J'étais enfin arrivée à destination. Après avoir garé la voiture, je me mis à longer la rivière. Cela faisait plusieurs minutes que je marchais à la recherche de Beth ou d'une quelconque trace de sa présence passée. Je ne l'appelai pas : si elle ne répondait plus au téléphone, il n'y avait pas plus de chances pour qu'elle réponde à mes hurlements affolés.
Je me rongeais alors les ongles en scrutant les environs, le cœur battant, sursautant comme un lapin au moindre craquement de branche. Foutus loups-garous qui me rendaient parano.
En parlant de loups-garous, n'était-je pas sensée avoir un odorat surdéveloppé ? Ou avais-je uniquement droit aux aspects négatifs de la chose ? Vu la chance que j'avais toujours eu dans ma vie, ça ne m'étonnerait pas.
J'essayai tout de même en humant l'air autour moi, éternuant lorsque quelque chose y pénétra. Je grommelai en me frottant le nez.
J'avançais alors de plusieurs pas dans l'obscurité, me demandant si Beth ne s'était pas tout simplement évanouie. Si elle était dehors depuis dix heures du matin, cela voulait dire qu'elle n'avait pas dormi, peut-être avait-elle éprouvé du soulagement en apprenant que je venais la chercher, assez pour lui permettre de se détendre et de s'endormir ? Oui, c'était ce qui était arrivé. Elle était forcément près de cette satanée rivière, le tout était de la trouver avant qu'une de nous ne se transforme en glaçon.
J'observai le sol à la recherche de traces de pas, mais la vase était tellement marquée qu'il était impossible de distinguer quoique ce soit. Enfin peut-être que si, je crois que la vase permettait justement un meilleur pistage. Je ne sais pas. J'aurais dû écouter en cours. J'abandonnai le pistage, ce n'était pas pour moi. Qu'est-ce qui était pour moi d'ailleurs ? Je n'aimais pas les sorties de groupe, je n'aimais pas parler, je n'aimais pas danser, je n'aimais pas chanter, je n'aimais pas grand chose en fin de compte. Enfin si, j'aimais bien lire, et dessiner, même si je n'étais pas douée. Donc j'aimais lire. Cela m'était-il utile à l'heure actuelle ? Hmm... Non.
Je soupirai bruyamment en reportant mon attention sur mon téléphone pour m'assurer que Beth et moi n'avions pas été coupées : ce n'était pas le cas. Alors que je m'éloignais un peu de la rivière, à la recherche d'un endroit chaud dans lequel Beth aurait pu s'abriter, un craquement de branche raisonna si fort dans l'obscurité qu'on aurait dit un os qui se brisait près d'une enceinte. Je poussai un glapissement avant de me ressaisir en me mettant en position, les yeux plissés.
Une silhouette se mouva dans l'obscurité et mon cœur s'accéléra, mais pas de crainte, ni d'appréhension. Plutôt... d'excitations de joie.
La silhouette finit par se rapprocher. Je faillis me détendre inconsciemment mais me reprit en me rappelant de qui il était.
— Où est Beth ? demandai-je d'un ton qui se voulait menaçant.
— Ce n'est que moi, me dit Mason en avançant vers moi les bras levés une mine faussement effrayée, croyant que je ne savais pas que c'était de lui qu'il s'agissait. Croyant que je ne savais pas ce qu'il était. Croyant que je ne savais ce qu'il avait eu l'intention de faire.
— Où est Beth ? répétai-je de façon plus menaçante cette fois, ma colère de le voir jouer la comédie ayant facilité la chose.
Il cligna des yeux plusieurs fois. Une fois le choc passé il plongea ses yeux bleus dans les miens, son expression perplexe et malheureuse me fit me sentir méchante et je n'en fus que plus en colère. Il n'avait pas le droit de jouer double jeu et d'ensuite me parler en me faisant culpabiliser.
Il s'approcha de moi et je reculai d'un pas, cela le stoppa net et mon cœur se serra, comme si je me sentais blessée, sans que je ne comprenne pourquoi.
— Elle... je l'ai trouvée. Elle est dans ma voiture.
— J'en ai une, je me charge d'elle.
— Rachel, est-ce que—
— Où est ta voiture ?
— Heu, garée un peu plus loin...
Je gardai les yeux rivés sur lui jusqu'à ce qu'il saisisse le message et qu'il se mette à avancer. Je restai bien sûr sur mes gardes en le suivant prudemment en gardant au moins un mètre d'écart. Nos ombres s'allongeaient devant nous, et nous avancions dans le silence jusqu'à ce qu'il se tourne subitement vers moi et me fasse m'arrêter net.
