Chapitre 15 - Vers un destin à nul autre pareil

Par vefree
Notes de l’auteur : C'est un chapitre triste et dramatique. Jack fait connaissance avec son fils, cet être improbable pour lui, qui le lie à une femme qu'il a aimée. Il n'en perd pour autant pas le fil de sa quête personnelle.
 
 

 

        Rien ne saurait être plus important à cette heure que de prendre soin d’elle. Pourquoi ? Pourquoi elle, et pas ... ? ... Et puis, peu importe de savoir ce qui le pousse vers elle. Son intuition lui dit que c’est ça... que c’est elle... que c’est ce qui est important, là, maintenant. C’est tout. Il la dépose sur le lit, inerte. Elle est dans un état pitoyable. Des ecchymoses sur le visage, le cou, la gorge, les bras... Un œil au beurre noir, les jambes écorchées. On frappe à la porte. Gibbs et Mullroy apportent le nécessaire que Jack a demandé et déposent le tout sur la table à cartes.

- Ça va aller, Jack ? demande son second.

- Je ne sais pas, Gibbs, répond son capitaine sans quitter Shaani des yeux. Je te dirai plus tard. Merci. Laissez-moi seul avec elle...

- Heu... Jack, se ravise Gibbs, gêné. Quels sont les ordres ? Où doit-on aller, maintenant ?

- Où vous voulez, ça m’est égal, répond Jack. Sauf qu’on ne retourne pas à Singapour. C’est tout. Vous pouvez disposer.

Gibbs et Mullroy, silencieux, sortent et referment la porte derrière eux.

Enfin seul avec Shaani. Il s’emploie à lui faire reprendre ses esprits. Il la soulève un peu pour lui faire boire de l’eau. Son état de faiblesse est tel qu’elle déglutit à peine et l’eau coule le long de sa bouche le long de ses joues. Puis, il prend un linge trempé et lui nettoie le visage doucement tout en prononçant des paroles inaudibles, un peu comme on bercerait une enfant avec une histoire. Seul le son de la voix compte. Rassurer. Il veut la rassurer. Lui dire que c’est fini. Plus jamais personne ne lui fera du mal. Puis, il lui retire son vêtement souillé. Son corps tout entier n’est que plaies et blessures. Jack maudit ces êtres abjects qui osent s’en prendre à une femme innocente. Violée.... Elle a sûrement été violée... Une boule de rage dans la gorge, il passe le linge humide sur sa peau pour nettoyer ses plaies. Il les désinfecte avec du rhum. Elle réagit à peine au contact de l’alcool brûlant. Enfin, il l’habille de la longue chemise blanche que ses matelots ont apportée. Il range délicatement ses longs cheveux noirs autour de son visage, sa tête calée contre un coussin, et la couvre d’un drap. Ainsi, retrouvant une digne allure, Shaani ressemble déjà un peu à la jeune fille qu’il a connue autrefois. Il lui donne de nouveau à boire. Elle s’étouffe avec, et, soudain, revient à elle. Ses grands yeux noirs le regardent. Mais sa faiblesse lui fait baisser les paupières à nouveau. Le peu qu’il ait pu entrevoir dans son regard mêlaient à la fois le soulagement d’avoir vu un visage aimé et la terreur d’une histoire terrifiante. Il la refait boire encore, cette fois, sans s’étouffer. Elle ouvre les yeux vraiment et accroche son regard au sien comme à une bouée de sauvetage.

- Jack ! dit-elle dans un soupir de soulagement alors qu’il repose sa tête sur l’oreiller. Jack.... enfin, je te retrouve... mon amour...

- Chuutt ! fait-il en lui intimant d’un doigt sur la bouche de ne pas trop parler.

A la fois, il désire plus que tout qu’elle ne se fatigue pas, mais il redoute autant les paroles qu’elle pourrait prononcer.

- Ne dis rien, mon ange. Tu es en sécurité, ici. Je suis là. Ne t’en fais pas.

- Jack, je t’ai attendu toute ma vie ! dit-elle quand même, au bord des larmes.

- Ne dis pas ça, Trésor, non.

