Chapitre 15 : Conséquences

Par Camice

Après une longue journée assourdissante au soleil passée à tirer sur des arbres et essayer quatre types d’armes à feu différentes, Maï Rose n’attendait que de revoir Ariane pour lui raconter tout ce qui s'était passé. Fatiguée de tirer, la jeune fille avait demandé au général si elle pouvait aider à ranger les armes d’entraînement à la place, l’homme en fut surpris et accepta. Nonita finit par revenir de son expédition plus d’une heure après l’apparition du chat noir, elle avait tenté de faire comme si de rien était, mais à la fin du cours, le Général Eol l’a prise à part pour la réprimander. Maï Rose s’était décidée à attendre sa camarade, c’était tout de même un peu de sa faute si elle s’était fait prendre.

Dix minutes plus tard, Nonita déboula avec tout l’agacement du monde sur le visage :

 

– Je n'arrive pas à croire que je vais me faire punir par mon propre frère !

– Ton frère ? s’étonna Maï Rose.

– Oui ! Octave : c’est le huitième de ma famille, je suis arrivée après lui. 

– Je n’aurais pas pu deviner...

 

Vous vous ressemblez tous... songea Maï Rose sans le dire à voix haute, ce n’est pas quelque chose qui se disait même s’ils avaient effectivement tous les cheveux fins et noirs et les yeux jaunes. De plus, les deux miliciens semblaient partager un écart d’âge assez conséquent.

 

– Enfin, avec un peu de chance, j’aurais juste des corvées à faire en plus ! Allez viens, toi tu dois rejoindre ta chambre !

– On a des corvées à faire ?

– Aha ! Comme tout le monde ! Laver le sol, la lessive... La journée de lavage c’est demain. Et avec un peu de chance, je pourrais vous montrer comment on s’y prend dans un château.

 

Nonita prit la marche, un petit air de fierté sur le visage. Maï Rose la suivit jusqu’à leur chambre en posant davantage de questions sur ces fameuses corvées, s’il y avait besoin de faire la lessive, elle allait brûler quelque chose avec le fer à repasser. Enfin ça, seulement si l’instrument existait aussi dans ce monde.

 

– Il y a aussi les corvées que l’on fait par groupe de chambre. On va pouvoir faire la vaisselle ensemble ! Ou la ronde de nuit ! Tu vas voir, c’est toute une expérience !

– J’ai hâte, s’en amusa la collégienne.

 

Une fois devant la porte de leur chambre, Nonita fit une petite révérence gracieuse.

 

– Voilà, je vais aller récolter ma punition, à tout à l’heure !

 

Puis la jeune fille partit sans même rentrer dans leur chambre. Pourquoi avait -elle fait tout ce chemin,  alors ? Maï Rose ne mit pas longtemps à se questionner, préférant aller vérifier à l’intérieur si Ariane était de retour. Et en effet, elle était là, à genoux par terre... En train de faire son sac ?

– On doit partir.

Ariane prenait toutes ses affaires, tout ce qui pouvait traîner, le fourra dans son sac.

– Maintenant, j’ai trouvé ce qu’on voulait savoir et il ne faut PAS que l’on reste ici !

– Quoi ? Mais qu’est ce que tu racontes Ariane ? Qu’est ce que tu as trouvé ?

Son amie ne lui répondit pas, et se contenta de fermer son sac.

– Ariane, marmonna Maï Rose en haussant la voix. Répond moi

Sa meilleure amie leva les yeux vers elle. Mais ce n’était pas n’importe quel regard, c’était celui qu’elle détestait le plus, celui qui était rempli de pitié.

– Je ne vais nulle part si tu ne m’expliques pas ce qui se passe.

– D’accord. soupira finalement la jeune fille. D’accord, mais... J’ai trouvé le miroir.

Les yeux de Maï Rose s’écarquillèrent.

– Vraiment ? Le miroir qui va nous permettre de rentrer chez nous ?

– Oui, chuchota Ariane encore plus bas. J’ai trouvé la salle, rentrons maintenant.

Le regard d’Ariane ne quittait pas le sien, elle était nerveuse et ça se sentait.

– Mais alors, on ne peut pas partir maintenant, il faut qu’on trouve un moyen d’y accéder, et rentrer à l’intérieur. Et tu vas me dire que la porte n’est pas gardée ?

Ariane perdit ses mots, elle était définitivement préoccupée par autre chose, quelque chose qu’elle ne voulait pas dire et que Maï Rose avait manqué.

 

– Qu’est ce qui s’est passé là bas ? Tu n’es pas toi-même...

– Désolée, j’ai... Je pensais qu’on allait pouvoir rentrer directement. 

– On ne va pas partir sans Aude et Liz...

