TOUT EVENEMENT, REPRIT LA VOIX, EST UN TRANSFERT D’ENERGIE
SOIT QU’IL EN NECESSITE, SOIT QU’IL EN DEGAGE
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Diane émergea dans une petite pièce chichement éclairée par une fenêtre à barreaux, l’équilibre incertain et le cœur au bord des lèvres. Un égy encapuchonné attendait, et la salua brièvement alors que Moebius sortait à son tour du passage.
Son ami prit congé sans plus de formalité, la laissant seule avec son guide et sa migraine, amplifiée par le bourdonnement magique du tunnel derrière elle. Diane carra les épaules pour se donner du courage et regarda autour d’elle. Une penderie prenait toute la faible largeur de la pièce, et, à l’opposé, un lit occupait l’autre mur. Son accompagnateur s’avérait peut-être, finalement, un chaperon, ou pire, un geôlier.
— Mademoiselle devra rester ici jusqu’à ce qu’une décision soit arrêtée, lui expliqua l’homme une fois le tunnel clos, et le silence revenu. Quelqu’un monte la garde dehors en permanence, vous n’avez qu’à demander si vous avez besoin de quelque chose. On viendra vous chercher quand les doyens seront prêts à vous recevoir.
L’égy quitta la pièce à son tour, et la porte se referma sur lui dans un claquement sec. Diane se laissa choir sur le lit et se massa les tempes. La confrérie jouait la carte de la déstabilisation. Elle saurait faire preuve de patience. Sans cette insupportable migraine, elle aurait même trouvé la situation cocasse. Après toutes ces années à chercher une entrée, elle venait de se transporter magiquement à l’intérieur de la confrérie.
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Au bout d’un moment, les pulsations dans ses tempes se calmèrent légèrement. Elle ouvrit les yeux et se leva avec un soupir. Dans la penderie patientaient quelques huipils et jupes hors d’âge, mais propres. Les doyens avaient manifestement prévu qu’elle reste là un moment.
La petite fenêtre, haute sur le mur, même de son point de vue, donnait sur une cour intérieure. Elle s’arc-bouta en grognant sur le lit pour le rapprocher du regard, et s’y mit debout. Le peu d’air qui effleura ses joues apportait les touches familières de pierre chaude sous la pluie, d’humus et d’encens. Derrière les échafaudages de l’aile en reconstruction, une statue du toit du temple du jour se découpait sur des nuages gris orangé. Elle devait loger au quatrième étage, mais sans certitude.
On frappa à la porte.
— Entrez, dit-elle en sautant du lit, parée de son expression le plus digne.
Un jeune garçon brun se glissa dans la pièce, abandonna un plateau de nourriture à même le sol pourtant poussiéreux et ressortit sans prononcer un mot. Diane en resta interloquée, avant d’être ramenée au présent par une odeur familièrement désagréable. Sur la planche à ses pieds, à côté de divers bols de légumes que seul son ventre vide trouvait appétissants, se situait une tasse d’infusion.
Diane récupéra le plat de service et le posa sur le lit. La boisson, toujours aussi peu ragoûtante, la réchauffa cependant de l’espoir de se sentir mieux. Et quelqu’un, peut-être par pitié pour son palais, avait jugé bon de rajouter quelque chose de sucré et fleuri, certainement du miel. Elle grignota le contenu des bols directement avec les doigts, et termina presque à tâtons, la faible lumière de l’extérieur ne permettant plus de distinguer les poivrons des ochas.
Dans sa poche, la petite veilleuse la tenta, mais Diane se retint de l’allumer, par peur de se la voir confisquer. Par curiosité, elle s’approcha de la porte et y plaqua l’oreille. Rien. Elle cherchait le bord du lit pour se rasseoir lorsque le battant s’ouvrit, cette fois sans même que quelqu’un se soit annoncé, l’obligeant à se détourner du rectangle aveuglant. Un autre garçon à peine pubère rentra prendre son plateau.
— Puis-je avoir…
Le novice courut presque pour sortir. Diane pinça les lèvres, et retourna à l’huis, où elle tambourina.
— J’exige qu’on m’apporte de la lumière ! brailla-t-elle.
Les yeux grands ouverts malgré l’obscurité, elle tendit l’oreille vers la porte. Toujours rien. Si les doyens pensaient lui faire peur, c’était raté, elle aimait bien la nuit. En revanche, ils allaient parvenir à l’agacer sérieusement.
