Au matin le jour suivant, Amélia attendait dans le hall du manoir. Sa cape sur les épaules, elle ne pouvait s’empêcher de se tordre les doigts. L’anxiété la rongeait alors que l’attende perdurait.
Au bout de quelques longues secondes, M. George apparut enfin. Il dévala les escaliers à toute allure et manqua s’écrouler devant la jeune fille. Le souffle court, il tenta de s’excuser de son retard. Amélia se contenta de sourire faiblement et lui offrit son aide alors qu’il peinait à enfiler sa propre veste.
Puis, ensemble, ils quittèrent le manoir.
Nerveuse, Amélia avait les mains qui tremblaient. Aujourd’hui était un jour particulier. Avec M. George, elle était censée se rendre au cimetière pour fleurir la tombe d’Emily. Et, malgré son envie d’y aller pour saluer une dernière fois son amie, Amélia se sentait de moins en moins la force de s’y rendre.
Pourtant, elle continuait de marcher au côté du majordome, courageusement. Le matin même, c’était elle qui avait demandé au vieil homme de l’accompagner, alors même que ses yeux brillaient de larmes et que sa voix n’arrêtait pas de chevroter. Mais Amélia s’interdisait de faiblir. Elle n’avait pas le droit de faire demi-tour, elle le devait à Emily.
Alors, elle continua son chemin.
Parvenus dans la Grand-rue, Amélia et M. George se dirigèrent vers le fleuriste Magifleur. Une fois devant sa vitrine, la jeune fille se figea, observant avec appréhension les ornements funéraires qu’elle voyait un peu plus loin dans la boutique. M. George se tourna vers elle, un sourire doux sous sa moustache. Il sentit son cœur se serrer de chagrin en voyant l’expression de l’adolescente.
– Ça va aller, respirez un grand coup, lui conseilla-t-il avec douceur.
Amélia hocha la tête et inspira une grande goulée d’air avant de sourire au majordome.
– Ça ira, assura-t-elle. Allons-y.
Et ils entrèrent dans la boutique.
Presque aussitôt, Amélia fut submergée par des centaines de parfums entêtants. Des senteurs de lavande se mélangeaient à celles de rose et de daphné. Les effluves qui lui parvenaient étaient si fortes, si concentrées, qu’Amélia en eut la nausée.
M. George se dirigea vers le comptoir, attendant que la vendeuse ait finit avec ses clients pour passer commande.
Pendant ce temps, l’adolescente – qui s’habituait doucement aux senteurs qui l’entouraient – commença à se promener dans la boutique, admirant les assortiments de fleurs enchantées qu’elle proposait. Elle en reconnue quelques-uns. Comme les bouquets de Cristallines, un assortiment de fleurs transformées en cristal par alchimie et dont la couleur pastel semblait si délicate. Ou ces Bouquets-chantants dont les fleurs ensorcelées se mirent à fredonner une berceuse à son passage.
Déambulant dans la boutique, Amélia s’arrêta finalement face à l’un des nombreux Bouquets-pétards décorant la vitrine. Ses petits feux d’artifices explosaient joyeusement au-dessus des fleurs, hypnotisant la sorcière de leurs couleurs éclatantes.
Amélia se souvenait en avoir admiré avec Emily quelques jours plus tôt. Son cœur se serra en se souvenant des commentaires qu’elle avait alors entendu. Cela semble si loin maintenant…
Toute à ses pensées, il fallut un moment à Amélia pour remarquer la silhouette qui était apparu à ses côtés. En relevant les yeux, elle découvrit une jeune fille d’environ son âge. Une elfe au doux sourire et aux yeux en amande d’une incroyable couleur mauve. Amélia la reconnut tout de suite. Il s’agissait de Lavande Purplewings, la fille de la propriétaire et gérante de Magifleur. Avec ses longs cheveux châtains cuivrés et sa peau de porcelaine, elle ressemblait incroyablement à sa mère.
– Elles sont belles, n’est-ce pas ?
– Quoi ?
– Les Éternelles, sourit-elle.
