Deux jours de plus passent pour le capitaine aux dreadlocks, errant de tavernes en fumeries, de rades en collines, sans pouvoir se défaire de ses préoccupations, ni trouver ce qu’il cherche. Les prédictions de la vieille chinoise l’ont troublé plus qu’il ne se l’avoue lui-même et tout semble se liguer contre lui pour ne pas aboutir. L’omniprésence de la Compagnie des Indes dans la ville l’oblige à se montrer discret et même d’envisager d’appareiller plus tôt que prévu. Il rassemble donc son équipage égaillé aux quatre coins des tavernes et lui donne l’ordre d’approvisionner le Pearl. Départ dans trois jours quoi qu’il arrive. Pendant que Gibbs et les autres s’exécutent, Jack traîne ses oreilles du côté de la capitainerie largement investie par la CIO.
L’amiral Aubrey et sa flotte surarmée sont attendus d’ici quelques jours à Singapour pour une revue de détails et de nouveaux accords commerciaux en passe d’être signés avec les autorités locales. On parle de cet homme comme l’ambition personnifiée, la rigueur chevillée au corps et une totale aversion pour tout ce qui porte bas les valeurs de son Angleterre chérie à commencer par les hors-la-loi. Autant dire que les pirates sont visés, au premier chef. Dans leur quartier général du port, les hommes de la marine royale s’emploient à la surveillance des appontages et préparent l’arrivée des officiers supérieurs.
Jack décide alors de forcer l’armement du Black Pearl et de recruter quelques têtes brûlées supplémentaires. Objectif : mettre en déroute la marine royale, saboter les accords commerciaux, pour espérer se servir au passage et, qui sait, réveiller les entrailles de mère Calypso. Tout ça pour semer la pagaille sur toute la mer de Chine. Il faut bien ce genre de coup d’éclat pour réveiller la légende des sept mers !
Aux trois jours dits, Jack donne l’ordre d’appareiller aux dernières lueurs du jour afin de partir en toute discrétion. Seules les lanternes de position allumées, le Black Pearl se glisse hors de la rade de Singapour, se risquant dans une aventure plus téméraire que de coutume. Les hommes de quart sont à leur poste, sur le qui-vive, observant la surface des eaux dans laquelle se reflète une demi-lune laiteuse. Cotton est à la barre, silencieux, comme à son habitude. Gibbs s’approche de Jack, sur le pont arrière, qui observe la nuit d’un œil scrutateur et inquiet.
- Dis-moi, Jack, parmi les nouveaux, là... tu es sûr de ton recrutement ? ....
- Allons, Gibbs, tu me connais ! Je voulais des têtes brûlées, je les aies, n’est-ce pas ?!...
- Oui, ça, je sais. Je te connais, Jack. Mais... le type, là... le grand baraqué... C’est une gourde, doublés d’un manche !
Jack ne peut s’empêcher de sourire à ces mots et le rassure.
- Il a certaines compétences qui me seront utiles en temps voulu...
- Bah, on dirait pas ! ... En tous cas, c’est sûrement pas un marin, ça se voit tout de suite !
- En effet, c’est pas là qu’il est bon...
- Et je peux savoir en quoi il nous sera utile ?
- Non ! Pas pour l’instant.
- Jack ? Qu’est-ce qu’on va faire, là ? Pourquoi as-tu demandé du renfort ? Qu’aurons-nous à combattre ? demande le second, inquiet.
Jack le regarde, la mine grave et déterminée.
- Nous n’en avons pas terminé avec la Compagnie des Indes. La dernière fois, nous n’avions gagné qu’une bataille. Une ridicule bataille...
- Jack ! s’exclame Gibbs, au bord de la panique. Ne me dis pas que nous allons nous en prendre à la Compagnie des Indes, tout seuls avec le Black Pearl.
- Si !
- Mais, c’est de la folie furieuse !
- Nous n’avons pas le temps de réunir toute la Confrérie, prétexte Jack, le regard au loin.
- Nous allons au casse-pipe, Jack !
- Nous avons toujours eu de la chance...
- Et si c’était une fois de trop ?
