Chapitre 16

Notes de l’auteur : Notes de l’auteur : Notes de l’auteur : Notes de l’auteur : 02/05/2022: J'ai décidé de réécrire certains aspects de l'histoire et de reposter, en raccourcissant les chapitres sur Plume d'Argent pour que ce soit plus facile à lire pour les lecteurs de PA.
Je serai reconnaissante de tout commentaire, tout avis constructif pour améliorer mon récit.

Merci, et bonne lecture!

 

16

 

Vers la mi-journée, on fût forcé de s’arrêter pour laisser les chevaux se reposer. William était trop tendu pour reprendre des forces et on ne mangea rien, ne voulant pas rester inertes trop longtemps quand des orcs pouvaient encore roder.

Je trifouillai dans le sac que j’avais déjà explorer pendant notre voyage. Je trouvai une fiole avec un liquide rouge familier. J’ouvris le bouchon et reconnus l’odeur de millepertuis perforé. Au moins une plante qu’Erydd et Sehaliah avaient en commun. Calador m’avait enseigné comment la cueillir et en faire une huile que l’on pouvait appliquer. Je versai un peu du liquide précieux sur un carré de tissu propre et m’approchai de William :

— Laisse-moi voir ta blessure.

Il hésita, sourcils froncés, mais il acquiesça lorsqu’il vit ce que je tenais dans mes mains. Il souleva sa chemise et je me penchai pour appliquer la compresse. Il siffla, sa main volant vers mon poignet, mais il s’immobilisa lorsqu’il toucha ma peau.

— Au moins, la blessure ne saigne pas, et elle n’est pas profonde, fis-je en tapotant légèrement.

— C’est au moins ça…

Il me lança un regard curieux.

— Tu n’es pas… intimidée ?

— Par le sang ? m’étonnai-je en souriant. Ai-je l’air si fragile que ça que je ne puisse pas supporter la vue du sang ? Dois-je te rappeler que je suis une femme ?

— Je ne voulais pas dire… tu as juste l’air… efficace.

— J’ai pansé des blessures bien pires que ça, continuai-je en haussant les épaules. La vie à l’auberge enseigne beaucoup de choses.

— Ça en explique tout autant à ton sujet. Tu es débrouillarde. C’est une bonne qualité pour les gens comme nous, qui nous acharnons à gagner notre pain.

— Oui, de toute évidence, tu es affamé, répondis-je en tapotant ses muscles.

Il sursauta et rougit, tirant brusquement sa chemise pour cacher sa blessure. Je ne pus m’empêcher de rire doucement à sa réaction embarrassée.

— Toi aussi, tu n’es pas toute fine, alors ne refais pas une telle chose, s’il te plait, maugréa-t-il.

— Je m’excuse, j’ai grandi entourée de gens qui oublient toute bonne manière de façon régulière. Cela a eu de graves conséquences sur mon comportement.

— Je vois ça.

Mais il était plus détendu, un léger sourire s’afficherait presque.

— Est-ce aussi la raison pour laquelle tu es aussi dévergondée ?

Je compris au ton de sa voix qu’il blaguait, mais les souvenirs d’Omri me revinrent. Si je n’avais pas succombé à son charme, si je ne l’avais pas suivi dans cette caravane cette nuit-là… Ma mère serait-elle encore en vie ?

William dut comprendre que je n’étais plus d’humeur joviale car il s’assombrit immédiatement.

— Je m’excuse, je ne voulais pas impliquer…

— J’ai appris à me débarrasser des hommes aux mauvaises intentions, et j’ai toujours réussi à être prudente, sauf avec le pire homme de tous.

Il resta silencieux un instant.

— Je sais ce que tu veux dire, faire confiance à la mauvaise personne… murmura-t-il en détournant le visage.

— Si je ne l’avais pas suivi cette nuit-là, je n’aurai jamais attiré l’attention de l’Impératrice de Sombor et ma mère

Ma voix se brisa. Je me détournai. William soupira et posa une main sur mon épaule, le geste était hésitant mais sincère.

