Chapitre 14 - L'homme au fouet

Le clocher de Montmartre sonna 11h45, il ne restait plus beaucoup de temps au pingouin pour finir sa mission. Il était sur son clocher, prêt à entrer en action. Mais devant lui, l'ombre menaçante pris la parole.

 - Ainsi donc, mes chats n'ont pas réussi à t'empêcher d'arriver jusque là... dit une voix calme et menaçante. Il me faudra peut-être réévaluer leur utilité au vu de leur piètre performance.

Mathurin était comme pétrifié de terreur. Devant lui, flottant dans les airs, se tenait un homme très grand, très large, vêtu d'un long manteau noir et d'un chapeau melon, noir également. Il avait une longue barbe noir ce qui contrastait avec une peau très claire et des yeux rouges...

 - Qui êtes-vous ? balbutia le pingouin.

 - Je suis le Père... Fouettard !

Et aussitôt, il fit claquer le fouet qu'il tenait dans sa main.

 - Ceci me sert à punir ceux qui ont mal agi pendant l'année. Je suis leur récompense pour Noël ! Ah ah ah ah !

Le rire de l'homme était fort et terrifiant.

 - Je connais d'ailleurs un chat qui risque d'y goûter à cause de son incompétence.

 - Pardon maître, pardon... implora la voix timide et apeurée de Chat-Filou à quelques mètres en dessous.

Le chat avait tout perdu de sa fierté et se recroquevillait sur lui-même. Mathurin fut pris de pitié pour le chat.

 - Petit pingouin, je sais bien quelle est ta mission et pourquoi tu es en haut du clocher, reprit le père fouettard avec une voix doucereuse tout en tournant autour de l'oiseau.

 - Je ne vois pas de quoi vous parlez... essaya de répondre timidement Mathurin.

 - Mensonge ! cria l'homme en faisant claquer son fouet.

Mathurin se rendit compte que c'était le même bruit qu'il avait entendu au moulin rouge ainsi qu'à la boutique de peluche. Le suivait-il depuis tout ce temps ?

Mais l'homme reprit plus doucement :

 - Je sais que tu veux faire tomber la neige pour Noël afin de réjouir le cœur des parisiens. Tu penses bien faire évidemment. C'est ton devoir !

Et, la main sur le cœur, il imita la posture d'un soldat.

 - Mais je te le dis, ne le fais pas, car vois-tu, tu te trompes, tous ces humains ne le méritent pas. Il ne méritent pas ton cadeau. Car ils sont pleins de laideurs et leurs actions sont mauvaises et motivées par l'égoïsme !

 - Vous mentez, dit le pingouin.  Les humains sont de nobles créatures qui méritent notre considération et notre dévouement.

 - Non, petit pingouin, non !  Regarde comment tu as été accueilli ici. T'ont-ils offert l'hospitalité ? T'ont-ils aidé dans ta mission ? Non, ils t'ont pourchassé ! Ils ont voulu te cuire dans une marmite ! T'acheter comme on achète un jouet ! 

 - C’est vrai.. mais…commença le pingouin.

 - Regarde comment ils se comportent avec les animaux, le coupa le Père Fouettard, de simples objets que l'on achète pour offrir. Et que dire du peu d’intérêt qu’ils portent aux pingouins. Même la crèche ne vous rend pas honneur. 

 - Je l’ai à peine vu.. peut-être ont-ils juste oublié ?... marmonna le pingouin.

 - Regarde enfin comme ils se comportent entre eux : ils laissent les pauvres à la rue ! Ils prennent du plaisir dans des spectacles répugnants. Et ils pensent pouvoir acheter l'amour et le silence de leurs enfants par des cadeaux !

 - Non, non, les humains sont bons et purs et... balbutia le pingouin.

Mais déjà, il ne croyait plus ce qu'il disait. Il revoyait le gecko se faire poursuivre, les hommes le pourchasser avec une marmite, le pauvre clochard laissé à l'abandon dans la rue et la petite famille l'acheter pour en faire un cadeau.