- Le diable, seul, le sait...
- Ça ne me dit rien qui vaille, Jack, crois-moi !
- Ça, je le sais aussi...
Puis, il s’éloigne du bastingage et sur un ton qui se veut à la fois intransigeant et rassurant, Jack lui dit :
- Va dormir, Gibbs. Tu auras besoin de toutes tes forces pour demain.
Et il se dirige vers l’autre bord pour s’absorber encore sur l’horizon obscur et silencieux. Seul.
A la faveur du calme, ses pensées font un petit retour en arrière, deux jours auparavant.
o0o0o
Il était retourné dans les bras, experts et offerts, de Chun, faute d’avoir trouvé de quoi contenter son corps et son esprit dans ceux d’une enseignante taoïste. Il s’était confié au sujet des prédictions de la diseuse de bonne aventure sur le marché flottant et aussi sur son insuccès pour trouver ce qu’il cherchait. Compatissante, Chun l’avait accueilli avec joie et tendresse, bénissant, elle, de profiter de sa présence et de sa fougue encore une fois. Il l’avait embrassée tant et plus. Il avait parcouru son corps laiteux de sa langue gourmande, de ses doigts entreprenants. Elle avait soupiré de plaisir, les yeux fermés, appréciant chaque instant sous ses caresses empressées. Et lorsqu’elle s’était assise sur lui, oscillant sur son plaisir, ils avaient gémi à l’unisson, goûtant dans un accord parfait à son séisme corporel. Peau contre peau, unis dans une même respiration, ils ont prolongé encore longtemps un orgasme profond et électrique, oubliant le monde autour d’eux. Lorsqu’ils retrouvèrent leurs esprits ici-bas, leurs corps calmés et repus, la nuit s’était écoulée. Il s’était endormi contre elle comme un bienheureux, blotti contre son dos dans un sommeil sans rêve.
Le lendemain, il était allé faire un tour du côté des bains de l’oncle de Sao Feng. C’était effectivement, chacun son tour et il put y entrer à l’heure des hommes. Tai Wang l’y avait reçu d’un air pincé. Il n’y avait plus, malheureusement, les deux jumelles si charmantes, expertes en l’art des caresses à quatre mains. Leurs massages aux huiles parfumées restaient encore dans son esprit un moment de rares délices. A la place, il y trouva un chinois sculptural et bien bâti, dont les mains douces et fermes se sont employées à détendre son corps des pieds à la tête tout en l’inondant des potins de la ville avec sa petite voix haut perchée d’eunuque mal emmanché. Jack se laissa faire, non pour le massage, quoique... mais surtout pour cette pipelette qui ne tarderait pas à vendre une mèche intéressante sur les fréquentations urbaines. Ainsi, il apprit qu’un certain Teague Sparrow, adepte des massages locaux, venait de prendre la mer deux jours auparavant avec un tirant d’eau passablement bas et à sa grande tristesse. Voilà qui est cocasse ! Il apprit aussi que le gouverneur du comté royal d’Angleterre, Sir Thomas Waterston, était de la jaquette, lui aussi. Son masseur en gloussait de plaisir. Surtout, qu’il attendait avec impatience les festivités emperruquées qu’il ne manquerait pas d’y avoir à l’arrivée de la flotte de l’amiral Aubrey.... ce grand homme si plein de pouvoirs et de prestige... et il espérait bien y être invité... Jack roulait des yeux le nez dans sa serviette, mais il ne manqua pas de lui demander qui venait aux bains chez les femmes. A cela, il lui répondit qu’il ne goûtait pas de ce pain-là et qu’il préférait rendre visite à la résidence du gouverneur plutôt que de peloter des fesses féminines. Le contraire eût été étonnant !... Et puis, il eut soudain cette idée lumineuse et machiavélique... Il se retourna sur la table de massage, alors que la séance n’était pas terminée. Nu et en sueur dans la vapeur ambiante, en face du masseur bien bâti et luisant, il le fixa intensément. Celui-ci en perdit la voix, s’interrogeant sur ce qui lui prenait. Puis, Jack lui saisit soudainement le visage à deux mains et l’embrassa sur la bouche avec fougue, le forçant à se pencher sur lui. Tout en glissant sa langue entre ses lèvres et une main sur son entrejambe, il fit frémir le masseur de désir. C’est là qu’il lui proposa son arrangement érotique.
