Chapitre 14 : Rhazek

Par Talharr

Rhazek :

Les rues de la cité étaient désertes.

Seules les acclamations lointaines de l’arène montaient jusqu’aux oreilles de Rhazek.
Ils festoient. Ils hurlent. Comme il leur avait promis. Tous morts.

Et pourtant, les mots de l’enfant et de l’homme résonnaient encore dans son esprit.

Le peuple d’Alkasrim…

Jamais il n’avait entendu ce nom. Mais son père, lui, avait pâli. Il faudra qu’il lui en parle.

Plus étrange encore : ce regard échangé avec Erzic. Et cette image, ce lieu. Le marché.
Comment un simple regard pouvait-il transmettre cela ?

Rhazek hésita. Devait-il s’y rendre, sans en parler à son père ?
Mais si cet homme disait vrai… Si lui, Rhazek, pouvait vraiment devenir le seigneur le plus puissant de toute la Terre de Talharr…

Et si ce n’est qu’un mensonge, il mourra. Lentement.

Il s’engouffra dans la rue du marché. Les odeurs d’épices rances et de viande fumée flottaient dans l’air chaud.

Il traversa les étals désertés, tourna dans une ruelle étroite.
Au fond, une boutique aux vitres poussiéreuses, remplie de bibelots oubliés. Le lieu qu’il avait vu.

Vide.

Il a changé d’avis ?

Il se retourna — et fit face à deux hommes en capes blanches.
Une pression glacée s’abattit sur ses épaules. Sa main glissa vers son épée.

Un bruit derrière lui. Clac.

Trois autres hommes bloquaient l’accès à la boutique. L’un d’eux le fixait. Toujours ce regard étrange.

     — Je ne pensais pas voir autant de monde, tenta Rhazek, tandis qu’une pression s’insinuait dans sa poitrine.

     — Vous vouliez des preuves, répondit Erzic, calme comme l’acier. Ces hommes m’aideront à vous les donné.

     — En effet, ce que vous avez dit n’a aucun sens pour moi.

Erzic et ses hommes se mirent en cercle autour de Rhazek.

Sa main était toujours sur la poignée de son épée.

Le regard d’Erzic se planta dans le sien, implacable.

    — Vous m’avez dit connaitre l’ancienne guerre. Dites-moi ce que vous savez, ordonna-t-il.

Encore cette histoire.

Rhazek souffla, agacé :

     — On m’a expliqué qu’il y a un millénaire, une guerre avait eu lieu en ces terres. Une guerre entre deux divinités. Dont l’une a donné son nom à notre terre actuelle. Talharr, le vainqueur.

Erzic eut un rire moqueur. Rhazek serra les dents.

     — Qu’est-ce qui vous fait rire ? N’est-ce pas ce qu’il s’est passé ?

     — Dans les grandes lignes… non, vous n’avez pas tort. Je ne pensais juste pas devoir rappeler à l’élu l’histoire de son propre peuple.

     — Vous ne connaissez rien de mon peuple…

     — Je crois en savoir bien plus que vous.

Rhazek, emporté par la colère, dégaina son épée et s’élança vers lui.

Mais… l’image d’Erzic reculait, comme repoussée. Il semblait toujours hors d’atteinte.

     — Comment faites-vous ?!

     — Faire quoi ?

D’un clignement d’œil, Erzic se tenait à présent face à lui, à quelques centimètres. Une dague pointait sa poitrine.

Rhazek sentit d’autres lames se poser contre lui, douces mais menaçantes. Il était cerné.

     — Comment… ? bafouilla-t-il, le souffle court.

     — Maintenant, vous allez m’écouter ?

Les dents serrées, Rhazek hocha la tête. Il n’avait pas le choix.

Père aurait honte…

     — Parfait.

Les lames quittèrent sa peau. L’air semblait à nouveau respirable.

Les hommes retrouvèrent leur place en cercle, immobiles.
Mais Rhazek n’était pas rassuré.

De quoi d’autre était-il capable ?

