Chapitre 15

Clara passa son week-end à s’oublier dans les verres d’alcool et les joints. Son quotidien était si stressant ces derniers temps qu’elle n’avait pas trouvé d’autres solutions. La popularité avait ses avantages, enfin, jusqu’à ce qu’elle lui vole la moindre parcelle d’énergie qu’il lui reste. Le seul moment qui lui permettait de souffler un peu était ses heures de bénévolat au refuge. Elle se déconnectait alors des réseaux pour se concentrer sur ses tâches : elle nettoyait les boxes et renseignait les visiteurs. C’était son seul moment de tranquillité.

Le dimanche matin, elle s'éveilla prestement dans une chambre inconnue. La pièce était si sombre qu'elle ne pouvait pas voir plus loin que son nez. Les yeux à moitié ouvert, la jeune femme chercha à tâton son téléphone. L'objet du délit en main, elle vit le nom de sa sœur. L'appel de cette dernière s'était terminé avant qu'elle ne puisse répondre. Clara soupira. 

À l'aide de l'option lampe-torche, elle se saisit de ses chaussures et les enfila en vitesse. L'esprit toujours embrumé par les substances qu'elle avait ingérés la veille, elle quitta la chambre. Autant dire que le salon était sans dessus-dessous. 

Le carrelage collait sous ses chaussettes et elle s'empressa de mettre ses chaussures. Elle se félicita d'avoir choisi de mettre des Converses la veille. Son périple n'aurait pas été le même, armée de talons hauts ! 

La jeune adulte coiffa rapidement ses cheveux à l'aide de ses doigts et ne put s'empêcher de grimacer en sentant la texture de ces derniers. Un bon bain ne lui ferait pas de mal ! 

Elle sortit les clés de son sac à main pour déverrouiller les portes de sa petite Twingo. Elle balança ses affaires sur le siège passager, puis chercha dans la boîte à gant ses lunettes de soleil. Préserver ses yeux fatigués du soleil était devenue sa priorité. Bien sûr, la brune râla quand elle ne trouva pas son bien. Elle devra faire sans ! 

Elle démarra le moteur et baissa le pare-soleil. 

 

Pour Clara, les 30 minutes du retour furent loin d’être une partie de plaisir. Elle avait l'impression que tout le monde s'était ligué contre elle. D'abord le tracteur sur une ligne continue, puis une petite vieille dans sa Saxo. Plusieurs fois, des petites insultes fleurirent dans l'habitacle. 

Quand elle arriva enfin chez elle, elle prit son sac à bout de bras et se rua sur son lit. Les paupières fermées, elle s'endormit presque aussitôt en sentant l’odeur familière de ses draps.

 

De l'autre côté du mur, Charlotte entendit sa sœur rentrer mais ne s'en formalisa pas. Elle quitta ses draps pour se préparer. Habillée d’un jogging et d’un débardeur, la rouquine n’avait rien prévu de particulier pour cette journée nuageuse. Elle comptait faire ses devoirs et regarder une série.

En entrant dans la cuisine, elle croisa sa mère qui regardait le bulletin matinal, une tasse à la main. Cette dernière salua sa fille d’un sourire avant de porter son café à ses lèvres. 

 

- Tu as vu ta soeur ? Demanda la mère après une minute de silence seulement rompue par la préparation du petit déjeuner de Charlotte. 

- Non mais j'imagine bien l'état dans lequel elle doit être. 

 

En effet, elle n'avait aucun mal à visionner l'apparence de Clara : maquillage coulant, vêtements débrayés et cheveux emmêlés. Sa jolie sœur n'avait rien d'une reine de beauté le lendemain de soirée. 

 

- J'ai toujours peur qu'elle tombe enceinte. 

 

Comme elle les avait eues assez jeune, Hélène ne voulait pas que ses filles suivent le même chemin. 

À sa remarque, la rousse haussa les épaules. Ça ne risquait certainement pas de lui arriver. 

 

- Et toi ? Toujours pas de petit-copain ? 