La porte se rouvrit, et une ombre manifestement plus adulte que les autres lui confia silencieusement une lampe à huile allumée.
— Bien, grommela-t-elle sans intention de remercier l’égy. Maintenant, j’ai besoin des commodités.
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Diane se redressa en sursaut sur le petit lit trop court et grinçant, et secoua la tête pour elle-même. Pourquoi la voix insistait-elle autant sur les transferts d’énergie en ce moment ? Un lien avec sa magie incontrôlée semblait évident, mais lequel ?
Elle tâtonna un instant dans le noir avant de parvenir à trouver, puis rallumer, la lampe à huile. Quelle heure pouvait-il bien être ? Une impression de fraîcheur désagréable chassa le sommeil. Laissant la lampe posée sur le sol près du lit, Diane se leva et tourna en rond dans la petite chambre.
Compte tenu des difficultés qu’elle avait causées aux novices pendant longtemps, les doyens risquaient de se montrer durs dans la négociation. Que devrait-elle leur dire pour rentrer dans leurs bonnes grâces ? Qu’était-elle prête à donner en échange de leur protection ? Seraient-ils disposés à répondre à ses interrogations sur la magie ? Sur la voix ? Moebius était-il parvenu à déposer Augustin en sécurité ?
Sa gorge se serra. Certes, il n’était plus en danger de mort pour l’instant. Mais il venait de perdre ses parents, et elle avait espéré pouvoir le soutenir dans cette épreuve. Au lien de cela, elle l’avait confié à une inconnue et ne pourrait le revoir avant peut-être plusieurs semaines.
Elle se rassit sur le lit, qui crissa étrangement. Entre les draps se trouvait un morceau de papier tout chiffonné. Diane le tourna entre ses doigts. Sur une face, un petit personnage avec un jouet en main souriait. Moebius lui indiquait que Augustin allait bien. Quelque peu rassérénée, elle glissa les jambes sous les draps en reniflant et se replia pour tenir sur la couche.
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Un cognement répété à la porte la tira de sa contemplation du plafond qui virait du gris foncé au brun rouge depuis un temps impossible à quantifier. Un jeune novice aux yeux allongés lui déposa un plateau et s’enfuit en silence comme le précédent lorsqu’elle tenta de lui adresser la parole.
— Amenez-moi de l’eau pour ma toilette ! cria-t-elle comme s’il n’y avait rien de plus normal que de vagir grossièrement.
Le temps que la porte s’ouvre sur le novice qui revenait avec une bassine d’eau, Diane avait mangé ses fruits, et terminait de tresser ses cheveux, sales, mais fort heureusement pas trop emmêlés, après avoir enfilé des vêtements propres, en pestant contre la longueur de la jupe qui révélait ses chevilles telle une simple domestique.
Une fois propre, et une astuce trouvée pour descendre la jupe de la largeur d’une main en la nouant bien trop bas sur les hanches, où le huipil couvrait la supercherie, elle se rassit sur le lit pour terminer le cacao servi trop sucré. À la place des doyens, elle se serait fait convoquer au lever du soleil pour profiter de la surprise, ou beaucoup plus tard, la nuit suivante peut-être, pour jouer sur l’impatience et la nervosité.
Diane sortit son carnet à dessin et entreprit d’esquisser la pièce. Elle ne leur laisserait ni l’un ni l’autre.
— Préparez-vous ! brailla quelqu’un dans le couloir. Les doyens vont vous recevoir !
Elle reposa son carnet sur le lit et se leva en rassemblant ses idées. Position de faiblesse, humilité, oui. Moebius et Augustin, non. Elle frappa à la porte.
— Nous pouvons y aller.
— Parfait, dit un petit homme grisonnant en la saluant poliment. Je suis le doyen Yonos. Si vous voulez bien me suivre, Mademoiselle.
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Diane se laissa guider dans les couloirs au rythme plutôt lent de la démarche boiteuse de l’aîné. Derrière marchait un autre vieil égy qui marmonnait tout seul, manifestement agacé par quelque chose. À part ses deux gardiens, les couloirs restaient curieusement vides et silencieux. Ravalant ses questions, Diane monta une volée de marches couvertes d’une grossière toile grise qui étouffait le bruit de ses pas et entra dans un petit vestibule.