— Ce n’était pas ta faute, Prudence. Tu n’avais aucune idée de ce qui t’attendait.

— Mais j’aurais dû être plus…

— Prudence, continua-t-il en me contournant pour me regarder. Ce n’était pas ta faute, d’accord ? Le deuil est encore trop récent, mais dès que tu es saine et sauve et de retour à Azraald, tu auras tout le temps dont tu as besoin pour repenser à tout ça, mais ne pense jamais que c’était ta faute. Ne porte pas le poids de la culpabilité des actions d’hommes égoïstes.

J’acquiesçai à contre-cœur, plus pour changer de sujet que par conviction.

— Je ne connais rien ni personne à Azraald… que suis-je censée faire une fois de retour là-bas ?

Il hésita, puis sourit, d’un air un peu maladroit.

— Tu peux rester avec nous à la forge. Mes parents n’y verraient pas le moindre inconvénient. Et j’ai des amis dans toute la ville, même parmi les gardes, je suis sûr qu’on te trouvera un foyer.

— Je doute que ta fiancée apprécie que je reste dans la même ville, maugréai-je.

— Isolde ? Elle raconte encore cette histoire de fiançailles ? siffla-t-il, toute bonne humeur perdue.

— Je m'excuse, elle a dit…

— Il n’y a rien entre Isolde et moi. Elle se fait des illusions.

Je lui lançai un regard. Il semblait plus blessé qu’agacé.

— On devrait continuer, s’éloigner des orcs, fis-je.

Je voulais retrouver l’ambiance détendue que l’on avait partagé avant que les mauvais souvenirs ne ternissent notre moment.

William acquiesça, mais il sortit une arme de sa ceinture. Il me tendit une dague.

Je me mis à rougir furieusement.

— Q-que… que fais-tu ?! m’écriai-je, en tentant de reculer, mais Noisette me bloqua.

Il cligna des yeux, surpris par ma réaction.

— Je voulais te donner cette arme, pour te permettre de te défendre… pourquoi réagis-tu comme cela ?

— T-tu… c’est une dague.

— Oui, et ?

— Au… Royaume de Belo… la tradition est d’offrir une arme, généralement une dague… pour se fiancer… expliquai-je.

— Oh.

Il se mit à rougir également.

— Ce n’est pas la tradition ici.

— Je m’en doute.

Le malaise s’installa mais mon regard fut attiré par l’arme. Elle était simple mais bien faite, avec d’élégantes gravures de fleurs et d’arabesques pour décorer la garde. Le cuir du fourreau était usé par les années.

— C’est pour toi, dit-il. Pour te défendre. Mais je comprendrais si tu ne veux pas accepter… une telle chose…

— Je… je ne suis plus à Belo… ni à Sehaliah… soufflai-je, le pincement au cœur devenu habituel à cette pensée traversa ma poitrine.

— J’ai réalisé la nuit dernière que… tu n’es pas incapable, et tu auras besoin d’une arme qui te permette de te défendre en combat rapproché. C’est la seule raison pour laquelle je te… l’offre. Ton mentor, Calador, t’a-t-il enseigné comment utiliser une dague ? s’enquit-il.

— Je… oui, cependant…

Cette arme avait l’air de lui avoir appartenu pendant longtemps. Le métal et le cuir étaient usés par le toucher constant de ses mains. Malgré ses mots, son visage montrait que William avait du mal à se séparer de cette dague.

— Cette arme est importante pour toi, tu devrais la garder. Je te fais confiance pour me défendre si besoin, déclarai-je.

— Non. Je me sentirais plus apaisé de savoir que tu as une arme sur laquelle tu peux compter… Prend-la.

Il prit ma main et força la lame contre ma paume. Le cuir était encore chaud de son emprise dessus, et ses doigts rugueux étaient encore plus chaleureux. Ce cadeau était uniquement pour survivre. Je… je la lui rendrai à notre retour à Azraald, cela ne signifiait rien pour lui… Ni pour moi. Ce n’était que par survie.

