Chapitre 16

Par Ohana

Alaric engloutit voracement tout ce qui lui tombait sous la main, épuisé autant physiquement que mentalement.

  • À ce point ? rigola sa sœur, en face de lui, qui fut plus modérée.

La bouche pleine, il ne put lui répondre, mais posa son regard fatigué sur elle. Cette dernière émit un rire léger, posant sa tête contre sa paume ouverte, touillant sa soupe de l’autre.

La journée avait été épuisante. Elle qui avait finalement réussi, puis couru à droite et à gauche pour trouver Hildr, avec qui elle avait eu une conversation intéressante. La jeune femme enflammée lui avait présenté Cassiopé, une jeune fille de quatorze ans, la seule apprentie ayant une affinité avec la terre. Malgré les quelques années de différence, la demoiselle lui avait été d’une aide précieuse. Talia n’avait plus qu’une hâte, celle d’être au lendemain pour expérimenter. Hildr lui avait dit qu’elle allait s’occuper d’elle cette fois-ci.

Alaric avait quant à lui rendez-vous avec le haut-mage, et cette idée lui tordait l’estomac. Il était cependant trop fatigué pour se laisser aller à la panique. Veenya, avec beaucoup de patience, l’avait guidé toute la journée. Le résultat était le même, il avait fracassé par accident la pièce dans laquelle ils s’étaient installés. Ils avaient en premier lieu évacué les quelques livres qui pouvaient souffrir de ses pouvoirs défaillants, mais ils allaient devoir probablement trouver un autre endroit pour étudier maintenant. Et quand ils avaient été à l’extérieur pour tester ses capacités glacées, pour éviter d’autres désagréments, il avait fait plusieurs crises de panique. Veenya avait été d’une patience et d’une douceur qui lui avaient permis de s’en sortir. Ils avaient aussi beaucoup parlé. Bien que leurs sujets de conversation tournaient autour de la magie, il avait réussi à exprimer, par moment, ce qu’il ressentait et se passait à l’intérieur de sa tête, guidée par la jeune femme. Voir le regard sans aucun jugement de la magicienne l’avait grandement aidé.

Malgré l’épuisement dans lequel il se trouvait, Al était plutôt content de ne pas avoir fui cette fois. C’était quelque chose dont il n’avait pas l’habitude. Il ne pouvait cependant pas se défaire de cette crainte qu’au final, ils se disent qu’il était trop cassé. Au-delà du réparable. Il ne voulait pas imposer ça à sa sœur. Plus jamais.

  • Alors ? Comme ça on a démoli la moitié du château ?

Hildr, accompagnée de Veenya, venait de s’asseoir bruyamment à leurs côtés. Sans aucune gêne, elle vola un bout de pain à Alaric, qui ne fut pas assez rapide pour l’en empêcher.

Les jumeaux se jetèrent un regard honteux.

  • Ne vous inquiétez pas, nous sommes tous passés par là à un moment, renchérit Hildr en rigolant, une lueur dans le regard.
  • Tu veux dire, quand tu as brûlé une partie de la collection de livres de maître Talaman ? fit candidement Veenya.

Hildr poussa un soupir dramatique, levant les bras en l’air.

  • Plus de peur que de mal, le vieux bougre a pu tout restaurer en un clin d’œil !

Elle reçut au milieu du front le morceau de pain que lui avait lancé Veenya. Cette dernière l’avertit d’un regard de surveiller ses paroles. La fille du feu lui fit une grimace, faisant lever les yeux au ciel la télépathe.

  • J’ai une question, fit soudainement Talia, la bouche pleine.

Elle avala de travers lorsque les deux jeunes femmes tournèrent simultanément la tête vers elle. Elle se mit alors à douter, maudissant sa curiosité débordante. Peut-être que sa question allait les faire se braquer ? Elle ne voulut pas perdre ce début d’amitié qu’elle sentait se former et …

  • Tu te demandes pour mes yeux, fit Veenya.
  • Mais … Comment ? balbutia Talia, devenant rouge.
  • Ma petite Vee a comme affinité l’esprit, roucoula Hildr, entourant affectueusement les épaules de sa compagne pour lui embrasser sa joue.