Sans attendre, le vieux doyen poussa une seconde porte et lui fit signe de le suivre. Diane baissa la tête pour passer le linteau de pierre et pénétra dans une large pièce. Le long des murs couraient des bibliothèques et des écritoires, et au milieu trônait une large banquette rouge sang. Entre deux immenses fenêtres occultées par d’épais rideaux, une fresque verticale reliait le sol couvert de nattes et le plafond de pierre noire, coupant le mur en trois sections représentant les trois niveaux du monde.
Deux autres hommes grisonnants vêtus de noir se levèrent des nattes où ils étudiaient des documents. L’un des deux lui était familier, c’était celui qui représentait la confrérie à la cour. Diane surprit un échange de regards entre son guide tout sourire et les deux autres, dont le froncement de sourcils ne pouvait découler d’une simple surprise.
Quelque chose se tramait sous ses yeux sans qu’elle en saisisse les enjeux, si ce n’est que ces enjeux la concernaient. Et le picotement dans ses doigts, devenu avec les années familier, s’était tu depuis l’incident magique dans ses appartements.
— Je vous en prie, l’enjoint Yonos, prenez place.
Diane s’assit noblement sur le coin le plus proche de la banquette et accepta la tasse malodorante que lui tendait un jeune vêtu de gris, non sans une petite grimace.
— Nous avons lu votre message, lança l’un des doyens aux visages fermés.
— Zaccharia, enfin ! intervint Yonos avec un sourire assez mielleux. Tu pourrais quand même te présenter et dire bonjour. Mademoiselle, je vous présente deux autres de nos cinq doyens : Zaccharia, et Yvan.
Le visage de celui désigné sous le nom de Zaccharia, dont les traits suggéraient une origine plus ou moins urussi comme Moebius, se crispa encore davantage.
— Pardonnez mes confrères, continua Yonos. Votre demande nous prend de cours, et comme beaucoup de surprises, elle suscite de prime abord de la méfiance et des réticences. Je vais mettre des mots sur leurs a priori. Pourquoi cette demande ? Pourquoi ne pas simplement rentrer chez vous ? Sûrement votre frère ne vous ferait pas sacrifier alors qu’il peut avantageusement vous marier à l’un de ses soutiens.
Diane grinça des dents. Elle s’était attendue à ces remarques, mais les mots prononcés rendaient comme réels la perspective de passer du statut de cactus d’ornement à ventre sur sandales, ce qui lui donnait de l’urticaire.
— Messieurs, demanda-t-elle en retour, si l’un de vos confrères ici présents tuait son voisin par ambition, accepteriez-vous de lui obéir ?
Le troisième doyen, Yvan, un large d’épaules avec un morceau d’oreille en moins, toussa violemment.
— Absolument pas, effectivement, opina Yonos en ignorant son grossier confrère.
— Savez-vous où est votre neveu ? demanda Zaccharia en appuyant ses coudes sur ses genoux.
Diane soutint son regard. Cette question aussi, elle l’avait attendue.
— Il n’est pas arrivé au palais ? s’enquit-elle sans devoir simuler son inquiétude.
— Quand vous avez rédigé votre lettre, saviez-vous que Son Altesse nous accuse du meurtre du prince hériter et de sa femme ? railla Yvan sans répondre à sa question. Vous comprendrez que vous tombez mal.
En face d’elle, toujours penché en avant, Zaccharia sourit méchamment.
— En toute transparence, je l’ignorais, admit-elle pour gagner du temps de réflexion.
Elle ne voyait pas le problème, au contraire. Tant qu’elle demeurait ici, les doyens auraient une carte à jouer, ils pourraient négocier une levée des accusations contre la confrérie, en échange de la remise à Cyrill de son aînée enchaînée. Soit Yvan et Zaccharia se jouaient d’elle, soit ils n’avaient pas le moindre sens diplomatique. Peut-être même que, assis sur leurs siècles de traditions et d’habitudes, ils rechignaient à l’aider parce que, selon eux et malgré la présence d’une preuve contraire, les magiciennes n’existaient plus. Mais les mettre face à ces contradictions risquait de les braquer encore davantage. Plutôt leur servir de domestique, si telle était leur condition, que d’être livrée à Cyrill. Temporairement bien entendu. Elle opta pour un geste de soutien.