 

La collégienne continuait de ranger son sac de voyage avec des gestes frénétiques, à peine réfléchis. Maï Rose s’accroupit à la hauteur de sa meilleure amie et attrapa ses mains dans les siennes, à la recherche son regard.

 

– Ariane, respire, tout va bien...

– Tu ne peux pas dire ça...

 

 Maï Rose écarta le sac de son chemin et s’assit en face d’elle. Un petit sourire sur le visage pour réconforter son amie en proie à une nouvelle crise de panique.

– On va gérer ça. Il faut qu’on fasse quelque chose avant de passer à l’action... 

– Comme ?

– Trouver à quelle heure passent les gardes, comment accéder à la pièce, trouver des clefs pour rentrer, ce genre de choses.

– Tu as raison, je.... Je ne sais pas ce qui m’a pris.

Ariane prit une grande inspiration et souffla longuement. Maï Rose profita pour enchaîner sur un sujet plus léger : 

– Sinon, qu’est ce que tu as fais de ton côté avec la générale Malijnoïé ? Maslijnoyé ? 

– Maslizhnoye... On s’est juste battu entre nous avec des épées... Ils sont forts... 

– C’est normal ! Ils s’entraînent depuis qu’ils sont nés... Et puis toi tu ne sais te battre que sur une ligne, tu faisais de l’escrime, pas du combat comme ça ! Je suis sûre que tu pourras tous les battre quand tu sauras te déplacer dans une grande surface.

– C’est vrai. lâcha Ariane en souriant. Merci Maï...

Leur repos fit de courte durée, une voix se mit à raisonner dans les couloirs.

 

– Ariane et Rose de la ville de Lomeli sont attendue en salle d’entraînement

 

Alors que son amie avait enfin réussi à se calmer, elle repartit de plus belle :

 

– Maï, tu as fait quelque chose ?

– Non ! Bien sûr que non ! On s’est juste entraînées avec Nonita !

– Rien d’autre ? Tu es sûre ?

– Il y a bien un moment où elle est partie caresser un chat et je l’ai couverte... Mais ce n’est pas si grave...

– Tu leur as menti ?

– Non ! Je n’ai juste pas dit qu’elle était partie simplement pour un chat ! 

– C’est mentir ! Il faut qu’on parte !

 

Ariane marmonne tout bas, semblant s’éparpiller à travers ses pensées.

 

– Ariane ! répéta Maï Rose sans faiblir. Ce n’est sûrement qu’un test ! On nous appelle dans la salle d’entraînement, pas dans un bureau !

– On pourrait partir maintenant, retourner dans le camps...

– Et ça ne nous avancera pas plus ! Allez Ariane ! Vient !

 

Maï Rose se leva et tira sa meilleure amie avec elle, l’entraînant debout, puis à travers les couloirs interminables du château. Ariane n’avait pas d’autre choix que de la suivre, traînant le pas à sa suite, un air anxieux sur le visage. Retrouvant avec aise la salle d’entraînement du rez-de chaussée, gardée par un milicien avec un fusil, un de ceux qu’elle avait utilisé plus tôt.

 

– Bonjour, on nous a appelé.

 

Le garde ne prit qu’un bref instant pour examiner les deux petites qui se trouvaient devant lui, avant de leur ouvrir la porte de la grande salle illuminée par le soleil de midi. A l’intérieur, Octave et Maslizhnoye se tenaient juste derrière la porte, un air grave sur le visage.

– Arriane et Rose ? Veuillez me suivre.

Sans même attendre leur réponse ou même leur adresser un regard, le milicien leur passa devant et s’engouffra dans un couloir. Les deux filles ayant à peine le temps d’y réfléchir que la générale aux oreilles de chat plaquées en arrière les toisa : 

– Allez, on a pas toute la journée, dépêchez vous.

D’un pas hésitant, les collégiennes se pressèrent à la suite du milicien impatient. Ariane avait un visage crispé, les poings serrés, elle était mortifiée. Ce n’est rien, s’ils se doutaient de quelque chose, Sofia serait aussi appelée avec nous. se rassura Maï Rose. Le chat blanc ne les lâchait pas d’une semelle, ce n’est pas comme si elles pouvaient vraiment partir maintenant.

Bientôt, le groupe s’engouffra dans la partie Est du château, celle où elles n’étaient jamais allées avant. Octave leur ouvrit une porte encastrée dans un morceau de tour, dévoilant des escaliers qui dégringolaient en colimaçon jusque dans la pénombre. La boule au ventre, Maï Rose ne pu s’empêcher de demander : 

– Où allons-nous ?

– Vous allez très vite le savoir. Descendez.

Ariane semblait perdre de plus en plus de couleur au fur et à mesure de leur descente, où il faisait graduellement de plus en plus froid, au point où elle en grelottait. Maï Rose gardait une main sur le mur, les marches en pierre n’avaient pas la même taille et plusieurs fois elle dût se retenir de dévaler le reste des escaliers sur le dos. Ces escaliers étaient interminables, elle sentit la pierre rugueuse sous ses doigts. Jusqu’à apercevoir un brin de lumière au bout. La fin du tunnel ! 

