Chapitre 16

Un nouveau jour se lève, il est temps de retourner voir l’album de cartes postales. Pour une fois, Béryl est réveillée très tôt, il n’y a pas encore de bruit dans la maison, elle va en profiter pour écrire un autre épisode de la vie d’Azéline. Marie-Madeleine ne la verra pas, elle ne pourra pas lui faire de remarque.

Chère Azéline,

Le nouvel an à Paris a été merveilleux. J’ai rencontré des suffragettes, ce sont ces femmes qui demandent le droit de vote. Il y avait même une romancière qui s’habille en homme, elle est incroyable, elle dit que les femmes ont le droit de tout faire. Elle s’appelle Madeleine Pelletier, (http://8mars.info/madeleine-pelletier) je n’ai jamais vu quelqu’un comme elle. Je l’ai écouté parler, je buvais ses paroles. Nous allons devenir des suffragettes Azie !

Je t’embrasse, il me tarde de te revoir.

Ta Germaine

Le temps ne passe pas assez vite à Lannargan, Azéline commence à s’ennuyer. Sa mère est absorbée par ses tâches ménagères, elle donne l’impression de ne vivre que pour nettoyer, laver et balayer. Son père passe ses journées aux champs ou avec les bêtes. Guillemette est complètement absorbée par le père François. Elle est tout le temps fourrée à l’église, il semble avoir toujours besoin d’elle. Quand Azéline les aperçoit ils sont très complices et s’amusent d’un rien. Si le jeune homme ne portait pas de soutane on pourrait croire qu’ils forment un couple. Les gens commencent à jaser d’ailleurs, pour l’instant ça les amuse mais Azéline sait que dans peu de temps les langues de vipère vont se mettre au travail.

Sa vie à Rennes lui manque, elle a envie de revoir ses amis, de se remettre au travail à l’école normale.

Le nouvel an au village se passe comme n’importe quel jour de la semaine. On s’endort en 1913 et on se réveille en 1914. Personne ne se doute à quel point cette année sera difficile et annoncera le début d’une des périodes les plus meurtrières de l’histoire. En ce jeudi 1er Janvier, les gens se souhaitent  une bonne année, comme si les jours qui venaient étaient plein de promesses. Azéline sait qu’il n’en sera rien, elle se souvient des discussions qu’elle a eues avec Jules et Henri, ils sont inquiets pour l’avenir, et ils ont sans doute raison.

« Tiens », dit Jeanne, la mère d’Azéline.

« Cette carte est arrivée pour toi il y a quelques jours, j’avais oublié de te la donner ».

C’est une carte postale de Jules. Jeanne a dû hésiter à la donner à sa fille. Elle l’a probablement lue, il n’est pas convenable qu’une jeune fille reçoive des lettres d’un homme. Elle a dû longuement hésiter avant de la lui donner.

 

Chère Azéline,

Je te souhaite une bonne et heureuse année 1914, j’espère qu’elle t’apportera du succès dans tes projets.

Bonne santé à toi ainsi qu’à ta famille.

Jules

Le pauvre garçon ne peut pas raconter grand ‘chose, il sait que son amie doit être surveillée par sa famille. Il ne veut pas qu’Azéline l’oublie, il semble tenir à elle. Pour la jeune fille c’est un peu différent, les conversations de Jules et d’Henri lui manquent, leurs soirées à l’Enfer aussi, mais rien de plus. Ce ne sera probablement pas lui l’homme de sa vie.

Il faut déjà préparer les bagages et le retour à Rennes. Azéline n’est pas du tout dans le même état d’esprit que lors de son premier départ, elle sait ce qui l’attend et son monde est désormais citadin. Elle aime toujours la campagne, mais c’est à Lannargan maintenant qu’elle se sent décalée. Se sentira-t-elle un jour chez elle quelque part ?

 

Béryl entend gratter à la porte. Ouessant veut rentrer, elle a dû entendre la jeune femme bouger dans sa chambre.