Elle pointa du doigt un assortiment de fleur aux pétales comme recouverts d’une fine couche de gloss pailleté d’argent juste à côté du Bouquet-pétard. Elles semblaient figées, presque fragile et pourtant immortelle.
– C’est le vieux sorcier de la boutique d’alchimie d’en face qui les immortalise avec une potion.
– C’est étrange, j’ai toujours pensé que c’était un sortilège, répondit Amélia, songeuse.
– Il y a un peu de ça, affirma Lavande en arrangeant des fleurs qu’elle trouvait un peu triste.
Ces dernières relevèrent la tête à son touché, comme par magie.
– Mais le plus gros de leur métamorphose vient de l’alchimie. Les Bouquets-pétard, eux, sont ensorcelés.
– Illusion ?
– Presque, sourit-elle en s’approchant de nouveau d’Amélia. Élémentalisme. Un savant mélange, je vous l’accorde, mais de la magie élémentaire quand même. Les illusions coûtent beaucoup trop chère et seules celles du Maître des Illusions en valent vraiment la peine.
Quelqu’un l’appela. La jeune fille s’excusa et s’en alla derrière le comptoir, laissant Amélia à ses réflexions. Son regard resta longtemps fixé sur les Éternelles que Lavande lui avait montré.
M. George rejoignit Amélia et lui demanda si tout allait bien. Elle se tourna vers lui et afficha un faible sourire avant de pointer du doigt un assortiment de fleurs aux pétales bleus.
– Celles-ci, annonça-t-elle alors que le majordome se tournait pour les voir. Emily adorait les bleuets.
Quelques instants plus tard, une elfe s’avança vers eux. Grande, incroyablement belle et gracieuse, Amélia avait l’impression de voir Lavande avec quelques années de plus. Canyon Purplewings afficha un sourire aussi doux que celui de sa fille.
– Avez-vous fait votre choix ? demanda-t-elle de sa voix mélodieuse.
– Oui, répondit Amélia avant M. George. Je voudrais votre plus beau bouquet de bleuets Éternelles, s’il vous plait.
– Bien mademoiselle, sourit l’elfe en s’inclinant légèrement. Il sera prêt dans quelques instants. Puis-je vous inviter à patienter dans notre salon de thé ?
Amélia opina du chef et M. George et elle suivirent la gérante dans l’arrière-boutique.
Ils découvrirent alors un immense jardin sous verre où Canyon les invita à prendre place à une table de jardin avant de se retirer. Une autre elfe apparut peu après et leur servit une tasse de thé à chacun avant de s’en aller sans un mot.
Amélia admira l’endroit, ébahie par tant de lumière et d’espace. Autour d’elle, d’autres clients attendaient leur commande, une tasse de thé à la main. Certains se promenaient sur des chemins de pierre blanches, d’autres admiraient les plantes qui les entouraient, installés à leur table.
Jamais Amélia n’aurait soupçonné qu’il y avait pareil endroit dans la Grand-rue. Était-ce seulement autorisé ? La sorcière savait bien que toutes les boutiques bénéficiaient d’un sort d’agrandissement de l’espace, mais là… cette serre aurait pu contenir trois fois la boutique de M. Grimm ! L’arrière-boutique de Babioles & Bibelots était-elle aussi imposante ? En y repensant, Amélia n’avait jamais pris la peine de se poser la question, ni de demander à son propriétaire. Peut-être devrait-elle regarder de plus près les textes de loi sur la réglementation des sortilèges d’espace dans les boutiques de la Grand-rue ? Finalement, ses cours n’étaient peut-être pas aussi inutiles qu’elle le pensait. Peut-être devrait-elle s’y plonger avec un peu plus de sérieux à l’avenir…
Pendant qu’Amélia se perdait dans ses pensées, M. George, lui, sirotait joyeusement son thé. Le majordome cherchait à définir quels arômes avaient bien pu être utilisés dans sa préparation. Jamais il n’avait gouté de thé aussi bon ! Par conscience professionnelle peut-être, le vieil homme se promit de découvrir le secret de ce thé délicieux avant d’examiner sa tasse, qu’il trouvait tout aussi belle. Il faudrait qu’il demande à Mme Purplewings où elle se fournissait…
Quelques instants plus tard, Canyon et sa fille revinrent avec la commande d’Amélia. Les elfes invitèrent leurs clients à retourner en boutique et M. George se chargea de payer alors que Lavande tendait le bouquet à Amélia. La jeune fille le regarda avec tristesse. Les fleurs étaient magnifiques, préservées à jamais, elles pourraient reposer pour toujours auprès d’Emily.