— Je ne suis pas surprise, reprit-elle. Que mon frère vous accuse, cela me semble en adéquation avec ses habitudes. Vous ne devriez pas avoir de mal à prouver que vous n’êtes pas impliqués.
— C’est plus compliqué que cela… commença Yonos. L’innocence ne se démontre pas par l’absence de preuve de culpabilité. Votre frère argue que nous avons tout à fait pu faire disparaître les mandats.
Diane fronça les sourcils. Tout ceci lui rappelait un autre décès tout aussi anormal qu’inattribué...
— Vous y êtes pourtant parvenus, pour la mort de ma mère.
Les trois doyens s’agitèrent.
— C’est moi qui l’ai soignée, votre mère, après son empoisonnement, grommela Zaccharia. J’y ai cru pendant trois jours. Pensez-vous que j’aurai passé trois nuits au chevet de quelqu’un qu’on aurait nous-même empoisonné ?
— La situation était différente alors, Mademoiselle, dit Yonos calmement. Votre père avait une totale confiance en nous. Aujourd’hui, votre frère veut notre disparition depuis qu’il a l’âge de dessiner son nom, et les coïncidences douteuses s’enchaînent. Pas plus tard que ce matin, nous avons reçu une grosse livraison de kerrium de contrebande d’un expéditeur inconnu. Comme si quelqu’un avait souhaité faire croire qu’il nous payait.
— Et moi j’ai toujours été votre admiratrice, parfois trop d’ailleurs. Si Augustin prend le pouvoir, c’est moi qui prendrai la régence. Aidez-moi. Je saurai m’en souvenir.
Et s’ils la livraient à Cyrill, elle s’empresserait de lui dire qu’elle possédait le don d’apprendre la magie, et par conséquent que la confrérie leur mentait à ce sujet depuis des siècles. Elle voyait déjà son air satisfait d’avoir une carte en plus dans sa manche.
— Nous allons convoquer un conseil… opina Yonos alors qu’Yvan s’étouffait à nouveau. — Je vous raccompagne ! lança Zaccharia précipitamment en se levant. Nous allons étudier votre demande. Entre nous.
Diane referma la bouche avec plus de questions que de réponses et obtempéra, l’estomac lourd. Zaccharia la poussa presque dehors.
— À droite, ordonna-t-il dès qu’ils eurent atteint le palier.
Détournant à regret les yeux de l’escalier par lequel elle était arrivée, Diane ravala ses questions et précéda le doyen dans un second qui descendait à pic. La dynamique entre les trois hommes n’augurait rien de bon, mais le rythme imposé par l’homme derrière elle l’empêchait de réfléchir. En quelques minutes, ils traversèrent plusieurs couloirs, descendirent encore d’un étage, puis la porte d’une autre petite pièce fut claquée derrière elle.
À tâtons, elle fit le tour des murs sans fenêtre, et buta dans ses affaires presque avec soulagement. La petite veilleuse éclaira sommairement l’espace dépourvu de lit ou de placard. Dans le coin où elle était, près de sa robe roulée sans merci, se trouvaient une natte et une jarre d’eau.
Diane ôta ses sandales et s’assit sur la natte, les genoux sous le menton. Le nœud dans son ventre persistait. Yonos montrait le plus d’ouverture, mais les deux autres semblaient contre lui. L’avait-on changée de prison pour l’éloigner du seul doyen qui soutenait sa demande ?
Moebius leur faisait confiance, mais jusqu’à quel point ? Et, pour ajouter un crâne à la corde, Yonos avait clairement sous-entendu que, contrairement à ce qu’on lui avait dit, aucune preuve ne disculpait la confrérie de la mort de sa mère.
Elle se mordilla un ongle. Et pourquoi, depuis son incident magique, ne ressentait-elle plus aucun fourmillement ?
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La porte s’ouvrit en grinçant alors qu’elle faisait les cent pas en frottant du pouce le coin de l’ongle qu’elle avait blessé à force de mordiller. Un novice silencieux posa un plateau empestant la tisane et referma la porte.
