Chapitre 15 : il faut fuir

Par Drak

Rapport d’incident :

Nous avons repéré un individu non-identifié armé d’une longue faucille, aux alentours duquel plusieurs secousses sismiques ont été signalé. Suspectons fortement un Porteur de l’A-E.

Demande d’une enquête plus approfondie.

 

Demande approuvée.

Archives de l’Apsû, branche Grecque, 612 av. J.-C.

 

Je me réveille avec un rayon de lumière matinal qui filtre par le rideau émeraude et me frappe en plein visage.

Voilà qui est un superbe commencement…

Entre ma nuit plus qu’épouvantable et ce lit trop grand, j’ai mal dormi.

Zombie ronchon, je me redresse péniblement et dédaigne mes chaussures alors que je sors de la chambre, trainant des pieds.

Il faut qu’une entêtante odeur de caféine vienne chatouiller mes narines pour qu’enfin j’accélère un peu le pas.

Cette fois, trop ensommeillée, j’ignore les photos de familles et rejoins l’étroite salle à manger.

Mathieu surveille la bouilloire, une tranche de pain badigeonnée d'une écarlate confiture à la main, et Sacha comate devant son bol pour l’instant vide, une queue de panthère tombant toujours depuis le bas de son dos.

D’autre part, le bâillement qu’il forme alors que j’arrive présente des crocs qui n’ont rien d’humain...

« Sacha, range tes dents. » lui fait remarquer son ami, avant de mordre dans sa tartine.

Le concerné met quelques instants à réagir, mais fini par obtempérer, d’étonnement bonne grâce !

Je ne serais pas si fatigué, je me noterais qu’il est plus accommodant au réveil.

Mathieu m’adresse un sourire vague, ensommeillé.

« Bien dormi ? »

« Bof. »

« Café ? »

« Ouais, merci… »

Comme si elle n’avait attendu que ça, la bouilloire siffle joyeusement.

Quelques instants plus tard, nous sommes tous trois attablés, en compagnie de nos bols de café respectifs.

C’est étonnement calme.

À nous voir ainsi, difficile de croire que nous sommes des détenteurs d’anneaux aux pouvoirs fantastiques et avons sur le dos deux organisations qui nous sont hostiles !

« …Tu peux faire des mélanges d’animaux ? »

Oui, c’est une question bizarre, surtout pour un début de journée, mais je ne suis vraiment pas au top de ma forme. Mon cerveau ne pense pas encore correctement, semble-t-il.

Heureusement, Sacha n’est pas en meilleur état, car il répond sans râler, presque mécaniquement : « Dans la théorie : oui. Dans la pratique : c’est méga compliqué. Des petits trucs, oui, mais rien d’incroyable… »

« Tu n’as pas un oncle qui a tenté de se transformer en chien ailé, une fois ? » rebondit Mathieu, songeur.

« …En doberman à ailes de pigeon. Oui. Il était bourré. »

À quel niveau d’acceptation du paranormal en suis-je pour ne pas même pas être si surprise ?

« …Il a réussi ? »

« C’est devenu un gros poulet noir. C’est tout. »

Je pouffe bêtement de rire, vite rejoint par Mathieu.

Notre troisième larron ne suit pas le mouvement au début, jusqu’à ce qu’un mince sourire ne daigne déformer ses lèvres…

Ah, rectification : larronne. Elle vient de changer.

Notre petit moment d’hilarité ensommeillée passé, Mathieu se décide à lâcher la bombe qui va assombrir l’ambiance : « Bon, du coup… qu’est-ce que l’on fait, maintenant ? »

Un silence embarrassé lui répond.

La vérité, c’est qu’absolument aucun d’entre nous n’en a la moindre idée !

C’est bien beau de dire que l’on va chercher à nous venger de ce connard de pyromane… ça en est une tout autre de savoir comment est-ce que l’on va s’y prendre.

Par où pourrions-nous bien commencer, déjà ?

Et puis, quand bien même nous parvenions à le trouver le confronter : certes, nous sommes trois, mais lui, il est un adulte maitrisant bien mieux son Anneau que Sacha ou moi, sans oublier que ledit Anneau est particulièrement dangereux, qui plus est !

De plus… il s’est avéré que j’ai développé une peur du feu…

Non. Nous sommes réellement face à un mur, selon toute vraisemblance.

« Je me disais… » reprend Mathieu, « nous ne pouvons pas faire confiance à madame Wodan. Quand bien même elle semble t’avoir aidé, Diane, je pense que nous ne sommes pas pleinement en sécurité à cause d’elle… Elle sait où tu te trouves, et par conséquent où nous, nous nous trouvons, Sacha et moi. »

« Qu’est-ce que tu proposes ? D’aller ailleurs ? Ni chez toi ni chez les membres de ma famille, ce n’est sûr. » lui rétorque son amie.

