Chapitre 15 - Anna : Après l’orage…

Octobre

Les semaines passent, je me concentre sur mes études et le sport. Je cours tous les jours, j’ai besoin d’évacuer le trop-plein de stress, histoire de m’effondrer le soir, épuisée. Et surtout, surtout ne pas rêver de Kyle.

Malgré mes efforts pour l’ignorer, mon corps, ce traître, réagit dès qu’il est à proximité et comme si ça ne suffisait pas, nous partageons quelques cours ensemble. Pourquoi cette attirance s’éternise-t-elle ? Je devrais le haïr, mais c’est loin d’être le cas.

La boxe est de l’histoire ancienne, au grand dam de mon père. Je suis frustrée d’avoir renoncé à cette activité, mais je n'ai pas le courage d’affronter Kyle au complexe, je le vois déjà suffisamment à la fac. Pour passer du temps avec mon paternel, je lui propose de venir jogger avec moi. Tous les matins, nous partons faire le tour du parc. J’affectionne particulièrement ce parcours pour son calme et son charme naturel.

En attendant mon père, je commence à m’échauffer. Une très belle journée s’annonce et j’ai bien l’intention d’en profiter. En dehors des cours, je traîne avec Lexi. Sa relation avec Jeff est de l’histoire ancienne. Elle a fini par découvrir son petit manège avec la capitaine des pom-pom girls. Je ne dis rien, mais je vois bien qu’Elijah ne la laisse pas indifférente.

Mon père, avec son rythme bien plus rapide que le mien, disparaît dans une courbe. Ma playlist sélectionne une musique de Maroon 5*, mais au lieu de l’écouter, je repense aux affiches placardées sur les murs de la fac. J’ai trouvé ça marrant au début. Plus du tout quand j’ai vu la façon dont les gens s’en sont pris à Kyle. Entre les ragots et les blagues plus stupides les unes que les autres, je n’aurais pas tenu un seul jour. S’il fait semblant de ne pas être affecté par cette histoire, sous ces airs nonchalants, il n’en est pas moins blessé, j’en suis persuadée. Je n’ai plus envie de lui faire du mal. Je ne peux pas continuer dans cette voie, ça ne me ressemble pas. Je note mentalement : appeler Lexi pour mettre les choses au clair. Publier le profil élaboré par ses soins pour faire enrager Kyle n’est plus d’actualité.

Soudain, je percute un homme de plein fouet. Deux bras musclés me retiennent, m’empêchant de tomber. Elijah m’observe, inquiet.

— J’ai essayé de te contourner, t’avais l’air ailleurs. Tu ne t’es pas fait mal au moins ?

— J’ai juste heurté un mur de béton, mais à part ça tout va bien.

Il regarde autour de lui, l'air gêné.

— Ouais, désolé. Euh… Tu es seule…

Je me pince les lèvres pour éviter de rire.

— Si tu cherches Lexi, elle est plutôt du genre tapis roulant, tu vois. Mais je peux toujours lui dire que tu cours ici. Au cas où…

— Ça serait sympa de ta part. Mais tu viens de dire, bref, elle n’aime pas courir dehors alors... Désolé, je ne suis pas très doué pour parler aux gens.

Il s’éclaircit la gorge avant d’ajouter :

— Je ferais mieux d’y aller.

Je pose une main sur son bras pour le retenir. Comme je trouve son attitude touchante, je lui donne quelques tuyaux sur sa dulcinée. Elijah m’écoute avec beaucoup d’attention et de sérieux, pour rendre la conversation plus légère, je ne peux m’empêcher de le taquiner.

— Bon, si tu veux un conseil, Lexi adore les mecs qui chantent pour elle. Ça la fait totalement craquer.

Si je ne me trompe pas, il ne va pas tarder à m’envoyer bouler. Je n’imagine pas du tout ce gars attraper un micro pour impressionner une fille.

— Si elle n’a rien de prévu, on pourrait se faire un karaoké vendredi soir, dit-il très sûr de lui.

J’écarquille les yeux, abasourdie, il prend tout au pied de la lettre !

— En fait, c’était juste pour plaisanter.

Il fronce les sourcils et me scrute d’un air inquiet.

— Tu veux dire qu’elle ne viendrait pas ?