Il ne dit rien et se contenta de sonder mon regard. J'espérai qu'il comprenne que je savais tout et qu'il arrête de me faire tourner en bourrique, pour que ma colère cesse d'augmenter exponentiellement. Et aussi pour qu'il me dise que tout ceci était faux. Mais je ne comptais pas trop là-dessus.
— Tu m'en veux à cause de la dernière fois qu'on s'est vus ?
Mes joues s'empourprèrent au souvenir de notre dernière rencontre. Comment aurais-je pu lui en vouloir pour ce jour là ?
Il ne se doutait de toute évidence pas une seule seconde que j'avais tout découvert. Je soupirai et baissai la tête vers le sol en espérant lui cacher mon visage, mais il se rapprocha de moi et cette fois je ne reculai pas.
Je relevai tout de même les yeux vers lui en espérant de laisser y transparaître autant de colère possible, cela dû fonctionner puisqu'il s'arrêta.
Il se massa la nuque en réfléchissant un long moment et recommença à avancer vers moi. Cette fois en revanche, j'esquissai un nouveau mouvement de recul.
C'est là qu'il compris, que je compris qu'il comprit. Il venait de tester ma réaction pour s'assurer de quelque chose. Et je pense qu'il le savait, mais comme il n'avait aucun moyen d'en avoir la certitude, il n'osait pas me le demander. Au cas où je serai en colère à propos d'autre chose. Mais je voyais dans son regard qu'il était dans le déni.
Tout en continuant sur cette voie, il abattit sa dernière carte.
— Tu n'as pas répondu à mes messages et je me suis inquiété (il sondait mon regard tout comme je sondais le sien, je pouvais presque voir les rouages de son cerveau travailler) je suis venue dans ta chambre mais tu n'étais pas là. Jess m'a dit qu'il était passé te voir, il s'inquiétait lui aussi et il s'en voulait de ne pas être venue te voir à l'infirmerie. Surtout après ce qui s'est passé avec, heu, tu sais bien.
— Oui, répondis-je en gardant mon regard braqué sur lui. Je sais bien.
C'est à ce moment là que je regrettai de ne pas lui avoir tout de suite dit que j'étais au courant. Il continuait à s'empêtrer dans ses mensonges et je sentais cet horrible mal de tête et spasmes musculaires guetter la moindre opportunité pour prendre le dessus. Et si cela arrivait, je serais à sa merci.
Mon cœur battait à tout rompre, alors je fermai les yeux en essayant de reprendre une respiration régulière. Après plusieurs instants je repris finalement la parole.
— Montre-moi où est Beth, je suis pressée.
Je le dépassai sans lui laisser le temps de répondre. Heureusement, je vis les phares d'une voiture non loin et en fut soulagée. Je n'avais pas eu besoin de passer pour une abrutie à avancer à l'aveugle en la cherchant, mon ego en aurait prit un coup. Plus qu'il n'en a déjà prit.
Mason continuait de me suivre. Lorsque nous fûmes assez près de sa Jetta, je me tournai vers lui et il détourna le regard. J'en fus alors convaincue.
— Bien, merci. Je vais l'emmener à l'académie maintenant, lui dis-je en recommençant à marcher.
— Ah non ! Pas question, dit-il en se précipitant devant moi. Tu ne peux pas y aller, c'est trop dangereux.
Je levai la tête vers lui. Ses yeux bleus luisaient dans l'obscurité et reflétaient le clair de lune, comme ceux d'un chat. Les lèvres pincées, une inquietude assombrissait son regard. En le voyant j'avais envie de...
Je ne sais pas ce que j'avais envie de faire, l'asperger avec une bombe au poivre semblait être une bonne solution. Je savais bien pourquoi c'était dangereux pour moi. Mais je voulais l'entendre me le dire. Rien que pour satisfaire mon ego.
— Elle vit là bas je te signale, et ses amis l'attendent. Ils sont sûrement morts d'inquiétude. Alors si tu pouvais... (je lui signifiai d'un geste de se pousser mais il ne bougea pas, alors j'essayai de le contourner mais il se replaça devant moi. Je lui lançai un regard furieux) À quoi tu joues ?!
— Tu le sais très bien, marmonna-t-il en détournant le regard.