 

Une grimace déforma son visage à l'évocation du sujet qui fâche. Lors des repas de famille, cette question lui était adressée à chaque fois. Et malheureusement pour elle, elle n'y répondait jamais par la positive. Pourtant, ce n’était pas faute d’avoir essayé ! Mais son apparence et sa corpulence la desservait à chacune de ses tentatives. La lycéenne ne deviendra jamais rien de plus que la bonne copine du garçon qui l’intéressait.

 

- Ça viendra bien assez tôt !

 

C'est toi qui le dit, pensa Charlotte avec amertume. Elle avala un verre de jus d'orange et rejoignit sa chambre. 

Une fois seule, elle déplia une couverture sur le sol où elle y prit place et commença ses exercices de sport. Elle avait commencé depuis peu ce petit rituel mais elle comptait bien s'y tenir ! La rouquine s'était renseignée sur Youtube et avait regardé des dizaines de vidéos de fitness. Elle ne faisait pas beaucoup d'exercices parce que son surpoid l’en empêchait. Elle s'appliquait cependant à les faire à fond. 

Depuis une semaine, elle notait ses résultats et notamment ses améliorations. Si elle arrivait à faire deux ou trois abdos en plus, elle le notait. Si elle parvenait à faire plus longtemps la planche, elle l'écrivait. Jusqu'à aujourd'hui, elle ne s'était jamais autant impliquée dans sa perte de poids. Et même si elle savait que les résultats ne seraient pas visibles dans l'immédiat, la jeune fille ne cessait jamais d'espérer voir le fruit de son travail dans un miroir très prochainement. Elle voulait que les gens la trouvent maigri, qu'ils la trouvent jolie. 

Elle vérifia de temps à autre le chronomètre puis s'allongea sur la couverture une fois qu'elle fut satisfaite du temps. Pendant de longues minutes, elle s'évertua à calmer sa respiration. Pour une personne obèse, même les exercices les plus simples se montraient être un véritable challenge à relever. Par ailleurs, sa corpulence ne lui offrait pas l'occasion de courir à l'extérieur ou encore de pratiquer des séances dans une salle de sport. Le jugement des autres était trop lourd à porter.

La jeune fille se redressa pour boire dans sa gourde. Charlotte était exténuée. Elle n'avait jamais fait de sport pendant son enfance. Elle n'avait pas l'habitude de perdre son souffle et de suer à grosses gouttes. C'était tout nouveau pour elle.

Toujours assise sur sa couverture, la rouquine ouvrit son Twitter pour voir les nouvelles. Sa sœur avait posté quelques commentaires sur son week-end mouvementé, rien de bien intéressant selon elle. Elle se dirigea ensuite sur Instagram où le visage de Clara, les yeux injectés de sang, lui fit face. Des milliers de Like honoraient déjà la photo qui n'avait rien d'extraordinaire. Ces inconnus l'adulaient comme si elle était une véritable star. Elle jeta un coup d'œil aux commentaires et ne put s'empêcher de se mordre la lèvre en voyant les propos misogynes et insultants. Le voilà, le revers de la médaille. Charlotte signala chaque commentaire qu'elle rencontra.

Bien qu'elle jalouse la célébrité de sa sœur, elle ne voulait en aucun cas que cette dernière souffre des mots écrits par des personnes peu scrupuleuses. D'ailleurs, la plupart des auteurs utilisaient des faux noms rendant l'acte encore plus lâche et dégoutant.

Au bout d'un certain temps, la jeune fille se releva et épousseta ses vêtements. Elle s'étira doucement les membres puis rangea sa couverture.

Pour s'occuper les mains, elle s'affairait à changer la couleur de ses ongles en un bleu très sombre. Charlotte avait emprunté le vernis à son aînée. Enfin, "emprunter" était un bien grand mot : elle lui avait subtilisé sans qu'elle ne s'en rende compte. De toute façon, Clara en possédait tellement qu'elle ne remarquerait jamais la disparition de l'un d'entre eux dans sa collection.