Décontenancée, je place les mains sur mes hanches, et racle du bout de ma chaussure le gravier que je fixe un instant avant de relever la tête.

— Non, ce n’est pas ça Elijah. Disons… c’est compliqué en ce moment.

Je m’en veux d’avoir essayé de me jouer de lui, même gentiment, à ce sujet. Et je n’ai pas envie de m’immiscer dans une éventuelle histoire entre eux.

— C’était pourtant une idée sympa, mais, si c’est trop tôt… Elle et son ex... Ne te tracasse pas, je comprends. C’était cool de te revoir, salut, Anna.

D’un hochement de tête, il s’élance, reprenant son parcours. Je ne peux pas le laisser repartir comme ça, je me sens trop mal pour lui. Alors, je me mets à lui courir après.

— Elijah, attends !

Comme il se retourne, je lui lance :

— On n’a rien de prévu vendredi soir. J’en parle à Lexi, d’accord ? Ça pourrait être super !

Waouh ! Il devrait sourire plus souvent !

De nouveau seule, je joins mon amie.

— Salut, je ne suis pas disponible pour le moment, mais laissez-moi un message, je vous répondrai ou… peut-être pas… Bip.

— Lexi, si tu as deux minutes, rappelle-moi. Je viens de croiser Elijah, tu ne vas pas être déçue.

Moins de cent mètres plus tard, mon portable se met à vibrer.

— Tu as rencontré Elijah. Où ? Quand ? Il a parlé de moi ?

Je lui raconte tout en détail, deux fois… OK ! Pas la peine de chercher une autre activité pour cette soirée, Lexi trépigne littéralement de joie. Je repars, heureuse d’avoir pu aider mon amie. Je m’interromps brusquement, une image de Kyle me traverse l’esprit. Ce que je peux être bête ! Elijah ne se pointera jamais seul ! Malgré tous mes efforts pour l’éviter, je viens d’arranger une sortie avec cette espèce de dégénéré de Bolton ! Je suis furieuse, absolument hors de moi.

Encore à l’arrêt, je pose une main sur mon cœur, ses pulsations viennent d’accélérer, mais c’est impossible ! Je vérifie mon pouls qui bat la chamade… Je tape du pied. Rien à voir avec cet ahuri ! C’est juste le rythme cardiaque normal d’une sportive super entraînée. Je pousse un cri de frustration et repars en trombe, trop énervée pour contrôler mon allure.

**

Le lendemain après-midi, je suis chez les parents de Lexi, assise sur le plan de travail de la cuisine, mon amie prépare des cookies. D’un geste rapide, elle frappe sur les doigts de Mark. Depuis tout à l’heure, il grapille les pépites de chocolat.

Mark rigole de ses efforts inutiles, puis s’éloigne d’elle en posant la seule question qui me taraude depuis ma rencontre avec Elijah.

— Vous êtes sûres ? ce karaoké est une bonne idée, d’après vous ? Kyle ne va pas se gêner pour débarquer avec ses potes. En plus, je viens tout juste de rencontrer quelqu’un. Je me vois mal lui expliquer notre relation fictive, enfin, si jamais on le croise, et c’est une éventualité assez flippante dit comme ça. Donc, excuse-moi Anna, tu es vraiment une fille géniale, mais cette situation va devoir prendre fin. Ce serait bien que tu aies une conversation avec Kyle.

Lexi le regarde comme s’il était tombé sur la tête.

— Une discussion ? Rien que ça. Et pourquoi pas une offrande, pendant que tu y es ? Je vais valider ce compte, et après, il pourra toujours courir pour expliquer aux femmes qui sonneront à sa porte qu’il n’est pas le cousin de Justin machin. Je suis sur le point de les griller une bonne fois pour toutes, lui et son ego surdimensionné.

Mark soupire en secouant la tête.

— Écoute chérie, je sais que tu es en colère et d’habitude, j’approuve tes méthodes. Mais ce qu’il a raconté à Anna, et je ne prétends pas le connaître, ça ne lui ressemble pas. Je connais toutes sortes de types et dans le lot, il y en a qui seraient ravis de profiter d’une fille innocente sans lui demander son avis. Kyle n’a pas ce profil. C’est un mec réglo, il n’a jamais eu d’embrouilles avec les meufs. Bon, c’est sûr, il ne s’attache pas, mais ça ne fait pas de lui un salaud pour autant.

