– Où es-tu, Ogrisha ?
Il entrevit qu'il était affalé sur sa couche et que c'était le bordel dans la pièce. Ogrisha se retourna vers l'homme robuste comme un loup. Podisglav lui jeta un coup d’œil mécontent, coincé entre son sourcil et les plis de sa joue. La lumière de ce soleil éblouissant passait par longs filaments capricieux au travers de la fenêtre de la chambre d'Ogrisha. C'était assez loin du bordel de la Halle, comme Podisglav et avaient voulu. Il était ainsi préservé s'il ne faisait pas l'imbécile. Son visage paraissait encore différent de celui que Ogrisha croyait avoir découvert jusqu’ici. La lumière crue de l'intérieur donnaient à sa peau une texture dure, creusée vers la mâchoire. Et, son œil, bien que contrarié, n’était ici plus sombre du tout. En fait, Podisglav avait des yeux si clairs que quand le plein jour tombait dedans, par à-coups, ils paraissaient presque transparents.
– Oui. Qu'est-ce qu'il y a ?!
Podisglav soupira et sa langue fit un bruit d'agacement.
– Tu ne crois pas que c'est le foutoir ici ?
La question de ce dernier le déstabilisa à peine.
– Donc, il n'y a pas de grande différence le Domaine des Plaisirs ?
– Ah ah ah ! Tu crois qu 'on peut rigoler de ça. Cela ne t'excuse pas. Tu devrais ranger ton espace...
Appuyé sur ses deux mains, l’adolescent se redressa sur sa couche vert tendre et de forme circulaire, peu convaincu par cette parole. Il sourit gentiment.
– Sinon le grand méchant loup va te croquer. Tu crois pas que c'est usé comme méthode. Cela marchait quand j'étais petit mais plus maintenant.
L'homme plus âgé se gratta rudement l’arête droite de son nez. Ses doigts se serraient en griffes. Il l’observa comme au travers d’une loupe. Ogrisha cessa de bouger et s'immobilisa. Le regard de Podisglav s’était agrandi, prenant son air de grand méchant loup.
– Devrais-je aller plus loin et te menacer de te priver de sortie ?
Ne sachant pas s'il plaisantait ou non, Ogrisha essaya de voir dans le regard de son vis-à-vis le piège qu'il tendait parfois. La main de Podisglav était ferme, prenant presque l'air dépourvu d'avoir été saisi. Sa tête pencha en arrière sur son épaule et son regard glacial le surplomba de très haut. Les lunettes noirâtres, rarement portés, accentuèrent sa sévérité. Ogrisha déglutit son mécontentement, s’abstint de répondre et demeura le dos bien droit, pas tout à fait collé au mur céladon. Le jeune eut envie de sourire par défi, mais il se retint. Ce n’était pas un moment pour sourire, pas du tout.
Podisglav parut alors sur le point de parler à nouveau, la partie supérieure de son corps légèrement tendue vers lui, avançant d'un pas. Puis, ses épaules s’affaissèrent et son regard glissa sur sa silhouette, le tranchant sur place.
– Tu ranges ta chambre, d'accord ? Je n'aime pas m'énerver. Surtout avec toi. Tu es comme un fils.
Les vêtements sales, étendus sur le lit d'Ogrisha, étaient étendus comme des phoques échoués sur une plage à l'abandon. Ils n'attendaient que d'être cueillis pour se faire faire une santé et une apparence neuve. Un courant d’air passa dans sa chambre. Podisglav avait ouvert en grand l'immense fenêtre sur la vue et le motivait à grands coups de regards appuyés.
La bouche pincée en un mince sourire content, il tâcha alors de lui donner un coup de main sans pour autant tout faire à sa place. Son visage s'éclaircit. Les rares pliures situés sur son front et son menton étaient tels de deux petites cicatrices claires, gravées en plus par des années sombres.