avec moi, je pousserai un vote au prochain conseil pour que, si vous êtes d’accord, devenez mon successeur et prenez la responsabilité des fondations en tant qu’Architecte.

– Mais il vient juste d’arriver, réponds en colère Hani.

– Du calme, du calme, cautionne Fio tendrement. Je suis désolé si mon attitude t’a paru impoli, mais chaque Architecte est libre de choisir son, ou ses successeurs. Certains le font par affiliation, d’autres par ancienneté, d’autres par affinité, d’autres par débats oraux, ou duels armés. Difficile à croire, n’est-ce pas ? Mais bien entendu, Apprenti Raivo, sans une confirmation de vos connaissances, et aptitudes, de la part de votre Professeur, mon vote, et ceux d’autres Architectes qui pourraient être intéressés par vous, resteront inéligibles. Il est possible que vous restiez toute votre vie un Apprenti ! il se lève, craque quelques os. Mais je le doute. Car, si vous êtes un Apprenti ! C’est que quelqu’un de votre entourage a poussé votre candidature auprès d’un Architecte, et elle a été accepté. Bien. Je propose une petite pause, il indique une caisse ouverte, encerclée d’autres apprenti. Les en-cas sont déjà pris d’assauts. Bonne chance ! il part rejoindre discuter en concert avec d’autres Architectes.

 

Raivo se lève en direction de la collation, suivi par Hani visiblement décidé à démontrer son autorité par l’ancienneté, tandis que Iro et Wazo restent assises sur le tapis.

 

« Un Architecte m’a choisi ? questionne Iro.

– Sûrement, tu ne sais pas qui ? réponds Wazo.

– Meos n’est pas un Architecte. J’ai aucun souvenir d’avoir fait la connaissance avec un Architecte.

– C’est bizarre. Peut-être qu’un Architecte t’a vu de loin, et c’est dit. Tiens, tiens, Tiens, elle ferait une parfaite Architecte, plaisante Wazo avec un accent vicieux.

– Euh ! exprime Iro en simulant un renvoie. C’est pire. Elles rigolent ensemble, puis Iro lève les yeux au plafond, le songe d’un instant. Mais, ça veut dire que si je deviens Architecte. Je peux pousser un vote pour Meos. Il me rejoint. A parti de là, on ne manquera de rien. À l’abri. À jamais. »

 

Iro balaye la salle ovale, et les différentes ouvertures de galerie.

 

« Tu te souviens par où on est arrivé ?

– Là ! pointe Wazo de son doigt une galerie, plus grande que les autres, donnant sur l’excroissance de cristal sur laquelle Raivo a failli se tordre le dos.

– Tu as une idée où mènent les autres ?

– Pas vraiment.

– Attends, elle se lève et constate Fio engagé dans une conversation qui semble revigorante de par son attitude. Elle parcourt la pièce cherchant un autre Architecte disponible, avant de bloquer, rattrapé par ses craintes. Attends ! Tu vois le Professeur ?

 

Wazo balaye de la tête à son tour, ne le trouve pas, et se lève aussi.

 

– Effectivement, il n’est pas là.

– Il a probablement profité d’une diversion pour… comploter, quelque chose dans le genre…

– Une diversion ? Le cours en lui-même ? Je doute que toutes ses actions vont à ton encontre.

– Mais tu te souviens pas de… chuchote nerveusement Iro qui se prend des petites tapes de Wazo pour qu’elle se taise. J’ai compris, j’ai compris.

 

Iro rôde lentement, hochant poliment à la tête aux Architectes qui croisent son regard lorsqu’ils tentent réciproquement de surveiller, du coin de l’œil, Wazo qui la suit d’un pas élusif.

 

« Réfléchis Iro, Réfléchis, se dit-elle, les doigts pressés sur les tempes, d’une galerie à l’autre, avant de s’exclamer. Là ! »

 

Iro indique une galerie qui arbore des marques à sa droite, des coups de pinceaux de peintures noires, formant un cercle, non fini, asymétriquement dentelé, une extrémité chassant l’autre, d’une pression s’amenuisant sur la distance. Iro se tourne vers Wazo, et lui envoie une invitation à la suivre d’un levé de menton. Wazo fait mime de l’ignorer d’un pas de côté, alors que les index de ses deux mains, pointés vers le bas, oscillent frénétiquement, comme pour tenter de la prévenir d’un interdit. Iro comprend rien. Elle guette sa chance, et bondit en silence dans la galerie, à la poursuite du Professeur.

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