Diane se rassit sur la natte face au plateau. Elle n’avait pas avancé dans ses réflexions. Les doyens n’avaient même pas pris la peine de lui dire quand aurait lieu le conseil, s’il avait lieu, et si elle serait sommée d’y prendre la parole. Son seul progrès, c’était d’avoir déplacé la robe couverte de vomissures et découvert la lampe, ce qui lui avait permis de cacher à nouveau sa veilleuse.
Elle inspecta le contenu du plateau, incapable de s’imaginer manger quoi que ce soit. Cette confrérie, elle l’avait complètement idéalisée. De l’intérieur, la réalité décevait, voir inquiétait. Moebius devait savoir qu’elle ne serait pas reçue avec faste, mais était-il au courant qu’elle se verrait même privée de lumière du jour ?
Diane se mordilla pensivement la lèvre. Difficile à envisager. Le décalage entre ce qu’elle avait saisi de lui aux cénotes, et l’impression donnée ici par ses confrères frappait. Elle peinait à croire qu’il se sente à l’aise ici. Était-ce la raison pour laquelle il prétendait être un mauvais égy ? Peut-être n’était-ce pas de la modestie, comme elle l’avait cru.
Elle prit le pain du plateau et se releva. Il lui fallait prévoir ses paroles pour le conseil, si on la faisait chercher pour y participer.
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L’attente devenait insupportable. Elle demanda à sortir se soulager, mais l’apprenti qui l’accompagna resta muet comme une tombe. À son retour, on lui avait déposé un autre plateau repas. Elle n’avait pas faim, mais se força à manger le contenu des bols. Si on l’appelait pour le conseil, elle aurait besoin de forces. Elle soupira et se cala, le dos contre le mur, les genoux entre les bras.
Entre deux intervalles de piétinements entre le placard et le mur, elle s’asseyait avec son carnet de croquis. Puis finissait par le jeter par terre de dépit. Sa main tremblait, son trait hésitait. Elle était incapable de se souvenir ni des yeux d’Augustin ni du sourire de Maria.
Quelle heure était-il ? Diane déglutit. Moebius assistait-il au conseil lui ? Elle se sentait encore plus dépossédée de ses choix que lorsqu’on lui accordait à peine le droit de choisir la robe bleue ou la blanche pour la visite d’un noble étranger. Elle se remit à tourner en rond. Le coin de l’ongle de son pouce saignait tellement elle l’avait abîmé. Elle devait faire confiance à Moebius. C’était son idée. Il devait savoir ce qu’il faisait.
On frappa à sa porte. Elle se retourna en retenant sa respiration. Un garçon lui posa un autre plateau repas et ressortit précipitamment en silence.
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Un changement dans l’air la surprit. Comme si un orage couvait, même si en l’absence de fenêtre il était impossible de vérifier son impression. Elle se boucha le nez d’une main et souffla pour tenter de libérer ses tympans, mais elle n’entendait toujours rien.
— Surtout, continuez à manger, souffla Moebius, invisible.
Diane déglutit et se força à garder la tête immobile.
— Diane, je suis navré, mais le conseil ne penche pas en votre faveur.
Ses mains se mirent à trembler. Elle piqua un autre morceau de carotte sur sa fourchette et le mâcha lentement.
— Vont-ils me livrer à Cyrill ? murmura-t-elle, en reprenant des légumes.
— Ce n’est pas clair. Le quorum n’était pas atteint, il y aura un autre vote demain matin. Mais le débat a dévié. Certains aimeraient vous garder pour se servir de vous. S’ils vous permettent de rester, j’ai peur que vous ne soyez jamais autorisée à repartir. Et je suis incapable de dire jusqu’où leur inhabituelle curiosité pour vos capacités peut aller.
Diane avala son légume avec difficulté.
— Vous aviez l’air si confiant…
— Je suis confus… poursuivit Moebius d’une voix aigre. Je pensais vraiment vous aider. Je sais que j’ai tendance à être naïf, mais je ne m’attendais pas à cela. Vous ne devez pas rester. Je vais vous aider à fuir. Vous allez finir votre repas normalement, puis vous attendrez la relève du novice et vous demanderez à aller aux latrines. Je vous expliquerai la suite une fois hors d’ici.
L’air reprit sa consistance habituelle.
Diane tremblait. Elle fit un effort pour ne pas lever la tête, finir son repas sans hâte, puis elle posa le plateau vide sur la table de chevet. Un novice entra le récupérer et sortit de la pièce, le pas lourd. Elle attendit que les pas du garçonnet s’éloignent dans le couloir et que le silence revienne, puis attendit encore. Et encore.