o0o0o
Le pont est silencieux et plongé dans le noir d’une nuit calme et paisible. Jack sort de ses pensées rétrospectives et se secoue les épaules pour se redonner du courage. Que ne faut-il pas faire pour obtenir quelques convoitises ! Non, ce n’est pas un eunuque, seulement le petit sobriquet dont il aime affubler les hommes qui aiment les hommes. Et, lui, il était loin de l’être, assurément. Diable, quel armement ! Mettre ça dans sa bouche lui a fait définitivement perdre toute notion des proportions. C’était doublement plus gros que le goulot d’une bouteille de rhum ! Le voici, grâce à ça, faisant partie de son équipage, troublant l’équilibre si fragile d’une telle communauté. Mais, vaille que vaille, le jeu en vaudra bientôt la chandelle. Du moins, il compte là-dessus pour la prochaine bataille.
Au petit matin du deuxième jour de navigation, le moussaillon du nid de pie s’égosille comme un fou.
- Armada, droit devant !! Armada, droit devant !!
Jack lève un œil, alors qu’il est assoupi contre la rambarde de la dunette près de Gibbs à la barre. Le Black Pearl progresse sagement sur une mer brumeuse.
- Jack ! s’écrie Gibbs, agrippé et devenu nerveux, le regard inquiet fixant l’horizon. On y est ! Le casse pipe est droit devant ...
Jack finit de lever l’autre œil et clignote des paupières pour réajuster sa vue et émerger du sommeil. Une trentaine de navires alignés à l’horizon sortent de la brume à quelques encablures du Black Pearl. Il est grand temps.
- BRANLE-BAS DE COMBAT ! crie Jack en courant sur le pont. TOUT LE MONDE À SON POSTE !!! BRANLE-BAS DE COMBAT ! SORTEZ LES CANONS ! TOUS LES CANONS ! BÂBORD ! TRIBORD ! VITE !
Tout le monde s’égaye à travers le navire dans l’affolement général. On ouvre les sabords. On roule des tonneaux de poudre. On charge les mousquets et les pistolets. On empile les boulets et on sort les crochets d’abordage.
- HISSEZ LE PAVILLON NOIR, crie encore le capitaine, la moustache frisée par l’excitation, QU’EST-CE QUE VOUS ATTENDEZ TAS DE MOLLUSQUES AMBULANTS !??!
- Mais, Jack ! demande Marty aux ordres. On va vraiment attaquer l’armada tout seuls ?
- Tu vois quelqu’un d’autre pour nous aider, là ? réplique Jack sur les dents. Oui, on va les attaquer tout seuls. Rien ne fait plus peur à une armada qu’un seul navire de pirates. On va donc les attaquer de front.
Pendant ce temps, le masseur de Jack, démuni, paniqué, erre sur le pont, le regard désespéré et bousculé par les autres matelots. Incapable de savoir quoi faire, il tente vainement de dégager le terrain, voire de répondre à quelques ordres, mais, trop maladroit, il se glisse sous l’escalier, terrorisé. Alors que Jack, distribuant ses ordres d’une voix de stentor, tout en gesticulant, finit par apercevoir son désespoir et trace droit sur lui. Il le saisit par le bras brusquement et l’entraîne jusqu’à sa cabine. Une fois à l’intérieur, il le toise en levant les yeux vers son masseur plus grand que lui et s’approchant tout près de son buste, il lui souffle au visage :
- Tu ne bouges pas d’ici, beau gosse, tant que je ne reviens pas te chercher. Je ne tiens pas à ce que tu abîmes ton joli minois dans la bataille... Ce serait trop bête d’arriver aux festivités tout amoché...
- Je... je ... bredouille le masseur en fixant les yeux bordés de khôl du capitaine, d’accord, je ne bouge pas d’ici... Que va-t-il se passer, Jack ? J’ai peur...