Une fois la commande payée, Amélia et M. George quittèrent Magifleur et traversèrent la Grand-rue. Ils arrivèrent bien vite à la Place d’Aurora où la musique se mêlait toujours au roulis de l’eau de la fontaine. Mais, au lieu de se diriger vers les hautes grilles du parc, la jeune fille et son majordome rejoignirent les portes du Cimetière des Cendres quelques mètres plus loin.
Une fois l’imposant portail franchi, un silence pesant s’abattit sur eux, comme si la musique et les sons du monde au-delà du cimetière n’y avaient pas leur place.
Amélia n’avait jamais aimé se rendre au Cimetière des Cendres. Il y régnait une ambiance lugubre et inquiétante qui lui donnait des frissons. Sans parler de ses habitants de l’ombre…
La sorcière jeta un regard en coin au majordome à son côté. M. George regardait de toute part, sur le qui-vive. Sa tête était légèrement rentrée dans ses épaules, son dos un peu vouté et il ne cessait de triturer le bout de ses gants. Lui non plus ne semblait pas à l’aise, ce qui rassura quelque peu la jeune fille.
Quand elle posa une main sur le bras du vieil homme, il sursauta.
– Vous allez bien ?
– Oui, oui, c’est juste que…
Une ombre passa tout près. Amélia et M. George se redressèrent vivement en tournant la tête. Rien. Le vieil homme soupira.
– Je n’aime pas beaucoup cet endroit, finit-il par dire.
Et ils poursuivirent leur chemin, accélérant le pas entre les sépultures. Quelques minutes plus tard, ils trouvèrent celle d’Emily.
Amélia regarda longuement la pierre tombale de son amie, les yeux débordant de larmes. Cette vision rendait la mort d’Emily tellement… réel. Pareil à une sombre confirmation que son amie ne reviendrait plus. Amélia serra les dents.
Derrière elle, M. George s’écarta de quelques pas, comme pour lui laisser un peu d’intimité. La gorge serrée, elle ne put le remercier, se contentant d’un vague signe de tête.
La stèle était de toute beauté. Son père n’avait vraiment pas regardé à la dépense. D’un marbre blanc splendide veiné d’or, des fleurs de lys avaient été sculpté tout autour d’une splendide peinture d’Emily où la jeune fille souriait au milieu d’un champ de fleur colorées. Le cœur d’Amélia se serra en l’apercevant. Elle se demanda si Emily se trouvait dans un monde aussi beau que celui dépeint par l’artiste.
Juste en dessous, en lettre d’or magnifiquement réalisées, Amélia put lire :
Emily Sparkles
30 juin - 46 dynastie Moonfall
07 novembre - 62 dynastie Moonfall
« Dors petit ange, ceux qui restent et qui t’ont aimé jamais n’oublieront ta bonté. »
Une larme coula le long de sa joue. Serrant un peu plus son bouquet dans ses mains, Amélia s’agenouilla devant la tombe. Elle regarda longuement le portrait de son amie, pensive. Il semblait si réaliste qu’elle avait l’impression de voir le sourire d’Emily s’élargir.
L’adolescente secoua la tête, refoulant ses larmes. Elle remarqua alors les dizaines d’autres bouquets qui recouvraient la tombe. Des fleurs sauvages, coupées à la main, des bouquets tressées, rien qui ne vienne du commerce. Des déclarations silencieuses et colorées en mémoire d’une jeune fille aimée.
Amélia sentit une vague de soulagement l’envelopper et un fin sourire étira ses lèvres. Emily ne serait pas oubliée, elle en fut certaine. Son amie restera dans de nombreuses mémoires. Elle ne serait pas comme ces autres fées assassinées, ces anonymes qu’on oubliait.