— Merci, murmurai-je en calant l’arme dans ma ceinture.

— On devrait continuer, on n’est plus très loin de l’intersection pour aller chez les vampires, dit-il en se préparant pour remonter en selle.

J’essayai de monter sur Noisette mais ma jambe manqua de me lâcher et un cri de douleur m’échappa. Je n’avais pas remarqué la proximité de William avant qu’il ne me rattrape.

— Laisse-moi t’aider, fit-il.

Il m’attrapa par les hanches et me souleva, m’aidant à monter sur la jument. Il me maintint sur la selle jusqu’à ce que je sois installée, ses gestes presque doux. Une fois perchée sur ma monture, je ne pus m’empêcher de le fixer, étonnée par sa gentillesse inattendue. Il me regarda dans les yeux puis, réalisant que sa main était sur ma jambe, il recula brusquement. Il se retourna vers son cheval qu’il monta rapidement.

— Les vampires pourront te soigner, dit-il simplement lorsqu’on partit.

Cela me fit mal de voir qu’il semblait de nouveau m’éviter et poser un mur entre nous deux. Était-ce à cause de ce qu’il venait de se passer ? Ou était-ce l’inquiétude pour sa famille et la guerre qui le poussait à agir de la sorte ?

Après quelques minutes, je brisai enfin le silence tendu, non pas à cause de la menace des orcs, mais de la distance que William avait remise entre nous.

— William… commençai-je.

— Qu’y a-t-il ?

— Cette dague… c’est toi qui l’as faite ? demandai-je curieusement.

Il mit de longues secondes à tergiverser avant de répondre :

— Non… Mon frère jumeau l’a faite.

— Tu as un frère jumeau ? m’écriai-je.

— J’avais, corrigea-t-il sombrement. Son nom était Emrys.

Je ne savais pas quoi dire. Il baissa le regard et serra les rênes.

— C’était la première dague qu’il avait réussi à faire. Il est parti se battre contre Agram. Il… il m’a laissée cette dague…

Cette dague avait appartenu à son frère jumeau. Je n’avais pas besoin de demander plus de détails pour savoir que son frère n’était jamais revenu des combats contre Agram. Son frère mort, sa sœur enlevée, sa mère malade, son père perdu… Comment avait-il la force d’aider des inconnus comme moi ?

— Tu es sûr que cela ira pour ta famille à Azraald ? Tu… veux en parler ?

Il me regarda et je regrettai immédiatement ma question. Il était de nouveau le William taciturne et distant.

— Isolde t’a déjà dit tout ce qu’il y a à savoir, répondit-il d’une voix dure.

— Cela ne veut pas dire qu’elle m’a tout dit, et puis, c’est ta famille, pas la sienne. Elle m’a dit que tu avais une sœur, ajoutai-je pour changer de sujet.

Il se tourna vers moi, hésitant et peiné, comme s’il ne pouvait croire que je touchai un sujet aussi sensible. Je me mordis la lèvre et détournai le regard. J’allais m’excuser quand il soupira bruyamment :

— Je me suis occupé d’Anthéa d’aussi loin dont je me souvienne.

Je restais silencieuse. Il commençait à s’ouvrir un peu plus. Mais mon cœur se serra en voyant son expression qui passa de joyeuse, à mélancolique, à triste, puis il s’assombrit de colère.

Je ne pus retenir un frisson qui parcourut le long de mon dos, me frigorifiant un peu plus. Je tirai sur ma cape noire pour tenter de me réchauffer, sans succès.

— Comme tu le sais, ma mère est gravement malade. Mon père et moi travaillions à la forge pendant qu’Anthéa veillait sur ma mère. Lorsqu’Anthéa allait chercher la médecine pour ma mère, mon père, Emrys ou moi l’accompagnions. Même si Azraald est bien protégée, le risque d’être attaqué est constant.

