Iro s’enfonce dans la galerie à la radiance affaiblie. Spiralant en profondeur, avant de déboucher sur une pièce ovale, beaucoup plus petite à la fois en hauteur et largeur. Un puits sans fond à la couronne parfaite règne en son centre est dominé par une cage cylindrique pouvant accueillir deux personnes. Grande ouverte et sans porte, forgée de minutieuses décorations aux motifs ailés, le dôme de la cage est attaché à une chaîne reliée à une poulie, elle-même enroulée sur un treuil fixé au sommet d’une arche de quatre pieds aux ornements de ronces. L’arche est maintenue par de multiples chaînes. Certaines fondues sur des excroissances de cristal au plafond, d’autres reliées à des cubes à même le sol. Les murs de la pièce sont couverts de parois, et petits meubles empilés. Où s’amoncellent en vrac des insignes, sous la forme de fines plaquettes rectangulaires de métal iridescent sur lesquels dansent des gravures qui suivent l’œil attentionné. D’autres de ces mêmes insignes sont pendus au plafond de mailles des chaînes, tournantes sur elles-mêmes. Elles scintillent, se remuent, et par leurs cliquetis enrobent l’espace d’un ton solennel, respectueux et endeuillé.
Iro fait un pas dans la pièce, avant de se faire saisir par l’épaule droite.
« Apprenti Iro, dit le Professeur, la maudissant du regard. J’ai volontairement toléré votre comportement, en compassion suite à vos évènements récents. Mais, à moins de me fournir une explication convenable, je pense que l’on va devoir se séparer. »
Iro pose sa main gauche sur celle du professeur, sondant sa prise, cherchant délicatement à s’en démettre, en vain l’agrippe se renforce, déclenche un pic de douleur, de la peur à l’affront, son ton change.
« Je vous cherchais, rime-t-elle
– Moi ?
– J’ai besoin de réponses.
– À quel sujet ?
– J’ai, j’avais un animal de compagnie, un oiseau.
– Un oiseau ?
– Il virevoltait autour du Croc, parfois s’arrêtait à mon balcon, et j’avais pris l’habitude de le nourrir. Avec lui, je me sentais moins seul. Et à mon retour, je l’ai retrouvé inerte, mort. Je veux trouver qui a pu faire ça. »
Le professeur lâche son emprise, se déplace au centre de la pièce, à côté de la cage, et fait signe à Iro de se rapprocher. Le fond du puits est indistinguable, similaire à la fosse, la lumière s’estompe devant des ténèbres.
« Pensez-vous, que le responsable soit un autre Apprenti ? dit-il en invitant que Iro à se rapprocher d’un signe de main.
– Je ne sais pas
– un garde ?
– Je…
– un Architecte ? »
Le Professeur se déplace lentement derrière Iro, enserre ses épaules, et l’accompagne avec force à se tenir du bout des pieds près de la fente entre la cage et le rebord du puits sans fond. Iro relâche ses épaules, serre ses poings, tiens ses appuis et ne laisse transparaître aucune émotion sur son visage, tandis que ses pensées se partagent entre fuir et affronter le professeur, elle tente un dernier parlé.
« Si une personne malveillante vivait au Croc, parmi nous. Beaucoup d’architectes, et gardes, et apprentis, ne se sentiraient pas en sécurité. Leur vision du Croc changera. D’un havre de paix, à une forteresse imprenable. Le Croc deviendra peu à peu un tombeau sans échappatoire.
– Un tombeau ?
– La peur sèmera le chaos. J’en suis témoin, et vous l’êtes aussi. Depuis ces derniers évènements, je n’arrive plus à savoir ou tenir de la tête, ni même dormir sans être réveillé par une chimère.
– Un tombeau… »
Le professeur relâche sa prise. Par petits pas, il sillonne la pièce, et par petits coups, fait balancer les plaquettes suspendues iridescentes.
« Jamais ! affirme-t-il. L’idée qu’un Architecte souhaite du mal à un de ses confrères est impensable, inconcevable. Regardez autour de vous, chacune de ses insignes est… a été un Architecte. Tous, ont donnés leur vie pour le Croc. Tous, reposent ici, dit-il en désignant le puits sans fond. Ils font partie du Croc maintenant. Comme vous, reprend-il en pointant Iro du doigt, le ferez. Il continue à tourner autour de la cage, faisant tourner les insignes sur son passage. Mais, si la tâche est trop difficile. Que les émotions font pousser des chimères dans votre imagination. Vous pouvez toujours abandonner.
– Non, j’ai une responsabilité. Je ne vais jamais abandonner mon devoir d’architecte, ni trahir ceux qui me font confiance.
– Alors on peut se mettre d’accord, et oubliez cette histoire de vendetta imaginaire envers vos paires. Suivez mes conseils, et tout ira bien. Prenez du repos, s’il le faut. Et si vos chimères vous rattrapent, n’hésitez pas à vous confier à moi, c’est ma responsabilité, en tant que Professeur de guider les apprentis. »
Iro acquiesce, tandis que le Professeur s’apprête à quitter la pièce.
« Allons rejoindre vos paires. Le tombeau est restreint aux Architectes. Une aubaine que vous soyez tombé sur moi, dit-il en laissant échapper un petit ricanement.
– J’ai une dernière question, sollicite Iro, le fixant droit dans les yeux.
– Dernière.
– Connaissez-vous l’architecte qui a poussé ma candidature ? Pour que je sois Apprenti ? Quand je vivais avec Meos dans la couronne, on n’a jamais croisé…
– Moi, interrompt-il en arborant un sourire malicieux, gêné d’avoir cédé sous la tentation du silence.
– Comment ? rebondit Iro troublé.
– C’était votre dernière question, maintenant, il suffit. Suivez-moi. »