- Tu m’as donné le plus beau des cadeaux, amour, dit-elle encore. ...Et maintenant, je te retrouve... Aujourd’hui, je suis comblée.

- Ne parle pas comme ça, Shaani, je t’en prie, dit-il en grimaçant. Dis-moi plutôt qui t’a mise dans cet état.

- Ça n’a plus d’importance, désormais, dit-elle, le regard dans le vide. Tu es là. C’est tout ce qui compte.

- Shaani, dis-moi qui t’a mise dans cet état ? redemande Jack, inquiet devant son regard fermé par la douleur du souvenir.

- Promets-moi, Jack... fait-elle dans un murmure. Promets-moi...

- Oui ? ... Quoi ? demande-t-il, prêt à tout concéder en se penchant près de son visage pour bien entendre.

- Promets-moi d’aller voir Shaakti... murmure-t-elle

- Qui ?

- Shaakti... redit-elle faiblement. Elle m’a tout appris... Elle t’apprendra à toi aussi. C’est un trésor comme tu les aimes sûrement...

- Et où dois-je trouver cette Shaakti ?

- Tu la trouveras ...  ... à Cochin... enfin... au large de Cochin... en Inde... vas la voir ... Dis-lui que c’est moi qui t’ai envoyé... Elle te guidera...

Puis, ses yeux qui le regardaient avec amour deviennent soudain vitreux. Alarmé par ses traits qui se détendent et s’effacent, Jack, saisit son visage à deux mains et s’écrie :

- Shaani, non ! Reste avec moi ! Ne meurs pas, je t’en prie ! Ce n’est pas de ta faute... non ... c’est toi qui dois m’apprendre ... personne d’autre...

Sa tête devient très lourde. Son visage tuméfié s’adoucit alors que la vie s’en va. Sa peau s’éclaircit et se détend. Jack, horrifié, impuissant, le regard désespéré et brillant entend son dernier soupir si doux, si tendre. Elle est déjà loin. Il repose sa tête sur l’oreiller et le bras de Shaani s’écroule hors du lit. C’est trop tard. ... fini. De sa main, il referme ses paupières sur son regard perdu.

Dans un petit bruit de frottement humide, Will apparaît soudain, sortant de l’ombre, dans la cabine. En le voyant prendre forme face à lui, Jack réalise alors et hurle.

- Nooooooooooooon !

- C’est fini, Jack, dit Will, grave et calme. Je dois l’emmener.

- Non, Will, dis-moi que ce n’est pas vrai !! supplie Jack, le visage défait par la souffrance.

- Hélas... Elle n’est plus. Je suis désolé.

- Elle ne pouvait pas... ce n’est pas juste...

A ce moment, la porte de la cabine s’ouvre sur Teague et Nanthan alarmés par le cri de Jack. Will s’efface alors du passage. Le jeune homme se précipite sur le corps de sa mère allongé sur le lit. Jack s’efface, lui aussi, le visage douloureux. Nanthan embrasse sa mère en pleurant. Teague regarde la scène, le visage grave. Tous restent silencieux un moment, observant le fils pleurer sur sa mère défunte. Jack ne supportant plus de voir la scène se tourne face à la fenêtre près de lui et préfère plonger son regard sur la mer à travers les carreaux. Après quelques minutes sans que personne ne bouge, Will s’avance.

- Je dois l’emmener, jeune homme. Il n’y a plus rien à faire. C’est à moi de m’occuper d’elle, maintenant.

- Qu’est-ce que vous allez faire d’elle ? demande-t-il à travers ses larmes.

- Je vais l’accompagner dans la demeure éternelle des morts en mer, répond Will.

Comme le jeune homme ne semble pas comprendre, Will ajoute :

- Je suis le capitaine du Hollandais Volant... le navire des morts... l’âme de ceux qui meurent en mer sont entre mes mains. Je suis leur guide, fait-il calmement.

Le jeune homme semble alors admettre cette version des faits, mais sa douleur n’en est pas plus douce.

- Laissez-moi encore un moment pour lui dire adieu, supplie le jeune homme en larmes. Laissez-moi seul avec elle.

Respectueux, les trois pirates se retirent alors de la cabine un à un.