 - Non, ils ne méritent pas ton amour petit pingouin. Ils ne méritent que le châtiment pour leurs fautes. Laisse-les dans leur médiocrité et leur hypocrisie. Viens plutôt travailler pour moi !

 - Travailler pour vous ? demanda le pingouin, interloqué.

 - Oui je connais des lieux où ta neige serait bien plus utile et au service de gens bien plus méritants ! Il y a quelques déserts où ta neige ferait des heureux !

 - Des déserts ?

 - Oui ! De grands déserts de sables chauds où la neige est attendu depuis si longtemps par les habitants ! Tu pourrais y vivre comme un prince, tu y aurais un palace, de la place pour emmener toute ta famille et tu y serais traité à ta juste valeur ! Le poisson serait servi chaque jour et les habitants loueraient ta présence et tes bienfaits !

 - Vraiment ? s'étonna le pingouin.

 - Oui, les royaumes du désert recherchent des services comme les tiens. Ils seraient ravis d'avoir un pingouin auprès d'eux. Rejoins mon équipe. Tu seras grassement payé et tu ne manqueras rien.

 - Payé ? s'enquit le pingouin.

 - Tu ne vas quand même pas donner ta neige gratuitement ! Ah ah ! dit le père fouettard en riant très fort. Pas de cadeau, tout se monnaye. Et bien sûr, je prendrais un pourcentage, mais un tout petit voyons...

Le pingouin était surpris et décontenancé. Il n'avait jamais envisagé un futur de la sorte.

 - Pense au poisson frais chaque jour. Pense à la gloire et à la reconnaissance que tu as toujours cherché et que tu aurais enfin. Pense aux richesses que l'on t'offrirait. Oublie ta mission qui n'a plus de sens et viens me rejoindre. Deviens mon associé ! Faisons plaisir à ceux qui le méritent et oublions les autres ! Et surtout, laissons tomber cette pathétique fête de Noël ! lança avec force le père fouettard.

Le pingouin resta un moment silencieux. Il était rempli de doute. Sa mission lui semblait en effet n'avoir plus aucun sens. Assurément les Parisiens ne méritaient pas sa neige, assurément on le traiterait mieux ailleurs... C'est sûr que ce n'était pas avec la colonie du pôle nord qu'il pourrait avoir autant de poissons frais et de considération.

Il fixa le ciel pendant un moment. Puis il se souvint :

"Un peu de neige et il se mettait à chanter"

"Tu me donnes ton fromage de bon coeur ?"

"Une vie donnée par amour. C'est ce que je désire du plus profond de mon coeur."

Et le pingouin comprit enfin.

 - C'est vrai père fouettard, les gens de cette ville ne méritent pas cette neige. Ils sont tristes et ne pensent pas assez aux autres. Mais ceux du désert ne la méritent pas non plus, quand bien même ils m'offriraient du poisson et des richesses. Car personne ne mérite ce cadeau. Un cadeau ne se mérite pas. C'est là sa valeur. En chaque être il y a du bon et du moins bon, mais je crois que l'amour gratuit réveille ce que chacun a de meilleur. Et c'est cela le sens de Noël. Alors, tu as raison, ils ne méritent pas cette neige, mais vois-tu, ils en ont assurément besoin. Et je leur la donne en cadeau ! cria victorieusement le pingouin en se mettant à battre des ailes.

 - Non !!! hurla le père fouettard, en essayant de faire claquer son fouet sur le petit pingouin. Mais déjà une bourrasque de vent et de neige entraîna l'homme en noir très loin.

En un instant, le vent se mit à souffler dans tout Paris et de petits flocons commencèrent à tomber, rapidement suivis par de plus gros. Bien vite, une véritable tempête de neige tomba sur la ville lumière, surprenant puis émerveillant chacun de ses habitants.

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