Elle mit sa veilleuse et son carnet à dessin dans une poche et frappa.
Un apprenti l’accompagna dans le corridor. Lorsqu’ils arrivèrent au seuil des sanitaires, le jeune homme se figea sur place devant elle.
Diane fouilla l’obscurité du regard brièvement, puis fit le tour du garçon toujours immobile.
— Ne le touchez pas, souffla Moebius.
L’apprenti fit demi-tour d’un pas leste. Moebius apparut et la tira vers un recoin encore plus sombre que le reste du couloir.
— Le garçon…
— Il va reprendre son poste en étant persuadé de vous avoir ramenée. Mettez ça et ne l’enlevez sous aucun prétexte.
Elle endossa le lourd manteau noir avec une grande capuche que Moebius lui tendait. Puis il lui passa le faucon autour du cou.
— Suivez-moi, ne dites rien, dit-il.
— Augustin…
— … ne risque rien ici. J’ai dit silence.
Diane pinça les lèvres, mais obéit. L’air autour d’elle se fit de nouveau lourd, et se mit presque à vibrer légèrement. Moebius jeta un œil par une porte entrouverte, puis l’entraîna dans un autre couloir. Elle trottina derrière lui, tentant de s’aligner sur son rythme, sans distinguer clairement les contours des murs et objets autour d’elle. Lorsqu’ils atteignirent l’extérieur, un courant d’air lui tira un frisson. Ils étaient dans une petite cour de service, sous un porche.
— Nous allons sortir de la citadelle. Gardez la tête baissée. J’ai un ancien maître qui s’est retiré dans les montagnes. Il ne fait plus partie de la confrérie. Il vous aidera à apprendre la magie.
Diane fronça les sourcils. Moebius n’avait pas de sac.
— Vous ne venez pas ?!
Le silence de Moebius la fit reculer d’un pas.
— Moebius !
— Shhhh. Je ne peux pas partir, Diane.
— Vous ne pouvez pas, ou vous ne voulez pas ? assena-t-elle.
— C’est moi qui ai eu l’idée de vous faire entrer ici. Je pensais que c’était une bonne idée. J’ai eu tort. Maintenant, je vous aide à fuir.
Après avoir afflué dans ses joues, le sang disparut du visage de Diane.
— Et comment suis-je censée me rendre dans les montagnes ?
— Un ami. Tobias. Il va vous y emmener.
Elle tenta de soutenir son regard, la mâchoire tremblante, mais avec sa capuche impossible.
— Pourquoi ? Pourquoi restez-vous ?
— Il faut que je rentre, sinon votre disparition sera découverte immédiatement.
— Vous vous cherchez des excuses !
— Je suis un égy, Diane ! Que croyiez-vous ? Ma vie est ici. Je n’ai que ça. Et la situation de la confrérie est compliquée en ce moment…
La gifle partit toute seule.
— J’espère que vous êtes meilleur assassin qu’ami, Moebius.
Cela fait plaisir de retrouver Diane après autant d'absence ^^
La structure narrative faisant qu'on a déjà vu le conseil avant que Diane parle avec les doyens diminue un peu la tension narrative, et donne moins l'impression de faire avancer l'histoire, c'est un peu dommage car le dialogue et les réflexions de Diane sont très intéressantes. (il faudrait peut-être couper un peu plus les chapitres pour les réorganiser ? Je ne sais pas ^^')
Je suis content de voir que Diane ne se laisse pas marcher sur les pieds, par contre la façon dont la traite les doyens est affreuse. On comprend bien qu'ils sont mesquins et loin d'être aussi sage qu'ils le prétendent, mais ils n'essayent clairement pas de s'en faire une alliée. C'est un poil étonnant considérant son rang (bon ok c'est des gros sexistes) et que le seul grief connu qu'ils aient contre elle soit le fait qu'elle pourchassait les novices (c'est tout de même pas si affreux ^^)
La révélation sur la mère de Diane est super intrigante, je suis très curieux d'en apprendre plus !