A l’extérieur, sur le pont, le silence règne. Depuis le cri d’impuissance de Jack, plus personne n’a bougé, ni osé manœuvrer. Les deux autres loqueteux sont là aussi. Perdus, ils sont incapables de tenir debout. Tous les regards se perdent dans une expression de tristesse. Sauf Jack. Dans ses yeux brillants de chagrin scintille une lueur acier, aussi coupante qu’une vengeance sourde. Rien, pour l’heure, ne peut donner prise à son envie de meurtre. Son désespoir est palpable. Soudain, Teague s’approche de son fils et lui tend une bouteille de rhum, comme pour désamorcer ses sentiments destructeurs. Faute de mieux, il l’accepte et s’en saisit. Il la serre contre lui telle une planche de salut. La seule chose qui puisse encore le rassurer face à la mort.

- Ça passera, Jacky, tente-t-il de dédramatiser. Ça passera vite, tu verras.

- Tu m’as raconté le contraire à ton sujet, papa, réplique Jack la voix agressive.

- Oui, mais ce que je veux dire, c’est que tu n’es pas comme moi, Jacky. Tu connais la mort mieux que personne. Ce n’est pas cet amour-là qui te dira le contraire.

Touché juste, le pater, encore une fois ! Mais, il n’a pas envie pour l’heure de lui donner raison. C’est tellement facile de déchaîner sa douleur.... Il préfère ne pas répondre, d’ailleurs. Que répondrait-il ? «Oui, papa, tu es le plus fort, tout le monde le sait !...» Serrant toujours la bouteille de rhum dans ses bras, il voit Will s’approcher de lui.

- Jack, je vais devoir l’emmener. Tu as deux alternatives, lui fait Will d’une voix ferme. Retourner dans l’antre et expier tes démons, soit vivre en butinant au gré de tes amours, comme tu l’as toujours fait. Qu’est-ce que tu préfères ?

Après un instant de réflexion tout en fixant son ami, il répond :

- Will...  tu connais déjà la réponse. Alors, pourquoi tu me poses la question ?

- Alors, pourquoi tu nies déjà l’évidence ? Elle est désormais ton passé. Et, en toute amitié, Jack, ajoute Will sur un ton désabusé, tu as bien mieux à faire ici-bas qu’au bout du monde. Je n’ai cure de cet antre de punition. Et si personne ne pouvait y aller, ça m’arrangerait grandement.

- C’est donc pour ça que je l’ai trouvé bien noir, la dernière fois que j’y suis passé ? dit Jack retrouvant à moitié son côté facétieux. Tu ne l’as pas ouvert, c’est ça ? Depuis la fin de Davy Jones, tu y as posé tes scellés...

- La dernière fois, tu n’as trouvé que le grand vide entre le souffle de la vie et la porte des grands possibles. Il n’y a pas d’antre pour les accidents de mer, seulement pour ceux qui sont maudits.

- Ow ! ... fait Jack, laconique, hésitant entre le petit grain vivant qui l’anime tout le temps et le chagrin.

Mais, une question surgit de sa bouche comme un poisson volant hors de l’eau :

- Calypso va bien ?

Will le regarde, amusé.

- Pourquoi tu veux savoir ça ?

- Comme ça .... On s’entendait bien, elle et moi.... avant...

- Elle est redevenue la mer, répond Will, le regard lointain. Changeante et tempétueuse... tu la connais...

Jack acquiesce de la tête, l’air ailleurs, lui aussi.

Teague, qui n’a pas perdu une miette de la conversation, comprend soudain l’étendue des aventures de son fils.

- Calypso, aussi, Jack ? ... c’est vrai ?

- Quoi ? ... questionne-t-il en faisant l’innocent. Oui ! Quand elle avait forme humaine... Un beau brin de femme, tu sais...

- Oui, ça, je sais...

- Comment ça, tu sais ?

- ... Je sais, c’est tout, fait Teague énigmatique.

Malgré tout, Jack devine que son père a eu bien plus d’aventures amoureuses qu’il ne veut bien le dire... Il esquisse un léger sourire, déridant enfin son visage. Mais, ce n’est que pour un instant. Le suivant, Nanthan sort de la cabine, le dos voûté, la mine défaite. Il s’approche de Will et Jack.