Cette dernière poussa un soupir, un petit sourire sur les lèvres malgré tout.

  • Tu peux lire dans les esprits ? demanda Al, qui la regardait d’un air suspicieux, ne pouvant s’empêcher d’être angoissé à l’idée qu’elle ait pu jeter un coup d’œil dans sa tête aujourd’hui.
  • Plus ou moins. Si je me concentre suffisamment, oui. Sinon ce sont de vagues impressions, couplées à la lecture des auras et une bonne dose d’intuition, corrigea Veenya d’une voix posée.

Talia ne pouvait s’empêcher de boire ses paroles, toute à sa curiosité. Elle sentait aussi que ses questions ne semblaient pas déranger les deux jeunes femmes, ce qui la rassura. Elles devaient être beaucoup plus à l’aise avec tout ça que les deux nouveaux arrivants. Après tout, elles étudiaient la magie depuis leur plus jeune âge.

Veenya prit une gorgée de son thé avant de réfléchir à un moyen simple d’expliquer le phénomène, sans alerter les deux nouveaux mages.

  • La manifestation de notre magie est presque instinctive pour les mages qui débutent.

Face au regard incompréhensif de Talia et Alaric, elle sourit.

  • Vos yeux irradient quand vous utilisez la magie, vous ne vous en êtes pas rendus compte ?
  • Quoi ?

Alaric s’était rembruni, pas très à l’aise à l’idée qu’en plus de pouvoir faire des choses absolument étranges, la magie modifiait leur corps. Celle-ci pouvait les dénoncer à tout moment ?

  • C’est vrai que j’ai vu ça, quand … commença Talia, regardant son frère.

Ce dernier baissa les yeux vers son assiette, picorant dedans. Son appétit s’était complètement coupé. Il n’avait pas envie de repenser aux moments où il avait complètement dérapé.

  • Ne vous en faites pas, fit Hildr, revenue des cuisines avec une grande part de gâteau, qu’elle posa au milieu d’eux quatre pour partager. C’est quelque chose qu’on apprend à contrôler au fil du temps.

Talia fronça les sourcils, jetant un bref regard aux deux billes argentées qui se posèrent sur elle au même moment.

  • J’ai un peu plus de mal à contrôler cet aspect-là, admit Veenya. Mes pouvoirs sont actifs en permanence. Alors j’ai décidé qu’il valait mieux que je ne dépense pas une partie de ma concentration à dissimuler la couleur de mes yeux.
  • Ils sont jolis, fit candidement Talia, rougissant en se rendant compte qu’elle avait pensé à voix haute.

Sa remarque provoqua un grand rire chez Hildr, qui lui fit un clin d’œil, la faisant encore plus rougir. Alaric regarda ce petit manège en essayant de ne pas pouffer de rire, pour ne pas s’attirer les foudres de sa sœur, qui pouvait être très susceptible quand elle ne savait plus où se mettre.

  • Les tiens aussi, fit Veenya. Ils sont d’un vert très doux quand tu utilises ta magie !
  • Oh.

Talia ne savait pas quoi faire de cette information, puis, toute à sa gêne, décida de la mettre de côté. Il y aura certainement beaucoup d’autres découvertes plus importantes qu’elle allait devoir assimiler au fil du temps, il fallait qu’elle s’y habitue.

X

Alaric tenta de calmer ses nerfs à vif, tournant en rond comme un lion en cage. Ou plutôt un chaton effrayé par son ombre. Le haut-mage lui avait dit vouloir lui parler la veille, et il ne savait pas du tout pourquoi.

Enfin, il avait quelques doutes.

Peut-être que le vieil homme avait réalisé l’erreur de l’avoir accepté parmi ses apprentis ? Qu’il était une cause perdue ? Une bouffée d’angoisse bloqua sa respiration quelques secondes et il se massa les tempes du bout des doigts pour tenter de faire disparaître le tambour qui pulsait douloureusement dans sa tête. Il ne voulait pas qu’il y ait des répercussions sur Talia. Il voyait bien qu’elle aimait être ici. Qu’elle s’adaptait.