Il marqua une pause, se remémorant sans doute la dernière attaque pendant laquelle il m’avait sauvée. Il devait le regretter maintenant que j’étais coincée à ses côtés.

— Un jour… je me suis disputé avec Isolde et, je suppose qu’Anthéa ne voulait pas me déranger quand j’étais de mauvaise humeur… Elle est partie en ville toute seule, sans prévenir qui que ce soit.

— Et… les Agramiens ont attaqué ?

— Lorsque l’alarme a sonné et que j’ai réalisé qu’Anthéa n’était pas à la forge, je suis allé la trouver mais… c’était trop tard. Les Agramiens étaient trop nombreux, les gardes éparpillés, et la foule n’avait pas eu le temps de s’échapper du marché… C’était un chaos effrayant.

Le regard plus sombre que les ténèbres, il respira longuement, puis conclut d’une voix amère :

— La dernière vision que j’ai eu de ma petite sœur fut lorsqu’elle hurlait à l’aide, enlevée par un Agramien.

Il fronça les sourcils, peut-être à cause des Agramiens qui avaient causé toute cette histoire. Mais surtout, la culpabilité pesait lourd sur son cœur.

— J’ai essayé de les rattraper et la sauver, mais des Agramiens m’ont eu. Je ne suis pas sûr de ce qu’il s’est passé parce que j’ai perdu connaissance, mais j’ai survécu de justesse. Tout ce que je peux faire maintenant c’est essayer de sauver ma sœur, si… elle est toujours en vie…

Sa voix se brisa et il secoua la tête. Il déglutit, comme s’il se sentait malade de s’être ouvert à moi.

Je ne savais pas qu’Anthéa avait été enlevée à la suite d’une dispute avec Isolde. Elle avait omis de préciser ce détail, mais elle était tellement aveuglée par son amour pour William qu’elle n’avait sans doute toujours pas réalisé que si elle ne s’était pas disputée avec lui, Anthéa n’aurait pas été ravie. Je ne pouvais imaginer le poids de la culpabilité pesant sur les épaules de William qui aimait tant sa famille. Il n’avait que l’espoir qu’elle était en vie quelque part à Agram auquel s’accrocher. Si Anthéa n’avait pas survécu… cet espoir se transformerait en désolation. Il serait dévasté.

Sa main serra le pommeau de son épée, et William continua :

— Je ne pouvais pas laisser la forge et mes parents comme ça, du jour au lendemain. Ma mère est de plus en plus malade et cela devient urgent de trouver le bourgeon de lune… Alors j’ai décidé d’aller voir Myrddin pour sauver ma mère et à présent, je me retrouve bloqué avec toi.

Il marqua une pause pensive, avant d’ajouter :

— Mais au moins, je pourrais aider à la fois ma mère et ma sœur… conclut-il avec un regard plus doux. Et toi, apparemment, puisque Myrddin a jugé que tu devais te rendre chez Lelawala.

Je l’observai un instant en silence. Il avait l’air surpris de me parler aussi ouvertement. Avant qu’il ne puisse me lancer un regard, je détournai le mien de gêne. Vivre toute sa vie dans une ambiance tendue de guerre, et les catastrophes qui s’enchaînaient… Les Agramiens se rapprochaient dangereusement d’Azraald, la maladie de sa mère empirait, l’enlèvement de sa sœur, être presque seul pour s’occuper de la forge, et sans oublier ses fiançailles avec Isolde.

Quelques jours plus tôt, je lui aurais sans doute dit la phrase passe-partout dans ce genre de moments, celle que tout le monde dit : « Je suis désolée ». Mais maintenant que je savais que ma mère était… qu’elle n’était plus de ce monde, je ne pouvais pas dire une telle chose. Si j’étais restée à Sehaliah, j’étais sûre que j’aurais entendu cette phrase sortir de la bouche de tous les hypocrites du royaume. J’aurais fini par haïr cette phrase inutile.