     — La guerre entre deux divinités a bien eu lieu, confirma Erzic. Mais pour quelles raisons, et avec quelles conséquences ?

Rhazek haussa les épaules. Il ne savait presque rien de cette histoire ancienne. Et à quoi bon, pensait-il ? Le plus important était le présent et son futur.

     — Talharr est le dieu de la vie : humaine, animale, végétale. Malkar, lui, règne sur les ombres de ce monde.

     — Malkar ? répéta Rhazek.

     — A l’origine ils n’étaient pas ennemis. Ils étaient frères. La vie et la terre ont été créées par leur père, Dalar, il y a dix mille ans.

Une étrange lumière violette passa dans les yeux d’Erzic. Rhazek tressaillit. Fugace, mais bien réelle.

Il n'est pas comme nous…

    — Les dieux sont immortels. Alors pourquoi ne parle-t-on plus que de Talharr… et du “dieu du mal” ? Où est Dalar ?

    — Je suppose qu’il est mort, répondit Rhazek, sur un ton moqueur

    — On peut en effet dire qu’il n’est plus en vie… mais ce n’est pas vraiment le cas. Ce n’est pas aussi simple. Dalar, maître des destins, ne voulait plus les partager avec ses fils, demi-dieux qu’il avait conçus avec une humaine.

    — Une humaine ? … Donc…

    — Oui. Talharr et Malkar sont nés de ce mélange. Et Dalar, rongé par la jalousie, tenta de les tuer. Mais ils furent plus rapides, et l’enfermèrent dans un lieu qu’aucun mortel ne connaît.

Rhazek se pencha, presque malgré lui, captivé par ce qu’il entendait.

     — Après cela, les deux frères se partagèrent le monde. Mais Malkar voulait plus. Talharr refusa. Malkar avait alors envoyé ses créatures dans les villages, forçant Talharr à réagir. Et la guerre éclata. Elle dura deux siècles.

Deux siècles ? Et pourtant, pas une trace dans les livres, pas un mot dans ce que l’on m’a enseigné. Tout simplement oublié.

     — Et comment Talharr a gagné ? demanda, intrigué, Rhazek.

     — La bataille finale se joua sur les terres de Malkar. Ce qu’on appelle aujourd’hui… les terres abandonnées. Autrefois, elles étaient peuplées. Aujourd’hui, elles ne sont que ruines. Talharr y a déchaîné toute sa rage. Une coalition de royaumes a rasé jusqu’à la poussière ce qui restait de l’ennemi.

Les terres abandonnées… celle que tous les peuples évitent… et dont les frontières sont protégées par les guerriers de chaque royaume, pensa Rhazek.

    — Lorsque les armées de Malkar furent vaincues, Talharr n’a pas voulu tuer son frère. Avec ses pouvoirs et ceux d’autres humains, Malkar fut enfermé dans une roche. Nous l’appelons la roche du désespoir.

Les hommes en capes blanches semblèrent effectuer une prière à ces mots.

Mais cela ne disait toujours pas pourquoi il l’avait choisi.

    — Je n’ai toujours pas d’explication sur ce que je représente réellement pour vous.

    — Si l’histoire a été oubliée, c’est qu’aucune divinité n’a plus donner signe depuis cette guerre. Dalar est mort ou emprisonné dans un endroit inaccessible. Malkar est emprisonné et Talharr a perdu toute son énergie pour enfermer son frère et ne peut plus intervenir en notre monde avant un long moment.

Toujours pas la réponse qu’il attendait. Il allait protester, mais Erzic le devança :

     — Notre monde a besoin d’un dieu. Trop longtemps il a été laissé aux désirs des humains. Drazyl était un royaume puissant et uni. Aujourd’hui il n’y a que la guerre et les massacres. Et les autres royaumes pensent que la paix durera éternellement. Bien évidemment ce ne sera pas le cas, l’un d’entre eux sera trop avide et corrompra le monde.

Erzic mentait peut-être. Mais s’il disait vrai… comment refuser un destin pareil ?