- Du sang ... et des larmes... répond Jack en approchant ses lèvres des siennes. Et ce ne sera pas beau à voir... Alors, je ne tiens pas à ce que tu voies ça... tu n’aimerais pas... j’en suis sûr...
Et, comme pour mettre un point final à leur conversation, il l’embrasse à pleine bouche lui intimant par là de rester sagement ici à attendre son retour affectueux. Puis, il s’éloigne de lui et fait demi-tour vers la porte en silence, pointant un doigt vers lui signifiant qu’il ne bouge pas et que, promis, il reviendra le voir avec de belles promesses.
De retour sur le pont, Jack s’enquiert immédiatement du comportement de l’armada. Il déploie sa longue-vue et braque le navire amiral légèrement plus à l’avant des autres. Mais, Ragetti s’approche de Jack en même temps que la vigie se met à hurler :
- NAVIRES PIRATES !!... TRIBORD ARRIÈRE !!
- Jack ! On a de la visite ! ..... là .... fait Ragetti tout excité en pointant du doigt dans la direction.
Le capitaine braque alors sa longue-vue vers tribord arrière. Une goélette à trois mâts et coque rouge, ainsi qu’une jonque font voiles pour rejoindre le Black Pearl et faire face à l’armada de la Compagnie des Indes. Jack baisse sa longue-vue avec un sourire triomphant.
- Du renfort et pas n’importe lequel !.... fait-il en la repliant d’un geste enthousiaste. Carguez la grand-voile ! ... on les attend... ordonne-t-il.
- Jack ! On va devoir faire des pourparlers, alors ? demande Gibbs et s’approchant de lui.
- C’est inévitable, mon gars ! Comment tu veux qu’on s’en sorte, sinon ? répond Jack en observant les trois navires approcher de part et d’autre.
Puis, il se dirige vers sa cabine. Il entre en vitesse et trouve le masseur confortablement lové dans son propre lit.
- Habille-toi, mon joli ! C’est l’heure d’entrer en scène ! fait Jack, empressé. Fais-toi tout beau, nous allons rendre une visite de prestige.
Puis, il ressort aussi vite qu’il est entré sans attendre une quelconque réponse de sa part, le laissant surpris et interrogateur.
- Mais, qui est-ce ? demande Gibbs en regardant les navires. La jonque, c’est Elisabeth, ça, c’est sûr, mais l’autre ?
- ... Papa, répond Jack laconiquement, tordant un coin de la bouche, mi-amusé, mi-contrarié.
- Ton père !! ... Comment tu le sais ? .... s’exclame son second.
- Facile ! ... Depuis qu’il connaît Elisabeth, il n’a d’yeux que pour elle... ... et le Code, bien sûr...
- Madame Turner ?? ... Nooon, tu plaisantes, Jack ?!
- Ai-je l’habitude de plaisanter quand il s’agit de mon père ?... fait Jack en s’éloignant pour observer l’arrivée du Proud of the Seas et de l’Empress.
Teague Sparrow apparaît au bastingage de son navire, chapeau à larges bords au vent, et lance à son fils :
- Alors, fiston ! On a encore plus grands yeux que de grand ventre, à ce que je vois !?
- J’ai toujours eu de la chance, réplique Jack. Tu sais bien ! .... D’ailleurs, te voilà !
- Tu as toujours été fou à lier, Jacky ! lui relance son père. T’attaquer tout seul à Aubrey, c’est du suicide !
- Maintenant, que tu es là, j’en déduis que tu n’es pas venu pour que je te marie, mais pour les mêmes raisons que moi, ironise Jack.
- C’est beaucoup dire, fiston ! Mais, puisque je suis là, autant lui mettre une raclée ensemble, tu ne crois pas ?!
- Avec grand plaisir !
Jack retourne alors à la porte de sa cabine et tambourine.
- Hé ! Sors d’ici, c’est l’heure !