J’ouvris la bouche mais William me coupa la parole avant que je puisse dire quoi que ce soit :

— Je t’en prie, ne dis rien. Je n’ai pas besoin de ta pitié.

— William, je… je suis loin d’avoir pitié de toi. Je voulais te dire que tu es chanceux.

Il me lança un regard à la fois douteux et furieux.

— En quoi est-ce être chanceux que ma sœur ait été enlevée à cause de moi et que ma mère soit mourante ? siffla-t-il.

— Tu es chanceux parce que tu as une chance de changer les choses, répondis-je doucement.

Il s’étonna une nouvelle fois. Je continuai, plongeant mon regard dans le sien :

— Si tu avais été avec ta sœur ce jour-là, aussi grand épéiste que tu sois, tu aurais pu mourir et elle aurait quand même été enlevée avec, en plus, tes parents seuls, sans le moindre moyen d’aider ta sœur. Quant à ta mère, tu sais comment la soigner et tu as un moyen pour ça. Tu peux encore les sauver toutes les deux.

Je forçai un léger sourire. Il me fixa d’un air incrédule.

J’hésitai un instant, effleurant le collier offert par Emi pour mon quinzième anniversaire. Un œil du tigre qui apportait protection et confiance en soi. William n’avait pas besoin de courage, il traversait tout Melahel pour sauver sa famille. Cependant…

Je retirai le collier et le tendis vers William. Il était trop perturbé pour refuser et tendit sa main instinctivement. Nos doigts s’effleurèrent bien plus longtemps que ce à quoi je me serai attendue de sa part.

— Ma sœur adoptive m’a offert ce collier pour me donner du courage. Tu n’en as pas besoin, mais cette pierre apporte aussi protection et confiance en soi. Surtout, ça favorise l’amitié, ce qui ne te ferait pas de mal.

Il me fixa d’un air peu amusé. Quand je retirai mes mains, il observa la pierre d’œil du tigre curieusement.

— Ne vis pas avec des regrets, donne-toi les chances d’avancer.

Surpris, il leva de nouveau les yeux vers moi, puis sa main se referma sur le collier. Il hésita, embarrassé, ses joues un peu plus rosies que d’habitude, mais il finit par sourire.

— Merci, Prudence. Je chérirai ce collier.

Sa voix était remplie de reconnaissance et, bien qu’il évita mon regard, mon cœur rata un battement à ses mots.

— De… de rien.

Je fus incapable de trouver quoi que ce soit d’autre à dire. Et dans le silence, après avoir parlé de la famille de William et de mon monde… je ne pus m’empêcher de penser à ma famille. Emi avait-elle survécu ? Ses cendres avaient-elles rejointes celles de ma mère ? Qu’en était-il d’Hilda et Adela ?

J’affichai encore un sourire mais je sentis à la crispation de mon visage que mon regard était désolé. La tristesse envahit mon cœur.

— Prudence ? Tout va bien ? me demanda William, se penchant vers moi d’un air inquiet.

Des larmes avaient envahi mes yeux. Je les chassai rapidement, me détournant de lui pour qu’il ne réalise pas mon état de tourment. Il me laissa le temps de respirer et de me calmer, mais son regard ne se détacha jamais de moi.

— Désolée, c’est juste que… parler de tout ça… C’est trop tard pour ma mère et… je ne sais pas comment vont toutes les autres personnes que je connais, ma famille, Calador…

Je baissai le visage un instant, et déglutis pour me forcer à continuer.

— Alors… tu as de la chance… chuchotai-je, la gorge nouée.

— Que… s’est-il passé ? Avec ta mère ? Tu as parlé d’avoir attiré l’attention des mauvaises personnes. Ce n’était pas une simple attaque d’orcs, n’est-ce pas ? demanda-t-il d’une voix hésitante et étonnamment douce.

