De retour au manoir, M. George prit rapidement congé et disparu en cuisine. De son côté, Amélia se sentait soulagée. Elle avait enfin pu dire au revoir à Emily.
Ça y est, pensa-t-elle en s’arrêtant devant un grand miroir. Je l’ai fait… je l’ai vraiment fait. Ses yeux lui piquèrent un peu en y repensant. Elle essuya ses larmes, un fin sourire aux lèvres. À présent, elle allait enfin pouvoir se concentrer sur sa mission.
En se détournant de son reflet, Amélia ne put s’empêcher de penser à son rendez-vous quelques heures plus tard, et, malgré l’appréhension qui lui nouait l’estomac, un grand sourire illumina son visage. Elle avait hâte d’y être.
Déambulant dans les couloirs, la jeune fille se mit à la recherche de son frère. Elle le trouva finalement dans le jardin, étendu dans l’herbe tiède. Un air serein sur le visage, il fixait le ciel tranquillement, comme si rien d’autre n’importait. À côté de lui, Amélia remarqua une unique béquille et secoua la tête. Où donc avait-il encore perdu l’autre ?
Écartant ses interrogations, l’adolescente rejoignit son frère et s’allongea à ses côtés. Elle lui prit la main et se tourna à son tour vers le ciel, vers ce bleu si beau, si clair.
– Tu sembles bien joyeuse, fit-il remarquer avec un sourire. Tu as du nouveau ?
– Pas encore, avoua-t-elle, mais j’ai rencontré quelqu’un qui pourra m’aider dans mon enquête. C’est une fée.
– Une fée ? répéta-t-il perplexe.
– Oui. Il s’appelle Jagger.
– Là, tu m’étonnes.
Silence.
Une brise délicate souffla. Amélia tendit une main et fit apparaître de minuscules oiseaux en papiers qui virevoltèrent au-dessus de leurs têtes. Azriel sourit. Il approcha un doigt de l’un des oiseaux – un petit colibri vert et violet. À son touché, l’apparition s’évapora, laissant derrière elle un petit nuage de couleur.
Amélia regarda le vent disperser son sortilège et se tourna vers son frère. Azriel semblait perdu dans ses pensées. La jeune fille se redressa sur les coudes.
– À quoi tu penses ? demanda-t-elle en agitant les doigts au-dessus de lui.
Azriel ferma les yeux alors que des pétales de fleurs se mirent à tomber sur son visage, la magie effleurant à peine sa peau avant de disparaître à son contact.
– Je me demande pourquoi il a accepté de t’aider.
– J’imagine qu’il doit vouloir protéger sa famille, fit-elle, songeuse. D’après ce que j’ai compris, il a une sœur plus jeune.
– Je comprends, dit lentement Azriel. Mais…
Il tourna la tête vers Amélia, les sourcils froncés par l’inquiétude.
– Reste prudente, petite sœur, Riverfield n’est plus aussi sûre qu’avant. On ne sait plus à qui faire confiance. La méfiance est de mise.
– Ne t’en fait pas, grand frère, répondit-elle en posant sa joue sur la poitrine du garçon.
Son cœur battait paisiblement. Amélia ferma les yeux, bercée par ce son si familier, si rassurant.
– Je t’ai promis de faire attention, poursuivit-elle, et je le ferai.
D’un mouvement presque instinctif, Azriel passa une main dans les cheveux de sa sœur. Son touché était tendre, presque délicat. Amélia sourit. Elle aurait aimé figer cet instant pour l’éternité. Le soleil qui brillait doucement, cette brise légère qui leur caressait le visage… cette main aimante dans ses cheveux. Tout semblait parfait, paisible.
Comme avant.
Amélia avait l’impression de revenir en enfance, à cette époque où Azriel pouvait encore courir partout avec elle. Ce temps merveilleux où, quand elle pleurait, il faisait apparaître de splendides arc-en-ciel qu’il capturait en bouteille rien que pour elle…
Son frère lui manquait tellement… Elle avait l’impression que ça faisait une éternité qu’elle n’avait pas passé un moment comme celui-ci avec lui, à profiter de sa présence, simplement. Ses cours lui prenaient tout son temps et elle maudissait sa mère de l’empêcher de rester auprès de lui pour la traîner à telle ou telle réception.