- Vous pouvez l’emmener, dit-il à Will, simplement. Et prenez soin d’elle, je vous en prie.

- Compte sur moi, petit, fait le capitaine du Hollandais Volant en posant une main compatissante sur son épaule.

Puis, il se tourne vers Jack et lui dit :

- J’espère qu’on se reverra, Jack. Et pas parce qu’un être aimé doit partir.

- Je l’espère aussi, l’ami ! répond Jack, toujours triste, mais calmé.

- Capitaine... fait Will en s’inclinant respectueusement vers Teague qui lui rend son salut, l’air coincé.

Enfin, Will se dirige vers la cabine, y entre pour ne plus en ressortir. Il s’évanouit dans l’espace-temps avec son fardeau dans les bras. Un peu plus loin, le Hollandais Volant déploie de nouveau ses voiles comme dans un enchantement. Comme Teague observe l’Empress toujours amarré au navire de la mort d’un air contrarié, Jack ne peut s’empêcher de railler son père.

- Elle n’a d’yeux que pour lui, c’est évident, non ?

- Je saurais lui faire oublier son croque-mort... fait Teague déterminé.

- Bonne chance ! Tu me donneras ta recette ?!

- Que nenni !

- Comme tu veux !...

- Enfin, je te retrouve, fiston ! s’exclame Teague, heureux de voir son fils reprendre doucement sa désinvolture coutumière.

Quelques longues minutes plus tard, le seigneur des navires largue ses amarres et s’éloigne de l’Empress. Après quelques distances parcourues, il plonge enfin tout entier dans les abysses. Seuls restent sur l’eau les trois navires pirates et quelques malheureuses épaves de l’armada au bord de l’abîme.

- Tu vas devoir faire réparer, avant de repartir à l’aventure, dit Teague en levant les yeux sur le gréement du Pearl rudement mis à mal pendant la bataille.

- Oui. Et naviguer sans figure de proue, ça porte malheur, ajoute Jack en portant finalement le goulot de la bouteille de rhum à sa bouche.

 

 

o0o0o

 

Plusieurs semaines plus tard, le Black Pearl met le cap à l’ouest, un mât de beaupré tout neuf avec de nouvelles voiles noires, une figure de proue re-sculptée avec les traits de Shaani, et un nouveau moussaillon. Ça n’a pas été simple. D’abord, expliquer au charpentier les courbes et les formes de celle qu’il avait aimée en tentant vainement de lutter contre la grosse boule qui lui serrait la gorge.... Mine de rien, Nanthan l’a aidé sans le vouloir. Son chagrin, plus intarissable que le sien, Jack a pu relativiser. Il a longuement observé ce garçon en silence. ... son fils... Quelle étrange situation !... Il n’a pu s’empêcher de le voir comme la version masculine de Shaani, au début. Il lui ressemble tant. De grands yeux noirs et curieux, déterminés, comme elle. Sa bouche pulpeuse et son front lisse...  Sa peau sombre... Son corps, bien que malingre et mal nourri, est, somme toute, bien bâti pour un jeune homme de vingt ans... Lui aussi porte des dreadlocks jusqu’au milieu du dos. Elle a dû s’amuser avec ses cheveux depuis qu’il est petit, tout en lui racontant des histoires de son père. Du moins, c’est ce qu’il se plaît à croire. Nanthan est un pêcheur plus qu’un pirate. Mais, qu’à cela ne tienne. Il a survécu aux maltraitances de la Compagnie des Indes pendant un voyage au long court. Ça mérite bien le rang de marin.

Aujourd’hui, la mer est belle.