L'évasion est plutôt chouette, Moebius montre qu'il est plus doué qu'il n'a confiance en lui :P par contre le faible niveau de sécurité pour un endroit où ils semblent tous prêt à se battre entre eux peut paraitre un peu étonnant (mais pas très grave, surtout qu'ils ont l'air un peu nul dans cette école ^^')
J'étais pas prêt pour la gifle, mais elle est très mérité. La réplique de Diane après est très chouette.
Seule petite curiosité, même en cherchant sur internet, je n'arrive pas savoir quel vêtement est un "faucon" (dans ma tête une écharpe, mais j'en suis pas sûr du tout).
À bientôt et bravo !
Merci pour ton retour!
Le découpage des chapitres est particulièrement rude sur cette structure, mais effectivement je vais devoir réfléchir à faire en sorte qu'on ait pas son audience après le conseil.
Pour le "faucon" ce doit être une erreur ou une correction trop rapide un soir de grosse fatigue... je vais regarder et corriger.
Pour le défaut de sécurité, il y a une partie de justification dans les prochains chapitres, mais si l'impression persiste trop, dis le moi je me ferai un post-it pour la prochaine réécriture.
Contente que la fin te plaise ^^ je suis perso pas persuadée que ce pauvre Moebius le mérite, des fois Diane elle est un peu excessive...
A propos de ça, je trouve que ton travail sur les expressions dans le contexte pré-colombien est bien sympa, ainsi que sur l'univers, ici l'histoire des crânes sur les cordes, les fresques concernant les trois niveaux du monde etc.
C'est bien utilisé sans être là pour de la simple exposition ou soutenu par des explications à rallonge.
Bon Diane est vraiment la terreur des Egy, alors que Moebius se la joue jedi à manipuler les souvenirs du novice!
Et le gars, même si ça n'aurait peut être pas empêché de se prendre une baffe, il oublie le bon argument pour le fait de rester en arrière, il peut avoir un oeil sur Augustin pendant qu'elle s'exile!
Par ailleurs, Diane a quand même une belle empathie pour envisager rapidement que Moebius cadre mal dans la confrérie et que ça peut être la raison qui fait qu'il se considère mauvais dans son job! Stratège et capable de se mettre du point de vue des autres... Allez! je vote pour elle aux prochaines présidentielles! Ah merde ça ne marche pas comme ça...
Bon pour finir mon commentaire nocturne, voici quelques coquilles que j'ai repéré :
"les pulsations dans ses temps se calmèrent légèrement." => Tempes
"la faible de l’extérieur ne permettant plus de distinguer les poivrons des ochas." => Faible lumière venant
"ni des yeux d’Augustin ni du sourire de Marie." => Ne serait-ce pas 'Maria' ici?
"L’air d’elle se fit de nouveau lourd" => l'air autour d'elle
"Vous venez pas ?" => Ça pourrait marcher mais vu le rang de Diane je ne sais pas si elle louperait la négation 'vous ne venez pas?'. Après elle panique un peu là
Merci pour tous ces beaux compliments :) Oui Diane est vraiment fine et stratège (parfois un peu trop pour son propre bien... la limite entre stratégie et manipulation est assez faible pour elle, elle en a déjà fait la démonstration)
Je suis partie du principe que dans le cerveau, tout se passe aussi à coups de réactions chimiques, et d'échanges d'électrons... du coup oui on peut bidouiller avec ^^ Mais ça reste rare parce que ça nécessite d'être patient et précis (si tu crames les neurones de l'autre c'est raté). Et autant Moebius est pas du tout fan des effusions de sang, autant patience et précision c'est son truc)
Et pour le moment où Diane lâche ses nerfs sur le pauvre Moebius, en fait c'est aussi qu'elle se sent naïve d'avoir espéré qu'il ne la lâche pas (il n'y a plus grand monde en qui avoir confiance pour elle). Et Moebius, ça ne spoile pas trop je pense de dire qu'il n'a jamais envisagé de mettre les voiles...
Et merci pour les coquilles, j'ai passé des heures sur Antidote mais il y en a toujours pour passer inaperçues (snif)
A bientôt pour la fin du chapitre, maintenant que j'ai réussi à me relancer ça ne devrait pas trop tarder.
J'ai l'impression que son ami Louise est plutôt dans l'autre branche!
Les envies de l'un et l'autre sont compréhensibles même si ça crée automatiquement des tensions.
Bien content de ta relance et si j'y ai contribué, j'en suis pas peu fier!