C’était si agréable d’être allongé auprès de lui dans l’herbe, de regarder le ciel sans rien faire. Rêver, tout simplement.
– Tu te souviens de notre premier Festival d’Aurora ? demanda brusquement Azriel.
Amélia eut un rire.
– Comment l’oublier ? Mère avait fait tout un scandale quand j’ai tâché ma jolie robe d’or et d’argent en voulant jouer avec un enfant du cirque.
– C’est vrai, se rappela Azriel en rigolant. Mais, entre nous, la scène la plus amusante était encore quand tu trainais ce pauvre Prince à tous les étals de la fête foraine. Le malheureux voulait tellement te faire plaisir qu’il était incapable de te dire non, même quand tu lui as demandé de danser avec toi alors même qu’il ne connaissait pas un pas de valse.
– Ne m’en parle pas, soupira théâtralement Amélia. Mes orteils s’en souviennent encore !
Azriel éclata de rire. Il se souvenait encore de la moue boudeuse d’Amélia et des joues rouges de hontes du petit Prince qui n’arrêtait pas de s’excuser. Au final, il avait fini par se cacher derrière les jupons d’Anita, penaud. Amélia s’était retrouvé toute seule au milieu de la piste de danse et, alors qu’Azriel allait la rejoindre, leur père s’était avancé avec un sourire et avait proposé une danse à sa fille. Amélia avait bondi de joie et avait passé le reste de la soirée à danser avec lui sous les yeux attendris de tout le monde.
Leur premier Festival… un moment magique, pour sûr. Il s’en souvenait dans les moindres détails, chérissant chacune de ces images comme le plus beau des trésors. Au fond, ce qui lui manquait le plus depuis des années, c’était la compagnie de leurs amis d’enfance. Faith Wilkins et sa gentillesse, Prince Norwood, Jupiter Monroe… même Kaspar Discord arrivait à lui manquer parfois.
– Il me manque, finit par soupirer Azriel, j’aimais bien le taquiner.
– Azriel, tu aimes taquiner tout le monde, fit remarquer Amélia.
Il y eut un silence, puis Azriel hocha la tête.
– Tu marques un point. Mais… à quand remonte sa dernière visite ? La dernière fois qu’il est venu était il y a des jours et il n’était passé qu’en coup de vent, se lamenta le jeune homme.
– Tu sais bien qu’il est très pris par ses études. Être l’apprenti d’Anita n’est pas de tout repos.
– Je sais, soupira-t-il tristement.
Puis un sourire de chat étira ses lèvres.
– Peut-être que je devrais te pousser dans les escaliers ? Je suis sûr qu’il accourrait pour te soigner.
– Dis pas de bêtises, le rabroua Amélia en lui assénant une tape sur l’épaule.
– Oui, murmura-t-il d’un air inspiré, je vois ça d’ici. Le courageux Prince volant à ton secours !
Amélia lui asséna un nouveau coup sur l’épaule, gênée. Il était de notoriété que Prince Norwood avait un faible pour elle et, bien qu’elle l’adore, elle ne pouvait le considérer autrement que comme un ami. Entendre son frère ou d’autre personnes faire allusion ainsi aux sentiments de Prince la mettait mal à l’aise.
– Fais-moi tomber dans les escaliers et je m’assurerai que tu tombes avec moi, menaça Amélia, sournoise.
– Outch… fit Azriel avec un demi-sourire. Anita ne serait pas contente du tout.
Tous deux se regardèrent un instant avant de rire. Puis le silence revint. Amélia reprit sa place à côté de son frère et ferma les yeux, profitant de cet instant délicieux.
– Tu dois le revoir bientôt ? demanda soudain Azriel.
Sa voix était redevenue sérieuse et Amélia comprit vite de qui il parlait. La jeune fille regretta un peu de ne pas pouvoir profiter plus longtemps de cet instant de plénitude. Aussi prit-elle le temps d’inspirer profondément, emplissant ses poumons d’air frais avant de répondre sans ouvrir les yeux.