J’allais répondre mais William hurla. Il leva la main à son épaule gauche et brisa une flèche qui venait de le blesser. Des hommes, armes sorties, sortirent de la forêt. Noisette se cabra, forçant les attaquants à reculer. Profitant du déséquilibre causé par sa blessure, plusieurs hommes attrapèrent William et le forcèrent à terre. Il se débattit mais, meurtri par le tir qui l’avait touché en plein épaule, ils le maintinrent fermement au sol.

Ébranlée par la scène sous mes yeux, je restai immobile, mais Noisette s’affola et cela me ramena sur Terre. Je tirai brusquement sur les brides, essayant de la calmer, elle recula. Les brigands s’avancèrent vers moi. Tout en se débattant, William se mit à hurler :

— Des Agramiens ! Pars ! Cours !

— William ! m’écriai-je, ne voulant pas le laisser aux prises des Agramiens.

Noisette se cabra de nouveau et tenta un mouvement de recul face aux assaillants toujours plus nombreux.

— Sauve-toi !! hurla William.

Je ne voulais pas partir mais un Agramien essaya de m’attraper et Noisette paniqua. Elle partit en courant droit dans la forêt. Je me mis à serrer les brides, pour retourner en arrière et aider William, mais les voix des Agramiens m’affolèrent. Fermant les yeux un instant pour chasser les larmes qui étaient montées, au lieu d’arrêter ma jument, je claquai les brides et l’étalon s’élança plus rapidement à travers les arbres de la forêt épaisse.

Elle courut au triple galop. J’avais du mal à rester positionnée sur un cheval qui allait aussi vite, me penchant pour éviter les branches basses des sapins. Ces mêmes branches s’accrochèrent à ma robe ou à ma cape et me griffèrent le visage et les bras. Éventuellement, je n’entendis plus les cris agramiens. Je me retournai, pour ne voir rien d’autre que l’obscurité de la forêt. Depuis combien de temps étais-je en train de fuir ?

Soudain, un animal sauta devant nous. Noisette prit peur et se cabra, je poussai un cri en sentant que je lâchai prise. Tentant vainement de garder mon équilibre, je tombai en arrière. En touchant le sol dur, j’eus le souffle coupé et une horrible douleur dans le dos.

Au bout de longues secondes, je me relevai avec difficulté du sol recouvert d’aiguilles de pin. Une fois debout, mes jambes fléchirent sous mon poids. Je tombai à genoux pour tenter de me remettre les idées en place mais tout se bousculait dans ma tête.

William… Il avait été attrapé par les Agramiens ! Comment avais-je pu l’abandonner ?! J’essayais de me rassurer en me disant qu’il était un grand épéiste qui savait se défendre, mais ils étaient si nombreux… Et si au lieu de le capturer, ils l’avaient tué ? Et si William avait réussi à s’enfuir mais était aussi perdu que moi ? Et les orcs ? Allaient-ils revenir ?

J’étais seule dans une forêt que je ne connaissais pas, remplie d’animaux sauvages et de monstres, sans carte et sans aucun moyen de locomotion autre que la marche.

Je n’eus pas un seul instant supplémentaire pour penser à la situation, qu’un bruit sourd et proche résonna, terriblement, horriblement proche

Je cessai de respirer. Je n'osai bouger. Un second son similaire résonna et j’eus le terrible sentiment que cela ressemblait à un pas. Une énorme enjambée qui vous foudroyait de terreur sur place. Biches, lapins, loups, renards me passèrent devant ou par-dessus, une lueur de terreur dans leurs regards. Un autre pas bien plus proche se fit entendre. Des arbres s’écroulèrent et je vis un pied gigantesque. Je poussai un cri et heureusement pour moi, je retrouvai enfin mes jambes et mon esprit. Je me relevai et commençai à courir le plus loin et le plus vite possible mais ma blessure manqua de me faire tomber. Un autre pas atterrit juste derrière moi et me projeta une dizaine de mètres plus loin sur le sol plein de feuilles. Lorsque je relevai la tête tout ce que je vis fut une main de la longueur de mon corps. J’hurlai et tout devint noir.

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