Et chacun des trois capitaines descend avec une chaloupe rejoindre celle du navire amiral qui les attend entre les deux alignements de navires. Tous se toisent, assis dans leur embarcation. L’amiral Aubrey porte l’orgueil et la suffisance sur lui. Sa perruque blanche sous son tricorne bordé de fourrure assortie, son pourpoint de drap brossé sombre brodé d’or, ses bottes cirées de frais et ses gants blancs immaculés dénotent sans conteste un rang et une prétention visant manifestement à mettre de la distance, voire à attiser les inimitiés et, par là, faire déjà échouer les pourparlers. Entouré de ses sbires, tout aussi apprêtés que lui, fusils relevés, il les toise de son regard bleu acier, sans sourciller. De son côté, Teague et son regard noir ne laisse rien paraître. Son imposant chapeau ainsi que sa stature parlent pour lui ; on ne rigole pas. Il est accompagné de deux de ses jeunes matelots. Visiblement des tueurs aguerris. Elisabeth, elle, sous son vêtement renforcé de pièces de cuir et ouvragé à la chinoise, ses cheveux blonds ramenés en une tresse au milieu du dos et ses yeux bruns, semble plus décidée que jamais d’en découdre avec ce qui représente désormais son passé. Entourée par quatre ninjas mal fagotés, elle fixe l’amiral d’un air méchant tentant difficilement d’oublier la présence de Jack sur l’embarcation d’à-côté. Jack, quant à lui, affiche une mine de conquérant malicieux, sûr et certain qu’il aura sa vengeance.
Alors que les chaloupes se retrouvent face à face, l’amiral prend la parole :
- Lequel d’entre vous est Jack Sparrow ? demande-t-il d’une voix autoritaire et froide.
Avant même qu’il ne trouve quoi répondre, Teague et Elisabeth tendent un doigt pour désigner Jack. L’amiral le fixe, alors.
- Monsieur Sparrow, votre réputation semble laisser des souvenirs cuisants partout où vous passez, fait-il le visage dur. Vous avez l’art et la manière de laisser des traces derrière vous...
- Capitaine ! réplique Jack avec un sourire contrarié. Je suis le capitaine Sparrow. Et vous, je suppose que vous êtes le sbire préféré de sa Majesté venu ratisser large dans les colonies, n’est-ce pas ? dit-il d’un ton provocateur.
- Pour l’heure, je suis bien obligé de constater qu’il reste une fange de la société que je dois éradiquer de la manière la plus radicale, réplique l’amiral sèchement. D’ailleurs, j’ai là un mandat d’amener signé du roi m’autorisant à user de toute autorité pour vous arrêter, vous, Sparrow, et vos semblables.
- Nous pourrions trouver un accord, s’immisce Elisabeth, diplomate.
Tous les regards se tournent vers elle.
- Et quel genre d’accord voudriez-vous que nous passions, mademoiselle ? demande l’amiral, sarcastique. Vous n’êtes plus en position de négocier quoi que ce soit !
- Madame, s’il-vous plaît ! corrige-t-elle, sans se démonter, avec toute la hauteur de reine des pirates dont elle est capable. Madame capitaine Elisabeth Turner, précise-t-elle encore.
Le petit regard en coin que jette Jack à son père en dit long sur l’affirmation qu’il lui avait faite quelques jours auparavant. Teague ne laisse rien paraître et semble accuser le coup.
- Quel genre d’accord voudriez-vous que nous passions, madame Turner, répète l’amiral en insistant sur le «madame», agacé et impatient.
- Nous vous laissons négocier vos accords commerciaux avec les autorités locales. En échange, vous nous laissez toute liberté d’échanger notre commerce sur tous les ports où que nous soyons, dit-elle.
- Inconcevable ! s’exclame Aubrey les sourcils froncés.
- Alors, ce sera la guerre, cher Amiral, dit Teague calmement de sa voix grave.
- Dites-moi si je me trompe, dit soudain Jack, la mine interrogative, mais il me semble que le gouverneur de ce Comté... un certain Waterston, si je ne m’abuse, prépare une petite fête en l’honneur de votre arrivée, n’est-ce pas, cher amiral ? Or, il se trouve qu’un être qui lui est très cher se trouve parmi nous. Et qu’il lui serait certainement fort désagréable de le savoir mort par votre faute, parce que vous vous en êtes pris à nous et à lui par la même occasion.