Octave, toujours en tête de l’expédition dans les profondeurs du château, arriva au bout de l’escalier et leur montra à sa gauche, ce qui ne ressemblait qu’à une statue de pierre, portant une lampe à huile.

– Ne faites pas attention à ce golem, son unique utilité est d’empêcher les prisonniers de s’enfuir.

Golem ? Prisonniers ? se perdit Maï Rose progressivement, avant de sursauter en voyant la statue de pierre poser ses orbites vides sur les nouveaux arrivants. Ce n’était qu’une statue vulgairement sculptée en un être humain, bien loin des œuvres d’art d’Athènes, ses mouvements étaient saccadés et accompagnés d’un crissement d’une pierre sur une autre. Le milicien s’engouffra dans un autre couloir dès la fin de son explication, les filles le suivant en passant au plus loin possible de la statue.

Mais, la salle où on était avant, ce n’était pas ça ? La prison ? Sur chaque côté du couloir, il y avait des cellules fermées par des barreaux noirs avec une encoche blanche à la base. Elles étaient toutes vides. Sauf une, où une silhouette était accrochée au mur par de lourdes chaînes, qui était justement la cellule vers laquelle le milicien se dirigeait, il ouvrit la porte et leur fit signe de rentrer à l’intérieur.

 

Bloquée, Maï Rose chercha ce qu’elles avaient fait pour finir ici, qu’est ce qui se passe ? Pourquoi on est là ? Ariane ne bougea pas plus, ce n’était pas comme si elle pouvait faire demi tour avec la générale et le golem qui leur barraient le chemin. D’un pas hésitant, la jeune fille se força à rentrer dans la cage, sentant Ariane la suivre de très près, sa main posée sur son épaule, prête à intervenir en cas de problème.

Devant elle se trouvait une personne accrochée au mur sombre craquelé par des chaînes noires. La tête de la prisonnière était baissée sur le sol, elle ne semblait pas blessée, mais bien mal au point, ce qui était étrange, c’est qu’elle portait un uniforme similaire au leur, en plus débraillé. Aussi étonnant que la taille de la personne, qui semblait à peine plus grande qu’elle. Maï Rose fut frappée par une réalisation alarmante :

 

Nonita. C’était Nonita qui la regardait avec supplication, le visage couvert de larmes.

 

Bien loin de s’en préoccuper, Octave passa en revue les documents qui était posés sur une table du cachot :

– Nonita a été aperçue ce matin, comme bien d’autres, en train de converser avec un chat métamorphe. 

– Je ne savais pas que c’était une personne ! coupa la jeune fille, désespérée. Je croyais que c’était simplement un chat qui avait la capacité de parler ! J’aurais jamais cru que-

– Ce chat, faisait partie de la Résistance, ils ont pu obtenir des informations parce que Nonita ne sait pas réfléchir.

– Je suis désolée ! Je ne recommencerais pas ! continua -t- elle de clamer.

Octave dégaina une arme de sa ceinture et l’admira un instant, avant de changer le chargeur de l’arme, statuant calmement : 

– Et c’est pour cela qu’elle doit être punie en conséquence.

Un vent glacial vint lui souffler sur la nuque.

– Mais- Mais pourquoi nous ? Qu’est ce qu’on fait là ? demanda la jeune collégienne sans attendre.

– De ce que l’on m’a rapporté, c’est toi, qui a tenté de couvrir les méfaits de Nonita en la laissant partir dans les bois pendant plus d’une heure seule.

– Mais je ne savais pas ce qu’elle faisait ! Je ne suis arrivée qu’hier ! s’exclama Maï Rose, son cœur battant si fort qu’il était sur le point d’exploser.

– Justement. continua calmement le milicien. Vous venez de nulle part, sans papiers toutes les trois et, vous vous enrôlez, sans questions, sans chercher pourquoi vous le faites, sans questionner vos supérieurs sur vos occupations. Et avec un timing parfait aussi.

Octave laissa échapper un petit rire en faisant un signe à la générale. 

– Mais tu as du potentiel, le général Eol t’apprécie, bien que tu n’ai passé qu’un seul jour à t’entraîner ici. Alors je te donne le bénéfice du doute

Le milicien plaça une des armes à feu avec laquelle Maï Rose s’était entraînée le matin même dans ses mains. Il lui murmura à l’oreille :

– Pour prouver ta loyauté, tu dois lui faire payer les conséquences de ses actes. Elle trahit le pays, elle mérite la mort. Ce n’est que rendre justice.

La jeune fille sentit ses jambes défaillir, l’arme bien trop lourde dans ses mains.