Alors que lui …

Le jeune homme se sentait comme à l’école, quand il se retrouvait convoqué chez le directeur parce qu’il ne s’intégrait pas, réagissait excessivement allant jusqu’aux poings quand on le titillait un peu trop, ou encore n’allait pas en cours car le simple fait de mettre un pied devant l’autre pour s’y rendre était au-delà de ses forces. Personne n’avait jamais compris – sauf Talia, même s’il avait l’impression d’être un poids mort pour elle – et lui-même en ressentait une grande culpabilité.

La porte s’ouvrit doucement, semblant être animée d’une vie propre. Le cœur dans la gorge, l’adolescent fit quelques pas hésitants à l’intérieur de la pièce, y découvrant un large bureau et des pans entiers des murs recouverts de hautes bibliothèques.

  • Assieds-toi, fit une voix semblant sortir de nulle-part.

Alaric sursauta violemment, n’ayant pas vu le mage, se retenant de justesse de lâcher un juron qui aurait certainement fait tache. Il s’exécuta sans attendre, son regard irrémédiablement attiré par tout, sauf l’homme en face de lui.

  • Veenya m’a fait part des quelques réticences que tu éprouves, commença le mage.

Malgré sa voix au ton chaleureux, Alaric ne put s’empêcher de rentrer la tête dans les épaules, à la fois inquiet mais aussi en colère. En colère contre lui-même, contre ce monde et contre ce mage, qui leur avait enlevé tout espoir. Ce n’était pas juste, il en avait conscience, mais il ne pouvait pas nier ses émotions. Comme toute réponse, il baissa les yeux.

  • Le Maraudien Gadriel m’a raconté ce qui s’est passé, peu après votre départ de Madragore.

Voilà, maintenant le nouvel apprenti en était certain, il allait se faire incendier – littéralement ? Sentant une grande fatigue à travers toute la boule d’angoisse qu’il était, il passa une main sur son visage, en vaine tentative de reprendre ses esprits.

  • Je ne sais pas ce qui s’est passé ! fit-il d’une voix tremblante.

Le mage leva une main pour l’arrêter.

  • La magie est une énergie en grande partie qui nous est encore méconnue. Elle le sera toujours un peu. Et cette énergie, pour on ne sait quelle raison, coule dans les veines de certains individus, à différentes intensités.

Alaric refusa de lever son regard vers lui, gardant celui-ci rivé sur ses mains, dont les jointures étaient blanchies par la tension qu’il exerçait sur celles-ci. Talaman ne sembla pas s’en formaliser.

  • Tu n’es pas le seul et tu ne seras pas le dernier à s’être laissé submerger par cette puissance brute. Elle nous permet de modifier ce qui nous entoure, mais nous oublions trop souvent qu’elle peut aussi modifier qui nous sommes. Penses-tu que les mages du genre de celui dont vous avez fait malheureusement la rencontre sont nés ainsi ? Avec une magie aussi corrompue et sombre ?
  • Je vais devenir comme eux ? s’étrangla Alaric, qui cette fois leva son regard vers le vieillard, alarmé.

Il préférait mourir que devenir comme cette créature démoniaque qui s’en était pris à lui et surtout à sa sœur !

  • Non, mon garçon. À moins que tu ne planifies d’en apprendre plus sur les arts obscurs ?

Alaric se laissa retomber contre le dossier de la chaise, un bref air soulagé sur le visage. Évidemment que non ! Il n’était déjà pas à l’aise avec la magie qu’il sentait en lui. Alors exploiter la magie noire, peu importe ce que cela voulait dire, il en était hors de question ! Talaman sourit de toutes ses dents, son visage s’éclairant pendant un instant, lui donnant quelques années de moins.

  • Bien, maintenant que nous avons établi ce point fondamental, il reste néanmoins la question de tes pouvoirs et ta réticence à les utiliser. Ce que je peux comprendre, évidemment, avec ce qui s’est produit.

Le jeune homme retrouva une posture plus nerveuse, ses doigts cherchant à tirer sur un fil dépassant d’une de ses manches.