– Tout à l’heure. Il m’a donné rendez-vous dans le parc pour parler.
Azriel hocha la tête et replongea dans ses pensées.
Au bout de quelques instants, il tendit une main vers le ciel.
– Les fées ont de la chance… dit-il tout bas.
Amélia ouvrit les yeux et se redressa, scrutant son frère avec curiosité. Elle écarta une mèche de son visage. Il ne semblait plus la voir.
– J’aimerai tant pouvoir voler, moi aussi…
Amélia leva les yeux au ciel un instant et se demanda ce que cela procurait de voler. Quelles sensations ressentait-on là-haut, dans les nuages ? Pendant quelques délicieuses secondes, elle se prit à l’imaginer. L’air glissant sur sa peau, l’absence de gravité, un sentiment de légèreté… de liberté.
– Ce doit être merveilleux, commenta-t-elle, rêveuse.
– N’est-ce pas ? sourit Azriel avec entrain. Je pense que les sorcières jalousent les fées pour leurs ailes. Elles sont libres d’aller où bon leur semble. Nous, nous sommes liés à la terre, nous ne pouvons nous en défaire pour explorer le ciel, du moins, pas sans artéfact. C’est un privilège qui leur est réservé, à elles et aux sylphes.
Comme pour étayer ses dires, un courant d’air passa, ébouriffant les cheveux d’Amélia qui tenta vainement de les retenir. Lorsqu’elle se tourna vers son frère, elle le découvrit profondément plongé dans ses pensées. Elle se demanda alors quelles autres idées farfelues pouvaient bien lui traverser l’esprit. Que se passait-il donc derrière ces beaux yeux clairs ?
– Dis-moi, petite sœur, murmura finalement Azriel de but en blanc, l’esprit ailleurs, en quoi voudrais-tu te réincarner ?
– Quelle drôle de question, s’amusa l’adolescente en essayant de s’attacher les cheveux.
Elle y réfléchit un instant. Était-ce vraiment à ça qu’il réfléchissait depuis tout à l’heure ? Que pouvait-elle bien lui répondre ? Au fond, elle n’y avait même jamais pensé. Qu’y avait-il après la mort ? Les landes de la Déesse ? Le néant ? Une nouvelle vie dont tout souvenir de l’ancienne seraient effacés ? Il existait tellement de croyances différentes à ce sujet, tellement de théories…
– Moi je voudrais renaître en tant que courant d’air, poursuivit Azriel sans vraiment attendre de réponse. Le vent est libre et fort, rien ne l’arrête jamais. Mais il peut aussi être doux et confortable, comme cette brise.
Amélia regarda son frère. Il souriait, les yeux fermés, l’air complètement ailleurs. Il semblait si paisible, heureux… Amélia, elle, était bien incapable de sourire. Son regard s’était brusquement assombrit alors qu’elle passait une main sur la joue de son frère. Sa réponse, elle venait de la trouver. Mais… comment réagirait-il face à elle ?
– Moi, dit-elle doucement, je voudrais simplement renaître auprès de toi.
Azriel ouvrit brusquement les yeux et se redressa maladroitement sur les coudes, interdit.
– Si je devais renaître, continua Amélia, l’air sombre, je voudrais simplement être à nouveau ta petite sœur et que tu sois en bonne santé.
– Amélia…
Azriel sentit son cœur se briser. Les yeux d’Amélia brillaient de larmes. Mais elle souriait. Lamentablement, tristement… elle souriait. L’adolescent se redressa soudainement et serra sa sœur dans ses bras, de toute ses forces. Elle lui rendit son étreinte, enfouissant son nez dans la nuque du garçon, s’imprégnant de son odeur, un parfum doux et sucré comme la vanille.