    — Cet individu qui mènera notre monde à sa perte est déjà là. Je l’ai vu. Il a été choisi par Talharr, qui veut remodeler le monde, et vous par Malkar. Vous êtes le serpent qui mettra à néant ses plans destructeurs.

Par Malkar, le dieu de l’ombre. Oui, ça me correspond bien.

    — Cependant nous avons besoin de notre ennemi vivant. Car seul l’élu de Talharr peut délivrer Malkar. Ainsi en a été décidé lors de la défaite de notre dieu.

    — Alors que devrais-je faire ? demanda un Rhazek très intéressé.

Il surprit Erzic à sourire plus chaleureusement qu’à ce qu’il l’avait habitué.

    — Tu seras la voix de Malkar et tu conduiras le Loup vers sa propre chute.

    — Et comment ?

    — Il faut du changement ici, à Mahldryl. Ensuite, nous unifierons Drazyl. Et pendant que l’élu de Talharr marchera vers son destin, nous soumettrons les autres royaumes. Alors seulement viendra l’heure de tuer Talharr. Et vous serez le roi d’un monde nouveau. Le roi de la Terre de Malkar. 

Le roi Rhazek. Ça sonne bien.

Il commençait à être convaincu. Cependant quelque chose coinçait.

     — Comment je pourrais être le roi ? Je ne suis même pas le seigneur de Mahldryl…

     — C’est justement notre première étape. Que vous deveniez ce seigneur et ensuite roi de Drazyl.

Cela voulait-il dire que… ?

Comment pourrais-je me rendre coupable d’un tel acte ? s’enquit Rhazek.

Erzic ne tarda pas à lui donner sa réponse :

     — Il faut que votre père meure. Je suis conscient que c’est beaucoup demander. C’est un acte qui permettra au monde de survivre et de devenir meilleur.

     — Je… je n’aurais jamais le courage…

     — Vous voulez devenir la personne la plus puissante de cette terre ? La voix de Malkar ?

Bien sûr, il en rêvait depuis tellement longtemps. Et on lui offrait cette couronne. Comment refuser ?

     — Nous serons là pour vous aider dans cette mission, reprit Erzic, un ton de compréhension dans la voix.

Un long silence s’installa, laissant Rhazek dans ses réflexions. Toutes les informations tournaient dans sa tête. Devait-il trahir son père pour ses propres desseins ?

N’avait-il pas dit que toute réussite venait de décisions difficiles ?

J’en ai envie, assura-t-il à lui-même.

Devant l’insistance du regard d’Erzic, Rhazek donna sa décision :

     — Je veux devenir la voix de Malkar.

Un large sourire se dessina sur le visage d’Erzic.

    — Parfait.

Les cinq hommes en cercle fermèrent les yeux et, en chœur, récitèrent une phrase que Rhazek ne comprenait pas :

    — Zhaal'Malkar nax’rel, kriss’taar Rhazek zil’kaan. Ska’morath vel’shaan, thurak'sil'zan.

Soudain, une lumière violette entoura leur cercle. Tout devint noir, et une voix résonna :

     — Rhazek de Mahldryl. Mon élu, je te confie la tâche de reprendre ce monde en mon nom. Si tu réussis, tu seras dûment récompensé. Mon retour dépend de toi.

Rhazek tenta de répondre, mais aucun son ne franchit ses lèvres.

La lumière violette s’évanouit. La ruelle réapparut. Il ne restait que lui, et Erzic.

    — Vous êtes désormais lié à Malkar. Si vous le trahissez, vous connaîtrez une mort que personne ne souhaite.

Rhazek frissonna. Après ce qu’il venait de vivre, comment ne pas le croire ?

    — J’irai au bout de ma mission, assura-t-il.

Même si cette première étape lui nouait l’estomac.

Erzic hocha la tête.

     — Nous vous aiderons à en assurer la réussite.

Des cors retentirent dans la cité. Les jeux d’arène venaient de s’achever.

Rhazek vit Erzic grimacer.

    — Avant de retourner à vos occupations de jeune seigneur… Dans l’arène, l’un des prisonniers a prononcé le nom d’un peuple, commença Erzic.