Une fois que la couleur fut posée, elle attendit tranquillement que celle-ci sèche. Son regard glissa sur son portable qui gisait à ses côtés. Elle n'avait toujours pas reçu une seule notification. Elle aurait espéré que quelqu'un vienne lui parler. La rouquine n'avait personne de particulier en tête, elle souhaitait juste discuter de tout et de rien. Elle avait tort de penser à son nouvel ami : ce dernier ne commencerait jamais une conversation de son plein gré. Et c'est pourquoi elle envoya le premier message, une simple question pour lancer le dialogue.

La jeune fille espérait juste que Gabriel ne la trouve pas trop envahissante : 

"Salut ! Ça va ?"

De son côté, Gabriel fut surpris de recevoir un message. Pour lui, le miracle qui s'était produit au cours de la semaine ne pouvait se reproduire une seconde fois. Et pourtant, c'était bel et bien une personne réelle qui prenait de ses nouvelles, une fille, qui plus est, qu'il avait seulement rencontrée quelques jours plus tôt. Bien malgré lui, un sourire naquit sur ses lèvres. 

"Oui et toi ?"

Il avait l'impression de se répéter mais que répondre de plus à cette question d'usage ? Il n'en avait pas la moindre idée. Avec son frère, ils n'avaient pas ce genre de conversation. Si l'aîné lui envoyait un message, c'était surtout pour se plaindre. Cela lui changeait donc beaucoup des échanges qu'il entretenait avec les membres de sa famille.

Le gringalet fut toujours aussi impressionné par la rapidité avec laquelle Charlotte répondait : 

"Ça va, ça va lol"

"Tu fais quoi de beau ?"

Il se demandait s'il devait continuer à parler de banalité. Pour lui, les relations humaines n'étaient vraiment pas faciles, ou du moins, elles l'étaient jusqu'à ce qu'une grosse cicatrice lui barre le visage.

"Rien de spécial. Et toi ?"

Au final, il choisit la voie de facilité. Et il s'en voulut presque aussitôt. Sa réponse était ennuyante à souhait. La conversation entière ne pouvait en être autrement. Gabriel se maudit d'être comme il était. Il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'il n'ait pas d'amis…

“Je regarde des tutos beautés sur Youtube”

Gabriel fronça les sourcils devant l'appellation employée. Il s’interrogea : des tutos beauté ? Pour satisfaire sa curiosité, il tapa le nom dans sa barre de recherche et tomba sur des vidéos expliquant les rudiments du maquillage. Il en lança une au hasard et ferma l’application au bout de quelques minutes d’explication. 

Charlotte regardait ce genre de contenu ? Le balafré n’en comprenait pas l’intérêt. Les mots employés étaient déjà compliqués à comprendre mais en plus, suivre toutes les étapes indiquées représentait une véritable perte de temps, selon lui.

“Tu arrives à reproduire ce genre de truc ?”

“Avec un peu d’entrainement, oui.”

“En ce moment, je regarde surtout ceux concernant Halloween.”

Halloween ? Le jeune homme entreprit de nouvelles recherches. Des femmes et des hommes arborant différents maquillages lui firent écarquiller les yeux. Ils paraissaient si réels ! Gabriel se trouva particulièrement fasciné par les zombies arborant des fausses peaux déchiquetées. Il tomba même sur une photo d’un inconnu maquillé d’une horrible balafre ensanglantée. La vue de cette dernière lui rappela d’horribles souvenirs. Il quitta la page. 

Il fixa pendant quelques instants l’écran noir, perdu dans ses pensées. Le gringalet avait du mal à comprendre ce qu’il venait de voir. Des gens se grimaient volontairement le visage d’une cicatrice, le jour d’Halloween, le jour des monstres et de l’horreur ? Quand ses parents lui assuraient le contraire, le monde entier était là pour lui rappeler qu’il était affreux à regarder.

Son sourire avait depuis longtemps déserté son visage. Et le jeune homme s’enferma dans un mutisme inquiétant pour le reste du week-end.

 Le lundi qui suivit, la place de Gabriel demeura vide.

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