Ses mots l’avaient heurté, bouleversé. Azriel avait posé cette question en l’air, une simple pensée, une boutade. Il ne s’attendait pas à une telle réponse, un tel aveu… Le jeune homme se sentit affreusement bête en y repensant. Lui n’arrêtait pas d’y penser. Jour après jour, ces questions revenaient constamment, pareille à une sombre litanie qui ne le quittait plus depuis des années. Elles s’imposaient à lui à chaque fois qu’il ouvrait les yeux et qu’il se demandait sinistrement si ce jour qui s’annonçait allait être son dernier. Bien sûr que sa sœur allait lui répondre ça, c’était son seul souhait depuis la découverte de la maladie, des années plus tôt. Elle ne cessait de prier la Déesse de sauver son frère, de le guérir. Comment n’y avait-il pas songé plus tôt ?
Une culpabilité sournoise s’insinua en lui. Il serra sa sœur un peu plus fort. Ses yeux lui piquaient, mais il se força à refouler ses larmes. Amélia luttait déjà à retenir les siennes, hors de question de la faire pleurer davantage !
Au loin il pouvait presque voir l’ombre de la mort se moquer de lui, d’elle, de leurs espoirs incongrus, de leurs rêves impossibles. Car même s’il le désirait de tout son cœur, de toute son âme, Azriel ne se faisait aucune illusion, jamais il ne verrait l’aube de ses vingt-trois ans. Et au fond, il n’était même pas certain de voir un jour son vingtième anniversaire.
Au bout de quelques longues secondes, il s’écarta et lui embrassa le front.
– Moi aussi, petite sœur… si je pouvais…
– Amélia ! Azriel ! les appela soudain Luvenia
Tous deux sursautèrent en se tournant vers leur tante.
– Venez manger !
Et elle disparut à l’intérieur. En croisant le regard de l’autre, le frère et la sœur éclatèrent de rire. L’apparition soudaine de Luvenia avait éclaté leur bulle de mélancolie et une sensation de légèreté les envahit de nouveau.
Amélia essuya vite ses yeux et bondit sur ses pieds avant d’aider son frère à se relever. Elle le soutint alors qu’il peinait à marcher avec sa seule béquille, grommelant sur le fait qu’il faudrait les lui greffer aux mains sous les rires d’Azriel.
Ce fut clopin-clopant qu’ils rejoignirent la grande salle à manger où tout le monde les attendait.
***
Quelques heures plus tard, le ventre plein, Amélia trottina vers la sortie. Le repas avait été des plus plaisant et la jeune fille souriait encore en enfilant sa cape. Il était agréable de manger tous ensemble, rien à voir avec l’affreux dîner avec Aven et ses amis organisé par Azura quelques jours plus tôt.
– Puis-je savoir où tu vas, comme ça ?
Amélia sursauta et se retourna. Devant elle, la tante Nausicaa la regardait, un sourcil relevé. L’adolescente retint son souffle.
– Au Parc de Lune pour une petite promenade, répondit-elle finalement.
Un peu mal à l’aise, Amélia passa d’un pied sur l’autre, s’attendant déjà à entendre les habituels sermons de sa mère quant au fait qu’elle ne devrait pas se balader dehors sans chaperon. Aussi fut-elle des plus surprise en entendant sa tante lui répondre avec le plus grand calme :
– Parfait, dans ce cas, tu voudrais bien me rendre un service ?
Amélia la regarda, les yeux ronds. Sans attendre sa réponse, Nausicaa passa devant elle et fouilla dans les poches de son propre manteau. Elle en sorti une bourse en velours couleur de nuit qu’elle tendit à sa nièce. Amélia la regarda un instant avant de dévisager sa tante, perdue.
– Tu veux bien porter ça à Mystia Aura pour moi ?
– La sorcière des Joyaux d’Aura ? s’étonna Amélia.
– Elle-même, s’amusa sa tante. Elle m’a demandé de voir avec les sirènes du clan Boréal si elle pouvait se procurer de nouvelles perles il y a quelques mois déjà. Mais avec le départ de Roman pour Lightfell et les préparatifs pour l’arrivée du Cirque Écarlate, j’ai pris du retard sur sa demande. Tu sais comment sont les sirènes, haussa-t-elle des épaules, elles se méfient beaucoup des habitants de la surface.