Le Black Pearl cabote le long des côtes indiennes toutes voiles dehors, donnant fièrement de la gîte à bâbord sous un soleil radieux. Il a traversé le golfe du Bengale de part en part affrontant sans broncher la mousson. Cette route est particulièrement dangereuse, non seulement pour sa météo presque apocalyptique à cette époque, mais aussi parce qu’elle est très fréquentée par les navires marchands et militaires de la Compagnie des Indes Orientales.... C’est leur fief, bien évidemment. La plaque tournante de l’ennemi et de leurs affaires les plus fructueuses. Jack le sait et il compte bien en tirer quelques profits. Pour l’heure, tout est calme. Cela donne l’occasion au père qu’il est devenu, de faire mieux connaissance avec cette curiosité née d’un de ses amours. Le jeune homme a retrouvé plus fière allure depuis lors. Ces quelques semaines passées à terre pour réparer les avaries lui ont permis de s’alimenter normalement, retrouver une vie calme malgré un sommeil perturbé tant par la disparition de sa mère que par les traumatismes subis. Là, le nez au vent, goûtant l’air du large, il semble s’être refait une raison de vivre. Pourtant, Jack ne parvient pas à se faire à l’idée que cet être puisse être le fruit de ses amours. Par quel miracle cela peut-il arriver ? Il a beau inverser l’image et replacer le contexte ; lui étant le fils de Teague. L’effet n’est pas le même. Les mystères de la reproduction lui sont complètement obscurs. Peut-être que s’il avait vu Shaani enceinte... Et encore. Toujours est-il que Nanthan est bel et bien là, et il a beau se persuader que c’est un garçon comme un autre, sa ressemblance avec sa mère et ses dreadlocks sur la tête le ramènent forcément à l’évidente filiation. Songeant aux dernières paroles que lui a dites Shaani en mourant, Jack s’approche de son fils et lui demande :

- Ta mère m’a parlé d’une certaine Shaakti. Est-ce que tu la connais ?

- Shaakti ? ... heu... non, pas vraiment. Je devrais la connaître ? demande Nanthan.

- Elle vit à Cochin, m’a-t-elle dit... ça ne te dit vraiment rien ?

- Cochin ? Si. C’est là où nous avons été enchaînés pendant des semaines à trimer dans les rizières, du petit matin jusqu’à la nuit, tous les jours, comme des forçats.

- Ce sont ceux qui vous ont pris dans votre village qui vous avaient réduits en esclavage ?

- Oui, fait simplement Nanthan, le regard dur et souffrant.

- Shaakti pourrait-elle être une des esclaves qui étaient avec vous ?

- Non, je ne crois pas. J’avais appris à tous les connaître. Il n’y avait pas de Shaakti. Mais, un jour, nous avons réussi à nous évader. Et pendant longtemps, nous nous sommes réfugiés, ma mère, d’autres et moi, dans un temple hindou perdu sur un îlot au large de Cochin. Il y avait des endroits du temple où les plus jeunes n’avaient pas le droit d’aller. Ma mère y allait, elle. Quand elle revenait de là-bas, elle était toujours très détendue, souriante et les yeux grands ouverts. Elle n’a jamais voulu me dire ce qu’elle y faisait là-bas. Elle y rencontrait des gens, c’est sûr. Elle me disait que j’étais encore trop jeune pour y aller. Et puis, un jour, elle a accepté. Elle m’a dit que je pouvais. En mémoire du jour où elle a connu l’amour. Au début, je n’ai pas compris. C’était un temple dédié à Shiva. Il y en avait un, au village, je m’en souviens, on y priait nos dieux, mais il n’était pas comme celui-là...

- Qu’est-ce qu’il avait de particulier, celui-là ? demande Jack, soudain intrigué par le nom qu’il vient de prononcer.

- D’abord, il était décoré de gravures et de sculptures de personnes faisant l’amour. Il n’y avait pas ça, au village. Et puis, les hommes et les femmes qui étaient là priaient en faisant l’amour. C’est comme ça que j’ai appris.

- Tu veux dire que .... c’est là que tu as été dépucelé ?

Nanthan fronce le nez, contrarié.

- Mmmh ! .... On peut dire comme ça, mais je préfère dire que j’ai été initié.

- Elle était jolie ? demande Jack manifestement très intéressé.

- Oui. Très. Mais, je n’ai jamais su son nom. Pas plus que ceux des autres qui vivaient dans le temple. Donc, c’est peut-être l’une de ces femmes.

- Pourquoi ne donnaient-ils pas leurs noms ?