Tous les regards surpris se braquent soudain sur l’homme bien bâti au côté de Jack qui le prend alors affectueusement par les épaules avec un air faussement innocent. Teague, qui a reconnu l’homme près de son fils, tord la bouche de contrariété. Elisabeth prend un air scandalisé, mais elle reste silencieuse.
- Imaginez-vous arriver à la petite sauterie et lui annoncer que son cher apollon qui lui fait des gâteries partout est malheureusement décédé à cause de vous ? continue-t-il avec une moue sadique. Difficile, dans ces conditions, de trouver un accord parfait avec les locaux. Ça sentirait la démission à plein nez ! .... sans compter que la réputation dudit comte en serait passablement entachée...
Furieux, l’amiral ne sait que répondre et il semble hésiter. Mettre à mal les accords avant même qu’ils n’aient commencé, ce n’est pas vraiment du plus bel effet.
- Vous bluffez, Sparrow ! tente l’amiral, le visage fermé.
- Il dit vrai ! fait Teague pour appuyer son fils, devinant vaguement ses intentions.
- Jack, vous êtes odieux ! ne peut s’empêcher de dire Elisabeth.
Jack, n’écoutant que son stratagème, enfouit son visage dans le cou du jeune homme d’un air langoureux et lui dit :
- Dis-leur, toi, à quel point tu tiens à revoir Thomas en chair et en... chair !...
L’homme, complètement désarçonné par la situation, est incapable de prononcer une parole. Agrippé au bord de la chaloupe, raide et tremblant, le regard apeuré, il n’ose pas bouger.
- Et bien, mon joli, tu as perdu ta langue ? demande Jack.
- Je... laissez-moi la vie sauve ! dit-il dans un filet de voix tremblante.
- Alors ? demande Jack à Aubrey d’un regard insistant. Que fait-on de lui ?
L’amiral de répond rien.
- Quoi que vous fassiez, votre avenir est compromis, continue Jack. Vous arrivez sauf de cette bataille auprès de Waterston et votre crédibilité sera mise en doute, soit, plus simple, vous mourez et vous coulez corps et biens. Enfin, les biens, on s’en occupe avant qu’ils ne coulent, en fait ...
- Vous êtes un odieux personnage !!! hurle Aubrey s’emportant soudain.
Il se lève dans sa chaloupe et tire son épée hors de son fourreau. Jack réagit tout aussi rapidement, colle son pistolet sur la tempe du masseur et lui dit :
- Change de chaloupe ! ... Allez, hop ! Ouste ! Tu voulais voir des perruques poudrées ? Eh bien tu en auras... jusqu’à en vomir.
L’homme se lève, tremblant et couinant de peur. Sur l’autre chaloupe, les tuniques rouges pointent leurs arbalètes.
- Il ne montera pas à bord ! s’écrie Aubrey, furieux. C’est une manœuvre de déstabilisation ! Waterston n’est pas celui que vous croyez ! Je vous interdis de faire ça !
- Ow ! C’est votre parole contre la mienne, alors ! réplique Jack. Ce qui revient à nouveau au sort de cet homme... Ce n’est pas un pirate et c’est le petit protégé de votre gouverneur. C’est donc à vous de vous en occuper !
Et Jack le pousse du canon de son pistolet vers la chaloupe d’Aubrey qui tamponne la sienne et celle de Teague. Déséquilibré, l’homme bascule dans l’eau et se rattrape de justesse au bord adverse dans un cri de détresse. La chute fait tanguer les embarcations et les font s’éloigner. Les pourparlers sont terminés. Jack reprend les pagaies et rame vers son navire. Teague et Elisabeth font de même chacun vers le sien. Sur la chaloupe de la Compagnie des Indes, c’est la confusion. Le masseur, agrippé au bord extérieur tente désespérément de remonter à sec, mais l’amiral et ses sbires l’en empêchent. Il reçoit un coup de rame sur la tête. Assommé, le pauvre bougre lâche le bord et sombre au fond de l’eau. Aubrey a donc fait son choix ; il devra mourir, lui aussi.