Oui, Amélia en avait entendu parler. Il était de notoriété que les sirènes abhorraient les êtres de la surface depuis des centaines d’années. La rumeur voulait qu’un habitant d’Osha leur ait dérobé une parure de perle magique offerte par la Déesse à la toute première sirène.
Ces enfants de l’océan avaient la rancune tenace et très mauvais caractère. On disait même que certains clans organisaient des combats à mort dans des arènes pour régler un conflit, même mineur. Il était d’ailleurs assez simple de savoir quand des sirènes se battaient. Les plus violentes tempêtes étaient de leur fait. Et, bien évidemment, elles se fichaient éperdument des dégâts qu’elles pouvaient engendrer sur la terre ferme.
Les sirènes du clan Boréal étaient particulièrement connues pour leur caractère acariâtre et peu avenant. Et bien que ce clan fût parmi les plus redoutables, ses sirènes demeuraient les seules à avoir établi un lien avec la surface, même si elles répudiaient ce terme.
Amélia hocha finalement la tête et regarda sa tante ouvrir le sachet de toile. Curieuse, elle y jeta un œil et ce qu’elle y découvrit lui coupa le souffle.
À l’intérieur se trouvait deux perles de la taille d’une paume de main presque aussi pâles que du cristal. Des reflets bleus et violets semblaient se mouvoir à l’intérieur même des perles, pareil à un océan de couleur. C’était un spectacle magnifique, hypnotisant et étonnamment apaisant.
– Ce sont des perles de vague, expliqua Nausicaa devant le regard fasciné d’Amélia. Elles sont rares et difficiles à tailler. Les sirènes gardent jalousement leur secret de fabrication.
– Je ne savais pas que Mystia Aura en vendait.
– Elle n’en vend pas, conclut sa tante en refermant d’un coup sec la pochette. C’est son cadeau de mariage pour Jane Vonner. Tu te souviens ?
– Ah, oui, c’est vrai… elle se marie dans quelques jours… marmonna Amélia les joues un peu rouge.
Ça lui était complètement sorti de la tête !
– Quoi qu’il en soit, reprit Nausicaa, il faut vite que tu les donnes à Mystia. Elle doit encore les travailler avant de pouvoir les offrir.
– Comment as-tu pu t’en procurer deux de cette taille ? questionna Amélia en prenant la bourse que sa tante lui tendait. Je croyais que les sirènes du clan Boréal n’aimaient pas traiter avec les sorcières.
– Une bonne amie à moi vit à Lightfell. Cette ondine est épuisante mais très gentille et elle s’entend étonnement bien avec tout le monde. Elle entretient une assez bonne relation avec les sirènes tailleuses de perles et joue les médiatrices entre Mystia et elles dans leur partenariat. Enfin bref, comme je suis la personne qui surveille le transit de marchandise du clan Boréal à Osha, c’est moi qui ai dû me charger de les acheminer ici et de les préparer au transfert.
– C’est pour ça que tu t’es absenté le soir du dîner avec Aven Lerouge il y a quelques jours ? se rappela soudain Amélia.
– Exact. Ça m’a pris plus de temps que prévu de faire le voyage. La ligne direct de train Riverfield–Lightfell s’est retrouvé arrêté pendant des heures à cause d’une violente tempête à la frontière des Terres du Nord. Les crises de nerf des sirènes peuvent paralyser tout le pays et elles s’en moquent complètement, soupira Nausicaa en secouant la tête.
Amélia fut soudainement prise d’un doute.
– Mais que gagnent les sirènes dans cet échange ? questionna-t-elle. Elles ne fourniraient jamais des perles d’une telle valeur gratuitement, et tout le monde sait qu’elles ne veulent rien de la surface… Qu’est-ce que Mystia Aura peut bien leur donner en échange ?
Nausicaa hocha de la tête, visiblement satisfaite de son raisonnement.