  • Serais-tu d’accord pour tenter une nouvelle approche ?

Ne se voyant pas refuser, alors que sa peur lui hurlait de le faire, Alaric hocha doucement la tête pour donner son approbation. Il ne voyait pas vraiment quel autre moyen il pouvait avoir à sa disposition, mais ce n’était pas lui l’expert. Un sourire illumina le visage du vieillard.

  • Bien, très bien !

Le mage fit un geste de la main et un livre, semblant être animé d’une vie propre, sauta d’une étagère pour venir se poser sur le grand bureau, en face d’Alaric. Il invita le jeune homme à y jeter un coup d’œil et découvrir par lui-même ce dont il s’agissait. Hésitant, le nouvel apprenti s’approcha doucement.

Il ne put empêcher une lueur curieuse de s’allumer dans son regard.

  • Quand j’avais ton âge, j’ai eu quelques … soucis, dans le même ordre que les tiens.

L’adolescent leva la tête, surpris. Les paroles du vieil homme lui revinrent. La magie était, dans ce monde, une énergie qui restait encore à découvrir. Tout à son angoisse, il avait pensé dès le départ être une aberration, sans réfléchir à la possibilité qu’il n’était peut-être pas le seul à vivre ce genre de chose. Plus qu’il ne voulut l’admettre, cette pensée lui mit un baume au cœur et la tension dans son corps se relâcha un peu, lui permettant de reporter son attention vers le livre, qu’il ouvrit sans plus atteindre, ses doigts effleurant les pages.

  • Il existe un domaine dans notre art qui est très peu étudié. J’ai mené plusieurs recherches au fil des années, mais avec mes obligations de haut-mage, j’ai malencontreusement eu l’obligation de mettre de côté cet art.

Tournant quelques pages, Alaric vit de curieux dessins incrustés dans le papier jauni. Ils formaient des arabesques magnifiques, et il crut pendant un instant qu’ils étaient devenus vivants sous ses doigts. Cette lueur bleue sous l’encre était-elle réelle ? Le jeune homme retira vivement sa main, prudent. L’idée de se faire avaler par un livre, à l’instar d’un arbre démoniaque, lui fit faire la grimace, provoquant un grand rire chez le mage. L’adolescent fit la moue, mais n’émit aucun commentaire.

  • J’aimerais que tu étudies ce chapitre, en premier lieu, sur la magie des sceaux, continua le mage, tournant d’un geste les pages comme s’il avait le livre entre les mains. Il te sera très instructif, je pense !

Voyant qu’il n’allait pas avoir plus ample explication, Alaric se contenta de hocher la tête. Il n’allait pas le nier, il ressentait une pointe de curiosité, sous toute cette couche de méfiance.

  • Si tu as la moindre question, ma porte reste ouverte.

Ne sachant que dire, Alaric s’apprêta à prendre congé, mais il hésita. Son regard parcourait déjà quelques lignes et il ne put s’empêcher de noter que, comme à peu près tout ce qu’il avait pu lire jusqu’à présent, les lettres semblaient se brouiller par moment.

  • J’aimerais savoir, fit-il, prenant son courage à deux mains. Comment est-il possible que nous parlions la même langue que dans … dans notre monde ?

Il n’avait pas réalisé dès leur arrivée. De toute manière, il avait eu très peu de moment propice où il avait pu se poser pour penser à autre chose que le fait qu’ils allaient mourir.

  • Nous ne parlons pas votre langue. Vous parlez la nôtre.

Le jeune homme posa un regard confus sur le professeur de magie. Chaque mot qu’il entendait ou lisait lui parvenait en un français tout à fait standard. Parfois même un peu trop, pour l’époque.

Semblant être emporté par un sujet qui le passionnait, le haut mage posa ses mains jointes sur le bureau, une lueur amusée dans son regard.

  • J’ai rencontré quelques Voyageurs dans ma longue vie, et c’est un phénomène que j’ai pu noter à chaque fois. Vous adoptez la langue dominante de l’endroit où vous amène la porte. Mais, pour vous, nous parlons votre langue natale. C’est tout à fait fascinant et c’est un fait qui n’a jamais été expliqué ! D’ailleurs, si tu vas au-delà de la mer de Castar et y rencontre les peuples locaux, tu comprendras leur langue aussi.