- Je ne sais pas. C’est comme ça.

Accoudé au bastingage, Jack reste songeur. Le silence s’installe entre eux. Puis, Nanthan s’adresse à son père :

- Papa...

Jack ne peut réprimer une grimace de gêne en l’entendant l’appeler ainsi. Il tente malgré tout de se composer une attitude de circonstance qui le met mal à l’aise.

- Oui ?...

- Je sais que si vous êtes parti... je veux dire... que vous avez abandonné ma mère alors que vous veniez de lui faire l’amour, c’est parce que, pour vous, l’appel de la mer était le plus fort...

Jack ne dit rien et se tourne vers lui, marquant ainsi son intérêt pour la suite.

- Du plus loin que je me souvienne, elle m’a toujours parlé de vous comme le plus grand pirate de tous les temps et qu’elle ne pouvait pas vous retenir près d’elle à cause de ça. Que c’était impossible de lutter contre l’océan...

- Elle l’avait bien compris à l’époque ... dit Jack le regard perdu dans l’émotion. Pourtant, je n’avais pas fait le quart de la moitié de mes forfaits...

- Ce que vous avez fait de l’armada prouve qu’elle avait raison. Même si, à l’époque, elle le préjugeait plus qu’elle ne le savait... Vous êtes le plus grand pirate de tous les temps...

Jack fait un demi-sourire, fier. Finalement, dans ces conditions, il veut bien envisager d’avoir un fils !

- Nanthan, dis moi.... fait-il au jeune homme en tortillant du buste, saurais-tu retrouver cet îlot et ce temple ?

- Moi ? ... heu... alors, là, non ! Je ne suis pas marin et, de plus, lorsque nous nous sommes évadés, nous nous sommes laissés dériver vers le couchant et nous n’avions aucune idée d’où nous allions nous retrouver. D’ailleurs, nous préférions mourir plutôt que de rester dans les mains de ces.... de ces...

Nanthan n’arrive pas à terminer sa phrase. Le souvenir est encore souffrant dans son souvenir.

- D’accord, je vois, fait Jack, compréhensif. Mais, tu as peut-être quelques indications à me donner, du genre.... combien de jours avez-vous dérivé ? Quelle était la course du soleil par rapport à Cochin ?....  tu vois ?

- ... Je ne suis pas sûr... C’était il y a tellement de lunes.... s’excuse Nanthan.

- Je vois... dit Jack, contraint. Il me reste encore une solution pour le trouver...

Alors, il décroche de sa ceinture son compas magique. Il l’ouvre précieusement devant son fils avec un clin d’œil complice. L’aiguille se met à tourner à toute vitesse, puis elle se fixe soudain, pointant à l’ouest.

- Tu vois, fiston, s’exclame Jack enthousiaste, quand il sait ce qu’il désire le plus au monde, un pirate retrouve toujours sa route !

 

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dominosama
Posté le 26/12/2012
Il reprend vite du poil de la bête, mais bon c'est Jack hein, il vient bien de laisser mourire un mignon dans la mer, alors une simple larme pour son ex, c'est bien sufisant, ha mais quel homme lol Un vrai pirate sûr !
Je le vois très bien mal à l'aise avec son "fils", dans le même genre que son père un peu... haha!
 
«Oui, papa, tu es le plus fort, tout le monde le sait !...» 
mouhaha ! Ha ces deux là alors... Deux coq !
vefree
Posté le 26/12/2012
Pas un pour rattraper l'autre, je suis d'accord. Loool !
Bon, Jack est un pirate, si on ne le savait pas, là, on ne peut plus se tromper. Il a été élevé par son papa et les grands garçons, c'est pas du genre à larmoyer encore moins à faire des sentiments. Donc zou ! En avant Simone, on ne perd pas le cap !!!
Bon, avec le fiston, faut avouer qu'il est un tantinet déstabilisé et qu'il ne sait pas trop comment se comporter. M'enfin, tout pirate qu'il soit, il n'en est pas moins humain. Donc, il voudrait bien faire mais il ne sait pas trop comment.
Aaahlàlà, ces mecs ! 
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