– Bien vu. En effet, ce n’est pas gratuit. En échange de leurs perles, Mystia enchante leurs outils pour la taille. Comme les perles sont extrêmement solides, leurs instruments s’abîment vite, même ceux en os de dragon d’eau. Les sortilèges de Mystia tiennent bien et sont appréciés des sirènes.
– Impressionnant… soupira Amélia, admirative.
Nausicaa observa longuement sa nièce. Puis un sourire mutin étira ses lèvres.
– Tu verras un jour, comme c’est dur de travailler comme dirigeante d’Osha.
Amélia en resta sans voix. Sa tante croisa les bras, se penchant vers elle les sourcils froncés.
– Qu’est-ce que c’est que ce regard, jeune fille ? Tu ne croyais quand même pas que j’étais aussi revêche que Théodora Gossen, si ?
– Ah… mais non !
Amélia détourna les yeux, rouge de honte. Devant elle, Nausicaa laissa échapper un rire léger. La jeune fille darda un regard dans sa direction. C’était la première fois qu’Amélia l’entendait rire depuis une éternité. C’était assez étrange, mais aussi… très joli. La jeune fille se fit la réflexion que sa tante devrait rire plus souvent. Avec son sourire et ses yeux brillants, elle était encore plus belle qu’à l’accoutumé.
Puis une pensée fugace lui traversa l’esprit. En y repensant, il y a longtemps, elle se souvenait d’une Nausicaa totalement différente. Elle était rayonnante… heureuse. Amélia sentit une pointe de tristesse lui serrer le cœur. Nausicaa avait tant changé depuis ce fameux jour…
– Allez, file, tu vas être en retard.
Amélia se réveilla soudain. Un grand sourire aux lèvres, elle salua sa tante et disparut rapidement dehors. Nausicaa resta ainsi un moment, un doux sourire aux lèvres. Elle aimait tellement sa nièce…
Puis, soudain, son sourire retomba. Derrière elle, Azura venait d’apparaître.
– À quoi joues-tu, Nausicaa ? demanda froidement sa belle-sœur dans son dos. Tu m’as dit que tu refusais de confier ces perles à un coursier.
– Ma nièce n’est pas un coursier que je sache. De plus, je crois me souvenir que de nous deux, c’est toi qui joues à des jeux dangereux.
Azura pâlit brusquement alors que Nausicaa se tournai lentement vers elle. Quelques mètres derrière les sorcières, Azriel venait d’apparaître dans son fauteuil roulant, la mine sombre. Aucune d’elles ne semblaient l’avoir remarqué.
– Je t’interdis… menaça Azura dans un murmure à peine audible.
Elle tremblait.
Dans son dos, Azriel voyait les griffes azures de sa mère se matérialiser au bout de ses doigts. Quand il releva les yeux, ceux de sa tante luisaient d’un doré orageux. Au-dessus de la porte, il vit le mur craquer. Une profonde lézarde s’étendit jusqu’au plafond, menace silencieuse qu’Azura ne manqua pas.
Soucieux en entendant les sorcières, M. George apparut aux côtés du jeune homme. Lorsqu’il vit la fissure dans le mur et les deux femmes qui se faisaient face, le majordome blêmit et passa instinctivement derrière le fauteuil d’Azriel, au cas où il doive le conduire en sureté. Le vieil homme avait beau adoré ces sorcières, il craignait chaque jour de les voir s’affronter pour de bon.
Quand Nausicaa reprit la parole, sa voix était glaciale, presque effrayante. Azriel frissonna. Derrière lui, M. George eut un mouvement de recul.
– Ne joue pas aux plus fines avec moi, Azura, la prévint-elle. Tu n’as de Moonfall que le nom. Essaie de m’attaquer et je peux te garantir que tu vas le regretter.
La fissure dans son dos s’étendit dangereusement, menaçant de trancher le mur pour de bon. Azura était livide.
– Je croyais pourtant t’avoir prévenue, insista Nausicaa, tu ne veux pas m’avoir comme ennemie.
Azura serra les poings. Finalement, au prix d’un énorme effort, elle se détourna et disparut dans les étages du manoir. On entendit à peine le bruit de ses pas furibonds alors qu’elle s’éloignait dans les couloirs.