– J-je ne peux pas. balbutia la collégienne. Nonita ne voulait pas- Elle est désolée et ça se voit, on ne peut pas en rester là ?

– Non. répondit sèchement le milicien. 

Sa respiration s’affola à ses paroles, sentant son corps se crisper de douleur. Non, non, non, je ne veux pas faire ça, je ne veux pas, non-

– Je peux le faire.

Ariane glissa sa main le long de son bras pour récupérer son arme. Maï Rose ne savait pas si elle devait la remercier ou s’effondrer.

– Non.

Cette fois, c’était la générale Maslizhnoye qui avait parlé, son épée dégainée et pointée vers la gorge d’Ariane.

– La blonde reste là, ne bouge pas. Au moindre mouvement suspect, elle perd un bras.

Tous les regards étaient plantés sur Maï Rose, Ariane n’osait même plus bouger, ne gardant que sa main crispée sur son épaule, son regard traduisant toute la détresse qu’elle ressentait.

Pourquoi, pourquoi- se lamenta la jeune fille, les larmes aux yeux. Je ne peux pas faire ça- C’est juste une enfant- Comme nous- 

– Dépêche-toi, gronda Maslizhnoye. À moins que tu préfères qu’il n’arrive quelque chose à ta chère amie ?

Maï Rose pointa son arme vers la fille tremblante à peine plus jeune qu’elle.

– Je t’en supplie- Octave- Octave s’il te plaît- C’est un malentendu- supplia Nonita qui sanglotait entre chaque mot.

 

Maï Rose aurait voulu être sourde, pour ne pas entendre ses pleurs.

 

Maï Rose aurait voulu être aveugle, pour ne pas voir son visage défiguré par la peur.

 

Maï Rose aurait voulu être sans cœur, pour ne pas vouloir vomir de commettre un acte aussi atroce.

 

Maï Rose aurait voulu être morte, pour ne pas avoir à tirer sur Nonita.

 

Au contact de son doigt sur la détente, Maï Rose ferma les yeux au plus fort qu’elle puisse.

Le tir envoya valser ses bras avec force, perdant l’équilibre un bref instant. 

L’odeur de la poudre et l’éclat de la balle lui brouilla les sens alors qu’un son affreusement aiguë perça ses oreilles allant de l’une à l’autre, l’empêchant d’entendre la voix d’Ariane qui avait saisit son poignet.

– Rose !

 

_ _ _

 

– Maï Rose, s’il te plaît, regarde moi...

Quoi ?

Maï Rose releva la tête et fixa Ariane avec incrédulité, cette dernière tenant sa main avec douceur. Elles étaient de retour dans leur chambre, rien que toutes les deux. En jetant un coup d'œil à la fenêtre, elle aperçut le ciel rougit, orné de quelques nuages paisibles. Je me suis endormie ...? Mais-

 

– Qu’est ce qu’il s’est passé, Ariane ? s’affola Maï Rose en prenant la main de son amie avec les deux siennes. On était dans le sous-sol avec Nonita, et Octave, et on m’a donné un pistolet...?

 

Pendant un instant, sa meilleure amie la regarda avec un air peiné, elle serra les lèvres mais les mots ne sortaient pas. Son regard se détourna pour se poser sur son sac déjà tout prêt du matin.

– C’était une balle à blanc. Il ne s’est rien passé, c’était juste un test.

Son cœur s’arrêta de battre pendant un bref instant. Un test ?

– Tu l’as passé avec succès...

– Vraiment ? Nonita va bien ?

– Elle va bien, elle m’a dit qu’elle devait faire des corvées, alors elle ne sera pas avec nous cette nuit...

Ariane lui esquissa un sourire, son visage plus détendu. Mais est ce que c’est vraiment ce qui s’est passé ? songea anxieusement Maï Rose.

– Tu ne me mentirais pas Ariane, pas vrai ? s’inquit la jeune fille, le cœur serré.

Son amie soutint son regard, sans fléchir.

– Non. Je ne te mens pas, Maï. Crois moi. 

Un soupir de soulagement s’échappa, et elle sentit sa poitrine s’alléger. 

– Merci Ariane d’être honnête avec moi.

– Toujours... murmura la jeune fille. Mais, cela signifie qu’ils ont des soupçons sur nous. 

– Mais si j’ai réussi le test, on aura pas de problème, non ?

– Qui dit que c’était le seul ? Il y en a peut être d'autres, et qui seront peut être réels. Ils pourront nous demander de tuer les gens de la Résistance...

 

Son cœur se serra, elle avait raison. Et si la prochaine personne enchaînée dans ce cachot était Liz ? Eleo ? Ou Ariane ? Ce ne serait plus un test, mais une exécution qu’elle devra performer au risque de se retrouver de l’autre côté.

 

– On part ce soir.

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