Un bouquet en particulier attira l’attention d’Amélia. Il se trouvait juste sous le portrait d’Emily. Le premier déposé, semblait-il, et pourtant il n’était pas effacé sous les autres. On l’avait mis en avant, on en prenait soin. C’était un assortiment de lavande sauvage et de pensées bleues coupées, elles aussi, à la main. Quelque chose dans ce bouquet semblait familier à Amélia, mais la jeune fille mit un moment à en comprendre l’origine.
Ce travail, cette façon d’enrouler, de nouer ce ruban autour de la tige des fleurs, cette attention toute particulière au moindre détail, à la moindre fleur séchée, fanée. L’adolescente serra son pendentif dans une main, celui qu’Emily n’avait pas eu le temps de lui offrir… Amélia reconnaissait la finesse du travail de Mme Sparkles, la maman d’Emily.
La jeune fille tendit une main au-dessus du bouquet et hésita. Avait-elle le droit de faire ça ? La famille d’Emily prendrait-elle cela pour une insulte ? Amélia pinça les lèvres. Emily lui aurait sûrement dit quoi faire…
Après quelques instants à tergiverser, Amélia finit par se décider. Une main au-dessus du bouquet de lavandes et de pensées, elle ferma les yeux et jeta un sortilège pour protéger les fleurs. Rien qui ne les change comme les Éternelles qu’elle avait apporté, mais un charme qui puisse les préserver un peu plus longtemps.
Une fois le sort jeté, Amélia trouva une place où déposer son propre bouquet et replongea son regard sur la pierre tombale, un sourire tremblant aux lèvres.
– Salut Emily… murmura-t-elle d’une voix incertaine. J’aurai aimé venir plus tôt, mais… je ne voulais pas déranger ta famille. J’espère que tu ne m’en veux pas trop de ne pas avoir assisté à ton enterrement, je… j’avais peur de ne pas être très bien reçue et…
Sa voix se brisa. La gorge d’Amélia la faisait souffrir. Elle avait l’impression que ses cordes vocales se tordaient, s’emmêlaient pour l’empêcher de parler. Elle essuya quelques larmes supplémentaires qui dévalèrent ses joues et inspira un grand coup pour se calmer.
– J’aurai aimé que tu nous accompagne au théâtre, poursuivit-elle, la voix un peu plus assurée. Ta robe était splendide, Azriel a adoré. En fait, tout le monde a adoré. Tu aurais dû voir la tête que ma mère à fait quand elle l’a vu, on aurait dit qu’elle allait s’étrangler de frustration.
L’ombre d’un rire la secoua et elle fut quelque peu rassuré d’entendre M. George pouffer derrière elle. Elle essuya une autre larme, le regard plus sombre.
– Tout le monde me dit de t’oublier, de passer à autre chose. Maman a même essayé de te remplacer. Je crois d’ailleurs avoir terrorisé cette pauvre fille quand je l’ai découverte.
Elle se tourna vers le majordome dans son dos.
– Désolée.
Il inclina la tête pour toute réponse et Amélia reporta son attention sur la tombe.
– Ce que je voulais te dire… c’est que je ne t’oublie pas. Et je ne me laisse pas aller. Azriel m’a bien remonté les bretelles à ce sujet, s’amusa la jeune fille. Donc, ne t’inquiète pas. Tout ira bien.
Il y eut un silence, seulement troublé par le murmure d’une brise légère.
– Tu me manques, Emily.
Elle caressa du bout des doigts le portrait souriant de son amie. Puis elle se releva, époussetant le bas de sa robe. Elle hésita un instant avant de jeter un dernier regard à la tombe. Amélia sentit son cœur se serrer de chagrin.
– Au revoir.
Et elle se détourna.
En rejoignant M. George, Amélia remarqua une ombre glisser sur le sol quelques mètres plus loin. Les spectres de minuit… Le majordome ne semblait pas l’avoir remarqué, plongé dans la contemplation silencieuse de la tombe d’Emily.