Nausicaa soupira et se tourna vers le mur. Elle leva une main dans sa direction et, d’un geste expert, fit disparaître la fissure qu’elle avait provoqué. Elle fixa longuement le mur, comme pour évaluer son travail. Aucune trace ne demeurait, la surface était parfaitement lisse, comme neuve.
– Je suis navrée que tu aies dû assister à cela, Azriel, dit-elle au bout d’un moment.
– Ce n’est rien, répondit-t-il calmement. J’imagine que ça devait finir par arriver.
Un silence. Puis Nausicaa se tourna vers son neveu. Elle l’observa longuement avant de s’approcher de lui. Une main sur son épaule, elle plongea des yeux vert bouteille dans ceux couleur de glace du garçon.
– Je suis désolée Azriel, j’aurai aimé pouvoir faire plus.
– Tu en as déjà fait beaucoup, assura-t-il avec un sourire. Si tu n’avais pas aidé Anita dans ses recherches elle n’aurait jamais développé la Marque.
– Peut-être…
Son regard se fit plus lointain alors qu’elle fixait quelque chose d’invisible par-dessus l’épaule de l’adolescent. Azriel sourit. Elle se tourna vers lui, l’ombre d’un sourire ébauchant ses lèvres et serra un peu plus fort son épaule. Elle semblait si triste pour lui…
Azriel serra les dents. Il détestait voir ce regard.
– Je suis contente de voir que ta sœur a repris du poil de la bête, reprit sa tante. J’espère juste qu’elle ne prendra pas trop de risque à jouer les apprenties détectives.
Azriel se tendit, soudain inquiet.
– Mais…
– Ne t’inquiètes pas, reprit Nausicaa les yeux brillants, je ne dirais rien. Et il vaut sans doute mieux qu’elle se concentre sur cette enquête plutôt que de rester enfermée ici.
Une bouffée de gratitude submergea l’adolescent.
– Merci, dit-il radieux.
Nausicaa lui sourit en retour et retira sa main. Le dos droit, elle fit face à l’escalier, faisant intérieurement la liste de toutes les choses qu’elle devait encore régler avant l’arrivée du Cirque Écarlate. À cette pensée, son regard s’assombrit.
– Je serai dans mon bureau si tu as besoin de moi.
– D’accord.
Et elle disparut à son tour, laissant Azriel seul avec un M. George encore un peu secoué.
Le jeune homme se tourna vers lui, un sourire de chat aux lèvres.
– Et si nous jouions à un jeu ? proposa-t-il joyeusement au vieil homme. Avez-vous déjà entendu parler de À la Dérive ? Ce jeu est très intéressant, vous allez voir !
Je dois t'avouer ici que j'ai été un peu perplexe avec le début où Azriel fait remarquer à Amélia qu'elle semble bien joyeuse. J'aurais dit d'accord pour cette remarque si elle n'avait pas été au cimetière l'heure d'avant. Elle devrait être encore un peu morose après avoir été pour la première fois sur la tombe de son amie. J'ai eu un peu de mal avec l'introduction du dialogue sur Jagger. Le reste du dialogue ne me pose pas de problème par contre.
Les passages entre le frère et la soeur sont toujours aussi touchants. Peut-être pour les dynamiser, tu pourrais peut-être essayer de les diversifier. Ce n'est pas un reproche, juste une suggestion, mais il y a parfois un côté un peu répétitif dans ces passages (que j'aime bien, je t'assure). Après je pense que c'est compliqué, car pour Azriel il doit être difficile de penser à autre chose.
On découvre également dans cette partie le peuple des sirènes qui nous permet d'approfondir un peu plus ton monde.
Mais c'est surtout la dernière partie qui est la plus intéressante avec les histoires de famille. Azura n'est pas complètement accepté par les autres Moonfall et je me demande bien ce que sont ces jeux dangereux. Amélia mène son enquête, mais elle semble loin de se rendre compte des tensions profondes qu'il existe au sein de sa famille. J'ai hâte d'en savoir plus !