    — Alkasrim, compléta Rhazek.

    — Vous savez qui ils sont ?

    — Non… Je me pose la même question.

Erzic semblait pensif.

    — Il faut que nous nous renseignions. S’ils peuvent se rallier à notre cause, ils seront précieux. Sinon… il faudra s’en débarrasser.

Une armée. Mon armée, songea Rhazek.

    — En attendant, préparez-vous. Gagnez des alliés parmi les nobles et les guerriers. Je vous avertirai lorsque le moment sera venu, conclut Erzic.

Rhazek s’apprêtait à partir, mais une question le retint.

    — Qui êtes-vous ? demanda-t-il.

Erzic retrouva son expression de glace.

    — Une sorte de magicien, répondit-il simplement.

Rhazek tourna les talons et prit la direction du dôme.

Un magicien… 

Des alliés à gagner. Des mages à ses côtés. Un dieu à servir. Devenir seigneur de Mahldryl, roi de Drazyl, et un jour… régner sur la Terre de Talharr toute entière.

Mais surtout, tuer son père.

Aura-t-il le courage et la force d’y arriver ?

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Brutus Valnuit
Posté le 28/07/2025
J'ai peut-être mal compris mais pourquoi Talharr qui est le Dieu de la vie ( le gentil) voudrait mettre fin à ce monde ?

— Cet individu qui mènera notre monde à sa perte est déjà là. Je l’ai vu. Il a été choisi par Talharr .
Ou alors le monde en question est un monde maléfique qui serait potentiellement combattu par Talharr ?
Talharr
Posté le 28/07/2025
Re,
J'ai ajouté quelques mots pour comprendre ahaa
Cet individu qui mènera notre monde à sa perte est déjà là. "Je l’ai vu. Il a été choisi par Talharr, qui veut remodeler le monde, et vous par Malkar. Vous êtes le serpent qui mettra à néant ses plans destructeurs."
Attention les dires ne sont pas forcément la vérité :)
Brutus Valnuit
Posté le 28/07/2025
Ok ! Parfait, tout prend son sens maintenant.
Oui je me doute qu'il ne faut pas se fier à Erzic, personnage trouble et fourbe s'il en est ?!
Scribilix
Posté le 15/07/2025
Re,
Je continue d'avancer dans ton histoire et les choses se précisent.
Je ne vois cependant pas en quoi Talharr qui a sacrifié sa force pour enprisonné son frère serait une menace pour le monde si son héraut (le loup) parvient à ses fins (qu'on ignore toujours). Soit Rhazek ment pour tromper Erzic ce qui serait bien dans le caractère du serpent, soit l'on ne connait pas encore le vrai but de Talharr qui serait moins blanc que ce qu'il parait.

Sur la forme :
-Tous morts.( j'aurais rajouté ils sont tous morts ou bien... Tous morts pour que cela fasse moins abrupte).
- Et pourtant, les mots de l’enfant et de l’homme résonnaient encore. ( dans ses oreilles/son esprit).
- De quoi d’autre était-il capable ? ( je le mettrai en italique si c'est l'une de ses pensées.
- Il est pas comme nous ( plutot avec un n' )
On peut en effet dire qu’il n’est plus en vie… mais ce n’est pas vraiment le cas. Mais ce n’est pas aussi simple. Dalar, maître des destins... ( j'aurais enlevé un mais).
- Si l’histoire a été oubliée, c’est qu’aucune divinité n’a plus donner ( donné)
- Vous êtes le serpent qui mettra à néant des plans destructeurs. ( ses plans destructeurs)
Bref, je continue :)
Talharr
Posté le 15/07/2025
Re-hello,
Je comprends ton raisonnement concernant Talharr.
Je pense aussi que tu as raté une information qui t'aurais mis sur la piste :)
Dans le 2ème chapitre d'Erzic, le mage dit : "Le serpent s'occupera du reste, à Krieg"
Et je pense qu'avec cette phrase tu vas te poser d'autres questions :)

Et encore merci pour les remarques. Je continue de modifier mais il y a toujours a corriger aha.
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