— Ah oui ? lui dis-je en me rapprochant pour le pousser à me regarder. Tu en es sûr ? (il serra la mâchoire et ne daigna pas me regarder) Peut-être que je sais de quoi tu parles, peut-être que je ne le sais pas. Mais si je savais que c'était aussi dangereux que tu le prétends je n'essaierais pas d'y aller, si ? Peut-être que je suis partie parce que ton frère et moi avons failli nous embrasser et que j'avais trouvé la situation trop gênante ? (il tourna si vite la tête vers moi qu'il aurait pu se faire un torticolis) Ou peut-être est-ce parce qu'il était venu pour autre chose que pour ça ? Quelque chose dans lequel tu serais toi aussi impliqué.
Il détourna à nouveau le regard et j'émis un rire amer.
— C'est plus facile d'avoir honte que d'être honnête, pas vrai ?
— C'est pas... Je ne t'ai pas menti, j'ai juste—
— Tu comptais me dire que tu étais un loup-garou ?
Sa bouche s'ouvrît et se referma plusieurs fois, comme s'il réfléchissais au meilleur moyen de me mentir sans y parvenir. Finalement, il abandonna et se contenta de dire :
— Je... Il... nous... Merde Rachel !
— C'est le cas de le dire.
Une fois encore, il ouvrit la bouche sans qu'aucun son n'en sorte, avant que cela ne se produise je repris :
— Je ne te fais pas confiance alors je viens avec Beth jusqu'à l'académie et...
— Non ! Je ne sais pas qui t'a raconté tout ça mais c'est vrai, et je suis vraiment désolée de te l'avoir caché. Ouais, j'ai été con, mais tu ne dois pas retourner à l'académie.
— Je parie que c'est ce que tu m'aurais dit lorsque tu aurais enfin pu me trancher la gorge.
— Non ! Jamais je n'aurais fait ça ! me dit-il les yeux emplis d'une horreur sincère.
— Ça c'est sûr, tu n'aurais jamais réussi. Parce que je suis convaincue que si je me battais contre toi j'aurais l'avantage sans l'ombre d'un doute.
— Oui, c'est vrai. Parce que si on se battait je ne ferais absolument rien pour gagner et te blesser, répondit-il en me regardant.
Je pouffai en levant les yeux au ciel.
— Je n'ai jamais été OK avec ces conneries, figure-toi que je déteste la meute. Je faisais tout pour que Jess lâche l'affaire.
Je ne répondis rien. Il voulait que je lui pardonne, que je lui dise que ce n'était pas grave, que j'avais mal évalué la situation, que je le croyais et que cela ne changerait rien. Mais ç'aurait été un mensonge, et ç'avait toujours été la chose que je haïssais le plus.
Aussi loin que je me souvienne, je n'avais jamais aimé m'engager dans une relation amicale ou amoureuse. Cela avait commencé lorsque j'étais enfant, à cette époque là j'étais assez sociable, je faisais rire mes camarades et je crois que tout le monde m'appréciait. Mais avec le temps, j'avais fini par remarquer certains changements chez eux, ils restaient avec moi juste par politesse, parce qu'ils ne voulaient pas me blesser. Parce que leurs parents refusaient de les voir jouer avec moi. Ensuite, ils inventaient des excuses pour m'exclure de leurs groupes. Mentaient sur leur activités en prétendant que cela ne me correspondrait pas. Sans savoir que je connaissais la vérité. Comment ? Disons juste que les adultes ne se gênaient pas de me faire comprendre le message, en me lançant des regards de dégoût par exemple en me pointant du doigt. Et je n'en avais jamais compris la raison. Je m'en fichais.
Et puis, en grandissant, j'avais remarqué de plus en plus de murmures à mon passage, ils détournaient tous le regard. Même les adultes ne voulaient rien à faire avec moi, que ce soit pour m'expliquer des cours ou... pour autre chose. Sauf Ariadne, alors je m'étais mise à faire plein de bêtises pour me faire remarquer. C'est là que je suis devenue la « vilaine canaille » de l'école. Une gamine mal élevée qui tournerait mal, comme ils aimaient bien le dire.
Cela se corsa avec la puberté, je commençais à avoir un peu plus la côte, mais pas dans le bon sens du terme. Tous les vampires de sang royal ou dhampirs s'étaient donnés comme objectif de me « culbuter ». Entre les mots en classe, les coups à la porte de ma chambre, ou la queue à ma sortie de la salle de bain et j'en passe... L'ignorance n'était plus une solution. Alors je me suis servie des autres choses pour lesquelles j'étais douée : les menaces et la violence. Je n'avais pas le sang chaud, et je n'aimais pas spécialement ça, et même si cela réduisait considérablement les chances de me faire des amis, j'étais sûre que personne ne viendrait me les briser.
Et cela a très bien fonctionné.