Une fois retournés chacun à son bord, les pirates s’empressent pour la manœuvre de combat. Téméraires, le Proud of the Seas, l’Empress et le Black Pearl déploient leurs voiles et font face à l’armada composée d’une trentaine de navires armés jusqu’aux dents. Ceux-ci virent de bord en harmonie pour prêter leur flan bâbord et leurs doubles rangées de canons parés à tirer. La disproportion est flagrante. Qu’à cela ne tienne. Il faudra bien affronter le problème. Faire demi-tour causerait tout autant de dégâts. Jack ordonne de faire face, coûte que coûte. On charge tous les canons possible à la proue. Les autres canons orientés sur les navires les plus obliques. Ainsi, les tirs ennemis feront moins de dégâts sur les coques. Sur le navire de Teague et celui d’Elisabeth, on fait pareil. On est aux ordres. Mais, avant que le premier coup de canon ne retentisse, de l’autre côté de l’armada, le museau fuselé du Hollandais Volant surgit. Appelé par la mort déjà présente, il refait surface, surprenant l’amiral Aubrey et ravissant Jack qui n’espérait que ça. Le premier coup de canon est tiré du Black Pearl faisant s’enchaîner une rafale de tirs nourris des navires pirates. L’armada réplique aussitôt, embrasant toute la zone de combat et la noyant dans un bruit assourdissant. Les voiles se déchirent, les bois volent en éclat, des navires explosent, des mats tombent de part et d’autre. Quand Will comprend qu’il est arrivé au début d’une bataille presque perdue d’avance pour ses amis, il se lance à la rescousse. Il ordonne de faire feu de tous bords en les prenant à revers, obligeant l’armada à se repositionner pour parer ses coups par l’arrière. Les canons du Hollandais Volants sont d’une efficacité redoutable. Les triples canons de proue réduisent à eux seuls et sans recharger deux de leurs navires, créant une brèche dans l’alignement. Le Black Pearl en profite pour s’avancer et prendre le navire amiral en tenaille avec le Hollandais Volant. Le temps de la manœuvre, les canons ont été rechargés. Une nouvelle salve retentit partant des trois navires. Celle-ci est assassine. L’USS White Eagle, fleuron de la marine royale, est transpercé de part en part, alors que le Black Pearl perd sa figure de proue et le mât de beaupré. Le Proud of the Seas, resté en retrait, est aux prises avec les navires latéraux. Les dégâts sont moins lourds, mais la partie plus longue. Quant à l’Empress, galvanisée par l’apparition de son cher mari, Elisabeth fait sonner ses canons avec enthousiasme, émiettant l’ennemi avec autant de minutie qu’un hachoir à viande. Le Hollandais Volant finit d’achever le White Eagle d’une dernière salve meurtrière. Les autres navires en déroute hissent alors le drapeau blanc. La bataille est gagnée. Un a un, les navires vaincus sont abordés et les matelots faits prisonniers. Les pirates se servent généreusement du contenu des bateaux.
Pendant ce temps, Teague vient voir Jack sur le Black Pearl.
- Dis donc, fils, fait le père à peine arrivé, c’était calculé, le coup de l’arrivée du Hollandais Volant ? Qu’est-ce que tu foutais avec le masseur ?
- Mignon, hein !? fait Jack avec un clin d’œil complice. ... dommage qu’il ait dû subir un tel sort... ajoute-t-il en faisant des yeux tristes. Heureusement que Will est venu pour l’accompagner respectueusement chez les morts...
- Je te savais sans pitié, mais à ce point-là !... dit Teague d’un regard de reproche. C’était le meilleur dans son domaine !
- Tu le regrettes ? demande Jack amusé. Rho ! .... remarque, c’est vrai que... ça méritait un détour !... Je ne te savais pas, toi aussi, penché sur ce côté, papa...
Teague lui lance un regard furieux et lui intime de se taire.
- Ferme-là, tu veux !
- Donc, j’ai bien fait de la lui faire fermer... c’était un vrai moulin à paroles ! .... avec moi, tu sais que ça restera entre nous... lui, il aurait répandu ça dans tout Singapour.