« En fait, je pensais à chez Georges. »

La détentrice de l’Auneau de Loki fronce des sourcils sous un évident effort de mémoire.

« …Ton beau-frère ? C’est ça ? »

« Oui, c’est ça. Le fils de mon beau-père. Il est toujours de bonne volonté et serviable ! C’est sans doute chez lui que je serais allé, si tu ne m’avais pas accueilli, après… »

Les mots se bloquent dans sa gorge sous l’émotion. Après que ses parents se soient fait attaquer et qu’ils aient disparu. Il n’a pas besoin de le dire pour que l’on comprenne.

« Pourquoi pas… ? Tu es sûr qu’il pourrait nous héberger tous les trois ? »

« Il a un gros studio, grâce à son travail. On ne le gênera pas. »

« Il exerce dans quoi ? » j’interviens, curieuse.

« Il a un poste important dans une brasserie… Mais je ne connais pas les détails. Seulement que ça marche bien pour lui. »

« Mais vous avez quel âge de différence pour que toi tu sois encore lycéen, alors que lui… ? »

« Onze ans d’écart. Il a vingt-sept ans… Ce sont les aléas des familles recomposées ! »

Il a dit ça accompagné d’un rire jaune qui me laisse supposer que cela n’a pas dû être si facile que ce qu’il veut bien l’admettre.

La proposition est cependant votée à l’unanimité.

 

À peine plus d’une heure plus tard, nous avons empaqueté le strict nécessaire dans des sacs et nous voilà partis.

Sous le tissu d’un gilet piqué à Sacha, mon cœur bat la chamade tandis que nous remontons les rues.

Et si l’un de nos ennemis nous voyait et nous suivait ?

Trois lycéens qui se baladent avec de gros sacs, ce n’est pas ce qu’il y a de plus discret… On va nous remarquer… On va parler de nous… Ils vont être capables de retracer notre piste… Ils... !

Le bras du gender-fluid passe autour de mes épaules, ferme.

« Oh. Respire, la bébé-chevalier. C’est en te mettant à paniquer que tu vas nous faire repérer. »

Je lui obéis sans réfléchir, soutenue par la pression de son membre !

Une série de profondes et lentes respirations plus tard, je retrouve un état acceptable…

« Merci, je… Merci. »

« Il n’y a pas de quoi. »

« Tu… peux me lâcher. C’est bon. »

Il obtempère, ronchonnant.

« …Ça m’apprendra à tenter d’être sympa. »

« Ce n’est pas dans ta nature. C’est… perturbant quand tu ne râles pas. »

« …Poupée Barbie. »

« Discolored dork… »

« Petite souris… »

« Pussy… »

« Sous roi Arthur… »

« Baby cat… »

Mathieu nous interrompt dans notre joute verbale chuchotée : « Mais vous n’avez pas bientôt fini, oui ? »

« C’est elle qu’a commencé. »

« Quoi… ? Mais, espèce de dirty… »

« Stop ! Je vous ai dit : stop ! »

Cette fois, ni Sacha ni moi ne répliquons.

Notre ami soupire, alors qu’il recommence à nous guider.

« On dirait des enfants. Vous devriez avoir honte. »

La suite du voyage se passe heureusement sous de meilleurs hospices. En dehors de deux ou trois, ou peut être cinq, discrets coups de coude : le Porteur de l’A-L et moi parvenons à ne pas trop nous chercher des noises.

Même au moment de prendre le tram, nous avons réussi à ne pas nous disputer un siège libre ! …Ou plus exactement, nous avons juste laissé Mathieu s’y assoir.

 

Quand nous arrivons au pied de la série de résidences où vit le dénommé George, après avoir pris successivement deux bus, j’ignore s’il s’est écoulé une ou deux heure depuis notre départ…

L’enrobé de notre trio prend une grande inspiration, puis presse l’interphone correspondant à l’appartement de son beau-frère.

Heureusement pour nos nerfs, une voix masculine répond au bout de quelques secondes : « Oui ? »

« Bonjour, c’est moi, Mathieu ! Je suis avec des amis… Tu peux nous ouvrir ? »

« Oh ! Bien sûr ! » s’écrit joyeusement l’autre, en même temps que stridule un grésillement indiquant l’ouverture de la porte automatique !

Plus de retour en arrière possible, je présume…

Nous entrons.

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