Liam fulminait. Il ne comprenait pas comment ses cousins pouvaient croire ces histoires de prophétie et d’ombres. Surtout racontées par un huluberlu aux grandes oreilles rencontré au détour d’une ruelle. Il s’éloigna du groupe, marchant quelques pas dans la clairière, les mains dans les poches et le visage fermé.
Tout ça c’est du délire. Pourquoi nous ? Tout ce que je veux, c’est rentrer chez moi.
Il leva les yeux vers le ciel rougeoyant du soir, sentant la rage se mélanger à une peur sourde qu’il refusait de nommer. Tout ça n’avait aucun sens. Une prophétie, une Ombre, un équilibre à rétablir… Non. Tout ce qu’il voulait, c’était rentrer. Leur monde. Leur famille. Leur vie. Pas ces histoires de héros sortis d’un vieux grimoire moisi.
Derrière lui, les voix de ses cousins résonnaient encore. Il jeta un coup d’œil vers eux. Cléo posait mille questions à Syn, comme si elle cherchait déjà à décoder les mystères de ce Temple. Lysandra, elle, observait les gravures avec des yeux brillants, émerveillée, comme si elle se sentait enfin à sa place. À sa place ? Sérieusement ?
Ilana et Jorick paraissaient plus troublés. Ils n’étaient pas convaincus, ça se voyait. Mais eux aussi avaient ressenti… quelque chose. Cette force étrange qui semblait répondre à leurs émotions. Même s’ils doutaient, ils savaient que Syn n’inventait pas tout.
Heureusement que Caleb était de son côté, le seul à être encore un peu lucide. Il avait aussi compris qu’ils n’avaient rien à faire ici.
Ses pas l’avaient amené jusqu’aux marches usées du Temple. Il s’asseyait sur la pierre froide et inspira longuement. Ce qui l’étouffait au fond ce n’était pas simplement cette colère, c’était le vide. Quand ses cousins avaient découvert ces… pouvoirs, il n’avait rien ressenti. Pas la moindre étincelle. Rien. Comme si ce monde l’ignorait, lui. Comme si même la magie avait décidé de le laisser de côté. Alors, prophétie ou pas, qu’est-ce qu’il faisait là ? Un poids mort ? Un figurant de plus dans cette farce ?
Il sentit des pas derrière lui. Cléo s’était approchée, ses bras croisés sur sa poitrine.
— Tu pourrais au moins écouter. On n’est pas obligés d’y croire tout de suite, mais… tu ne peux pas nier ce qu’on a vu. Ce que Jorick a fait avec la rivière ou Ilana avec les flammes.
— Pff. Tu t’entends ? grinça Liam, sans la regarder. Tu gobes déjà ses histoires comme une gourde.
— Et toi, tu refuses de voir ce qui est sous ton nez, répliqua Cléo, piquée.
— Je vois très bien, merci. Je vois qu’on est coincés dans un monde qui n’est pas le nôtre, qu’on a aucune idée de comment rentrer, et que toi et Lysandra, vous êtes déjà prêtes à jouer aux petits soldats de prophétie. Et ben pas moi.
Il tourna brusquement la tête vers elle, les yeux brillants de rage.
— Moi je veux rentrer. Et si vous avez encore un peu de bon sens, vous devriez vouloir la même chose.
Cléo resta un moment silencieuse. Son regard était ferme, mais il y avait dans ses yeux une lueur de tristesse. Finalement, elle recula d’un pas, secouant la tête.
— Tu n’as pas peur de passer à côté de la vérité ?
— La vérité ? ricana Liam. La vérité, c’est que tout ça, c’est pas notre problème.
Voyant que cela ne servait à rien d’argumenter, Cléo s’en alla rejoindre les autres qui entraient dans le Temple. Liam resta un moment seul avec ses pensées, jusqu’à ce que le crépuscule avale la clairière. Il se décida finalement à entrer à son tour.
Il pénétra dans un vaste atrium circulaire. Le sol était pavé de mosaïques ternies mais encore lisibles, représentant des flammes, des vagues, des vents et des rocs entremêlés en une spirale hypnotique. Douze colonnes massives soutenaient la voûte, chacune gravée de symboles qui semblaient luire faiblement dans la pénombre. Au centre, une large ouverture circulaire laissait entrer un rai de lumière orangée, qui se brisait en éclats sur les dalles. Des lierres et des fleurs étranges s’accrochaient aux pierres, comme si la nature elle-même veillait sur le sanctuaire. L’air portait une odeur de terre et d’humidité ancienne. Liam n’avait jamais vu un endroit pareil, il se sentait bien petit face à tant de grandeur.
Le groupe était réuni autour d’un foyer au milieu de la pièce. Syn distribuait des morceaux de viande à faire griller et, dans un pot de pierre posé sur la braise, une sorte de bouillie blanche épaississait, rappelant vaguement du riz gluant.