Ces créatures étaient les gardiennes des cimetières, des âmes errantes qui veillaient au respect et au repos des morts du pays. La nuit, ils apparaissaient sous la forme de silhouettes évanescente aux grands yeux noirs, pareils à des puits sans fond, tandis que le jour, rendu moins visible par la lumière du soleil, ces fantômes n’apparaissaient que sous la forme d’ombres mouvantes.
Les cimetières d’Osha étaient connu pour être hantés, tout le monde le savait et peu osaient jouer les profanateurs ou pilleurs de tombe. On disait que le cri des spectres étaient mortels pour quiconque l’entendait. De nombreuses légendes avaient vu le jour quant à leur existence et leur rôle dans la société. Mais, au fond, personne ne savait très bien comment ces êtres étaient apparus. Certains disaient qu’il s’agissait d’âmes vagabondes qui s’étaient perdu au moment de rejoindre Aurora. D’autres affirmaient que la Déesse elle-même n’en voulaient pas à cause de leurs mauvaises actions sur terre, les punissant ainsi en les forçant à veiller sur les tombes de ceux qui avaient pu la rejoindre en paix. Mais en réalité, la raison de leur apparition restait un mystère, et peu de gens étaient assez courageux pour tenter de les étudier plus en profondeur.
En se tournant vers M. George, la jeune fille le retrouva en train de pleurer. Elle lui sourit en lui tendant un mouchoir et, alors qu’il se mouchait bruyamment, elle le reconduisit à travers le cimetière.
Tout autour d’eux, des ombres passaient et disparaissaient. M. George, trop absorbé par ses propres larmes, n’y fit pas attention, mais ces silhouettes intriguaient autant qu’elles inquiétaient Amélia.
Quand elle eut l’impression que l’une d’elle la fixait un peu plus loin dans le cimetière, l’adolescente inclina la tête en signe de respect. L’ombre fit de même et poursuivit son chemin.
Sur la route du retour, M. George – qui avait fini de pleurer – profita de passer par la Grand-rue pour s’arrêter à l’horlogerie À Propos du Temps, tenue par son plus ancien et meilleur ami, un certain Isaac MacCray.
Amélia avait déjà eu l’occasion de le rencontrer quelques années plus tôt quand Azriel avait décidé d’offrir une montre à gousset toute neuve au majordome pour son anniversaire. Mit dans la confidence, M. MacCray s’était tout de suite prit au jeu et avait été ravi de travailler avec Azriel sur ce projet. Il semblait à Amélia qu’il était un homme gentil et travailleur, bien qu’un peu fantasque. M. George avait été enchanté lorsqu’il avait reçu son cadeau et en prenait dès lors le plus grand soin.
Debout devant la vitrine, Amélia s’ennuyait sec en attendant le vieil homme. Bien que la mécanique humaine l’ait toujours fascinée, la jeune fille la trouvait un peu trop complexe pour elle et préférait de loin la magie. M. George lui reprochait d’ailleurs souvent son empressement, affirmant que le fait de pouvoir tout avoir d’un simple mouvement du poignet rendait les jeunes sorciers fainéants et impatients.
Amélia comprenait parfaitement son point de vue. Les humains étant dépourvu de pouvoir, il leur avait fallu beaucoup de patience et de réflexion pour pallier à certaines choses et elle respectait cela. Mais, étant née sorcière, elle trouvait quand même plus commode de se servir de sa magie.
Après quelques longues minutes à attendre, M. George reparut à côté d’Amélia. Ensemble, ils reprirent la route en direction du manoir. Le vieil homme ne cessait de vanter les qualités du nouvel artéfact qu’il venait de se procurer, bien qu’Amélia ne l’écoute qu’à moitié.
Son attention avait été détourné par un groupe de jeunes sorciers de son âge marchant dans leur direction. La jeune fille ne mit pas longtemps à les reconnaître avec leur chevelure rouge sang, leur peau pâle et leurs yeux noirs. Des Lerouge…
Amélia reconnu certain d’entre eux, comme les jumelles Kylie et Dorothy. Ces deux petites pestes bavardaient joyeusement, cachées derrière leurs éventails et semblaient déverser leur venin sur à peu près tout ce qu’elles voyaient. Et cela comprenait également Amélia qui croisa malheureusement leur regard sombre. Les deux filles, parfaitement identiques, se mirent à glousser en la pointant du doigt.