Teague fait une moue compréhensive.
- Mmmh ! .... moui... tu as peut-être raison. Mais, pour Will, là, tu pousses le bouchon !!
- L’effet papillon... fait Jack, espiègle.
- Hein ?!
- Oui, l’effet papillon ! Tout acte a des conséquences... tu sais ?! ...
- Qu’est-ce que tu me chantes, là ?
- Je veux dire par là que ton intention de séduire Lizzie pourrait avoir des conséquences désastreuses, comme l’ont été celles que j’ai eues avec elle il y a quelques temps...
- Et ?...
- ... et, tu vois bien que Lizzie n’a d’yeux que pour son mari, regarde, fait Jack en désignant l’Empress et le Hollandais Volant bord à bord. Et, ça, c’est bon pour la mer. Si un jour tu meurs ou que moi, je meurs, nous serons sûrs d’être accompagnés vers dame Calypso. Par contre, si tu l’en détournes.... pfiout !... c’est l’enfer ! ... pour tous les morts en mer... pas que nous.
- Mais, c’est pas ça que je veux, c’est...
Teague n’a pas le temps de terminer sa phrase que Jack s’éloigne soudain, intrigué et distrait par l’arrivée d’un groupe de prisonniers et un Gibbs affairé.
- Jack, nous avons trouvé ces gens dans la cale d’un des navires, dit Gibbs à l’attention de son capitaine. J’ai pensé que ça pouvait t’intéresser.
Jack observe quatre hommes et une femme, vêtus de haillons qui semblent avoir été des vêtements indiens autrefois, sales, mal nourris, tremblants de peur et de faiblesse. Le capitaine s’approche, intrigué. La femme, en particulier, tenant à peine debout, soutenue par deux hommes à ses côtés. Il lui relève le visage d’un doigt et leurs yeux se croisent.
- Shaani ?!... fait Jack d’une toute petite voix, ses yeux cherchant sur son visage celle qu’il a aimée autrefois.
La femme le fixe d’un regard vitreux dans lequel pourtant une petite lueur s’allume soudain.
- Jack ! souffle-t-elle, en le reconnaissant.
Mais, l’émotion de la surprise compose mal avec une telle faiblesse. Shaani s’écroule, inanimée, glissant des bras des hommes qui la soutenaient faiblement.
- Maman ! crie l’un d’eux en se penchant pour tenter de la relever.
Ebranlé, Jack les regarde, figé dans la surprise, l’espace d’un instant. Une quantité d’images et de souvenirs se bousculent dans son esprit. Son passé lui saute au visage percutant de plein fouet un présent bien incertain. Son fils est là, devant lui. Sa mère aussi. Enfin, celle qu’il a aimée, autrefois. Et s’il ne fait rien, elle va mourir ici. Jack se précipite sur elle, la soulève et la porte dans ses bras. Il se dirige vers sa cabine en ordonnant :
- De l’eau, du rhum, des vêtements propres ! Vite ! Et que ça saute ! Occupez-vous des hommes, vous autres ! ordonne-t-il. Papa, je te présente ton petit-fils ! lance-t-il aussi en s’éloignant avec Shaani inconsciente dans les bras.
Alors astucieux comme toujours ce bon vieux Jack, dommage que le gars soit mort... Mais bon Lizzie et Will *O* ho ouiiii!
Que va devenir Shaani ? Han faut que j'aille voir ça :p
"De l’eau, du rhum, des vêtements propres !"
- THE remède il faut le dire ! haha !
Tu as l'air d'aimer le couple maudit de Lizzie et Will, si je comprend bien. Huhu ! Bon, c'est vrai, je ne leur accorde pas grande part, mais j'avoue que même si Lizzie me hérisse le poil, leur sort m'émeut beaucoup. Alors, je leur ai accordé un instant en tête à tête. C'était le moins que je pouvais faire.
Quant à Shaani... bah, va voir, oui, elle n'est pas au mieux, la pauvre.
Bah tiens, le rhum, ça sert à tout, si si !