Liam sentit son estomac se tordre de faim. Il hésita, restant debout à distance, comme s’il voulait encore s’en tenir à sa colère. Mais l’odeur lui monta aux narines, chaude, rassurante, et il sentit la crispation de ses doigts se relâcher malgré lui. Finalement, il s’approcha et s’assit un peu à l’écart, tendant les mains vers le feu. La chaleur des flammes lui fit du bien, même s’il refusait de l’admettre.
— Tu sais quoi ? J’en ai marre de tes histoires, lança-t-il à Syn d’une voix sèche. On n’est pas tes élus, ni tes pions. On va pas jouer les héros pour un monde qui n’est même pas le nôtre.
Caleb, assis en face de lui, hocha lentement la tête pour manifester son assentiment.
Un silence pesant s’installa. Cléo voulut répliquer, mais Syn leva une main pour l’interrompre.
— Vous êtes libres, dit-il calmement. Rien ne vous oblige à rester. La porte du Temple est grande ouverte.
Liam sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Voilà, enfin, une échappatoire. Il jeta un regard à Caleb : l’idée de partir, de quitter cet endroit, de mettre fin à cette mascarade les attirait.
Ses yeux dérivèrent pourtant vers Jorick, qui observait les flammes avec une gravité inhabituelle. Puis vers Lysandra, presque hypnotisée par les fresques du Temple. Et Ilana… dans ses yeux elle le suppliait de rester.
Liam serra les poings. L’idée de tourner le dos à ses cousins lui serrait la gorge plus fort que tout le reste.
— Très bien, lâcha-t-il finalement, amer. On reste… pour l’instant. Mais pas parce qu’on croit à ton délire. Parce qu’on ne va pas les laisser seuls.
Syn inclina légèrement la tête, sans triomphe ni reproche, comme s’il s’y attendait.
— Maintenant que nous sommes sur la même longueur d’ondes, commença-t-il en lançant un regard amusé à Liam, mangeons. Je vous montrerai ensuite où vous logerez.
Le repas se déroula dans une atmosphère décontractée. Néanmoins, Liam se mit à l’écart, dans sa bulle, et ne participa pas aux discussions. Les autres ne firent pas vraiment attention à lui, exceptée Lysandra qui lui souriait timidement de temps en temps.
Syn finit par les mener à travers les couloirs du Temple. Ils étaient sombres et froids, éclairés chichement par de vieilles torches. Leur guide leur attribua à chacun une chambre. Les pièces étaient petites mais chaleureuses, la lumière de la lune pénétrait par l’unique fenêtre de la pièce. D’après Syn, elles appartenaient à d’anciens serviteurs du Temple.
Liam resta un moment allongé sur le lit de pierre recouvert d’une couverture rêche, les bras derrière la tête. Le silence du Temple lui pesait, entrecoupé seulement par le craquement lointain d’une torche ou le souffle du vent qui s’engouffrait dans les fissures des murs. Ses cousins dormaient probablement déjà, ou du moins essayaient. Lui, il n’en avait pas la moindre envie.
Au bout d’un moment, il se leva et ouvrit la petite fenêtre encastrée dans l’épaisseur de la pierre. Le froid de la nuit s’engouffra aussitôt, mordant sa peau, mais il s’en moqua. Devant lui s’étendait le ciel d’Astreval, sombre et constellé d’étoiles inconnues. Certaines brillaient avec des teintes étranges, violettes ou verdâtres, qui n’existaient pas dans leur monde. Liam se sentit encore plus étranger en les contemplant, comme un intrus dans un rêve qui ne lui appartenait pas.
Il posa ses mains sur l’appui de pierre et serra les dents.
— Je m’en fiche de vos prophéties, murmura-t-il pour lui-même. Je trouverai un moyen de rentrer. Je vous ramènerai à la maison.
Mais malgré ses mots, une angoisse sourde s’accrocha à lui. Et s’il n’y avait vraiment aucun retour possible ? Et si Syn avait raison ?
Il repoussa la pensée, presque violemment, et referma la fenêtre d’un geste sec. Il tira la couverture sur lui, ferma les yeux avec rage, mais le sommeil refusa de venir.
Peu de révélation dans ce chapitre qui se veut plus "doux".
On voit le grand écart entre Liam et le reste de ses cousins. Normal qu'il se pose autant de questions. En soit ils n'ont eu que très peu de réponses. C'est bien qu'il y en est au moins un sur ses gardes pour protéger les autres au cas où.
A voir si son point de vue changera par la suite :)
A plus !
Oui Liam n'est pas du tout emballé par l'idée de rester dans ce monde, il aimerait retrouvé son quotidien. Mais c'est mal parti pour l'instant haha