Amélia se renfrogna.
Juste derrière elles, l’adolescente vit deux garçons un peu plus âgés qu’elle mit un moment à reconnaître. Elle se souvint alors de ce qu’avait dit Anita lors de la soirée théâtre et en conclut qu’ils devaient être les frères cadets de Vest. Amélia ne les connaissait pas, mais les regarder suffit à la jeune fille pour ne pas les apprécier. Ces idiots chahutaient entre eux, bousculant certains passants sans s’excuser ni leur prêter la moindre attention.
De vrais brutes sans cervelles…
Un peu en retrait, Amélia reconnut finalement Aven qui marchait derrière ses cousins et cousines, la mine sombre. En croisant son regard, la jeune fille s’attendait à recevoir son fameux sourire mutin ou un de ces clins d’œil obscur qui la rebutait tant. Mais rien de tout cela ne se produisit. À la place, le garçon se contenta de lui adresser bref un signe de tête, visiblement trop absorbé par ses pensées pour lui lancer un sourire torve ou une quelconque remarque. Ce qui était étrange.
Pourtant, ce ne fut pas ça qui étonna le plus Amélia.
À plusieurs reprises, elle le vit se retourner, les sourcils froncés. Il semblait inquiet. En suivant son regard, Amélia aperçut un jeune homme à l’air maladif. Un peu à la traîne, il semblait plus pâle encore que les autres. Les mains tremblantes, les yeux cernés étrangement ternes, il sembla à la jeune fille qu’il boitait un peu. Amélia mit un moment à le reconnaître et eut presque de la peine pour lui. Regan Lerouge… Elle l’avait aperçu lors de la représentation d’Utopia au théâtre quelques temps plus tôt. Et il semblait encore plus malade qu’avant.
Amélia le vit soudain relever les yeux, plongeant un regard brouillé dans celui de la jeune fille. Et, pendant un instant, la sorcière se figea. Il détourna bien vite les yeux et, épaulé par Aven qui jeta un dernier regard presque menaçant à Amélia, accéléra le pas pour rejoindre les autres. Mais ce regard… jamais l’adolescente n’avait vu une douleur pareille dans les yeux de quelqu’un. Il semblait souffrir le martyr.
Les paroles d’Anita lui revinrent brusquement en mémoire. La guérisseuse lui avait dit que Fiona Lerouge n’hésitait pas à maltraiter et assassiner les siens… Que lui avait-elle donc fait ?
À ses côtés, Amélia sentit M. George se crisper à la vue des adolescents Lerouge. Ce ne fut qu’une fois qu’ils furent hors de vue que le majordome s’autorisa à respirer plus sereinement.
Amélia lui jeta un regard inquiet, se souvenant des mots du vieil homme l’avant-veille et posa une main sur son bras. M. George se tourna vers elle, surprit, comme s’il se souvenait brusquement qu’elle se trouvait à son côté. Après un instant, il afficha un fin sourire, tapotant la main de la jeune fille.
– Je vais bien, assura-t-il, ne vous inquiétez donc pas pour moi.
Amélia n’en était pas aussi sûre, mais, par égard pour lui, elle n’insista pas.
Chapitre très émouvant avec Amélia qui se rend sur la tombe de son amie. Emilie a beau avoir disparu, on ne l'oublie pas. Je trouve ça bien que tu abordes les différentes étapes du deuil et que l'on ne passe pas directemnt à autres choses.
J'aime toujours autant les descriptions et l'univers que tu as créé que je trouve très vivant. Que ce soit dans les boutiques ou pour le cimetière, tu as vraiment réussi à imaginer un monde qui t'es propre ! Peu de chose à dire pour cette partie que j'ai lu d'une traite. Même s'il se passe peu de choses à proprement parlé, on a tout de même plusieurs questions qui viennent à l'esprit avec la partie sur les Lerouge. Cela reste toutefois très peu pour approfondir nos hypothèses, mais cela confirme qu'Aven est plus complexe que nous pourrions penser d'un premier abord. Je serai curieuse d'en apprendre plus sur lui !