Voyant qu’il venait d’inonder son jeune apprenti d’un flot d’informations, il se tut.

  • Pardonne-moi, mon garçon. Concentre-toi pour le moment sur les sceaux, mais si le sujet t’intéresse, tu peux demander à la jeune Veenya de te montrer nos collections à ce propos !

La tête pleine de questions et d’informations nouvelles, sentant la migraine pointer s’il continuait à se triturer les méninges, Alaric abandonna pour l’instant et hocha simplement la tête pour le remercier.

Serrant le livre contre lui, l’adolescent prit congé.

X

Il était assis à la grande table qu’il partageait normalement avec sa sœur et les deux Magiki, seul, le nez plongé dans les pages jaunies, lorsque Talia se faufila derrière son épaule sans qu’il ne l’entende.

  • Tu lis quoi ? claironna-t-elle, le faisant sursauter.
  • Mais merde Tal, tu vas me donner une crise cardiaque ! râla le jeune homme, la fusillant du regard.

Talia lui fit les yeux doux, ceux qui le poussaient à tout lui pardonner, et il se contenta finalement de grimacer, avant de reprendre un air plus serein.

  • Peut-être un moyen de m’aider, fit-il d’une petite voix, se mordillant l’ongle du pouce, la mine soucieuse.
  • Tu veux m’en parler ?

Ne se sentant pas à l’aise de s’ouvrir pour le moment, il secoua doucement la tête et fit un sourire un peu fatigué à sa sœur. Celle-ci lui rendit son sourire, compréhensive. Alaric se contenta donc de lui expliquer ce que lui avait dit Talaman sur leur capacité de polyglotte, sachant que cela allait l’intéresser malgré les nœuds au cerveau que nouvelle information lui donnait.

L’air surpris et confus de Talia fit éclater son frère de rire.

  • Voilà, j’ai eu la même, la taquina-t-il. C’est fou, hein ?
  • Ça explique bien des choses, et ouais c’est carrément bizarre, rigola-t-elle en réponse. Mais on devrait être habitués, maintenant !

Alaric haussa nonchalamment les épaules. Il préférait éviter de nouvelles surprises, mais il savait pertinemment que c’était un souhait irréalisable. Leur vie était devenue littéralement improbable et pleine de surprises.

  • Sinon, ça va bien avec Hildr et Vee ? fit soudainement Alaric, pour tenter de la détourner de toutes les questions qu’il voyait danser derrière ses yeux.

Le rougissement de Talia répondit à sa question. Gênée, elle poussa légèrement son épaule.

  • Arrête, ce n’est pas drôle !
  • Je ne me moquais pas, se défendit Alaric, mi-amusé, mi-surpris par l’air trouble de sa sœur, elle qui avait toujours été très ouverte sur ses sentiments, surtout avec lui.

Talia hésita quelques instants, ses joues devenant de plus en plus en feu. Assez pour qu’Alaric commence à s’inquiéter. Il referma le livre posé devant lui et posa son regard sur elle, attendant de voir si elle voulait en parler.

  • C’est que … C’était tellement embarrassant, balbutia-t-elle.
  • Qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce que ça va ?
  • Oui, non, enfin, je suis un peu confuse, lui répondit-elle, passant une main sur son visage, avant de déposer sa tête dans sa paume ouverte, ne sachant plus où se mettre.

Elle lui raconta alors ce qui s’était passé un peu plus tôt. Pendant un entraînement avec Hildr, elles s’étaient mises à discuter de tout et de rien. Mais elle avait commencé à ressentir que la distance entre elles était en train de s’amenuiser, sans vraiment savoir si elle se faisait des idées ou non.

  • Hildr me semble assez franche et directe, si tu as senti quelque chose venant d’elle, c’est sûrement le cas, commenta Alaric.

Talia se mordit la lèvre et hocha la tête. Cette sensation l’avait mise très mal à l’aise, car elle avait pu noter qu’il y avait quelque chose entre la fille enflammée et Veenya.