« Bonjour, le chien ! Ne fais pas de bruit surtout, il ne faut pas réveiller Tantine. »

La chienne lèche la main de Béryl, et vient se coucher à ses pieds. Elle semble un peu nerveuse, elle se lève et se recouche, tourne en rond, et revient.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? »

La jeune femme tapote le flanc du chien, elle prend sa grosse tête dans ses mains et la regarde dans les yeux. Elle pousse un long gémissement et va vers le lit. Elle n’est pas tranquille.

Béryl regarde autour d’elle tout semble normal, pourtant un parfum de violette règne dans la pièce, elle connaît cette odeur, c’est celle d’Azéline. Depuis que Béryl prend ses médicaments, elle n’a revu son amie qu’une seule fois, et encore de très loin. Est-elle dans la pièce ?

« Azéline, tu es là ? »

Aucune réponse n’arrive, Béryl se sent un peu découragée tout d’un coup, elle pensait pouvoir entrer à nouveau en contact avec Azie, mais depuis la prise de son médicament, tout semble plus difficile.

« Tu la vois toi, hein Ouessant ? Où est-elle ? Montre-moi ».

La chienne tourne et vire, elle semble vouloir dire des choses à Béryl mais la communication reste difficile. La jeune femme est persuadée que quelque chose se passe et que l’animal est entré en contact avec Azéline.

En bas, il commence à y avoir du bruit, Béryl décide de descendre voir sa tante et prendre le petit déjeuner avec elle.

« Te voilà déjà toi ! Tu es tombée du lit ? »

« J’ai un peu de mal à dormir ces temps ci, c’est peut-être l’effet de mon traitement. »

Marie-Madeleine fronce les sourcils,

« Tu crois ? Ce n’est jamais bon ces trucs là. Ah si on pouvait se passer de toutes ces saloperies, ça ne serait pas plus mal ! »

Béryl se prépare du thé, elle se sent mieux et va essayer une boisson un peu plus excitante que la tisane. Elle verse du café noir à sa tante, et met du pain à griller.

« Tu es drôlement active, dis moi ! Ça me fait plaisir de te voir comme ça ! »

Eh oui ! Maintenant on s’extasie quand on la voit préparer son petit déjeuner, quelle tristesse !

« Je vais appeler les enfants aujourd’hui, parce que si j’attends après eux pour donner des nouvelles … J’appellerai vers 11 heures, j’espère qu’ils seront réveillés, on est samedi».

« Ils exagèrent, tu pourrais être morte, ils ne le sauraient même pas. C’est la jeunesse, toujours insouciante ! »

La jeune femme sirote son thé, en regardant par la fenêtre. Marie-Madeleine sort les chiens, et va vérifier que tous chats sont nourris. Il fera beau encore aujourd’hui. Comment se passaient les samedis d’Azéline quand elle habitait ici, regardait-elle par la fenêtre elle aussi, en finissant son petit déjeuner ? Elle devait penser à sa vie à Rennes, à tout ce qu’elle avait laissé là bas. Le destin est bizarre, la vie n’est faite que d’imprévus. Quelquefois c’est plutôt positif, quelquefois on s’en passerait bien. Ce qui est mal à une époque peut devenir bien plus tard. Il faut naître au bon moment et au bon endroit pour mettre toutes les chances de son côté, le problème est que le choix ne nous appartient pas, il faut se battre pour s’imposer et imposer ses idées.

Béryl voit Ouessant par la fenêtre, elle se tient à l’écart des autres chiens et semble jouer avec une personne invisible. La jeune femme en est sûre maintenant, il s’agit d’Azéline. Pourquoi est-ce qu’elle ne peut plus la voir, c’est injuste ! Au moins elle sait qu’elle est toujours là. Le problème est de savoir si elle est vraiment présente où seulement le fruit de l’imagination de Béryl.

Comme un coup de vent, Ouessant rentre par la porte restée entrouverte. Elle vient faire la fête à Béryl, on a l’impression qu’elle ne la pas vue depuis une semaine !

« Mais oui, je t’aime, tu es un bon chien ».

« Oui c’est un très bon chien, comment vas-tu mon amie ? »

 FB arielleffe

 

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