Lexi n’a pas l’air convaincue.

— Mariah, je ne connais pas son nom, a sous-entendu avoir des dossiers sur lui. Alors qu’est-ce que tu penses de ça ? s’écrie-t-elle en agitant sa spatule sous le nez de Mark.

— Mariah est une frustrée. Elle n’éveille pas son intérêt, alors elle sort les griffes.

Je me tourne vers Lexi.

— Tu ne seras sans doute pas d’accord avec ma décision, mais je renonce à m’en prendre à Kyle. Il me semble inutile de te rappeler combien ses mots m’ont fait terriblement mal. Je t’en demande peut-être beaucoup, mais tu pourrais essayer d’en faire autant, si ce n’est pour lui, fais-le pour moi. Et si un jour il me le demande, je lui raconterai tout, sans t’impliquer bien sûr. Je n’arrête pas de me dire… Il a eu le cran de me balancer ce qu’il attendait de moi, même si je l’ai trouvé vraiment odieux sur le moment, il ne me l’a pas fait à l’envers.

— Pff… Je ne te comprends pas. Oh et puis zut, après tout, c’est ton problème, même si j’estime qu’il ne mérite pas ta clémence.

D’un geste énervé, elle pose la spatule et commence à triturer la pâte qui lui colle aux doigts.

— Merci, Lexi. J’apprécie vraiment tout ce que tu as fait pour moi. Au fait, qu’as-tu raconté à Mariah sur Kyle, le jour où l’on cherchait son adresse ?

Elle s’essuie le front du dos de la main, y laissant des traces de farine. Instinctivement, j’essaie d’attraper le torchon pour la nettoyer, mais Mark, plus rapide que moi, s’en empare et secoue la tête, un sourire en coin.

— Tu ne devrais pas me poser ce genre de question, je t’assure, il n’y a rien à savoir.

Mark se rapproche.

— Mais au contraire, on veut être au courant de tous les détails. Balance Lexi, j’adore ton imagination diaboliquement tordue.

Il nous regarde, arborant un sourire de connivence. Mon amie lève les yeux au ciel et soupire bruyamment.

— Bon, d’accord, de toute façon, vous ne me lâcherez pas avec cette histoire. J’ai insinué qu’il t’avait chauffée toute la soirée, sans être capable de conclure. Alors pour te venger, et comme il te faisait trop pitié, tu avais l’intention de lui offrir des petites pilules bleues.

Elle se cache derrière ses mains, mais les retire tout aussi vite, de la pâte à cookies maintenant étalée sur le visage.

— Mariah a dû jubiler d’apprendre ça, elle doit se sentir beaucoup moins seule maintenant, vu qu’il n’a rien fait avec Anna !

Je rougis d’embarras. C’est vrai, il ne s’est rien passé de sérieux entre nous. Tout à coup, je me sens stupide d’avoir fait toute une histoire pour si peu ! Mark s’empare de son portable et commence à faire des photos de Lexi. Elle tente désespérément de se nettoyer tout en rageant contre sa maladresse.

Comme on éclate de rire, Mark s’éloigne du plan de travail, poursuivit par mon amie complètement hystérique.

— Tu as plutôt intérêt à effacer ça, sinon…

— Sinon quoi ? Tu vas faire ça peut-être ?

Il attrape une poignée de farine, lui la balance en pleine figure et court se réfugier derrière moi. Je n’ai pas le temps de descendre de la table que du jaune d’œuf s’étale dans mes cheveux et sur mon haut.

Une heure plus tard, le père de Lexi nous trouve assis par terre, mangeant le peu de cookies sauvés de la catastrophe, tandis qu’une odeur de brûlé s’échappe du four. La cuisine n’est plus qu’un champ de bataille poisseux, nous-mêmes sommes recouverts de toutes sortes d’ingrédients. Il nous faut plus de deux heures pour tout récurer, sous la surveillance de son paternel. Désespéré par nos fous rires, il finit même par nous donner un coup de main.

En rentrant, je me colle sous la douche. J’ai passé un moment mémorable. Évidemment, ma bonne humeur et l’excitation que je sens monter en moi n’ont rien à voir avec cette soirée karaoké, et encore moins le fait d’y croiser Kyle. Non. Absolument pas !