  • J’ai commencé à foirer tous mes sorts, je ne savais plus comment réagir, dit-elle.

Elle n’avait pas pu continuer, troublée par ce qu’elle ressentait elle-même. Puis la culpabilité était arrivée au grand galop.

  • À propos de Veenya, devina son frère, d’un ton posé.

La jeune femme savait qu’il n’y aurait jamais aucun jugement de sa part, ainsi elle continua. Ce n’était pas simplement l’idée qu’Hildr veuille se rapprocher d’elle alors qu’elle était déjà en couple, ou le fait qu’elle ressentait quelque chose – du moins le supposait-elle – pour la fille du feu. Elle ne savait pas non plus ce qu’elle ressentait pour Veenya, croyant avoir perçu une légère connexion.

Alaric la fixa d’un air surpris mais aussi compatissant. Ce devait être une situation plus que compliquée à gérer, lui-même n’étant pas très porté sur ce genre d’émotions, il ne pouvait pas imaginer ce qu’elle ressentait.

Talia avait l’impression que tout allait trop vite pour elle, surtout durant cette période d’adaptation.

  • Je n’ai pas su me taire, je lui ai dit ce que je pensais, fit-elle d’une toute petite voix, la tête dans les épaules.

Hildr n’avait pas réagi comme elle s’y attendait. Elle avait alors éclaté d’un grand rire, puis s’était excusée.

Et qu’elle n’avait été sa surprise lorsqu’elle avait entendu la voix de Veenya dans son dos.

Talia avait réellement eu envie de se fondre sous le plancher, de disparaître à jamais, ne voulant pas devenir une source de dispute entre les deux jeunes femmes. Elle s’était confondue en excuses, s’emmêlant dans ses paroles, le visage rouge de honte.

Veenya était alors venue poser une main rassurante sur son épaule.

  • Elle m’a dit qu’elle n’était pas en colère, qu’elle et Hildr avaient une relation un peu … différente ? Je … Je crois que je les apprécie bien toutes les deux … Oh je ne comprends plus rien, râla Talia à l’intention de son frère, plongeant son visage dans ses mains.

Veenya avait tout de même grondé Hildr d’avoir mis ce genre de pression sur leur nouvelle amie, ne faisant qu’augmenter la confusion qui régnait dans sa tête. La fille du feu avait à nouveau exprimé ses plus sincères excuses, cette fois un air soucieux sur le visage, comprenant qu’elle était peut-être allée un peu loin, un peu trop rapidement. Après tout, les deux Voyageurs n’étaient là que depuis un peu plus d’une semaine. Elle avait oublié que leur mode de vie, et les coutumes de leur monde, pouvaient être étrangers à la jeune Voyageuse.

Désirant avoir un moment, seule, pour mettre de l’ordre dans sa tête, Talia avait alors pris congé d’elles.

  • J’ai su que tu étais ici, j’avais envie de t’en parler … je crois, marmonna-t-elle, de plus en plus mal à l’aise.

Les bras de son frère autour de ses épaules la détendirent légèrement et elle fondit contre lui, poussant un grand soupir théâtral, provenant du plus profond de son âme.

  • J’avoue que ça m’a prise au dépourvu, tout ça, murmura-t-elle.
  • Qu’est-ce que tu veux en faire ?
  • Je ne sais pas … J’ai déjà trop à penser en ce moment pour me permettre de … Je ne sais pas, répéta-t-elle.

Elle se sentait puérile dans ses agissements. Elle avait déjà eu des amourettes, ce n’était pas nouveau. Mais elle n’avait jamais été très engagée dans ses sentiments, parce que, pour elle, c’était avant tout son frère et elle contre le monde. Elle savait qu’Alaric ne voulait pas qu’elle mette sa vie entre parenthèses pour s’occuper de lui, mais elle aussi, elle avait besoin de lui, de sa présence. Ils ne laissaient donc pas énormément de gens entrer dans leur carapace de survivants d’un événement tout simplement abominable.

Peut-être que ce monde pouvait lui offrir une nouvelle chance ?

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