Les gens ne s'écartaient plus de mon passage ou ne s'installaient plus quatre rangs derrière moi comme au début de cette ère, ils ne m'évitaient pas si je leur parlais. Beaucoup venaient même me voir. Même si je supposai que cela était surtout grâce à Ariadne que tout le monde adorait.
C'était sans aucun doute le soleil de cette école, gentille, généreuse, douce, intelligente, emphatique. Elle ne portait jamais aucun jugement sur personne. Et j'étais sûre qu'elle deviendrait quelqu'un d'extraordinaire. Plus qu'elle ne l'est déjà.
C'est pour cela qu'à part Ariadne, je n'avais jamais accordé ma confiance à personne. Il fallait dire que personne n'avait jamais cherché à l'avoir. À part Sydney et...
Je détournai les yeux de Mason et me mordis la lèvre.
— Je comprends que tu m'en veuilles, dit-il doucement en tendant la main vers mon visage. Et je suis désolé, sincèrement, et si je peux faire quoi que ce soit pour...
— Vous avez tous les deux tenté de me tuer et tu réagis comme si tu avais écrasé ma sauvegarde sur un jeu vidéo. Sauf que figure-toi que, surprise ! Ce n'est pas un jeu vidéo. Alors je vais m'assurer que Beth arrive à bon port et tout s'arrête là.
Ma voix faillit se briser à la fin de ma phrase et je remerciai quiconque se trouvant là de m'avoir donné la force de la prononcer. Je le dépassai en me dirigeant vers sa voiture et il se mit au travers de ma route.
— Tu ne te demandes pas pourquoi je suis ici ? me demanda-t-il en se penchant vers moi. Comment ai-je pu retrouver ton amie ?
Je ne répondis rien et fis un pas de côté, mais il me barra la route.
— Ce sont eux qui ont fait ça, pour t'attirer ici. Et tu t'es jetée dans la gueule du loup ! Au sens propre, Rachel.
— Bien, alors vas-y, dis-je platement.
— Quoi ?
— Je suis tombée dans le piège donc tu vas soit me livrer à eux soit me tuer toi-même comme Jess a essayé de le faire. Alors fais-le. Qu'on en finisse.
Il me regarda et pendant une seconde, en lisant cette expression dans son regard, mon cœur battit plus fort. J'eus l'impression qu'il l'entendit car son regard s'adoucit avant de se reprendre.
— Je n'ai jamais essayé de te tuer. Jess n'a pas eu le choix parce qu'il est... il croit en eux.
— Mais pas toi ? Parce que tu as déjoué leur plans ? (J'eus un rire amer et secouai la tête) Je m'en moque, toi ou lui—peu importe—avez essayé de me tuer. Tu savais ce que j'étais, tu jouais double jeu, et tu m'as regardé droit dans les yeux en prétendant être mon ami (il blêmit à ses mots et s'apprêta a protester mais je poursuivis :) enfin non, tu ne l'as pas prétendu. Au moins une chose à propos de laquelle tu as été honnête.
Cette fois-ci je le contournai et il n'essaya pas de me rattraper. J'entrai dans sa voiture et regardai Beth qui était encore inconsciente. Mason entra à son tour mais ne mît pas la clé sur le contact.
— Je ne peux pas y retourner non plus, murmura-t-il après plusieurs secondes de silence. Beliath savait que tu viendrais et t'attendait. Lorsqu'il a senti ta trace il a (il haussa les épaules) essayé de la tuer. Pour s'en débarrasser. Mais je l'en ai empêché.
Je fronçai les sourcils et déglutit.
— Tu l'en as empêché ? Comment ?
Il haussa les épaules et fit passer ses mains dans ses cheveux. Je ne voyais pas son visage mais me sentis triste, seule, blessée et coupable. Une vague d'angoisse me prit soudainement et sans que je puisse m'attarder d'avantage sur ces sentiments dont j'ignorais la provenance, Mason poussa un long soupir et démarra le moteur.
— Est-ce que ça va ? lui demandai-je plus doucement que je l'aurais voulu en m'éclaircissant la voix pour me remettre en colère.
— Ouais, répondit-il sans me regarder.
Je me creusai la tête à la recherche de quelque chose à lui dire, peut-être quelque chose d'apaisant, mais rien ne vint. Je voyais que lui aussi réfléchissait mais il ne réussit pas. Pas plus que moi, Dieu sait à quel point je me forçai. Mais je n'y parvins pas. Pas plus que lui.
Finalement, il démarra la voiture et s'élança dans la nuit.
— On la laisse a un gardien et je te ramène ici pour récupérer ta voiture.
— D'accord.
Et les choses en restèrent là.